130



131 L'édition de 1613, qui fait suite à celle de 1603, est peut-être la plus intéressante et la plus utile de toutes celles que publia Champlain. Les faits y sont racontés dans l'ordre, quoique simplement; les descriptions de lieux y sont à leur place; le texte est partout accompagné de cartes ou de dessins, qui jettent toujours beaucoup de lumière sur des événements si éloignés de nous.

Bien des personnes, sans en avoir fait un examen assez attentif, ont cru que l'édition de 1632 pouvait y suppléer, parce quelle la reproduit en grande partie. Mais, quand elles voudront approfondir les choses, et s'en rendre exactement compte, elles s'apercevront bien vite que cette réimpression de 1632 est tellement tronquée parfois, qu'il est impossible de s'y reconnaître, et elles se verront forcées de revenir à l'édition première, surtout pour ce qui concerne l'Acadie, et les cotes de la Nouvelle-Angleterre.



132

LES VOYAGES

DU SIEUR DE CHAMPLAIN

XAINTONGEOIS, CAPITAINE

ordinaire pour le Roy,
en la marine.

DIVISEZ EN DEUX LIVRES.

ou,

JOURNAL TRES-FIDELE DES OBSERVATIONS faites és descouvertures de la nouvelle France: tant en la description des terres, costes, rivieres, ports, havres, leurs hauteurs, & plusieurs déclinaisons de la guide-aymant; qu'en la créance des peuples, leurs superstitions, façon de vivre & de guerroyer: enrichi de quantité de figures.

Ensemble deux cartes geografiques: la première servant à la navigation, dressée selon les compas qui nordestent, sur lesquels les mariniers navigent: l'autre en son vray Méridien, avec ses longitudes & latitudes: à laquelle est adjousté le voyage du destroict qu'ont trouvé les Anglois, au dessus de Labrador, depuis le 53e. degré de latitude, jusques au 63e en l'an 1612. cerchans un chemin par le Nord, pour aller à la Chine.

A PARIS,

Chez JEAN BERJON, rue S. Jean de Beauvais, au Cheval volant, & en sa boutique au Palais, à la gallerie des prisonniers.


MDCXIII.

AVEC PRIVILEGE DU ROY.



iii/135

AU ROY.

IRE,

Vostre Majesté peut avoir assez de cognoissance des descouvertures, faites pour son service de la nouvelle France (dicte Canada) par les escripts que certains Capitaines & Pilotes en ont fait, des voyages & descouvertures, qui y ont esté faites, depuis quatre vingts ans, mais ils n'ont rien rendu de si recommandable en vostre Royaume, ny si profitable pour le service de vostre Majesté & de ses subjects; comme peuvent estre les cartes des costes, havres, rivieres, & de la situation des lieux lesquelles seront representées par ce petit traicté, que je prens la hardiesse d'adresser à vostre Majesté, intitulé Journalier des voyages & descouvertures que j'ay faites avec le sieur de Mons, vostre Lieutenant, en la nouvelle France: & me voyant poussé d'une juste recognoissance de l'honneur que j'ay reçeu depuis dix ans, des commandements, tant de vostre Majesté, Sire, que du feu Roy, Henry le Grand, d'heureuse mémoire, qui me commanda de faire les recherches & descouvertures les plus exactes qu'il me seroit possible: Ce que j'ay fait avec les augmentations, representées par les cartes, contenues en ce petit livre, auquel il se trouvera uneiv/136 remarque particulière des perils, qu'on pourrait encourir s'ils n'estoyent evitez: ce que les subjects de vostre Majesté, qu'il luy plaira employer cy aprés, pour la conservation desdictes descouvertures pourront eviter selon la cognoissance que leur en donneront les cartes contenues en ce traicté, qui servira d'exemplaire en vostre Royaume, pour servir à vostre Majesté, à l'augmentation de sa gloire, au bien de ses subjects, & à l'honneur du service tres-humble que doit à l'heureux accroissement de vos jours.

SIRE.

Vostre tres-humble, tres-obeissant
& tres-fidele serviteur & subject.

CHAMPLAIN.

v/137



A LA ROYNE REGENTE
MERE DU ROY.

ADAME,

Entre tous les arts les plus utiles & excellens, celuy de naviguer m'a tousjours semblé tenir le premier lieu: Car d'autant plus qu'il est hazardeux & accompagné de mille périls & naufrages, d'autant plus aussi est-il estimé & relevé par dessus tous, n'estant aucunement convenable à ceux qui manquent de courage & asseurance. Par cet art nous avons la cognoissance de diverses terres, régions, & Royaumes. Par iceluy nous attirons & apportons en nos terres toutes sortes de richesses, par iceluy l'idolâtrie du Paganisme est renversé, & le Christianisme annoncé par tous les endroits de la terre. C'est cet art qui m'a dés mon bas aage attiré à l'aimer, & qui m'a provoqué à m'exposer presque toute ma vie aux ondes impetueuses de l'Océan, & qui m'a fait naviger & costoyer une partie des terres de l'Amérique & principalement de la Nouvelle France, où j'ay tousjours en desir d'y faire fleurir le Lys avec l'unique Religion Catholique, Apostolique & Romaine. Ce que je croy à present faire avec l'aide de Dieu, estant assisté de la faveur de vostre Majesté, laquelle je supplie tres-humblement de continuer à nous maintenir, afin que tout reussisse à l'honneurvi/138 de Dieu, au bien de la France & splendeur de vostre Regne, pour la grandeur & prosperité duquel, je prierai Dieu, de vous assister tousjours de mille benedictions & demeureray.

MADAME,

Vostre tres-humble, tres-obeissant
& tres-fidele serviteur & subject.

CHAMPLAIN.



vii/139

AUX FRANÇOIS, SUR LES
voyages du sieur de Champlain.

STANCES.

La France estant un jour à bon droit irritée

De voir des estrangers l'audace tant vantée,

Voulans comme ranger la mer à leur merci,

Et rendre injustement Neptune tributaire

Estant commun à tous; ardente de cholere

Appella ses enfans, & les tançoit ainsi.

2

Enfans, mon cher soucy, le doux soin de mon ame,

Quoy? l'honneur qui espoint d'une si douce flamme,

Ne touche point vos coeurs? Si l'honneur de mon nom

Rend le vostre pareil d'éternelle memoire,

Si le bruit de mon los redonde à vostre gloire,

Chers enfans, pouvés vous trahir vostre renom?

3

Je voy de l'estranger l'insolente arrogance,

Entreprenant par trop, prendre la jouissance

De ce grand Océan, qui languit aprés vous,

Et pourquoy le desir d'une belle entreprise

Vos coeurs comme autresfois n'espoinçonne & n'attise?

Tousjours un brave coeur de l'honneur est jaloux.

4

Apprenés qu'on a veu les Françoises armées

De leur nombre couvrir les pleines Idumées,

L'Afrique quelquefois a veu vos devanciers,

L'Europe en a tremblé, & la fertile Asie

En a esté souvent d'effroy toute saisie,

Ces peuples sont tesmoins de leurs actes guerriers.

5

viii/140

Ainsi moy vostre mere en armes si féconde

J'ay fait trembler soubs moy les trois parts de ce monde.

La quarte seulement mes armes n'a gousté.

C'est ce monde nouveau dont l'Espagne rostie.

Jalouse de mon los, seule se glorifie,

Mon nom plus que le sien y doit estre planté.

6

Peut estre direz vous que mon ventre vous donne

Ce que pour estre bien, Nature vous ordonne,

Que vous avez le Ciel clément & gracieux,

Que de chercher ailleurs se rendre à la fortune,

Et plus se confier à une traistre Neptune,

Ce seroit s'hazarder sans espoir d'avoir mieux.

7

Si les autres avoyent leurs terres cultivées,

De fleuves & ruisseaux plaisamment abbreuvées

Et que l'air y fut doux: sans doute ils n'auroyent pas

Dans ce pays lointain porté leur renommée

Que foible on la verroit dans leurs murs enfermée

Mais pour vaincre la faim, on ne craint le trespas.

8

Il est vray chers enfans, mais ne faites vous compte

De l'honneur, qui le temps & sa force surmonte?

Qui seul peut faire vivre en immortalité?

Ha! je sçay que luy seul vous plaist pour recompense,

Allés donc courageux, ne souffrez, ceste offense,

De souffrir tels affrons, ce ferait lascheté.

9

Je n'en sentirois pas la passion si forte,

Si nature n'ouvroit à ce dessein la porte,

Car puis qu'elle a voulu me bagner les costés

De deux si larges mers: c'est pour vous faire entendre

Que guerriers il vous faut mes limites estendre

Et rendre des deux parts les peuples surmontés.

10

ix/141

C'est trop, c'est trop long temps se priver de l'usage,

D'un bien que par le Ciel vous eustes en partage,

Allés donc courageux, faites bruire mon los,

Que mes armes par vous en ce lieu soyent portées

Rendés par la vertu les peines surmontées

L'honneur est tant plus grand que moindre est le repos.

11

Ainsi parla la France: & les uns approuverent

Son discours, par les cris qu'au Ciel ils eslevèrent,

D'autres faisoient semblant de louer son dessein,

Mais nul ne s'efforçait de la rendre contente,

Quand Champlain luy donna le fruit de son attente.

Un coeur fort généreux ne peut rien faire en vain.

12

Ce dessein qui portait tant de peines diverses,

De dangers, de travaux, d'espines de traversés,

Luy servit pour monstrer qu'une entière vertu

Peut rompre tous efforts par sa perseverance

Emporter, vaincre tout: un coeur plein de vaillance

Se monstre tant plus grande plus il est combattu.

13

François, chers compagnons, qu'un beau desir de gloire

Espoinçonnant vos coeurs, rende vostre mémoire

Illustrée à jamais; venez braves guerriers,

Non non ce ne sont point des esperances vaines.

Champlain a surmonté les dangers & les peines:

Venés pour recueillir mille & mille lauriers.

14

HENRY mon grand Henry à qui la destinée

Impiteuse a trop tost la carrière bornée,

Si le Ciel t'eust laissé plus long temps icy bas,

Tu nous eusses assemblé la France avec la Chine:

Tu ne méritais moins que la ronde machine,

Et l'eussions veu courber sous l'effort de ton bras.

15

x/142

Et toy sacré fleuron, digne fils d'un tel Prince,

Qui luit comme un soleil aux yeux de ta Province,

Le Ciel qui te reserve à un si haut dessein,

Face un jour qu'arrivant l'effect de mon envie,

Je verse en t'y servant & le sang, & la vie,

Je ne quiers autre honneur si tel est mon destin.

16

Tes armes ô mon Roy, ô mon grand Alexandre!

Iront de tes vertus un bon odeur espandre

Au couchant & levant. Champlain tout glorieux

D'un desir si hautain ayant l'ame eschauffée

Aux fins de l'Océan plantera ton trophée,

La grandeur d'un tel Roy doit voler jusqu'aux Cieux.


L'ANGE Paris.



xi/143

A MONSIEUR DE CHAMPLAIN
Sur son livre & ses cartes marines.

ODE.

Que desire tu voir encore

Curieuse témérité:

Tu cognois l'un & l'autre More,

En ton cours est-il limité?

En quelle coste reculée

N'es-tu pas sans frayeur allée?

Et ne sers tu pas de raison?

Que l'ame est un feu qui nous pousse,

Qui nous agite et se courouce

D'estre en ce corps comme en prison?

Tu ne trouves rien d'impossible,

Et mesme le chemin des Cieux

À peine reste inaccessible

A ton courage ambitieux.

Encore un fugitif Dédale,

Esbranlant son aisle inégale

Eut l'audace d'en approcher,

Et ce guerrier qui de la nue

Vid la jeune Andromede nue

Preste à mourir sur le rocher.

Que n'ay je leur aisle asseurée,

Ou celle du vent plus léger,

Ou celles des fils de Borée

Ou l'Hippogriphe de Roger.

Que ne puis-je par characteres

Parfums & magiques mysteres

Courir l'un & l'autre Element.

Et quand je voudrais l'entreprendre

Aussi-tost qu'un daimon me rendre

Au bout du monde en un moment.

xii/144

Non point qu'alors je me promette

D'aller au sejour eslevé

Qu'avec une longue lunette

On a dans la lune trouvé;

Ny d'apprendre si les lumières

D'esclairer au ciel coustumieres,

Et qui sont nos biens & nos maux,

D'humides vapeurs sont nourries,

Comme icy bas dans les prairies

D'herbe on nourit les animaux.

Mais pour aller en asseurance

Visiter ces peuples tous nuds

Que la bien heureuse ignorance

En long repos a maintenus.

Telle estoit la gent fortunée

Au monde la première née,

Quand le miel en ruisseaux fondoit

Au sein de la terre fleurie

Et telle se voit l'Hetrurie

Lors que Saturne y commandoit.

Quels honneurs & quelles louanges

Champlain ne doit point esperer,

Qui de ces grands pays estranges

Nous a sçeu le plan figurer

Ayant neuf fois tenu la sonde

Et porté dans ce nouveau monde

Son courage aveugle aux dangers,

Sans craindre des vents les haleines

Ny les monstrueuses Baleines

Le butin des Basques légers.

Esprit plus grand que la fortune

Patient & laborieux.

Tousjours soit propice Neptune

A tes voyages glorieux.

Puisses tu d'aage en aage vivre,

Par l'heureux effort de ton livre:

Et que la mesme éternité

Donne tes chartes renommées

D'huile de cèdre perfumées

En garde à l'immortalité.


Motin.

xiii/145


SOMMAIRES DES CHAPITRES

LIVRE PREMIER

Auquel sont descrites les descouvertures de la coste d'Acadie & de la Floride.

L'utilité du commerce a induit plusieurs Princes à recercher un chemin plus facile pour trafiquer avec les Orientaux. Plusieurs voyages qui n'ont point réussi. Resolution des François à cet effect. Entreprise du sieur de Mons. Sa commission, & revocation d'icelle. Nouvelle commission au mesme sieur de Mons. Chap. I.

Description de l'isle de Sable: Du Cap Breton, de la Heve: Du port au Mouton: Du port du cap Negre: Du cap & Baye de Sable: De l'isle aux Cormorans: Du cap Fourchu: De l'isle longue: De la baye saincte Marie: Du port saincte Marguerite, & de toutes les choses remarquables qui sont le long de ceste coste. Chap. II.

Description du port Royal & des particularitez d'iceluy. De l'isle haute. Du port aux Misnes. De la grande baye Françoise. De la riviere sainct Jean, & ce que nous avons remarqué depuis le port aux Misnes jusques à icelle. De l'isle appellée par les Sauvages Methane. De la riviere des Etechemins & de plusieurs belles isles qui y sont. De l'isle de saincte Croix, & autres choses remarquables d'icelle coste. Chap. III.

Le sieur de Mons ne trouvant point de lieu plus propre pour faire une demeure arrestée, que l'isle de saincte Croix, la fortifie & y fait des logemens. Retour des vaisseaux en France, & de Ralleau Secrétaire d'iceluy sieur de Mons, pour mettre ordre à quelques affaires. Chap. IV.

De la coste, peuples & rivieres de Norembeque, & de tout ce qui s'est passé durant les descouvertures d'icelle. Chap. V.

Du mal de terre, fort cruelle maladie. A quoy les hommes & femmes Sauvages passent le temps durant l'hyver: & tout ce qui se passe en l'habitation durant l'hyvernement. Chap. VI.

Descouvertures de la coste des Almouchiquois, jusques au 42e degré de latitude: & des particularités de ce voyage. Chap. VII.

Continuation des descouvertures de la coste des Almouchiquois, & de ce que nous y avons remarqué de particulier. Chap. VIII.

Retour des descouvertures de la coste des Almouchiquois. Chap. IX.

L'habitation qui estoit en l'isle de saincte Croix transportée au port Royal, & pourquoy. Chap. X.

Ce qui se passa depuis le partement du sieur de Mons, jusques à ce que voyant qu'on n'avoit point nouvelles de ce qu'il avoit promis, on partit du port Royal pour retourner en France. Chap. XI.

Partement du Port Royal, pour retourner en France. Rencontre de Ralleau au cap de Sable, qui fit rebrousser chemin. Chap. XII.

Le sieur de Poitrincourt part du port Royal, pour faire des descouvertures. Tout ce que l'on y vit, & ce qui y arriva jusques à Malebarre. Chap. XIII.

Continuation des susdites descouvertures, & ce qui y fut remarqué de singulier. Chap. XIV.

L'incommodité du temps, ne permettant pour lors, de faire d'avantage de descouvertures, nous fit resoudre de retourner en l'habitation: & ce qui nous arriva jusques à icelle. Chap. XV.

xiv/146Retour des susdites descouvertures & ce qui se passa durant l'hyvernement. Chap. XVI.

Habitation abandonnée. Retour en France du sieur de Poitrincourt & de tous tes gens. Chap. XVII.


LIVRE SECOND

Auquel sont descrits les voyages faits au grand fleuve sainct Laurens, far le sieur de Champlain.

Resolution du sieur de Mons, pour faire les descouvertures par dedans les terres: sa commission & enfrainte d'icelle, par des Basques, qui desarmerent le vaisseau de Pont-gravé; & l'accord qu'ils firent après entre eux. Chap. I.

De la riviere de Saguenay, & des Sauvages, qui nous y vindrent abborder. De l'isle d'Orléans, & de tout ce que nous y avons remarqué de singulier. Chap. II.

Arrivée à Québec, où nous fismes nos logemens. Sa situation. Conspiration contre le service du Roy, & ma vie, par aucuns de nos gens. La punition qui en fut faite, & tout ce qui se passa en cet affaire. Chap. III.

Retour du Pont-gravé en France. Description de nostre logement, & du lieu où sejourna Jaques Quartier en l'an 1535. Chap. IV.

Semences & vignes plantées à Québec. Commencement de l'yver & des glaces. Extresme necessité de certains sauvages. Chap. V.

Maladie de la terre à Québec. Le suject de l'hyvernement. Description dudit lieu. Arrivée du sieur de Marais, gendre de Pont-gravé, audit Québec Chap. VI.

Partement de Québec jusques à l'isle saincte Esloy, & de la rencontre que j'y fis des sauvages Algoumequins, & Ochatequins. Chap. VII.

Retour à Québec: & depuis continuation avec les sauvages jusques au saut de la riviere des Yroquois. Chap. VIII.

Partement du saut de la riviere des Yroquois. Description d'un grand lac. De la rencontre des ennemis que nous fismes audit lac, & de la façon & conduite qu'ils usent en allant attaquer les Yroquois. Chap. IX.

Retour de la Bataille & ce qui se passa par le chemin. Chap. X.

Retour en France & ce qui se passa jusques au rembarquement. Chap. XI.


SECOND VOYAGE DU SIEUR de Champlain.

Partement de France pour retourner en la nouvelle France: & ce qui se passa jusques à nostre arrivée en l'habitation. Chap. I.

Partement de Québec pour aller assister nos sauvages alliez à la guerre contre les Yroquois leurs ennemis & tout ce qui se passa jusques à nostre retour en l'habitation. Chap. II.

Retour en France. Rencontre d'une Baleine & de la façon qu'on les prent Chap. III.

xv/147

LE TROISIESME VOYAGE DU sieur de Champlain en l'année 1611.

Partement de France pour retourner en la Nouvelle France. Les dangers & autres choses qui arriverent jusques en l'habitation. Chap. I.

Descente à Quebec pour faire raccommoder la barque. Partement dudit Quebecq pour aller au saut trouver les sauvages & recognoistre un lieu propre pour une habitation. Chap. II.

Deux cens sauvages rameinent le François qu'on leur avoit baillé, & remmenèrent leur sauvage qui estoit retourné de France. Plusieurs discours de part & d'autre. Chap. III.

Arrivée à la Rochelle. Association rompue entre le sieur de Mons & ses associés les sieurs Colier & le gendre de Rouen. Envie des François touchant les nouvelles descouvertures de la nouvelle France. Chap. IV.

Intelligence des deux cartes Geografiques de la nouvelle France.

xvi/148Plus est adjouté le voyage à la petite carte du destroit qu'ont trouvé les Anglois au dessus de Labrador depuis le 53e degré de latitude, jusques au 63e qu'ils ont descouvert en ceste presente année 1612. pour trouver un passage d'aller à la Chine par le Nort, s'il leur est possible: & ont hyverné au lieu où est ceste marque, Q. Ce ne fut pas sans avoir beaucoup enduré de froidures, & furent contraincts de retourner en Angleterre: ayans laissé leur chef dans les terres du Nort, & depuis six mois, trois autres vaisseaux sont partis pour pénétrer plus avant, s'ils peuvent, & par mesmes moyens voir s'ils trouveront les hommes qui ont esté delaissez audict pays.


EXTRAIT DU PRIVILEGE.

ar lettres patentes du Roy données à Paris, le 9 de janvier, 1613. & de nostre règne le 3, par le Roy en son conseil PERREAU: & scellées en cire jaune sur simple queue, il est permis à JEAN BERJON, Imprimeur & Libraire en ceste ville de Paris, imprimer ou faire imprimer par qui bon luy semblera un livre intitulé. Les Voyages de Samuel de Champlain Xainctongeois, Capitaine ordinaire pour le Roy en la Marine, etc. pour le temps & terme de six ans entiers & consecutifs à commencer du jour que ledit livre aura esté achevé d'imprimer, jusques audit temps de six ans. Estant semblablement fait deffenses par les mesmes lettres, à tous Imprimeurs, marchans Libraires, & autres quelconques, d'imprimer, ou faire imprimer, vendre ou distribuer ledit livre durant ledit temps, sans l'exprès contentement dudit BERJON, ou de celuy à qui il en aura donné permission, sur peine de confiscation desdicts livres la part qu'ils seront trouvez, & d'amende arbitraire, comme plus à plein est déclaré esdictes lettres.




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LES VOYAGES

DU SIEUR DE CHAMPLAIN
XAINTONGEOIS, CAPITAINE
ordinaire pour le Roy,
en la marine.

OU JOURNAL TRES-FIDELE DES OBSERVATIONS faites és descouvertures de la nouvelle France: tant en la description des terres, costes, rivieres, ports, havres, leurs hauteurs, & plusieurs declinaisons de la guide-aymant; qu'en la créance des peuples, leurs superstitions, façon de vivre & de guerroyer: enrichi de quantité de figures.

Ensemble deux cartes géographiques: la première servant à la navigation, dressée selon les compas qui nordestent, sur lesquels les mariniers navigent: l'autre en son vray Méridien, avec ses longitudes & latitudes: à laquelle est adjousté le voyage du destroict qu'ont trouvé les Anglois, au dessus de Labrador, depuis le 53e. degré de latitude, jusques au 63e en l'an 1612. cerchans un chemin par le Nord, pour aller à la Chine.



LIVRE PREMIER



2/150

L'utilité du commerce a induit plusieurs Princes à rechercher un chemin plus facile pour trafiquer avec les Orientaux. Plusieurs voyages qui n'ont pas reussy. Resolution des François à cet effect. Entreprise du sieur de Mons: sa commission, revocation d'icelle. Nouvelle commission au mesme sieur de Mons pour continuer son entreprise.

CHAPITRE I.

elon la diversité des humeurs les inclinations sont différentes: & chacun en sa vacation a une fin particuliere. Les uns tirent au proffit, les autres à la gloire, & aucuns au bien public. Le plus grand est au commerce, & principalement celuy qui se faict sur la mer. De là vient le grand soulagement du peuple, l'opulence & l'ornement des republiques. C'est ce qui a eslevé l'ancienne Rome à la Seigneurie & domination de tout le monde. Les Vénitiens à une grandeur esgale à celle des puissans Roys. De tout temps il a fait foisonner en richesses les villes maritimes, dont Alexandrie & Tyr sont si célèbres: & une infinité d'autres, lesquelles remplissent le profond des terres aprés que les nations estrangeres leur ont envoyé ce qu'elles ont de beau & de singulier. C'est pourquoy plusieurs Princes se sont efforcez de trouver par le Nort, le chemin de la Chine, afin de faciliter le commerce avec les Orientaux, esperans que ceste route seroit plus brieve & moins perilleuse.

En l'an 1496, le Roy d'Angleterre commit à ceste recherche Jean Chabot1 & Sebastien son fils. Environ le mesme temps Dom Emanuel Roy de Portugal y envoya Gaspar Cortereal, qui retourna sans avoir trouvé ce qu'il pretendoit: & l'année d'après reprenant les mesmes erres, ils mourut en l'entreprise, comme fit Michel son frère qui la continuoit obstinément. Es années 1534. & 1535, Jacques Quartier 2 eut pareille commission du 3/151Roy François I, mais il fut arresté en sa course. Six ans après le sieur de Roberval l'ayant renouvelée, envoya Jean Alfonce Xaintongeois plus au Nort le long de la coste de Labrador, qui en revint aussi sçavant que les autres. Es années 1576, 1577 & 1578 Messire Martin Forbicher3 Anglois fit trois voyages suivant les costes du Nort. Sept ans après Hunfrey Gilbert 4 aussi Anglois partit avec cinq navires, & s'en alla perdre sur l'isle de Sable, où demeurèrent trois de ses vaisseaux. En la mesme année 5, & és deux suivantes Jean Davis Anglois fit trois voyages pour mesme subject, & pénétra soubs les 72 degrez, & ne passa pas un destroit qui est appelé aujourdhui de son nom. Et depuis luy le Capitaine Georges en fit aussi un en l'an 1590, qui fut contraint à cause des glaces, de retourner sans avoir rien descouvert. Quant aux Holandois ils n'en ont pas eu plus certaine cognoissance à la nouvelle Zemble.

Note 1: (retour)

La commission fut donnée nommément à Jean Cabot et à ses fils Louis, Sébastien et Sanche, et à leurs héritiers et ayans cause: «Dilectis nobis Ioanni Caboto, civi Venetiarum, Ludovico, Sebastiano & Sancio filiis dicti Ioannis, & eorum ac cujuslibet eorum haeredibus ac deputatis...» (Mémoires des Commissaires, t. II, p. 409). Cette commission est datée du 5 mars de la onzième année du règne de Henri VII. Or Henri fut couronné le 30 octobre 1485. La commission est donc du 5 mars 1496, suivant le style nouveau, et 1495 suivant l'ancien style, Pâques tombant cette année le 1er avril.

Note 2: (retour)

L'auteur, dans la relation de son voyage de 1603, écrit Jacques Cartier. Il semble que, dans celle-ci, il ait adopté l'orthographe de Lescarbot; cependant le capitaine malouin signait Cartier, comme en font foi les registres de Saint-Malo.

Note 3: (retour)

Sir Martin Frobisher, natif de Doncaster, dans le comté d'York. On peut voir la relation de ses voyages dans Hakluyt, tome III, et la traduction française dans les Voyages au Nord.

Note 4: (retour)

Sir Humphrey Gilbert obtint une commission de la reine d'Angleterre, dès l'année 1578. Mais le premier voyage qu'il entreprit cette année manqua complètement, tant par la désertion d'un grand nombre de ses associés, que par suite d'une violente tempête, qui le força de retourner en Angleterre. En vertu de la même commission, il réalisa enfin, cinq ans plus tard (1583), un voyage aux côtes de l'Amérique, où il périt lui et tous ses compagnons.

Note 5: (retour)

Le premier voyage de Davis eut lieu en 1585.

Tant de navigations & descouvertures vainement entreprises avec beaucoup de travaux & despences, ont fait resoudre noz François en ces dernières années, à essayer de faire une demeure arrestée és terres que nous disons la Nouvelle France, esperans parvenir plus facilement à la perfection de ceste entreprise, 4/152la Navigation commençeant en la terre d'outre l'Océan, le long de laquelle se fait la recherche du passage desiré: Ce qui avoit meu le Marquis de la Roche en l'an 1598,6 de prendre commission du Roy pour habiter ladite terre. A cet effect il deschargea des hommes & munitions en l'Isle de Sable: mais les conditions qui luy avoient esté accordées par sa Majesté lui ayant esté déniées, il fut contraint de quitter son entreprise, & laisser là ses gens. Un an aprez le Capitaine Chauvin en prit une autre pour y conduire d'autres hommes: & peu aprez estant aussi revocquée7, il ne poursuit pas davantage.

Aprez ceux cy8, nonobstant toutes ces variations & incertitudes, le sieur de Mons voulut tenter une chose desesperée: & en demanda commission à sa Majesté: recognoissant que ce qui avoit ruiné les entreprinses précédentes, estait faute d'avoir assisté les entrepreneurs, qui, en un an, ny 5/153deux, n'ont peu recognoistre les terres & les peuples qui y sont: ny trouver des ports propres à une habitation. Il proposa à sa Majesté un moyen pour supporter ces frais sans rien tirer des deniers Royaux, asçavoir, de lui octroyer privativement à tous autres la traitte de peleterie d'icelle terre. Ce que luy ayant esté accordé, il se mit en grande & excessive despence: & mena avec luy bon nombre d'hommes de diverses conditions: & y fit bastir des logemens necessaires pour ses gens: laquelle despence il continua trois années consecutives, aprez lesquelles, par l'envie & importunité de certains marchans Basques & Bretons, ce qui luy avoit esté octroyé, fut revocqué par le Conseil, au grand prejudice d'iceluy sieur de Mons: lequel par telle revocation fut contraint d'abbandonner tout, avec perte de ses travaux & de tous les utensilles dont il avoit garny son habitation.

Note 6: (retour)

«Lescarbot et Champlain,» dit M. Ferland, en parlant de l'entreprise du marquis de la Roche (Cours d'Histoire du Canada, I, p. 60), «tenaient leurs renseignements du sieur de Poutrincourt. Nous préférons suivre Bergeron, qui écrivait vers le même temps, parce que la vérité de son récit est confirmée par une notice sur le marquis de La Roche, insérée dans la Biographie Générale des Hommes Illustres de la Bretagne.» Voici ce que dit Bergeron à ce sujet: «Le Marquis de la Roche donc étant allé, suivant sa première commission» (1578), «dés le temps de Henri III, en l'ile de Sable, & voulant découvrir davantage, il fut rejeté par la violence du vent en moins de douze jours jusqu'en Bretagne, où il fut retenu prisonnier cinq ans» (ou plus de sept, suivant M. Pol de Courcy) «par le duc de Mercoeur. Cependant les gens qu'il avoit laissé en l'île de Sable, ne vécurent tout ce temps-là que de pèche, & de quelques vaches & autres bêtes provenant de celles que dés l'an 1518 le baron de Lery y avoit laissées. Enfin le marquis étant délivré de prison, comme il eut conté au Roy son adventure, le pilote Chef-d'hotel eut commandement allant aux terres neuves, de recueillir ces pauvres gens; ce qu'il fit, & n'en trouva que douze de reste, qu'il ramena en France. Mais le Marquis aiant obtenu sa seconde commission» (1598) «ne peut continuer ces voyages, prévenu de mort bientôt après.» (Traité de la Navigation, ch. XX.)

Note 7: (retour)

Suivant l'édition de 1632, le sieur Chauvin fit de suite un second voyage, «qui fut aussi fructueux que le premier. Il en veut faire un troisiesme mieux ordonné; mais il n'y demeure longtemps sans estre saisi de maladie, qui l'envoya en l'autre monde.» (Première partie, ch, VI.)

Note 8: (retour)

En 1603, après la mort du commandeur de Chastes.

Mais comme il eut fait raport au Roy de la fertilité de la terre; & moy du moyen de trouver le passage de la Chine9, sans les incommoditez des glaces du Nort, ny les ardeurs de la Zone torride, soubs laquelle nos mariniers passent deux fois en allant & deux fois en retournant, avec des travaux & périls incroyables, sa Majesté commanda 10 au sieur de Mons de faire nouvel équipage & renvoyer des hommes pour continuer ce qu'il avoit commencé. Il le fit. Et pour l'incertitude de sa commission il changea de lieu, afin d'oster aux envieux 6/154l'ombrage qu'il leur avoit apporté; meu aussi de l'esperance d'avoir plus d'utilité au dedans des terres où les peuples sont civilisez, & est plus facile de planter la foy Chrestienne & establir un ordre comme il est necessaire pour la conservation d'un païs, que le long des rives de la mer, où habitent ordinairement les sauvages: & ainsi faire que le Roy en puisse tirer un proffit inestimable: Car il est aisé à croire que les peuples de l'Europe rechercheront plustost cette facilité que non pas les humeurs envieuses & farouches qui suivent les costes & les barbares.

Note 9: (retour)

L'auteur, à cette époque, n'avait encore «sur la fin de la grande riviere de Canada» que les renseignements qu'il avait pu obtenir de quelques sauvages.

Note 10: (retour)

Il s'agit ici de la commission de 1608.




Description de l'isle de Sable: Du Cap Breton; De la Héve; Du port au Mouton; Du port du Cap Negre: Du cap & baye de Sable: De l'isle aux Cormorans: Du cap Fourchu: De l'isle Longue: De la baye saincte Marie: Du port de saincte Marguerite: & de toutes les choses remarcables qui sont le long de cette coste.

CHAPITRE II.

Le sieur de Mons, en vertu de sa commission 11, ayant par tous les ports & havres de ce Royaume fait publier les defences de la traitte de pelleterie à luy accordée par sa Majesté, 7/155amassa environ 120 artisans, qu'il fit embarquer 12 en deux vaisseaux: l'un du port de 120 tonneaux, dans lequel commandoit le sieur de Pont-gravé: & l'autre de 150, où il se mit avec plusieurs gentilshommes.

Note 11: (retour)

Cette première commission de M. de Mons est du 8 novembre 1603. Elle est citée par Lescarbot, liv. IV, ch. I.

Note 12: (retour)

Lescarbot donne, sur cet embarquement, quelques détails de plus: «Le sieur de Monts,» dit-il, liv. IV, ch. II, «fit équipper deux navires, l'un souz la conduite du Capitaine Timothée du Havre de Grâce, l'autre du Capitaine Morel de Honfleur. Dans le premier il se mit avec bon nombre de gens de qualité tant gentils-hommes qu'autres... Et le sieur de Poutrincourt s'embarqua avec ledit sieur de Monts, & quant & lui fit porter quantité d'armes & munitions de guerre.»

Le septiesme d'Avril mil six cens quatre, nous partismes du Havre de grace, & Pont-gravé le 10, qui avoit le rendes-vous à Canceau13 20 lieues du cap Breton 14. Mais comme nous fusmes en pleine mer le sieur de Mons changea d'advis & prit sa route vers le port au Mouton, à cause qu'il est plus au midy, & aussi plus commode pour aborder, que non pas Canceau.

Note 13: (retour)

Ce mot, que les Anglois écrivent Canso, est d'origine sauvage, suivant Lescarbot.

Note 14: (retour)

Il s'agit ici du cap qui a donné son nom à l'île du Cap-Breton, «En cette terre,» dit Thévet (Grand Insulaire), «il y a une province nommée Campestre de Berge, qui tire au Sud-Est: en ceste province gist à l'est le cap ou promontoire de Lorraine, ainsi par nous nommé; & autres lui ont donné le nom de Cap des Bretons, à cause que c'est là que les Bretons, Biscains & Normands vont & costoyent allans en terre-neuve pour pescher des moluës.»

Le premier de May nous eusmes cognoissance de l'isle de Sable, où nous courusmes risque d'estre perduz par la faute de nos pilotes qui s'estoient trompez en l'estime qu'ils firent plus de l'avant que nous n'estions de 40 lieues.

Ceste isle est esloignée de la terre du cap Breton de 30 lieues, nort & su, & contient environ 15 lieues. Il y a un petit lac. L'isle est fort sablonneuse & ny a point de bois de haute futaie, se ne sont que taillis & herbages que pasturent des boeufz & des vaches que les Portugais y portèrent il y a plus de 60 ans, qui servirent beaucoup aux gens du Marquis de la Roche: qui en plusieurs années qu'ils y sejournerent prirent grande quantité de fort beaux renards noirs, dont ils conserverent bien soigneusesment les peaux. Il y a force loups 8/156marins de la peau desquels ils s'abillerent ayans tout discipé leurs vestemens. Par ordonnance de la Cour de Parlement de Rouan il y fut envoié un vaisseau pour les requérir: les conducteurs firent la pèche de mollues en lieu proche de ceste isle qui est toute batturiere és environs.

Le 8 du mesme mois nous eusmes cognoissance du Cap de la Héve, à l'est duquel il y a une Baye15 où sont plusieurs Isles couvertes de sapins; & à la grande terre de chesnes, ormeaux & bouleaux. Il est joignant la coste d'Accadie par les 44 degrez & cinq minutes de latitude, & 16 degrez 15 minutes de declinaison de la guide-aimant, distant à l'est nordest du Cap Breton 85 lieues, dont nous parlerons cy aprez.

Note 15: (retour)

Cette baie est formée par l'embouchure de la rivière de La Hève.

Le 12 de May nous entrasmes dans un autre port, à 5 lieues du cap de la Héve, où nous primes un vaisseau qui faisoit traitte de peleterie contre les defences du Roy. Le chef s'appeloit Rossignol,16 dont le nom en demeura au port, qui est par les 44 degrez & un quart de latitude.

Note 16: (retour)

Le port Rossignol porte aujourd'hui le nom de Liverpool.

Le 13 de May nous arrivasmes à un très-beau port, où il y a deux petites rivieres, appelé le port au Mouton 17, qui est à sept lieues de celuy du Rossignol. Le terroir est fort pierreux, rempli de taillis & bruyères. Il y a grand nombre de lappins, & quantité de gibier à cause des estangs qui y sont. Aussi tost que nous fusmes desembarquez, chacun commença à 9/157faire des cabannes selon sa fantaisie, sur une pointe à l'entrée du port auprès de deux estangs d'eau douce. Le sieur de Mons en mesme temps depescha une chalouppe, dans laquelle il envoya avec des lettres un des nostres, guidé d'aucuns sauvages, le long de la coste d'Accadie, chercher Pont-gravé, qui avoit une partie des commoditez necessaires pour nostre hyvernement. Il le trouva à la Baye de Toutes-isles fort en peine de nous (car il ne sçavoit point qu'on eut changé d'advis) & luy presenta ses lettres. Incontinent qu'il les eut leuës, il s'en retourna vers son navire à Canceau, où il saisit quelques vaisseaux Basques qui faisoyent traitte de pelleterie, nonobstant les defences de sa Majesté; & en envoya les chefs au sieur de Mons: Lequel ce pendant me donna la charge d'aller recognoistre la coste, & les ports propres pour la seureté de nostre vaisseau.

Note 17: (retour)

Lequel ils appelèrent ainsi, dit Lescarbot, «à l'occasion d'un mouton qui s'étant noyé revint à bord, & fut mangé de bonne guerre.» Il n'est qu'à trois petites lieues du port du Rossignol.

156b

Port de la Haie

Les chifres montrent les brasses d'eau.


A Le lieu où les vaisseaux mouillent l'ancre.

B Une petite riviere (1) qui asseche de basse mer.

C Les lieux où les sauvages cabannent(2).

D Une basse à l'entrée du port (3).

E Une petite isle couverte de bois.

F Le Cap de la Héve (4).

G Une baye où il y a quantité d'isles couvertes de bois.

H Une riviere qui va dans les terres 6 ou 7, lieues, avec peu d'eau.

I Un estang proche de la mer.

(1) La petite rivière de Chachippé, ou simplement La Petite-Rivière. Quelques auteurs ont étendu ce nom au port lui-même, et, d'après une lettre du P. Biard, La Hève aurait encore été appelé port Saint-Jean.—(2) Cette lettre C manque dans la carte; mais le dessin des cabanes y supplée.—(3) La lettre D manque; mais la basse est suffisamment reconnaissable.—(4) Cette lettre, dont le graveur a fait un E, doit être à la pointe de l'île la plus avancée du côté du large, au moins suivant la tradition; mais, comme l'auteur place le port de la Hève à l'entrée de la Petite-Rivière, il semble que ce qu'il appelle cap La Hève est la pointe la plus rapprochée de l'entrée de ce port.

156c

Port du Rossignol

Les chifres montrent les brasses d'eau.


A Riviere qui va 25 lieues dans les terres.

B Le lieu où ancrent les vaisseaux.

C Place à la grande terre où les sauvages font leur logement.

D La rade où les vaisseaux mouillent l'ancre en attendant la marée.

E L'endroit où les sauvages cabannent dans l'isle.

F Achenal qui asseche de basse mer.

G La coste de la grande terre.

Ce qui est piquoté démontre les basses.

Desirant accomplir sa volonté je partis du port au Mouton le 19 de May, dans une barque de huict tonneaux, accompaigné du sieur Raleau son Secrétaire, & de dix hommes. Allant le long de la coste nous abordâmes à un port très-bon pour les vaisseaux, où il y a au fonds une petite riviere qui entre assez avant dans les terres, que j'ay appelé le port du cap Negre, à cause d'un rocher qui de loing en a la semblance, lequel est eslevé sur l'eau proche d'un cap où nous passames le mesme jour, qui en est à quatre lieues, & à dix du port au Mouton. Ce cap est fort dangereux à raison des rochers qui jettent à la mer. Les costes que je vis jusques là sont fort basses couvertes de pareil bois qu'au cap de la Héve, & les isles toutes remplies de gibier. 10/158Tirant plus outre nous fusmes passer la nuict à la Baye de Sable 18, où les vaisseaux peuvent mouiller l'ancre sans aucune crainte de danger.

Le lendemain nous allâmes au cap de Sable, qui est aussi fort dangereux, pour certains rochers & batteures qui jettent presque une lieue à la mer. Il est à deux lieues de la baye de Sable, où nous passames la nuict précédente. De là nous fusmes en l'isle aux Cormorans 19, qui en est à une lieue, ainsi appelée à cause du nombre infini qu'il y a de ces oyseaux, où nous primes plein une barrique de leurs oeufs. Et de ceste isle nous fismes l'ouest environ six lieues travarsant une baye 20 qui fuit au Nort deux ou trois lieues: puis rencontrasmes plusieurs isles21 qui jettent 2 ou trois lieues à la mer, lesquelles peuvent contenir les unes deux, les autres trois lieues, & d'autres moins, selon que j'ay peu juger. Elles sont la pluspart fort dangereuses à aborder aux grands vaisseaux, à cause des grandes marées, & des rochers qui sont à fleur d'eau. Ces isles sont remplies de pins, sapins, boulleaux & de trembles, un peu plus outre, il y en a encore quatre. En l'une nous vismes si grande quantité d'oiseaux appelez tangueux22, que nous les tuyons aisement à coups de baston. En une autre nous trouvâmes le rivage tout couvert de loups marins, desquels nous primes autant que bon nous sembla. Aux deux autres il y a 11/159une telle abondance d'oiseaux de différentes especes, qu'on ne pourroit se l'imaginer si l'on ne l'avoit veu, comme Cormorans, Canards de trois sortes, Oyees, Marmettes Outardes, Perroquets de mer, Beccacines, Vaultours, & autres Oyseaux de proye: Mauves, Allouettes de mer de deux ou trois especes; Hérons, Goillans, Courlieux, Pyes de mer, Plongeons, Huats23, Appoils24, Corbeaux, Grues, & autres sortes que je ne cognois point, lesquels y font leurs nyds. Nous les avons nommées, isles aux loups marins. Elles sont par la hauteur de 43 degrez & demy de latitude, distantes de la terre ferme ou Cap de Sable de quatre à cinq lieues. Après y avoir passé quelque temps au plaisir de la chasse (& non pas sans prendre force gibier) nous abordâmes à un cap qu'avons nommé le port Fourchu 25; d'autant que sa figure est ainsi, distant des isles aux loups marins cinq à six lieues. Ce port est fort bon pour les vaisseaux en son entrée: mais au fonds il asseche presque tout de basse mer, fors le cours d'une petite riviere, toute environnée de prairies, qui rendent ce lieu assez aggreable. La pesche de morues y est bonne auprès du port. Partant de là nous fismes le nort dix ou douze lieues sans trouver aucun port pour les vaisseaux, sinon quantité d'ances ou playes tresbelles, dont les terres semblent estre propres pour cultiver. Les bois y sont tres-beaux, mais il y a bien peu de pins & de sappins. Ceste coste est fort seine, sans isles, rochers ne basses: de 12/160sorte que selon nostre jugement les vaisseaux y peuvent aller en asseurance. Estans esloignez un quart de lieue de la coste, nous fusmes à une isle, qui s'appelle l'isle Longue, qui git nort nordest, & sur surouest, laquelle faict passage pour aller dedans la grande baye Françoise 26, ainsi nommée par le sieur de Mons.

Note 18: (retour)

Aujourd'hui baie de Barrington.

Note 19: (retour)

Probablement celle qui porte aujourd'hui le nom de Shag Island.

Note 20: (retour)

Cette baie est appelée un peu plus loin la baie Courante, et ce que l'auteur dit ici, en parlant des îles de Tousquet, nous donne la raison qui a fait donner ce nom à la baie: c'est qu'elle est «dangereuse aux grands vaisseaux à cause des grandes marées,» et de la violence des courants. Elle porte aujourd'hui le nom de baie de Townsend.

Note 21: (retour)

Les îles de Tousquet.

Note 22: (retour)

De là le nom d'île aux Tangueux que lui donne l'auteur dans la carte de 1632.

Note 23: (retour)

Pour Huars, Huards.

Note 24: (retour)

Suivant Vieillot, Apoa est une espèce de canard.

Note 25: (retour)

Le cap Fourchu.

Note 26: (retour)

Aujourd'hui la baie de Fundy. Cette baie paraît avoir porté le nom de Norembègue, comme nous verrons plus loin, p. 31 note 4. «On ne peut deviner,» dit M. Ferland (Cours d'Histoire, I, p. 65, note 2) «pourquoi les Anglais l'ont nommée baie de Fundy. Auraient-ils traduit par Bay of Fundy les mots que portent d''anciennes cartes: Fond de la Baie?»

Ceste isle est de six lieues de long: & a en quelques endroicts prés d'une lieue de large, & en d'autres un quart seulement. Elle est remplie de quantité de bois, comme pins & boulleaux. Toute la coste est bordée de rochers fort dangereux: & n'y a point de lieu propre pour les vaisseaux, qu'au bout de l'isle quelques petites retraites pour des chalouppes, & trois ou quatre islets de rochers, où les sauvages prennent force loups marins. Il y court de grandes marées, & principalement au petit passage de l'isle, qui est tort dangereux pour les vaisseaux s'ils vouloyent se mettre au hasard de le passer.

Du passage de l'isle Longue fismes le nordest deux lieues, puis trouvâmes une ance où les vaisseaux peuvent ancrer en seureté, laquelle a un quart de lieue ou environ de circuit. Le fonds n'est que vase, & la terre qui l'environne est toute bordée de rochers assez hauts. En ce lieu il y a une mine d'argent tresbonne, selon le raport du mineur maistre Simon, qui estoit avec moy. A quelques lieues plus outre est aussi une petite riviere, nommée du Boulay, où la mer monte demy lieue dans les 13/161terres à l'entrée de laquelle il y peut librement surgir des navires du port de cent tonneaux. A un quart de lieue d'icelle, il y a un port bon pour les vaisseaux où nous trouvâmes une mine de fer que nostre mineur jugea rendre cinquante pour cent27. Tirant trois lieux plus outre au nordest, nous vismes une autre mine de fer assez bonne, proche de laquelle il y a une riviere environnée de belles & aggreables prairies. Le terroir d'allentour est rouge comme sang. Quelques lieues plus avant il y a encore une autre riviere qui asseche de basse mer, horsmis son cours qui est fort petit, qui va proche du port Royal. Au fonds de ceste baye y a un achenal qui asseche aussi de basse mer, autour duquel y a nombre de prez & de bonnes terres pour cultiver, toutesfois remplies de quantité de beaux arbres de toutes les sortes que j'ay dit cy dessus. Cette baye peut avoir depuis l'isle Longue jusques au fonds quelque six lieues. Toute la coste des mines est terre assez haute, decouppée par caps, qui paroissent ronds, advançans un peu à la mer. De l'autre costé de la baye au suest, les terres sont basses & bonnes, où il y a un fort bon port, & en son entrée un banc par où il faut passer, qui a de basse mer brasse & demye d'eau, & l'ayant passé on en trouve trois & bon fonds. Entre les deux pointes du port il y a un islet de caillons qui couvre de plaine mer. Ce lieu va demye lieue dans les terres. La mer y baisse de trois brasses, & y a force coquillages, comme moulles coques & bregaux. Le terroir est des meilleurs que j'aye veu. 14/162J'ay nommé ce port, le port saincte Marguerite 28. Toute ceste coste du suest est terre beaucoups plus basse que celle des mines qui ne sont qu'à une lieue & demye de la coste du port de saincte Marguerite, de la largeur de la baye, laquelle a trois lieues en son entrée. Je pris la hauteur en ce lieu, & la trouvé par les 45 degrez & demy, & un peu plus de latitude29, & 17 degrez 16 minuttes de declinaison de la guide-aymant.

Note 27: (retour)

«Il y a de la mine de fer & d'argent,» dit Lescarbot; «mais elle n'est point abondante, selon l'épreuve qu'on en a fait par delà & en France.» (Liv. IV, ch. III.)

Note 28: (retour)

Dans sa carte de 1632, l'auteur indique le port de Sainte-Marguerite à peu près en face du Petit-Passage de l'île Longue. Il lui donna ce nom parce qu'il y entra probablement le 10 de juin, jour de la fête de sainte Marguerite.

Note 29: (retour)

Le fond de la baie Sainte-Marie n'est guère au-delà de 44° et demi, même suivant la grande carte de l'auteur.

Après avoir recogneu le plus particulierement qu'il me fut possible les costes ports & havres, je m'en retourné au passage de l'isle Longue sans passer plus outre, d'où je revins par le dehors de toutes les isles, pour remarquer s'il y avoit point quelques dangers vers l'eau: mais nous n'en trouvâmes point, sinon aucuns rochers qui sont à prés de demye lieue des isles aux loups marins, que l'on peut esviter facilement: d'autant que la mer brise par dessus. Continuant nostre voyage, nous fusmes surpris d'un grand coup de vent qui nous contraignit d'eschouer nostre barque à la coste, où nous courusmes risque de la perdre: ce qui nous eut mis en une extresme peine. La tourmente estant cessée nous nous remismes en la mer: & le lendemain 30 nous arrivasmes au port du Mouton, où le sieur de 15/163Mons nous attendoit de jour en jour ne sachant que penser de nostre sejour, sinon qu'il nous fust arrivé quelque fortune. Je lui fis relation de tout nostre voyage & où nos vaisseaux pouvoyent aller en seureté. Cependant je consideré fort particulièrement ce lieu, lequel est par les 44 degrez de latitude.

Note 30: (retour)

C'était vers la mi-juin. «En ce port,» dit Lescarbot, «ilz

attendirent un mois.» Or on était arrivé au port au Mouton le 13 de mai. «Tandis,» ajoute-t-il, «on envoya Champlein avec une chaloupe plus avant chercher un lieu propre pour la retraite, & tant demeura en cette expédition, que sur la délibération du retour, on le pensa abandonner.» (Liv. IV, ch. II.)

162b

Port au mouton.

Les chifres montrent les brasses d'eau.


A Les lieux où posent les vaisseaux.

B Le lieu où nous fismes nos logemens.

C Un estang.

D Une isle à l'entrée du port, couverte de bois.

E Une rivière qui est assez basse d'eau.

F Un estang(l).

G Ruisseau assez grand qui vient de l'estang f.

H 6 Petites isles qui sont dans le port.

L Campagne où il n'y a que des taillis & bruyères fort petites(2).

M La coste du costé de la mer.

(1) Dans la carte la lettre F est remplacée par f.—(2) La lettre L manque dans la carte; mais le dessin y supplée, l'auteur y ayant représenté des roseaux.

Le lendemain le sieur de Mons fit lever les ancres pour aller à la baye saincte Marie, lieu qu'avions recogneu propre pour nostre vaisseau, attendant que nous en eussions trouvé un autre plus commode pour nostre demeure. Rengeant la coste nous passames proche du cap de Sable & des isles aux loups marins, où le sieur de Mons se délibéra d'aller dans une chalouppe voir quelques isles dont nous luy avions faict récit, & du nombre infini d'oiseaux qu'il y avoit. Il s'y mit donc accompagné du sieur de Poitrincourt & de plusieurs autres gentilshommes en intention d'aller en l'isle aux Tangueux, où nous avions auparavant tué quantité de ces oyseaux à coups de baston. Estant un peu loing de nostre navire il fut hors de nostre puissance de la gaigner, & encore moins nostre vaisseau: car la marée estoit si forte que nous fusmes contrains de relascher en un petit islet, pour y passer celle nuict, auquel y avoit grand nombre de Gibier. J'y tué quelques oyseaux de riviere, qui nous servirent bien: d'autant que nous n'avions pris qu'un peu de biscuit, croyans retourner ce mesme jour. Le lendemain nous fusmes au cap Fourchu, distant de là, demye lieue. Rengeant la coste nous fusmes trouver nostre vaisseau qui estoit en la baye saincte Marie. Nos gens furent fort en peine de nous l'espace de deux jours, craignant qu'il nous fust arrivé quelque 16/164malheur: mais quand ils nous virent en lieu de seureté, cela leur donna beaucoup de resjouissance.

Deux ou trois jours 31 après nostre arrivée, un de nos prestres, appelle mesire Aubry 32, de la ville de Paris, s'esgara si bien dans un bois en allant chercher son espée laquelle il y avoit oublyée, qu'il ne peut retrouver le vaisseau: & fut 17 jours 33 ainsi sans aucune chose pour se substanter que quelques herbes seures & aigrettes comme de l'oseille, & des petits fruits de peu de substance, gros comme groiselles, qui viennent rempant sur la terre. Estant au bout de son rollet, sans esperance de nous revoir jamais, foible & débile, il se trouva du costé de la baye Françoise, ainsi nommée par le sieur de Mons, proche de l'isle Longue, où il n'en pouvoit plus, quand l'une de nos chalouppes allant à la pesche du poisson 34, l'advisa, qui ne pouvant appeller leur faisoit signe avec une gaule au bout de laquelle il avoit mis son chappeau, qu'on l'allast requérir: ce qu'ils firent aussi tost & l'ammenerent. Le sieur de Mons l'avoit faict chercher, tant par les siens que des sauvages du païs, qui coururent tout 17/165le bois & n'en apportèrent aucunes nouvelles. Le tenant pour mort, on le voit revenir dans la chalouppe au grand contentement d'un chacun: Et fut un long temps à se remettre en son premier estat.

Note 31: (retour)

Lescarbot dit:«Après avoir sejourné douze ou treze jours.» Mais, si Messire Nicolas Aubry se perdit pendant qu'on était à la baie Sainte-Marie, et que M. de Monts le fit chercher lui-même, comme le dit l'auteur quelques lignes plus loin, ce ne pouvait être que deux ou trois jours après l'arrivée en cette baie; puisque M. de Monts en partit le l6 de juin, avec la barque (voir ci-après, p. 17), et qu'on ne dut pas y arriver avant le 12 ou le 13, suivant Lescarbot lui-même.

Note 32: (retour)

Nicolas Aubry, «jeune homme d'Église, parisien de bonne famille,» à qui il avait pris envie de faire le voyage avec le sieur de Mons, «& ce, dit-on, contre le gré de ses parents, lesquels envoyèrent exprés à Honfleur pour le divertir & r'amener à Paris.» (Lescarbot, liv. IV, ch. II, et IV.)

Note 33: (retour)

Seize jours, suivant Lescarbot, liv. IV, ch. III.

Note 34: (retour)

Suivant Lescarbot, «comme on étoit après déserter l'ile» (de Sainte-Croix), «Champdoré fut renvoyé à la baie Sainte-Marie avec un maître de mines qu'on y avoit mené pour tirer de la mine d'argent & de fer: ce qu'ilz firent... là où après quelque sejour, allans pécher, ledit Aubri les apperceut...» (Liv. IV, ch. IV.)




Description du Port Royal & des particularités, d'iceluy. De l'isle Haute. Du port aux mines. De la grande baye Françoise. De la riviere S. Jean, & ce que nous avons remarqué depuis le port aux mines jusques à icelle. De l'isle appelée par les sauvages Manthane. De la riviere des Etechemins & de plusieurs belles isles qui y sont. De l'isle de S. Croix: & autres choses remarquables d'icelle coste.

CHAPITRE III.

A quelques jours de là le sieur de Mons se délibéra d'aller descouvrir les costes de la baye Françoise: & pour cet effect partit du vaisseau le 16 de May 35 & passâmes par le destroit de l'isle Longue. N'ayant trouvé en la baye S. Marie aucun lieu pour nous fortiffier qu'avec beaucoup de temps, cela nous fit resoudre de voir si à l'autre il n'y en auroit point de plus propre. Mettant le cap au nordest 6 lieux, il y a une ance où les vaisseaux peuvent mouiller l'ancre à 4, 5, 6, & 7. brasses d'eau. Le fonds est Sable. Ce lieu n'est que comme une rade. Continuant au mesme vent deux lieux, nous entrasmes en l'un des beaux ports que j'eusse veu en toutes ces costes, où il 18/166pourroit deux mille vaisseaux en seureté. L'entrée est large de huict cens pas: puis on entre dedans un port qui a deux lieux de long & une lieue de large, que j'ay nommé 36 port Royal, où dessendent trois rivieres, dont il y en a une assez grande, tirant à l'est, appellée la riviere de l'Equille, qui est un petit poisson de la grandeur d'un Esplan, qui s'y pesche en quantité, comme aussi on fait du Harang, & plusieurs autres sortes de poisson qui y sont en abondance en leurs saisons. Ceste riviere a prés d'un quart de lieue de large en son entrée, où il y a une isle37, laquelle peut contenir demye lieue de circuit, remplie de bois ainsi que tout le reste du terroir, comme pins, sapins, pruches, boulleaux, trambles, & quelques chesnes qui sont parmy les autres bois en petit nombre. Il y a deux entrées en ladite riviere l'une du costé du nort38: l'autre au su de l'isle 39. Celle du nort est la meilleure, où les vaisseaux peuvent mouiller l'ancre à l'abry de l'isle à 5, 6, 7, 8 & 9 brasses d'eau; mais il faut se donner garde de quelques basses qui sont tenant à l'isle, & à la grand terre, fort dangereuses, si on n'a recogneu l'achenal.

Note 35: (retour)

On devait être au mois de juin, comme le prouve du reste le nom de Saint-Jean donné à la rivière Ouigoudi. (Voir plus loin, p. 23.)

Note 36: (retour)

«Ledit port pour sa beauté,» dit Lescarbot, «fut appelé LE PORT ROYAL, non par le choix de Champlein, comme il se vante en la relation de ses voyages, mais par le sieur de Monts, Lieutenant du Roy.» (Liv. IV, ch. III.)—N'en déplaise à Lescarbot, le témoignage de Champlain, qui était du voyage, vaut, pour le moins, autant que le sien. Il y a plus: Champlain, dans son édition de 1632, a conservé ce passage tel qu'il était, malgré la remarque de Lescarbot. Du reste, notre auteur ne manque jamais de rendre justice aux autres en pareille matière: c'est ainsi, par exemple, qu'il fait remarquer à plusieurs reprises que la baie Française a reçu son nom de M. de Monts. (Voir ci-dessus, pp. 12 et 16.)

Note 37: (retour)

Dans la carte de Lescarbot, cette île porte le nom de Biencourville. Elle a été appelée plus tard l'île aux Chèvres.

Note 38: (retour)

La Bonne-Passe.

Note 39: (retour)

La Passe-aux-Fous.

167b

Port-Royal

Les chifres montrent les brasses d'eau.

A Le lieu de l'habitation.

B Jardin du sieur de Champlain.

C Allée au travers les bois que fit faire le sieur de Poitrincourt.

D Isle à l'entrée de la riviere de l'Equille (1).

E Entrée du port Royal.

F Basses qui assechent de basse mer.

G Riviere sainct Antoine (2).

H Lieu du labourage où on seme le blé.

I Moulin que fit faire le sieur de Poitrincourt.

L Prairies qui sont innondées des eaux aux grandes marées.

M Riviere de l'Equille.

N La coste de la mer du port Royal.

O Costes de montaignes.

P Isle proche de la riviere sainct Antoine.

Q (3) Ruisseau de la Roche (4).

R Autre Ruisseau.

S Riviere du moulin.

T Petit lac.

V Le lieu où les sauvages peschent le harang en la saison.

X Ruisseau de la truitiere.

Y Allée que fit faire le sieur de Champlain.

(l) Dans la carte de Lescarbot, cette île porte le nom de Biencourville.—(2) Lescarbot l'appelle rivière Hébert.—(3) q, dans la carte.—(4) Ou rivière de l'Orignac, d'après la carte de Lescarbot.

19/167

Nous fusmes quelques 14 ou 15 lieux où la mer monte, & ne va pas beaucoup plus avant dedans les terres pour porter basteaux: En ce lieu elle contient 60 pas de large, & environ brasse & demye d'eau. Le terroir de ceste riviere est remply de force chesnes, fresnes & autres bois. De l'entrée de la riviere jusques au lieu où nous fusmes y a nombre de preries, mais elles sont innondées aux grandes marées, y ayant quantité de petits ruisseaux qui traversent d'une part & d'autre, par où des chalouppes & batteaux peuvent aller de pleine mer. Ce lieu estoit le plus propre & plaisant pour habiter que nous eussions veu. Dedans le port y a une autre isle40, distante de la première prés de deux lieues, où il y a une autre petite riviere 41 qui va assez avant dans les terres, que nous avons nommée la riviere sainct Antoine. Son entrée est distante du fonds de la baye saincte Marie de quelque quatre lieux, par le travers des bois. Pour ce qui est de l'autre riviere ce n'est qu'un ruisseau remply de rochers, où on ne peut monter en aucune façon que ce soit pour le peu d'eau: & a esté nommée, le ruisseau de la roche. Ce lieu est par la hauteur de 43 degrez de latitude 42 & 17 degrez 8 minuttes de declinaison de la guide-ayment.

Note 40: (retour)

Ile d'Hébert. Le sieur Bellin l'appelle île d'Imbert, et les Anglais en ont fait Bear Island.

Note 41: (retour)

Cette rivière, appelée ici Saint-Antoine, a pris le nom d'Hébert dès le temps même de l'auteur, comme l'attestent les cartes de Lescarbot. Mais ce dernier nom a eu le même sort que celui de l'île qui est à son embouchure, et les Anglais l'appellent aujourd'hui Bear River.

Note 42: (retour)

Cette première habitation, qui était au nord du port Royal, à peu près en face du Port-Royal établi plus tard par M. d'Aulnay de Charnisé, était à 44° et trois quarts de latitude. Comme on le voit, c'est ce dernier Port-Royal qui a pris le nom d'Annapolis, et non pas le premier.

Après avoir recogneu ce port, nous en partismes pour aller plus 20/168avant dans la baye Françoise, & voir si nous ne trouverions point la mine de cuivre qui avoit esté descouverte l'année précédente 43. Mettant le cap au nordest huict ou dix lieux rengeant la coste du port Royal, nous traversames une partie de la baye comme de quelque cinq ou six lieues; jusques à un lieu qu'avons nommé le cap des deux bayes 44: & passames par une isle45 qui en est à une lieue, laquelle contient autant de circuit, eslevée de 40 ou 45 toises de haut: toute entourée de gros rochers, hors-mis en un endroit qui est en talus, au pied duquel y a un estang d'eau sallée, qui vient par dessoubs une poincte de cailloux, ayant la forme d'un esperon. Le dessus de l'isle est plat, couvert d'arbres avec une fort belle source d'eau. En ce lieu y a une mine de cuivre. De là nous fusmes à un port 46 qui en est à une lieue & demye, où jugeâmes qu'estoit la mine de cuivre qu'un nommé Prevert de sainct Maslo avoit descouverte par le moyen des sauvages du païs. Ce port est soubs les 45 degrez deux tiers de latitude, lequel asseche de basse mer. Pour entrer dedans il faut ballizer & recognoistre une batture de Sable qui est à l'entrée, laquelle va rengeant un canal suivant l'autre costé de terre ferme: puis on entre dans une baye qui contient prés d'une lieue de long, & demye de large. En quelques endroits le fonds est vaseux & sablonneux, & les vaisseaux y peuvent eschouer.

Note 43: (retour)

Voir la relation de 1603, chapitres X et XII.

Note 44: (retour)

Ce cap s'appelait encore ainsi à l'époque où le sieur Denis publia sa Description des Côtes de l'Amérique, en 1672. Aujourd'hui il est connu sous le nom de cap Chignectou.

Note 45: (retour)

L'île Haute.

Note 46: (retour)

Ce havre, que l'auteur appelle plus loin le port aux Mines, porte aujourd'hui le nom de Havre à l'Avocat. Il est à 45° 25' de latitude.

168b

Port des Mines

Les chifres montrent les brasses d'eau.

A Le lieu où les vaisseaux peuvent eschouer.

B Une petite rivière.

C Une langue de terre qui est de Sable.

D Une pointe de gros cailloux qui est comme une moule.

E Le lieu où est la mine de cuivre qui couvre de mer deux fois le jour.

F Une isle qui est derrière le cap des mines.

G La rade où les vaisseaux posent l'ancre attendant la marée.

I Lachenal.

H L'isle haute qui est à une lieue & demye du Port aux mines.

L Le Petit Ruisseau.

M Costeau de montaignes le long de la coste du cap aux mines.

21/169La mer y pert & croist de 4 à 5 brasses. Nous y mismes pied à terre pour voir si nous verrions les mines que Preverd nous avoit dit. Et ayant faict environ un quart de lieue le long de certaines montagnes, nous ne trouvasmes aucune d'icelles, ny ne recognusmes nulle apparence de la description du port selon qu'il nous l'avoit figuré: Aussi n'y avoit il pas esté: mais bien deux ou trois des siens guidés de quelques sauvages, partie par terre & partie par de petites rivieres, qu'il attendit dans sa chalouppe en la baie sainct Laurens47, à l'entrée d'une petite riviere: lesquels à leur retour luy apportèrent plusieurs petits morceaux de cuivre, qu'il nous monstra au retour de son voyage. Toutesfois nous trouvasmes en ce port deux mines de cuivre non en nature, mais par apparence, selon le rapport du mineur qui les jugea estre tresbonnes.

Note 47: (retour)

La plupart des géographes anciens faisaient une distinction entre baie Saint-Laurent et golfe Saint-Laurent. La baie Saint-Laurent comprenait toute la partie méridionale du golfe, depuis le cap des Rosiers jusqu'au port de Canseau, avec les îles du Prince-Edouard, du Cap-Breton, de La Madeleine et autres. (Voir Denis, vol. I, chapitres VII et VIII.)

Le fonds de la baye Françoise que nous traversames entre quinze lieux dans les terres. Tout le païs que nous avons veu depuis le petit partage de l'isle Longue rangeant la coste, ne sont que rochers, où il n'y a aucun endroit où les vaisseaux se puissent mettre en seureté, sinon le port Royal. Le païs est remply de quantité de pins & boulleaux, & à mon advis n'est pas trop bon.

Le 20 de May48 nous partismes du port aux mines pour chercher un lieu propre à faire une demeure arrestée afin de ne perdre 22/170point de temps: pour puis après y revenir veoir si nous pourrions descouvrir la mine de cuivre franc que les gens de Preverd avoient trouvée par le moyen des sauvages. Nous fismes l'ouest deux lieux jusques au cap des deux bayes: puis le nort cinq ou six lieux: & traversames l'autre baye49, où nous jugions estre ceste mine de cuivre, dont nous avons desja parlé: d'autant qu'il y a deux rivieres: l'une venant de devers le cap Breton: & l'autre du costé de Gaspé ou de Tregatté, proche de la grande riviere de sainct Laurens. Faisant l'ouest quelques six lieues nous fusmes à une petite riviere, à l'entrée de laquelle y a un cap assez bas, qui advance à la mer: & un peu dans les terres une montaigne qui a la forme d'un chappeau de Cardinal. En ce lieu nous trouvasmes une mine de fer. Il n'y a ancrage que pour des chalouppes. A quatre lieux à l'ouest surouest y a une pointe de rocher qui avance un peu vers l'eau, où il y a de grandes marées, qui sont fort dangereuses. Proche de la pointe nous vismes une ance qui a environ demye lieue de circuit, en laquelle trouvasmes une autre mine de fer, qui est aussi tresbonne. A quatre lieux encore plus de l'advant y a une belle baye qui entre dans les terres, où au fonds y a trois isles & un rocher: dont deux sont à une lieue du cap tirant à l'ouest: & l'autre est à l'emboucheure d'une riviere des plus grandes & profondes qu'eussions encore veues, que nommasmes la riviere S. Jean: pource que ce fut ce jour là que nous y arrivasmes: & des 23/171sauvages elle est appelée Ouygoudy. Ceste riviere est dangereuse si on ne recognoist bien certaines pointes & rochers qui sont des deux costez. Elle est estroicte en son entrée, puis vient à s'eslargir: & ayant doublé une pointe elle estrecit de rechef, & fait comme un saut entre deux grands rochers, où l'eau y court d'une si grande vitesse, que y jettant du bois il enfonce en bas, & ne le voit on plus. Mais attendant le pleine mer, l'on peut passer fort aisement ce destroict: & lors elle s'eslargit comme d'une lieue par aucuns endroicts, où il y a trois isles. Nous ne la recogneusmes pas plus avant: Toutesfois Ralleau Secrétaire du sieur de Mons y fut quelque temps après trouver un sauvage appellé Secondon50 chef de ladicte riviere, lequel nous raporta qu'elle estoit belle, grande & spacieuse: y ayant quantité de preries & beaux bois, comme chesnes, hestres, noyers & lambruches de vignes sauvages. Les habitans du pays vont par icelle riviere jusques à Tadoussac, qui est dans la grande riviere de sainct Laurens: & ne passent que peu de terre pour y parvenir. De la riviere sainct Jean jusques à Tadoussac y a 65 lieues 51. A l'entrée d'icelle, qui est par la hauteur de 45 degrez deux tiers 52, y a une mine de fer.

Note 48: (retour)

Juin.

Note 49: (retour)

Beau-Bassin, aujourd'hui la baie de Chignectou ou Chiganectou. D'après Laët, elle s'est appelée aussi baie de Germes.

Note 50: (retour)

Lescarbot l'appelle Chkoudun.

Note 51: (retour)

Si l'auteur veut indiquer la distance qu'il peut y avoir depuis l'endroit où l'on quitte la rivière Saint-Jean, jusqu'à Tadoussac, ce chiffre est beaucoup trop fort. Si, au contraire, il parle de la distance qu'il y a de l'embouchure de cette rivière jusqu'au même lieu, le chiffre est trop faible; car, de l'embouchure de la rivière Saint-Jean à Tadoussac, il y a, en ligne droite, à peu près cent lieues.

Note 52: (retour)

L'embouchure de la rivière Saint-Jean est par les 45° et un tiers.

171b

R. St. Jean

Les chifres montrent les brasses d'eau.

A Trois isles qui sont par delà le saut.

B Montaignes qui paraissent par dessus les terres deux lieues au su de

la riviere.

C Le saut de la riviere.

D Basses quand la mer est perdue, où vaisseaux peuvent eschouer.

E Cabanne où se fortifient les sauvages.

F (1) Une pointe de cailloux, où y a une croix.

G Une isle qui est à l'entrée de la riviere.

H Petit ruisseau qui vient d'un petit estang.

I Bras de mer qui asseche de basse mer.

L Deux petits islets de rocher.

M Un petit estang.

N Deux Ruisseaux.

O Basses fort dangereuses le long de la coste qui assechent de basse mer.

P Chemin par où les sauvages portent leurs canaux quand ils veulent passer le sault.

Q Le lieu où peuvent mouiller l'ancre où la riviere a grand cours.

(1) De cette lettre le graveur a fait un P.

De la riviere sainct Jean nous fusmes à quatre isles, en l'une desquelles nous mismes pied à terre, & y trouvasmes grande 24/172quantité d'oiseaux appellez Margos, dont nous prismes force petits, qui sont aussi bons que pigeonneaux. Le sieur de Poitrincourt s'y pensa esgarer: Mais en fin il revint à nostre barque comme nous l'allions cerchant autour de isle, qui est esloignée de la terre ferme trois lieues. Plus à l'ouest y a d'autres isles: entre autres une contenant six lieues, qui s'appelle des sauvages Manthane53, au su de laquelle il y a entre les isles plusieurs ports bons pour les vaisseaux. Des isles aux Margos nous fusmes à une riviere en la grande terre, qui s'appelle la riviere des Estechemins54, nation de sauvages ainsi nommée en leur païs: & passames par si grande quantité d'isles, que n'en avons peu sçavoir le nombre, assez belles; contenant les unes deux lieues les autres trois, les autres plus ou moins. Toutes ces isles sont en un cu de sac 55, qui contient à mon jugement plus de quinze lieux de circuit: y ayant plusieurs endrois bons pour y mettre tel nombre de vaisseaux que l'on voudra, lesquels en leur saison sont abondans en poisson, comme mollues, saulmons, bars, harangs, flaitans, & autres poissons en grand nombre. Faisant l'ouest norouest trois lieux par les isles, nous entrasmes dans une riviere qui a presque demye lieue de large en son entrée, où ayans faict une lieue ou deux, nous y trouvasmes deux isles: l'une fort petite proche de la terre de l'ouest: & l'autre au milieu, qui peut avoir huict ou neuf cens pas de circuit, eslevée de tous costez de trois à quatre toises de rochers, 25/173fors un petit endroict d'une poincte de Sable & terre grasse, laquelle peut servir à faire briques, & autres choses necessaires. Il y a un autre lieu à couvert pour mettre des vaisseaux de quatre vingt à cent tonneaux: mais il asseche de basse mer. L'isle est remplie de sapins, boulleaux, esrables & chesnes. De soy elle est en fort bonne situation, & n'y a qu'un costé où elle baisse d'environ 40 pas, qui est aisé à fortifier, les costes de la terre ferme en estans des deux costez esloignées de quelques neuf cens à mille pas. Il y a des vaisseaux qui ne pourroyent passer sur la riviere qu'à la mercy du canon d'icelle Qui est le lieu que nous jugeâmes le meilleur: tant pour la situation, bon pays, que pour la communication que nous prétendions avec les sauvages de ces costes & du dedans des terres, estans au millieu d'eux: Lesquels avec le temps on esperoit pacifier, & amortir les guerres qu'ils ont les uns contre les autres, pour en tirer à l'advenir du service: & les réduire à la foy Chrestienne. Ce lieu est nommé par le sieur de Mons l'isle saincte Croix56. Passant plus outre on voit une grande baye en laquelle y a deux isles: l'une haute & l'autre platte: & trois rivieres, deux médiocres, dont l'une tire vers l'Orient & l'autre au nord: & la troisiesme grande, qui va vers l'Occident.

Note 53: (retour)

Menane. L'auteur corrige la faute lui-même un peu plus loin, p. 46, de même que dans l'édition de 1632.

Note 54: (retour)

La rivière Scoudic, ou de Sainte-Croix.

Note 55: (retour)

La baie de Passamaquoddi.

Note 56: (retour)

«Et d'autant qu'à deux lieues au dessus il y a des ruisseaux qui viennent comme en croix se décharger dans ce large bras de mer, cette ile de la retraite des François fut appellée SAINTE CROIX.» (Lescarbot, liv. IV, ch. IV.) «L'île de Sainte-Croix, ou l'île Neutre (Neutral Island), dit Williamson, est située dans la rivière (Scoudic, ou Sainte-Croix) en face de la ligne de division entre Calais et Robbinstown, où elle fait angle avec le bord de l'eau. Elle contient douze ou quinze acres, et est droit au milieu de la rivière Scoudic, quoique le passage des vaisseaux soit d'ordinaire du côté de l'est... C'est ici que De Monts, en 1604, érigea un fort, et passa l'hiver; c'est ici que les Commissaires nommés en vertu du traité de 1783, trouvèrent, en 1798, les restes d'une fortification très-ancienne, et décidèrent ensuite que cette rivière était vraiment celle de Sainte-Croix.» (History of Maine, Introduction.)

26/174C'est celle des Etechemins, dequoy nous avons parlé cy dessus. Allans dedans icelle deux lieux il y a un sault d'eau, où les sauvages portent leurs cannaux par terre quelque 500 pas, puis rentrent dedans icelle, d'où en après en traversant un peu de terre on va dans la riviere de Norembegue57 & de sainct Jean, en ce lieu du sault que les vaisseaux ne peuvent passer à cause que ce ne sont que rochers, & qu'il n'y a que quatre à cinq pieds d'eau. En May & Juin il s'y prend si grande abondance de harangs & bars que l'on y en pourroit charger des vaisseaux. Le terroir est des plus beaux, & y a quinze ou vingt arpens de terre deffrichée, où le sieur de Mons fit semer du froment, qui y vint fort beau. Les sauvages s'y retirent quelquesfois cinq ou six sepmaines durant la pesche. Tout le reste du païs sont forests fort espoisses. Si les terres estoient deffrichées les grains y viendroient fort bien. Ce lieu est par la hauteur de 45 degrez un tiers de latitude, & 17 degrez 32 minuttes de declinaison de la guide-ayment.

Note 57: (retour)

La rivière de Pénobscot.

174b

Isle de saincte Croix.

Les chifres montrent les brasses d'eau.

A Le plan de l'habitation.

B Jardinages.

C Petit islet servant de platte forme à mettre le canon.

D Platte forme où on mettoit du canon.

E Le cimetière.

F La chappelle.

G Basses de rochers autour de l'isle saincte Croix.

H Un petit islet.

I Le lieu où le sieur de Mons avoit fait commencer un moulin à eau.

L Place où l'on faisoit le charbon.

M Jardinages à la grande terre de l'Ouest.

N Autres jardinages à la grande terre de l'Est.

O Grande montaigne fort haute dans la terre.

P Riviere des Etechemins passant au tour de l'isle saincte Croix.




Le sieur de Mons ne trouvant point de lieu plus propre pour faire une demeure arrestée que l'isle de S. Croix, la fortifie & y faict des logements. Retour des vaisseaux en France & de Ralleau Secrétaire d'iceluy sieur de Mons, pour mettre ordre à quelques affaires.

CHAPITRE IV.

N'ayant trouvé lieu plus propre que ceste Isle, nous commençâmes à faire une barricade sur un petit islet un peu 27/175separé de l'isle, qui servoit de platte-forme pour mettre nostre canon. Chacun s'y employa si vertueusement qu'en peu de temps elle fut rendue en defence, bien que les mousquittes (qui sont petites mouches) nous apportassent beaucoup d'incommodité au travail: car il y eust plusieurs de nos gens qui eurent le visage si enflé par leur piqueure qu'ils ne pouvoient presque voir. La barricade estant achevée, le sieur de Mons envoya sa barque pour advertir le reste de nos gens qui estoient avec nostre vaisseau en la baye saincte Marie, qu'ils vinssent à saincte Croix. Ce qui fut promptement fait: Et en les attendant nous passames le temps assez joyeusement.

Quelques jours après nos vaisseaux estans arrivez, & ayant mouillé l'ancre, un chacun descendit à terre: puis sans perdre temps le sieur de Mons commança à employer les ouvriers à bastir des maisons pour nostre demeure, & me permit de faire l'ordonnance de nostre logement. Aprez que le sieur de Mons eut prins la place du Magazin qui contient neuf thoises de long, trois de large & douze pieds de haut, il print le plan de son logis, qu'il fit promptement bastir par de bons ouvriers, puis après donna à chacun sa place: & aussi tost on commença à s'assembler cinq à cinq & six à six, selon que l'on desiroit. Alors tous se mirent à deffricher l'isle, aller au bois, charpenter, porter de la terre & autres choses necessaires pour les bastimens.

Cependant que nous bastissions nos logis, le sieur de Mons depescha le Capitaine Fouques dans le vaisseau de Rossignol, 28/176pour aller trouver Pontgravé à Canceau, afin d'avoir ce qui restoit des commoditez pour nostre habitation.

Quelque temps après qu'il fut parti, il arriva une petite barque du port de huict tonneaux, où estoit du Glas de Honfleur pilotte du vaisseau de Pontgravé, qui amena avec luy les Maistres des navires Basques qui avoient esté prins par ledit Pont en faisant la traicte de peleterie, comme nous avons dit. Le sieur de Mons les receut humainement & les renvoya par ledit du Glas au Pont avec commission de luy dire qu'il emmenast à la Rochelle les vaisseaux qu'il avoit prins, afin que justice en fut faicte. Cependant on travailloit fort & ferme aux logemens: les charpentiers au magazin & logis du sieur de Mons, & tous les autres chacun au sien; comme moy au mien, que je fis avec l'aide de quelques serviteurs que le sieur d'Orville & moy avions; qui fut incontinent achevé: où depuis le sieur de Mons se logea attendant que le sien le fut. L'on fit aussi un four, & un moulin à bras pour moudre nos bleds, qui donna beaucoup de peine & travail à la pluspart, pour estre chose pénible. L'on fit après quelques jardinages, tant à la grand terre que dedans l'isle, où on sema plusieurs sortes de graines, qui y vindrent fort bien, horsmis en l'isle; d'autant que ce n'estoit que Sable qui brusloit tout, lors que le soleil donnoit, encore qu'on prist beaucoup de peine à les arrouser.

176b

Habitation de l'isle S. Croix

A Logis du sieur de Mons.

B Maison publique où l'on passait le temps durant la pluie.

C Le magasin.

D Logement des suisses.

E La forge.

F Logement des charpentiers.

G Le puis.

H Le four où l'on faisoit le pain.

I La cuisine.

L Jardinages.

M Autres jardins.

N La place où au milieu y a un arbre.

O Palissade.

P Logis des sieurs d'Orville, Champlain & Chandoré.

Q Logis du sieur Boulay, & autres artisans.

R Logis où logeoient les sieurs de Geneston, Sourin & autres artisans.

T Logis des sieurs de Beaumont, la Motte Bourioli & Fougeray.

V Logement de nostre curé.

X Autres jardinages.

Y La riviere qui entoure l'isle.

Quelques jours après le sieur de Mons se délibéra de sçavoir où estoit la mine de cuivre franc qu'avions tant cherchée: Et pour cest effect: m'envoya avec un sauvage appellé Messamouet, qui 29/177disoit en sçavoir bien le lieu. Je party dans une petite barque du port de cinq à six tonneaux, & neuf matelots avec moy. A quelque huict lieues de l'isle, tirant à la riviere S. Jean, en trouvasmes une de cuivre, qui n'estoit pas pur, neantmoins bonne selon le rapport du mineur, lequel disoit que l'on en pourroit tirer 18 pour cent. Plus outre nous en trouvasmes d'autres moindres que ceste cy. Quand nous fusmes au lieu où nous prétendions que fut celle que nous cherchions le sauvage ne la peut trouver: de sorte qu'il fallut nous en revenir, laissant ceste recerche pour une autre fois.

Comme je fus de retour de ce voyage, le sieur de Mons resolut de renvoyer ses vaisseaux en France, & aussi le sieur de Poitrincourt qui n'y estoit venu que pour son plaisir, & pour recognoistre de païs & les lieux propres pour y habiter, selon le desir qu'il en avoit: c'est pourquoy il demanda au sieur de Mons le port Royal, qu'il luy donna suivant le pouvoir & commission qu'il avoit du Roy. Il renvoya aussi Ralleau son Secrétaire pour mettre ordre à quelques affaires touchant le voyage; lesquels partirent de l'isle S. Croix le dernier jour d'Aoust audict an 1604.




De la coste, peuples & riviere de Norembeque, & de tout ce qui s'est passé durant les descouvertures d'icelle.

CHAPITRE V.

Aprés le partement des vaisseaux, le sieur de Mons se délibéra d'envoyer descouvrir le long de la coste de Norembegue, pour ne perdre temps: & me commit ceste charge, que j'eus fort aggreable.

30/178Et pour ce faire je partis de S. Croix le 2 de Septembre avec une pattache de 17 à 18 tonneaux, douze matelots, & deux sauvages pour nous servir de guides aux lieux de leur cognoissance. Ce jour nous trouvasmes les vaisseaux où estoit le sieur de Poitrincourt, qui estoient ancrés à l'amboucheure de la riviere sainte Croix, à cause du mauvais temps duquel lieu ne pusmes partir que le 5 dudict mois: & estans deux ou trois lieux vers l'eau la brume s'esleva si forte que nous perdimes aussi tost leurs vaisseaux de veue. Continuant nostre route le long des costes nous fismes ce jour là quelque 25 lieux: & passames par grande quantité d'isles, bancs, battures & rochers qui jettent plus de quatre lieux à la mer par endroicts. Nous avons nommé les isles, les isles rangées, la plus part desquelles sont couvertes de pins & sapins, & autres meschants bois. Parmy ces isles y a force beaux & bons ports, mais malaggreables pour y demeurer. Ce mesme jour nous passames aussi proche d'une isle qui contient environ 4 ou cinq lieux de long, auprès laquelle nous nous cuidames perdre sur un petit rocher à fleur d'eau, qui fit une ouverture à nostre barque proche de la quille. De ceste isle jusques au nord de la terre ferme 58 il n'y a pas cent pas de large. Elle est fort haute couppée par endroicts, qui paroissent, estant en la mer, comme sept ou huit montagnes rangées les unes proches des autres. Le sommet de la plus part d'icelles est desgarny d'arbres; parce que ce ne sont que rochers. Les bois ne sont que pins, sapins & boulleaux.

Note 58: (retour)

Lisez: «De ceste isle jusques au nord à la terre ferme.» Cet étroit passage porte encore aujourd'hui, comme l'île, le nom de Monts-Déserts (Mount Desert narrows).

31/179Je l'ay nommée l'isle des Monts-deserts59. La hauteur est par les 44 degrez & demy de latitude.

Note 59: (retour)

Suivant le P. Biard (Relation de la Nouvelle France, ch. XXIII), les sauvages appelaient cette île Pemetiq, c'est-à-dire, d'après M. l'abbé Maurault, celle qui est à la tête.

Le lendemain 6 du mois fismes deux lieux: & aperçeumes une fumée dedans une ance qui estoit au pied des montaignes cy dessus: & vismes deux canaux conduits par des sauvages, qui nous vindrent recognoistre à la portée du mousquet. J'envoyé les deux nostres dans un canau pour les asseurer de nostre amitié. La crainte qu'ils eurent de nous les fit retourner. Le lendemain matin ils revindrent au bort de nostre barque, & parlementerent avec nos sauvages. Je leur fis donner du biscuit, petum, & quelques autres petites bagatelles. Ces sauvages estoient venus à la chasse des Castors & à la pesches du poisson, duquel ils nous donnèrent. Ayant fait alliance avec eux, ils nous guidèrent en leur riviere de Peimtegoüet60 ainsi d'eux appelée, où il nous dirent qu'estoit leur Capitaine nommé Bessabez 61 chef d'icelle. Je croy que ceste riviere est celle que plusieurs pilottes & Historiens appellent Norembegue 62: & 32/180que la plus part ont escript estre grande & spacieuse, avec quantité d'isles: & son entrée par la hauteur de 43° & 43° & demy: & d'autres par les 44 degrez, plus ou moins de latitude. Pour la declinaison, je n'en ay leu ny ouy parler à personne. On descrit aussi qu'il y a une grande ville fort peuplée de sauvages adroits & habilles, ayans du fil de cotton. Je m'asseure que la pluspart de ceux qui en font mention ne l'ont veue, & en parlent pour l'avoir ouy dire à gens qui n'en sçavoyent pas plus qu'eux. Je croy bien qu'il y en a qui ont peu en avoir veu l'embouchure, à cause qu'en effet il y a quantité d'isles, & qu'elle est par la hauteur de 44 degrez de latitude en son entrée, comme ils disent: Mais qu'aucun y ait jamais entré il n'y a point d'apparence: car ils l'eussent descripte d'une autre façon, afin d'oster beaucoup de gens de ceste doute. Je diray donc au vray ce que j'en ay reconeu & veu depuis le commencement jusques où j'ay esté.

Note 60: (retour)

Ce mot, tel que l'écrit ici Champlain, semble venir de Pemetigouek (ceux de Pemetiq). Cependant, suivant M. l'abbé Maurault, Pentagouet n'est autre chose que Pontegouit, qui signifie endroit d'une, rivière où il y a des rapides. Les Anglais ont toujours de préférence désigné cette rivière sous le nom de Pénobscot (Penabobsket, là où la terre est couverte de pierre. Hist. des Abenaquis, p. 5).

Note 61: (retour)

Le P. Biard dit qu'il était sagamo de Kadesquit. (Relation de la Nouvelle France, ch. XXXIV.)

Note 62: (retour)

Malgré le respect que nous avons pour Champlain et pour un grand nombre d'auteurs qui semblent avoir adopté son opinion, nous osons croire que la grande rivière de Norembegue n'est autre chose que la baie Française, aujourd'hui la baie de Fundy. Pour ne point parler de Thévet ni de Belleforest, qui sont fort peu explicites sur ce point, qu'il nous suffise de citer le témoignage de Jean Alphonse, dont l'exactitude est étonnante pour l'époque où il vivait: «Je dictz que le cap de sainct Jehan, dict Cap à Breton, & le cap de la Franciscane, sont nordest & surouest, & prennent un quart de l'est & ouest, & y a en la route cent quarente lieues, & icy faict ung cap appellé le cap de Norembegue... Ladicte coste est toute sableuse, terre basse, sans nulle montaigne. Au delà du cap de Norembegue, descend la riviere dudict Norembegue, environ vingt & cinq lieues du cap» (c'est précisément la largeur de l'Acadie). «La dicte riviere est large de plus de quarente lieues de latitude en son entrée, & va ceste largeur au dedans bien trente ou quarente lieues...» Il est évident que Jean Alphonse décrit ici la côte sud-est de l'Acadie (qu'il appelle Franciscane), le cap de Sable et la baie de Fundy, qui a réellement une embouchure de près de quarante lieues si l'on compte depuis le cap de Sable ou Norembègue jusques vers la sortie du Pénobscot.

Premièrement en son entrée il y a plusieurs isles esloignées de la terre ferme 10 ou 12 lieues qui sont par la hauteur de 44 degrez de latitude, & 18 degrez & 40 minutes de declinaison de la guide-ayment. L'isle des Monts-deserts fait une des pointes de l'emboucheure, tirant à l'est: & l'autre est une terre basse appelée des sauvages Bedabedec, qui est à l'ouest d'icelle, 33/181distantes l'un de l'autre neuf ou dix lieues. Et presque au milieu à la mer y a une autre isle fort haute & remarquable, laquelle pour ceste raison j'ay nommée l'isle haute. Tout autour il y en a un nombre infini de plusieurs grandeurs & largeurs: mais la plus grande est celle des Monts-deserts. La pesche du poisson de diverses sortes y est fort bonne: comme aussi la chasse du gibier. A quelques deux ou trois lieues de la poincte de Bedabedec, rengeant la grande terre au nort, qui va dedans icelle riviere, ce sont terres fort hautes qui paroissent à la mer en beau temps 12 à 15 lieues. Venant au su de l'isle haute, en la rengeant comme d'un quart de lieue où il y a quelques battures qui sont hors de l'eau, mettant le cap à l'ouest jusques à ce que l'on ouvre toutes les montaignes qui sont au nort d'icelle isle, vous vous pouvez asseurer qu'en voyant les huict ou neuf decouppées de l'isle des Monts-deserts & celle de Bedabedec, l'on sera le travers de la riviere de Norembegue: & pour entrer dedans il faut mettre le cap au nort, qui est sur les plus hautes montaignes dudict Bedabedec: & ne verrez aucunes isles devant vous: & pouvez entrer seurement y ayant assez d'eau, bien que voyez quantité de brisans, isles & rochers à l'est & ouest de vous. Il faut les esviter la sonde en la main pour plus grande seureté: Et croy à ce que j'en ay peu juger, que l'on ne peut entrer dedans icelle riviere par autre endroict, sinon avec des petits vaisseaux ou chalouppes: Car comme j'ay dit cy-dessus la quantité des isles, rochers, basses, bancs & brisans y sont de toutes parts en sorte que c'est chose estrange à voir.

34/182Or pour revenir à la continuation de nostre routte: Entrant dans la riviere il y a de belles isles, qui sont fort aggreables, avec de belles prairies. Nous fusmes jusques à un lieu où les sauvages nous guidèrent, qui n'a pas plus de demy quart de lieue de large: Et à quelques deux cens pas de la terre de l'ouest y a un rocher à fleur d'eau, qui est dangereux. De là à l'isle haute y a quinze lieues. Et depuis ce lieu estroict, (qui est la moindre largeur que nous eussions trouvée,) après avoir faict quelque 7 ou 8 lieues, nous rencontrasmes une petite riviere, où auprès il fallut mouiller l'ancre: d'autant que devant nous y vismes quantité de rochers qui descouvrent de basse mer: & aussi que quand eussions voulu passer, plus avant nous n'eussions pas peu faire demye lieue: à cause d'un sault d'eau qu'il y a, qui vient en talus de quelque 7 à 8 pieds, que je vis allant dedans un canau avec les sauvages que nous avions: & n'y trouvasmes de l'eau que pour un canau: Mais passé le sault, qui a quelques deux cens pas de large, la riviere est belle, & continue jusques au lieu où nous avions mouillé l'ancre. Je mis pied à terre pour veoir le païs: & allant à la chasse je le trouvé fort plaisant & aggreable en ce que j'y fis de chemin. Il semble que les chesnes qui y sont ayent esté plantez par plaisir. J'y vis peu de sapins, mais bien quelques pins à un costé de la riviere: Tous chesnes à l'autre: & quelques bois taillis qui s'estendent fort avant dans les terres. Et diray que depuis l'entrée où nous fusmes, qui sont environ 25 lieux, nous ne vismes aucune ville ny village, ny apparence d'y en avoir eu: mais bien une ou deux 35/183cabannes de sauvages où il n'y avoit personne, lesquelles estoient faites de mesme façon que celles des Souriquois couvertes d'escorce d'arbres: Et à ce qu'avons peu juger il y a peu de sauvages en icelle riviere qu'on appele aussi Etechemins. Ils n'y viennent non plus qu'aux isles, que quelques mois en esté durant la pesche du poisson & chasse du gibier, qui y est en quantité. Ce sont gens qui n'ont point de retraicte arrestée à ce que j'ay recogneu & apris d'eux: car ils yvernent tantost en un lieu & tantost à un autre, où ils voient que la chasse des bestes est meilleure, dont ils vivent quand la necessité les presse, sans mettre rien en reserve pour subvenir aux disettes qui sont grandes quelquesfois.

Or il faut de necessité que ceste riviere soit celle de Norembegue: car passé icelle jusques au 41e degré que nous avons costoyé, il n'y en a point d'autre sur les hauteurs cy dessus dictes, que celle de Quinibequy, qui est presque en mesme hauteur, mais non de grande estendue. D'autre part il ne peut y en avoir qui entrent avant dans les terres: d'autant que la grande riviere saint Laurens costoye la coste d'Accadie & de Norembegue, où il n'y a pas plus de l'une à l'autre par terre de 45 lieues, ou 60 au plus large, comme il se pourra veoir par ma carte Géographique.

Or je laisseray ce discours pour retourner aux sauvages qui m'avoient conduit aux saults de la riviere de Norembegue, lesquels furent advertir Bessabez leur chef, & d'autres sauvages, qui allèrent en une autre petite riviere advertir aussi le leur, nommé Cabahis, & lui donner advis de nostre arrivée.

36/184Le 16 du mois il vint à nous quelque trente sauvages sur l'asseurance que leur donnèrent ceux qui nous avoient servy de guide. Vint aussi ledict Bessabez nous trouver ce mesme jour avec six canaux. Aussi tost que les sauvages qui estoient à terre le virent arriver, ils se mirent tous à chanter, dancer & sauter, jusques à ce qu'il eut mis pied à terre: puis après s'assirent tous en rond contre terre, suivant leur coustume lors qu'ils veulent faire quelque harangue ou festin. Cabahis l'autre chef peu après arriva aussi avec vingt ou trente de ses compagnons, qui se retirent apart, & se rejouirent fort de nous veoir: d'autant que c'estoit la première fois qu'ils avoient veu des Chrestiens. Quelque temps après je fus à terre avec deux de mes compagnons & deux de nos sauvages, qui nous servoient de truchement: & donné charge à ceux de nostre barque d'approcher prés des sauvages, & tenir leurs armes prestes pour faire leur devoir s'ils aperçevoient quelque esmotion de ces peuples contre nous. Bessabez nous voyant à terre nous fit asseoir, & commença à petuner avec ses compagnons, comme ils font ordinairement auparavant que faire leurs discours. Ils nous firent present de venaison & de gibier.

Je dy à nostre truchement, qu'il dist à nos sauvages qu'ils fissent entendre à Bessabez, Cabahis & à leurs compagnons, que le sieur de Mons m'avoit envoyé par devers eux pour les voir & leur pays aussi: & qu'il vouloit les tenir en amitié, & les mettre d'accord avec les Souriquois & Canadiens leurs ennemis: Et d'avantage qu'il desiroit habiter leur terre, & leur montrer à la cultiver, afin qu'ils ne trainassent plus une vie si 37/185miserable qu'ils faisoient, & quelques autres propos à ce subjet. Ce que nos sauvages leur firent entendre, dont ils demonstrerent estre fort contens, disant qu'il ne leur pouvoit arriver plus grand bien que d'avoir nostre amitié: & desiroyent que l'on habitast leur terre, & vivre en paix avec leur ennemis: afin qu'à l'advenir ils allassent à la chasse aux Castors plus qu'ils n'avoient jamais faict, pour nous en faire part, en les accommodant de choses necessaires pour leur usage. Apres qu'il eut achevé sa harangue, je leur fis present de haches, patinostres, bonnets, cousteaux & autres petites jolivetés: aprez nous nous separasmes les uns des autres. Tout le reste de ce jour, & la nuict suivante, ils ne firent que dancer, chanter & faire bonne chère, attendans le jour auquel nous trectasmes quelque nombre de Castors: & aprez chacun s'en retourna, Bessabez avec ses compagnons de son costé, & nous du nostre, fort satisfaits d'avoir eu cognoissance de ces peuples.

Le 17 du mois je prins la hauteur, & trouvay 45 degrez & 25. minuttes de latitude: Ce faict nous partismes pour aller à une autre riviere appelée Quinibequy, distante de ce lieu de trente cinq lieux, & prés de 20 de Bedabedec63. Ceste nation de 38/186sauvages de Quinibequy s'appelle Etechemins64, aussi bien que ceux de Norembegue.

Note 63: (retour)

Quoique cette phrase donne à entendre que Champlain quitte la rivière de Pénobscot, ce jour-là même, 17 de septembre, il est certain que ce n'est pas ce qu'il a voulu dire. Rendu au point où il prend hauteur, c'est-à-dire, à vingt-cinq ou trente lieues de l'embouchure de cette rivière, suivant son calcul; ayant bien constaté qu'il n'y avait pas même de trace d'aucune ville ou habitation considérable, l'auteur considère l'exploration de cette rivière comme finie, et part pour venir rejoindre la barque, qui était à l'ancré à une quinzaine de lieues de l'embouchure, et continuer ensuite le voyage de découverte. La preuve qu'il ne part pas directement pour le Kénébec, c'est que, trois jours après, le 20 du mois, on en est encore à ranger la côte de l'ouest, et à passer les montagnes de Bedabedec, ou hauteurs de Pénobscot, où l'on mouille l'ancre, pour reconnaître, le même jour, l'entrée de la rivière.

Note 64: (retour)

C'est sans doute cette phrase qui a fait dire au P. F. Martin (Appendice de sa trad. du P. Bressani) que Champlain donne au Kénébec le nom de rivière des Etchemins. Cependant notre auteur, comme on le voit, dit seulement que les sauvages du Kénébec étaient des Etchemins, comme ceux de Pentagouet ou Pénobscot. Et ici Champlain est d'accord avec le P. Biard, qui, dans le dénombrement approximatif qu'il fait des nations sauvages dont il avait connaissance, assigne aux Eteminquois ou Etchemins toute la côte comprise entre le pays des Souriquois et Chouacouet, «J'ay trouvé, dit-il, par la relation des Sauvages mesmes, que dans l'enclos de la grande riviere, dés les terres neuves jusques à Chouacoët, on ne sauroit trouver plus de neuf à dix milles ames... Tous les Souriquois 3000 ou 3500. Les Eteminquois jusques à Pentegoët, 2500; dés Pentegoët jusques à Kinibequi, & de Kinibequi jusques à Chouacoët, 3000.» (Relat. de la Nouv. Fr., ch. VI.) Lescarbot prétend, il est vrai, que «depuis Kinibeki, jusques à Malebarre, & plus outre, ilz s'appellent Armouchiquois» (liv. IV, ch. VII); mais les témoignages de Champlain et du P. Biard semblent avoir plus de poids, puisque ces auteurs ont visité eux-mêmes les lieux et les nations dont ils parlent.

Le 18 du mois nous passames prés d'une petite riviere où estoit Cabahis, qui vint avec nous dedans nostre barque quelque douze lieues: Et luy ayant demandé d'où venoit la riviere de Norembegue, il me dit qu'elle passé le sault dont j'ay faict cy dessus mention, & que faisant quelque chemin en icelle on entroit dans un lac par où ils vont à la riviere de S. Croix, d'où ils vont quelque peu par terre, puis entrent dans la riviere des Etechemins. Plus au lac descent une autre riviere par où ils vont quelques jours, en après entrent en un autre lac, & passent par le millieu, puis estans parvenus au bout, ils font encore quelque chemin par terre, après entrent dans une autre petite riviere 65 qui vient se descharger à une lieue de Québec, qui est sur le grand fleuve S. Laurens. Tous ces peuples de Norembegue sont fort basannez, habillez de peaux de castors & autres fourrures, comme les sauvages Cannadiens & Souriquois: & ont mesme façon de vivre.

Note 65: (retour)

Comme on le voit, c'est précisément parce que les Etchemins suivaient cette rivière pour venir à Québec, qu'on l'a appelée rivière des Etchemins.

39/187Le 20 du mois rangeasmes la coste de l'ouest, & passâmes les montaignes de Bedabedec, où nous mouillasmes l'ancre: Et le mesme jour recogneusmes l'entrée de la riviere, où il peut aborder de grands vaisseaux: mais dedans il y a quelques battures qu'il faut esviter la sonde en la main. Nos sauvages nous quittèrent, d'autant qu'ils ne vollurent venir à Quinibequy: parceque les sauvages du lieu leur sont grands ennemis 66. Nous fismes quelque 8 lieux rangeant la coste de l'ouest jusques à une isle distante de Quinibequy 10 lieux, où fusmes contraincts de relascher pour le mauvais temps & vent contraire. En une partye du chemin que nous fimes nous passames par une quantité d'isles & brisans qui jettent à la mer quelques lieues fort dangereux. Et voyant que le mauvais temps nous contrarioit si fort, nous ne passâmes pas plus outre que trois ou 4 lieues. Toutes ces isles & terres sont remplies de quantité de pareil bois que j'ay dit cy dessus aux autres costes. Et considerant le peu de vivres que nous avions, nous resolusmes de retourner à nostre habitation, attendans l'année suivante où nous esperions y revenir pour recognoistre plus amplement. Nous y rabroussames donc chemin le 23 Septembre & arrivasmes en nostre habitation le 2 Octobre ensuivant.

Note 66: (retour)

C'est peut-être cette circonstance qui a fait croire à Lescarbot que le territoire des Almouchiquois s'étendait jusqu'au Kénébec.

Voila au vray tout ce que j'ay remarqué tant des costes, peuples que riviere de Norembegue, & ne sont les merveilles qu'aucuns en ont escrites. Je croy que ce lieu est aussi mal aggreable en yver que celuy de nostre habitation, dont nous fusmes bien desceus.




40/188

Du mal de terre, fort cruelle maladie. A quoy les hommes & femmes sauvages passent le temps durant l'yver. Et tout ce qui se passa en l'habitation pendant l'hyvernement.

CHAPITRE VI.

Comme nous arrivasmes à l'isle S. Croix chacun achevoit de se loger. L'yver nous surprit plustost que n'esperions, & nous empescha de faire beaucoup de choses que nous nous estions proposées. Neantmoins le sieur de Mons ne laissa de faire faire des jardinages dans l'isle. Beaucoup commancerent à deffricher chacun le sien; & moy aussi le mien, qui estoit assez grand, où je semay quantité de graines, comme firent, aussi ceux qui en avoient, qui vindrent assez bien. Mais comme l'isle n'estoit que Sable tout y brusloit presque lors que le soleil y donnoit: & n'avions point d'eau pour les arrouser, sinon de celle de pluye, qui n'estoit pas souvent.

Le sieur de Mons fit aussi deffricher à la grande terre pour y faire des jardinages, & aux saults il fit labourer à trois lieues de nostre habitation, & y fit semer du bled qui y vint tresbeau & à maturité. Autour de nostre habitation il y a de basse mer quantité de coquillages, comme coques, moulles, ourcins & bregaux, qui faisoyent grand bien à chacun.

Les neges commencèrent le 6 du mois d'Octobre. Le 3 de Décembre nous vismes passer des glasses qui venoyent de quelque riviere qui estoit gellée. Les froidures furent aspres & plus 41/189excessives qu'en France, & beaucoup plus de durée: & n'y pleust presque point cest yver. Je croy que cela provient des vents du nord & norouest, qui passent par dessus de hautes montaignes qui sont tousjours couvertes de neges, que nous eusmes de trois à quatre pieds de haut, jusques à la fin du mois d'Avril; & aussi qu'elle se concerve beaucoup plus qu'elle ne feroit si le païs estoit labouré.

Durant l'yver il se mit une certaine maladie entre plusieurs de nos gens, appelée mal de la terre, autrement Scurbut, à ce que j'ay ouy dire depuis à des hommes doctes. Il s'engendroit en la bouche de ceux qui l'avoient de gros morceaux de chair superflue & baveuse (qui causoit une grande putréfaction) laquelle surmontoit tellement, qu'ils ne pouvoient presque prendre aucune chose, sinon que bien liquide. Les dents ne leur tenoient presque point, & les pouvoit on arracher avec les doits sans leur faire douleur. L'on leur coupoit souvent la superfluité de cette chair, qui leur faisoit jetter force sang par la bouche. Apres il leur prenoit une grande douleur de bras & de jambes, lesquelles leur demeurèrent grosses & fort dures, toutes tachetés comme de morsures de puces, & ne peuvoient marcher à cause de la contraction des nerfs: de sorte qu'ils demeuroient presque sans force, & sentoient des douleurs intolérables. Ils avoient aussi douleur de reins, d'estomach & de ventre; une thoux fort mauvaise, & courte haleine: bref ils estoient en tel estat, que la pluspart des malades ne pouvoient se lever ny remuer, & mesme ne les pouvoit on tenir debout, 42/190qu'ils ne tombassent en syncope: de façon que de 79 que nous estions, il en moururent 35 & plus de 20. qui en furent bien prés: La plus part de ceux qui resterent sains, se plaignoient de quelques petites douleurs & courte haleine. Nous ne pusmes trouver aucun remède pour la curation de ces maladies. L'on en fit ouverture de plusieurs pour recognoistre la cause de leur maladie.

L'on trouva à beaucoup les parties intérieures gastées, comme le poulmon, qui estoit tellement altéré, qu'il ne s'y pouvoit recognoistre aucune humeur radicalle: la ratte cereuse & enflée: le foye fort legueux & tachetté, n'ayant sa couleur naturelle: la vaine cave, ascendante & descendante remplye de gros sang agulé & noir: le fiel gasté: Toutesfois il se trouva quantité d'artères, tant dans le ventre moyen qu'inférieur, d'assez bonne disposition. L'on donna à quelques uns des coups de rasoüer dessus les cuisses à l'endroit des taches pourprées qu'ils avoient, d'où il sortoit un sang caille fort noir. C'est ce que l'on a peu recognoistre aux corps infectés de ceste maladie.

Nos chirurgiens ne peurent si bien faire pour eux mesmes qu'ils n'y soient demeurez comme les autres. Ceux qui y resterent malades furent guéris au printemps, lequel commence en ces pays là est en May67. Cela nous fit croire que le changement de saison leur rendit plustost la santé que les remèdes qu'on leur avoit ordonnés.

Note 67: (retour)

Pour ne pas nous exposer à faire dire à Champlain ce qu'il ne voulait pas dire, nous laissons subsister ici une faute évidente, mais dont on peut, ce semble, deviner la cause. L'auteur, encore sous l'impression fâcheuse de ce malheureux hiver passé à l'île de Sainte-Croix, aura mis d'abord dans son manuscrit que le printemps n'y commençait qu'en mai; réflexion faite, il se sera aperçu que ce n'était pas rendre justice à la Nouvelle-France, que de la juger sur un fait qui pouvait être exceptionnel, et il aura mis, que le printemps est en mai; enfin le typographe, pour contenter l'auteur, aura jugé à propos de mettre les deux.

43/191Durant cet yver nos boissons gelèrent toutes, horsmis le vin d'Espagne. On donnoit le cidre à la livre. La cause de ceste parte fut qu'il n'y avoit point de caves au magazin: & que l'air qui entroit par des fentes y estoit plus aspre que celuy de dehors. Nous estions contraints d'user de tresmauvaises eaux, & boire de la nege fondue, pour n'avoir ny fontaines ny ruisseaux: car il n'estoit pas possible d'aller en la grand terre, à cause des grandes glaces que le flus & reflus charioit, qui est de trois brasses de basse & haute mer. Le travail du moulin à bras estoit fort pénible: d'autant que la plus part estans mal couchez, avec l'incommodité du chauffage que nous ne pouvions avoir à cause des glaces, n'avoient quasi point de force, & aussi qu'on ne mangeoit que chair salée & légumes durant l'yver, qui engendrent de mauvais sang: ce qui à mon opinion causoit en partie ces facheuses maladies. Tout cela donna du mescontentement au sieur de Mons & autres de l'habitation.

Il estoit mal-aisé de recognoistre ce pays sans y avoir yverné, car y arrivant en été tout y est fort aggreable, à cause des bois, beaux pays & bonnes pescheries de poisson de plusieurs sortes que nous y trouvasmes. Il y a six mois d'yver en ce pays.

Les sauvages qui y habitent sont en petite quantité. Durant l'yver au fort de neges ils vont chasser aux eslans & autres bestes: de quoy ils vivent la pluspart du temps. Et si les neges ne sont grandes ils ne font guerres bien leur proffit: d'autant qu'ils ne peuvent rien prendre qu'avec un grandissime travail, qui est cause qu'ils endurent & patissent fort.

44/192Lors qu'ils ne vont à la chasse ils vivent d'un coquillage qui s'appelle coque. Ils se vestent l'yver de bonnes fourrures de castors & d'eslans. Les femmes font tous les habits, mais non pas si proprement qu'on ne leur voye la chair au dessous des aisselles, pour n'avoir pas l'industrie de les mieux accommoder. Quand ils vont à la chasse ils prennent de certaines raquettes, deux fois aussi grandes que celles de pardeçà, qu'ils s'attachent soubs les pieds, & vont ainsi sur la neige sans enfoncer, aussi bien les femmes & enfans, que les hommes, lesquels cherchent la piste des animaux; puis l'ayant trouvée ils la suivent jusques à ce qu'ils apercoivent la beste: & lors ils tirent dessus avec leur arcs, ou la tuent à coups d'espées emmanchées au bout d'une demye pique, ce qui se fait fort aisement; d'autant que ces animaux ne peuvent aller sur les neges sans enfoncer dedans: Et lors les femmes & enfans y viennent, & là cabannent & se donnent curée: Apres ils retournent voir s'ils en trouveront d'autres, & passent ainsi l'yver. Au mois de Mars ensuivant il vint quelques sauvages qui nous firent part de leur chasse en leur donnant du pain & autres choses en eschange. Voila la façon de vivre en yver de ces gens là, qui me semble estre bien miserable.

Nous attendions nos vaisseaux à la fin d'Avril lequel estant passé chacun commença à avoir mauvaise opinion, craignant qu'il ne leur fust arrivé quelque fortune, qui fut occasion que le 15 de May le sieur de Mons délibéra de faire accommoder une barque du port de 15 tonneaux, & un autre de 7 afin de nous en aller à 45/193la fin du mois de Juin à Gaspé, chercher des vaisseaux pour retourner en France, si cependant les nostres ne venoient: mais Dieu nous assista mieux que nous n'esperions: car le 15 de Juin ensuivant estans en garde environ sur les onze heures du soir, le Pont Capitaine de l'un des vaisseaux du sieur de Mons arriva dans une chalouppe, lequel nous dit que son navire estoit ancré à six lieues de nostre habitation, & fut le bien venu au contentement d'un chacun.

Le lendemain le vaisseau arriva 68, & vint mouiller l'ancre proche de nostre habitation. Le pont nous fit entendre qu'il venoit après luy un vaisseau de S. Maslo, appelé le S. Estienne, pour nous apporter des vivres & commoditez.

Note 68: (retour)

«Avec une compagnie de quelques quarante hommes,» dit Lescarbot, liv. IV, ch. VIII, «& canonnades ne manquèrent à l'abord, selon la coutume, ni l'éclat des trompetes.»

Le 17 du mois le sieur de Mons se délibéra d'aller chercher un lieu plus propre pour habiter & de meilleure température que la nostre: Pour cest effect il fit équiper la barque dedans laquelle il avoit pensé aller à Gaspé.




Descouvertures de la coste des Almouchiquois jusques au 42e degré de latitude: & des particularités de ce voyage.

CHAPITRE VII.

Le 18 du mois de Juin 1605, le sieur de Mons partit de l'isle saincte Croix avec quelques gentilshommes, vingt matelots & un 46/194sauvage nommé Panounias 69 & sa femme, qu'il ne voulut laisser, que menasmes avec nous pour nous guider au pays des Almouchiquois, en esperance de recognoistre & entendre plus particulierement par leur moyen ce qui en estoit de ce pays: d'autant qu'elle en estoit native.

Note 69: (retour)

Lescarbot l'appelle Panmiac.

Et rangeant la coste entre Menane, qui est une isle à trois lieues de la grande terre, nous vinsmes aux isles rangées par le dehors, où mouillasmes l'ancre en l'une d'icelles, où il y avoit une grande multitude de corneilles, dont nos gens prindrent en quantité; & l'avons nommée l'isle aux corneilles. De là fusmes à l'isle des Monts deserts qui est à l'entrée de la riviere de Norembegue, comme j'ay dit cy dessus, & fismes cinq ou six lieues parmy plusieurs isles, où il vint à nous trois sauvages dans un canau de la poincte de Bedabedec où estoit leur Capitaine; & après leur avoir tenu quelques discours ils s'en retournèrent le mesme jour.

Le vendredy premier de Juillet nous partismes d'une des isles qui est à l'amboucheure de la riviere, où il y a un port assez bon pour des vaisseaux de cent & cent cinquante tonneaux. Ce jour fismes quelques 25 lieues entre la pointe de Bedabedec & quantité d'isles & rochers, que nous recogneusmes jusques à la riviere de Quinibequy, où à l'ouvert d'icelle il y a une isle assez haute, qu'avons nommée la tortue, & entre icelle & la grand terre quelques rochers esparts, qui couvrent de pleine mer: neantmoins on ne laisse de voir briser la mer par dessus. L'isle de la tortue & la riviere sont su suest & nort norouest. Comme l'on y entre, il y a deux moyenes isles, qui sont 47/195l'entrée, l'une d'un costé & l'autre de l'autre, & à quelques 300 pas au dedans il y a deux rochers où il n'y a point de bois, mais quelque peu d'herbes. Nous mouillasmes l'ancre à 300 pas de l'entrée, à cinq & six brasses d'eau. Estans en ce lieu nous fusmes surprins de brumes qui nous firent resoudre d'entrer dedans pour voir le haut de la riviere & les sauvages qui y habitent; & partismes pour cet effect le 5 du mois. Ayans fait quelques lieues nostre barque pença se perdre sur un rocher que nous frayames en passant. Plus outre rencontrasmes deux canaux qui estoient venus à la chasse aux oiseaux, qui la pluspart muent en ce temps, & ne peuvent voler. Nous accostames ces sauvages par le moyen du nostre, qui les fut trouver avec sa femme, qui leur fit entendre le subject de nostre venue. Nous fismes amitié avec eux & les sauvages d'icelle riviere70, qui nous servirent de guide: Et allant plus avant pour veoir leur Capitaine appelé Manthoumermer, comme nous eusmes fait 7 à 8 lieux, nous passames par quelques isles, destroits & ruisseaux, qui s'espandent le long de la riviere, où vismes de belles prairies: & costoyant une isle qui a quelque quatre lieux de long 71 ils nous menèrent où estoit leur chef, avec 25 ou 30 sauvages, lequel aussitost que nous eusmes mouillé l'ancre vint à nous dedans un canau un peu separé de dix autres, où estoient ceux qui l'accompaignoient: 48/196Aprochant prés de nostre barque, il fit une harangue, où il faisoit entendre l'aise qu'il avoit de nous veoir, & qu'il desiroit avoir nostre alliance & faire paix avec leurs ennemis par nostre moyen, disant que le lendemain il envoyeroit à deux autres Capitaines sauvages qui estoient dedans les terres, l'un appelé Marchim, & l'autre Sazinou, chef de la riviere de Quinibequy. Le sieur de Mons leur fit donner des gallettes & des poix, dont ils furent fort contens. Le lendemain ils nous guidèrent en dessendant la riviere par un autre chemin que n'estions venus 72, pour aller à un lac: & partant par des isles, ils laisserent chacun une flèche proche d'un cap par où tous les sauvages passent, & croyent que s'ils ne le faisoyent il leur arriveroit du malheur, à ce que leur persuade le Diable, & vivent en ces superstitions, comme ils font en beaucoup d'autres. Par de là ce cap nous passames un sault d'eau fort estroit, mais ce ne fut pas sans grande difficulté, car bien qu'eussions le vent bon & frais, & que le fissions porter dans nos voilles le plus qu'il nous fut possible, si ne le peusme nous passer de la façon, & fusmes contraints d'attacher à terre une haussiere à des arbres, & y tirer tous: ainsi nous fismes tant à force de bras avec l'aide du vent qui nous favorisoit que le passames. Les sauvages qui estoient avec nous portèrent leurs canaux par terre ne les pouvant passer à la rame. Apres avoir franchi ce sault nous vismes de belles prairies. Je m'estonnay si fort de ce sault, que descendant 49/197avec la marée nous l'avions fort bonne, & estans au sault nous la trouvasmes contraire, & après l'avoir passé elle descendoit comme auparavant, qui nous donna grand contentement. Poursuivant nostre routte nous vinsmes au lac73, qui a trois à quatre lieues de long, où il y a quelques isles, & y descent deux rivieres, celle de Quinibequy qui vient du nort nordest, & l'autre du norouest, par où devoient venir Marchim & Sasinou, qu'ayant attendu tout ce jour & voyant qu'ils ne venoient point, nous resolusmes d'employer le temps: Nous levasmes donc l'ancre, & vint avec nous deux sauvages de ce lac pour nous guider, & ce jour vinsmes mouiller l'ancre à l'amboucheure de la riviere, où nous peschasmes quantité de plusieurs sortes de bons poissons: cependant nos sauvages allèrent à la chasse, mais ils n'en revindrent point. Le chemin par où nous descendismes ladicte riviere est beaucoup plus seur & meilleur que celuy par où nous avions esté. L'isle de la tortue qui est devant l'entrée de lad. riviere, est par la hauteur de 44 degrez de latitude & 19 degrez 12 minutes de declinaison de la guide-aymant. L'on va par ceste riviere au travers des terres jusques à Québec quelque 50 lieues sans passer qu'un trajet de terre de deux lieues: puis on entre dedans une autre petite riviere 74 qui vient descendre dedans le grand fleuve S. Laurens. Ceste riviere de Quinibequy est fort dangereuse pour les vaisseaux à demye lieue au dedans, pour le peu d'eau, 50/198grandes marées, rochers & basses qu'il y a, tant dehors que dedans. Il n'y laisse pas d'y avoir bon achenal s'il estoit bien recogneu. Si peu de pays que j'ay veu le long des rivages est fort mauvais: car ce ne sont que rochers de toutes parts. Il y a quantité de petits chesnes, & fort peu de terres labourables. Ce lieu est abondant en poisson, comme sont les autres rivieres cy dessus dictes. Les peuples vivent comme ceux de nostre habitation, & nous dirent, que les sauvages qui semoient le bled d'Inde, estoient fort avant dans les terres, & qu'ils avoient delaissé d'en faire sur les costes pour la guerre qu'ils avoient avec d'autres, qui leur venoient prendre. Voila ce que j'ay peu aprendre de ce lieu, lequel je croy n'estre meilleur que les autres.

Note 70: (retour)

Ici, Champlain n'est pas précisément, dans la rivière de Kénébec, dont le capitaine était Sasinou, mais dans celle de Chipscot (Sheepscott), où était le capitaine de ces sauvages, Manthoumermer.

Note 71: (retour)

L'île de Jérémysquam, qui sépare la baie de Monsouic, ou Monseag, du chenal de la rivière de Chipscot.

Note 72: (retour)

Ce passage est une nouvelle preuve que Champlain, en montant, était passé par le côté oriental de l'île de Jérémysquam, et, par conséquent, dans la rivière de Chipscot: car les sauvages, qui connaissaient bien les lieux, durent conduire les français par le plus court chemin pour aller au lac ou à la baie de Merry-Meeting.

Note 73: (retour)

Ce lac, appelé la baie de Merry-Meeting, est formé par la jonction des eaux du Kénébec, au nord, et de la rivière de Sagadahok ou Amouchcoghin, dont on a fait Androscoggin.

Note 74: (retour)

La rivière Chaudière.

198a

Qui ni be guy

Les chifres montrent les brasses d'eau.

A Le cours de la riviere.

B 2 Isles qui sont à l'antré de la riviere.

C Deux rochers qui sont dans la riviere fort dangereux.

D Islets & rochers qui sont le long de la coste.

E Basses où de plaine mer vaisseaux du port de 60 tonneaux peuvent

eschouer.

F Le lieu où les sauvages cabannent quand ils viennent à la pesche du

poisson.

G Basses de sable qui sont le long de la coste.

H Un estang d'eau douce.

I Un ruisseau où des chaloupes peuvent entrer à demy flot.

L Isles au nombre de 4 qui sont dans la riviere comme l'on est entré

dedans.

Le 8 du mois partismes de l'emboucheure d'icelle riviere ce que ne peusmes faire plustost à cause des brumes que nous eusmes. Nous fismes ce jour quelque quatre lieux, & passames par une baye75 où il y a quantité d'isles, & voit on d'icelle de grandes montaignes à l'ouest, où est la demeure d'un Capitaine sauvage appelé Aneda, qui se tient proche de la riviere de Quinibequy. Je me parsuaday par ce nom que c'estoit un de sa race qui avoit trouvé l'herbe appelée Aneda76 que Jacques 51/199Quartier a dict avoir tant de puissance contre la maladie appelée Scurbut, dont nous avons desja parlé, qui tourmenta ses gens aussi bien que les nostres, lors qu'ils yvernerent en Canada. Les sauvages ne cognoissent point ceste herbe, ny ne sçavent que c'est, bien que ledit sauvage en porte le nom. Le lendemain fismes huit lieues. Costoyant la coste nous apperçeusmes deux fumées que nous faisoient des sauvages, vers lesquelles nous fusmes mouiller l'ancre derrière un petit islet proche de la grande terre, où nous vismes plus de quatre vingts sauvages qui accouroyent le long de la coste pour nous voir, dansant & faisant signe de la resjouissance qu'ils en avoient. Le sieur de Mons envoya deux hommes avec nostre sauvage77 pour les aller trouver: & après qu'ils eurent parlé quelque temps à eux, & les eurent asseurez de nostre amitié nous leur laissames un de nos gens, & eux nous baillèrent un de leurs compagnons en ostage: Cependant le sieur de Mons fut visiter une isle, qui est fort belle de ce qu'elle contient, y ayant de beaux chesnes & noyers, la terre deffrichée & force vignes, qui aportent de beaux raisins en leur saison: c'estoit les premiers qu'eussions veu en toutes ces costes depuis le cap de la Héve: Nous la 52/200nommasmes l'isle de Bacchus78. Estans de pleine mer nous levasmes l'ancre, & entrasmes dedans une petite riviere, où nous ne peusmes plustost: d'autant que c'est un havre de barre, n'y ayant de basse mer que demie brasse d'eau, de plaine mer brasse & demie, & du grand de l'eau deux brasses; quand on est dedans il y en a trois, quatre, cinq & six. Comme nous eusmes mouillé l'ancre il vint à nous quantité de sauvages sur le bort de la riviere, qui commencèrent à dancer: Leur Capitaine pour lors n'estoit avec eux, qu'ils appeloient Honemechin79: il arriva environ deux ou trois heures après avec deux canaux, puis s'en vint tournoyant tout autour de nostre barque. Nostre sauvage ne pouvoit entendre que quelques mots, d'autant que la langue Almouchiquoise, comme s'appelle ceste nation, diffère du tout de celle des Souriquois & Etechemins. Ces peuples demonstroient estre fort contens: leur chef estoit de bonne façon, jeune & bien dispost: l'on envoya quelque marchandise à terre pour traicter avec eux, mais ils n'avoient rien que leurs robbes, qu'ils changèrent, car ils ne font aucune provision de pelleterie que pour se vestir. Le sieur de Mons fit donner à leur chef quelques commoditez, dont il fut fort satisfait, & vint plusieurs fois à nostre bort pour nous veoir. Ces sauvages se rasent le poil de dessus le crasne assez haut, & portent le reste fort longs, qu'ils peignent & tortillent par derrière en 53/201plusieurs façons fort proprement, avec des plumes qu'ils attachent sur leur teste. Ils se peindent le visage de noir & rouge comme les autres sauvages qu'avons veus. Ce sont gens disposts bien formez de leur corps: leurs armes sont piques, massues, arcs & flèches, au bout desquelles aucuns mettent la queue d'un poisson appelé Signoc80, d'autres y accommodent des os, & d'autres en ont toutes de bois. Ils labourent & cultivent la terre, ce que n'avions encores veu. Au lieu de charuës ils ont un instrument de bois fort dur, faict en façon d'une besche. Ceste riviere s'appelle des habitans du pays Chouacoet81.

Note 75: (retour)

La baie de Casco. Ce mot, parait-il, n'est qu'une contraction de l'ancien nom Acocisco. (Williamson, Hist. of Maine, Introd., sect. II.)

Note 76: (retour)

Cette phrase nous fait connaître quelques-unes des causes qui ont empêché les Français de retrouver, en Acadie, le remède que les sauvages du Canada avaient enseigné à Cartier pour guérir ses gens du scorbut. D'abord, on avait défiguré un peu le nom de la plante: les trois manuscrits qui existent du second voyage de Cartier sont unanimes à l'appeler amedda, d'après M. d'Avezac (réimpression figurée de l'édit. de 1545, publiée en 1863); tandis que Lescarbot écrit annedda, et Champlain aneda. En second lieu, cette plante n'était pas une herbe, mais bien un arbre de bonne taille; c'était probablement ce que l'on a toujours appelé, en Canada, l'épinette. Voici ce qu'en dit le capitaine malouin: «Lors ledict Dom Agaya envoya deux femmes avecq le capitaine pour en quérir: lesquelz en apportèrent neuf ou dix rameaulx, & nous monstrerent comme il failloit piler l'escorce & les fueilles dudict boys, & mettre tout bouillir en eaue, puis en boire de deux jours l'un, & mettre le marcq sur les jambes enflées & malades, & que de toute maladie ledict arbre guerissoit, ilz appellent ledict arbre en leur langaige Ameda... Tout incontinent qu'ils en eurent beu, ils eurent l'advantage... Apres ce avoir veu & cogneu, y a eu telle presse ladicte médecine, que on si vouloit tuer, à qui premier en auroit. De sorte que ung arbre aussi gros & aussi grand que je viz jamais arbre a esté employé en moins de huit jours: lequel a faict telle opération, que si tous les médecins de Louvain & de Montpellyer y eussent esté avec toutes les drogues de Alexandrie, ilz n'en eussent pas tant faict en ung an, que ledict arbre a faict en six jours.»

Note 77: (retour)

Panounias, allié par sa femme à la nation almouchiquoise. (Voir ci-dessus, p. 4.) Ce sauvage fut, quelque temps après, assassiné par les Almouchiquois, et sa mort fut la cause d'une guerre sanglante entre cette nation et celles des Souriquois et des Etchemins.

Note 78: (retour)

Cette île, suivant la carte de 1632, est située vers le nord de la baie de Saco ou Chouacouet. C'est probablement celle que l'on trouve indiquée, dans les cartes anglaises, sous les noms de Richmond et de Richman's island.

Note 79: (retour)

Lescarbot l'appelle Olmechin. Il fut tué l'année suivante par un parti d'Etchemins. (Voir ci-après, ch. XVI, et Lescarbot, Muses de la Nouvelle-France.)

Note 80: (retour)

L'auteur donne, un peu plus loin (chapitre VIII), la description du signoc ou siguenoc.

Note 81: (retour)

Le nom de Saco, que porte aujourd'hui cette rivière, de même que la baie où elle se jette, vient évidemment de ce nom sauvage Chouacouet, ou, si l'on veut, de Sawahquatok, comme on le trouve dans les auteurs anglais. De Souacouet, on a fait Sacouet, et enfin Saco.

Le lendemain le sieur de Mons fut à terre pour veoir leur labourage sur le bord de la riviere, & moy avec luy, & vismes leur bleds qui sont bleds d'Inde, qu'ils font en jardinages, semant trois ou quatre grains en un lieu, après ils assemblent tout autour avec des escailles du susdit signoc quantité de terre: Puis à trois pieds delà en sement encore autant; & ainsi consecutivement. Parmy ce bled à chasque tourteau ils plantent 3 ou 4 febves du Bresil, qui viennent de diverses couleurs. Estans grandes elles s'entrelassent au tour dudict bled qui leve de la hauteur de cinq à six pieds: & tiennent le champ fort net de mauvaises herbes. Nous y vismes force citrouilles, courges & petum, qu'ils cultivent aussi82.

Note 82: (retour)

Toutes ces plantes, le petun, ou tabac, les courges et citrouilles, les fèves, le maïs, sont-elles indigènes dans les contrée que parcourt ici Champlain? M. Asa Gray et le Dr. Harris, qui ont étudié cette question, prétendent qu'elles ne le sont pas à une latitude plus au nord que le Mexique, et, par conséquent, que la culture de ces plantes a dû être transmise aux sauvages de la Nouvelle-Angleterre, comme à ceux de la Nouvelle-France, par les nations plus méridionales.

54/202Le bled d'Inde que nous y vismes pour lors estoit de deux pieds de haut, il y en avoit aussi de trois. Pour les febves elles commençoient à entrer en fleur, comme faisoyent les courges & citrouilles. Ils sement leur bled en May, & le recueillent en Septembre. Nous y vismes grande quantité de noix, qui sont petites, & ont plusieurs quartiers. Il n'y en avoit point encores aux arbres, mais nous en trouvasmes assez dessoubs, qui estoient de l'année précédente. Nous vismes aussi force vignes, ausquelles y avoit de fort beau grain, dont nous fismes de tresbon verjust, ce que n'avions point encores veu qu'en l'isle de Bacchus, distante d'icelle riviere prés de deux lieues. Leur demeure arrestée, le labourage, & les beaux arbres, nous firent juger que l'air y est plus tempéré & meilleur que celuy où nous yvernasmes ny que les autres lieux de la coste: Mais que je croye qu'il n'y face un peu de froit, bien que ce soit par la hauteur de 43 degrez 3 quarts de latitude, non. Les forests dans les terres sont fort claires, mais pourtant remplies de chesnes, hestres fresnes & ormeaux: Dans les lieux aquatiques il y a quantité de saules. Les sauvages se tiennent tousjours en ce lieu, & ont une grande Cabanne entourée de pallissades, faictes d'assez gros arbres rengés les uns contre les autres, où ils se retirent lors que leurs ennemis leur viennent faire la guerre. Ils couvrent leurs cabannes d'escorce de chesnes. Ce lieu est fort plaisant & aussi aggreable que lieu que l'on 55/203puisse voir. La riviere est fort abondante en poisson, environnée de prairies. A l'entrée y a un islet capable d'y faire une bonne forteresse, où l'on seroit en seureté.

202b

Chouacoit-R

Les chifres montrent les brases d'eau.

A La riviere.

B Le lieu où ils ont leur forteresse.

C Les cabannes qui sont parmy les champs où auprès ils cultivent

la terre & sement du bled d'Inde.

D Grande compaigne sablonneuse, neantmoins remplie d'herbages.

E Autre lieu où ils font leurs logemens tous en gros sans estre

separez après la semence de leurs bleds estre faite.

F (1) Marais où il y a de bons pasturages.

G Source d'eau vive.

H Grande pointe de terre toute deffrichée horsmis quelques arbres

fruitiers & vignes sauvages.

I Petit islet à l'entrée de la riviere.

L Autre islet (2).

M Deux isles où vesseaux peuvent mouiller l'ancre à l'abry d'icelles

avec bon fons.

N Pointe de terre deffrichée ou nous vint trouver Marchim.

O (3) Quatre isles.

P Petit ruisseau qui asseche de basse mer.

Q (4) Basses le long de la coste.

R La rade où les vaisseaux peuvent mouiller l'ancre attendant le flot.

(1) f, dans la carte.—(2) Cet îlet est marqué I. Des deux qui sont marqués de la même lettre, celui-ci est le plus éloigné de l'entrée de la rivière.—(3) Des quatre O qui désignaient les quatre îles, le graveur a fait quatre îles plus petites. Les quatre îles sont au nord-ouest de la pointe H.—(4.) Dans la carte, c'est une lettre minuscule.

Le dimanche 12 83 du mois nous partismes de la riviere appelée Chouacoët, & rengeant la coste aprés avoir fait quelque 6 ou 7 lieues le vent se leva contraire, qui nous fit mouiller l'ancre & mettre pied à terre, où nous vismes deux prairies, chacune desquelles contenoit environ une lieue de long, & demie de large. Nous y aperceusmes deux sauvages que pensions à l'abbord estre de gros oiseaux qui sont en ce pays là, appelés outardes, qui nous ayans advisés, prindrent la fuite dans les bois, & ne parurent plus. Depuis Chouacoet jusques en ce lieu où vismes de petits oiseaux84, qui ont le chant comme merles, noirs horsmis le bout des ailles, qui sont orangés, il y a quantité de vignes & noyers. Ceste coste est sablonneuse en la pluspart des endroits depuis Quinibequy. Ce jour nous retournasmes deux ou trois lieux devers Chouacoet jusques à un cap qu'avons nommé le port aux isles85, bon pour des vaisseaux de cent tonneaux, qui est parmy trois isles. Mettant le cap au nordest quart du nort 56/204proche de ce lieu, l'on entre en un autre port86 où il n'y a aucun passage (bien que ce soient isles) que celluy par où on entre, où à l'entrée y a quelques brisans de rochers qui sont dangereux. En ces isles y a tant de groiselles rouges que l'on ne voit autre chose en la pluspart, & un nombre infini de tourtes 87, dont nous en prismes bonne quantité. Ce port aux isles est par la hauteur de 43 degrez 25 minutes de latitude.

Note 83: (retour)

Le 12 de juillet était un mardi. Comme M. de Monts et l'auteur semblent avoir visité ce lieu assez en détail, et qu'ils mirent à terre le 10, il est probable qu'on ne repartit de Chouacouet que le 12.

Note 84: (retour)

On donne à cet oiseau le nom de Commandeur (Agelaius Phoeniceus, VIEILLOT). En Canada, on l'appelle Étourneau, parce qu'il a avec ce dernier une certaine conformité de couleur et d'habitudes.

Note 85: (retour)

Il ne faut pas confondre ce cap du Port-aux-Iles avec celui que l'auteur appelle, un peu plus loin, le Cap-aux-Iles. Ce dernier porte aujourd'hui le nom de cap Anne, et le premier celui de cap Porpoise (cap au Marsouin). Williamson parle du cap Porpoise à peu près dans les mêmes termes que Champlain. «Le cap Porpoise, dit-il, est un havre étroit et de difficile accès.» Le nom de Mousom, que l'on a donné à la rivière du cap Porpoise, est vraisemblablement une corruption du mot marsouin; car il est impossible qu'il soit dérivé du nom sauvage Meguncouk.

Note 86: (retour)

Ce doit être l'entrée de la rivière Kenebunk, «qui est un bon havre pour les petits vaisseaux,» dit Williamson. (Hist. of Maine.)

Note 87: (retour)

Tourtres, ou Pigeons de passage (Ectopistes migratoria, AUDUBON).

Le 15 dudit mois fismes 12 lieues. Costoyans la coste nous apperçeusmes une fumée sur le rivage de la mer, dont nous approchasmes le plus qu'il nous fut possible, & ne vismes aucun sauvage, ce qui nous fit croire qu'ils s'en estoient fuys. Le soleil s'en alloit bas, & ne peusmes trouver lieu pour nous loger icelle nuict, à cause que la coste estoit platte, & sablonneuse. Mettant le cap au su pour nous esloigner, afin de mouiller l'ancre, ayant fait environ deux lieues nous apperçeusmes un cap 88 à la grande terre au su quart du suest de nous, où il pouvoit avoir quelque six lieues: à l'est deux lieues apperçeusmes trois ou quatre isles assez hautes 89, & à l'ouest un grand cu de sac90. La coste de ce cul de sac toute rengée jusques au cap peut entrer dans les terres du lieu où 57/205nous estions environ quatre lieues: il en a deux de large nort & su91 & trois en son entrée: Et ne recognoissant aucun lieu propre pour nous loger, nous resolusmes d'aller au cap cy dessus à petites voilles une partie de la nuict, & en aprochasmes à 16 brasses d'eaue où nous mouillasmes l'ancre attendant le poinct du jour.

Note 88: (retour)

Le cap Anne.

Note 89: (retour)

Les îles appelées Isles of Shoals (îles de Battures.) «Ces îles constituent le groupe auquel le célèbre capitaine John Smith donna son propre nom; mais l'ingratitude de l'homme a refusé à sa mémoire ce faible honneur.» (Dict. of Am.)

Note 90: (retour)

On voit, par ce qui suit, que ce grand cul-de-sac désigne évidemment la grande baie que forme la côte au nord du cap Anne. C'est ce même cul-de-sac que l'auteur appelle ailleurs baie Longue. Les cartes modernes ne lui assignent aucun nom particulier.

Note 91: (retour)

A rigoureusement parler, la largeur de cette baie n'est pas dans le sens nord et sud; mais il est évident que l'auteur ne prétend point en donner ici une description mathématique, puisqu'il ne la décrit que de loin et selon l'apparence qu'elle présente à la distance de plusieurs lieues.

Le lendemain nous fusmes au susdict cap, où il y a trois isles proches de la grand terre, pleines de bois de diferentes sortes, comme à Chouacoet & par toute la coste: & une autre platte, où la mer brise, qui jette un peu plus à la mer que les autres, où il n'y en a point. Nous nommasmes ce lieu le cap aux isles 92, proche duquel apperçeusmes un canau, où il y avoit 5 ou 6 sauvages, qui vindrent à nous, lesquels estans prés de nostre barque s'en allèrent danser sur le rivage. Le sieur de Mons m'envoya à terre pour les veoir, & leur donner à chacun un cousteau & du biscuit, ce qui fut cause qu'ils redanserent mieux qu'auparavant. Cela fait je leur fis entendre le mieux qu'il me fut possible, qu'ils me monstrassent comme alloit la coste. Apres leur avoir dépeint avec un charbon la baye 93 & le cap aux isles, où nous estions, ils me figurèrent avec le 58/206mesme creon, une autre baye 94 qu'ils representoient fort grande, où ils mirent six cailloux d'esgalle distance, me donnant par là à entendre que chacune des marques estoit autant de chefs & peuplades 95: puis figurèrent dedans ladicte baye une riviere que nous avions passée 96, qui s'estent fort loing, & est batturiere. Nous trouvasmes en cet endroit des vignes en quantité, dont le verjust estoit un peu plus gros que des poix, & force noyers, où les noix n'estoient pas plus grosses que des balles d'arquebuse. Ces sauvages nous dirent, que tous ceux qui habitoient en ce pays cultivoient & ensemensoient la terre, comme les autres qu'avions veu auparavant. Ce lieu est par la hauteur de 43 degrez, & quelque minutes 97 de latitude. Ayant fait demie lieue nous apperçeusmes plusieurs sauvages sur la pointe d'un rocher, qui couroient le long de la coste, en dansant, vers leurs compagnons, pour les advertir de nostre venue. Nous ayant monstré le quartier de leur demeure, ils firent signal de fumées pour nous monstrer l'endroit de leur habitation. Nous 59/207fusmes mouiller l'ancre proche d'un petit islet, où l'on envoya nostre canau pour porter quelques cousteaux & gallettes aux sauvages; & apperçeusmes à la quantité qu'ils estoient que ces lieux sont plus habitez que les autres que nous avions veus. Après avoir arresté quelques deux heures pour considerer ces peuples, qui ont leurs canaux faicts d'escorce de boulleau, comme les Canadiens, Souriquois & Etechemins, nous levasmes l'ancre, & avec apparence de beau temps nous nous mismes à la voille. Poursuivant nostre routte à l'ouest surouest, nous y vismes plusieurs isles à l'un & l'autre bort. Ayant fait 7 à 8 lieues nous mouillasmes l'ancre proche d'une isle où apperçeusmes force fumées tout le long de la coste, & beaucoup de sauvages qui accouroient pour nous voir. Le sieur de Mons envoya deux ou trois hommes vers eux dedans un canau, ausquels il bailla des cousteaux & patenostres pour leur presenter, dont ils furent fort aises, & danserent plusieurs fois en payement. Nous ne peusmes sçavoir le nom de leur chef, à cause que nous n'entendions pas leur langue. Tout le long du rivage y a quantité de terre deffrichée, & semée de bled d'Inde. Le pays est fort plaisant & aggreable: neantmoins il ne laisse d'y avoir force beaux bois. Ceux qui l'habitent ont leurs canaux faicts tout d'une pièce, fort subjets à tourner, si on n'est bien adroit à les gouverner: & n'en avions point encore veu de ceste façon. Voicy comme ils les font. Apres avoir eu beaucoup de peine, & esté long temps à abbatre un arbre le plus gros & le plus haut qu'ils ont peu trouver, avec des haches de pierre 60/208(car ils n'en ont point d'autres, si ce n'est que quelques uns d'eux en recouvrent par le moyen des sauvages de la coste d'Accadie, ausquels on en porte pour traicter de peleterie) ils ostent l'escorce & l'arrondissent, horsmis d'un costé, où ils mettent du feu peu à peu tout le long de la pièce: & prennent quelques fois des cailloux rouges & enflammez, qu'ils posent aussi dessus: & quand le feu est trop aspre, ils l'esteignent avec un peu d'eau, non pas du tout, mais de peur que le bord du canau ne brusle. Estant assez creux à leur fantasie, ils le raclent de toutes parts avec des pierres, dont ils se servent au lieu de cousteaux. Les cailloux dequoy ils font leurs trenchans sont semblables à nos pierres à fusil.

Note 92: (retour)

Les Anglais lui ont donné le nom de la reine Anne.

Note 93: (retour)

La baie dont l'auteur vient de parler, c'est-à-dire, la baie Longue.

Note 94: (retour)

La baie de Massachusets, au fond de laquelle est la baie de Boston. En comparant le récit des auteurs anglais sur les sauvages appelés Massachusets, avec ce que Champlain et les français de son temps disent des Almouchiquois, on demeure convaincu que les uns et les autres ont désigné par ces deux mots, en apparence si différents, une seule et même nation, ou qu'ils ont étendu ce nom à toutes les tribus qui faisaient cause commune avec ces sauvages contre les nations des côtes d'Acadie. «Les Massachusets, dit Gookin, demeuraient principalement vers cet endroit de la baie de Massachusets, où les Anglais sont maintenant établis. Ils formaient un peuple grand et nombreux. Leur principal chef avait autorité sur plusieurs capitaines subalternes... Cette nation pouvait autrefois mettre sur pied environ trois mille hommes de guerre, au rapport des vieux sauvages.» (Collect. of the Mass. Hist. Soc., première série, vol. I.) Suivant le même auteur, les Massachusets avaient pour alliés les Patoukets, qui demeuraient plus au nord. D'où l'on voit que les peuples qui habitaient la plus grande partie des côtes de la Nouvelle-Angleterre, étaient les Massachusets et leurs alliés. Or ce sont précisément ces mêmes nations que les voyageurs français comprenaient sous le nom d'Almouchiquois. Ce qu'il y a de certain, c'est que les Français appelaient Almouchiquois plusieurs peuples ou tribus que les Anglais comprenaient sous le nom de Massachusets, et, quelle que soit la vraie signification de ces deux mots, on ne peut nier qu'ils n'aient entre eux un certain air de parenté (al-moussicoua-set).

Note 95: (retour)

C'étaient, d'après Gookin, les chefs de Weechagaskas, de Neponsitt, de Punkapaog, de Nonantum, de Nashaway, et d'une partie des Nipmucks, suivant le rapport des anciens.

Note 96: (retour)

Le Merrimack.

Note 97: (retour)

La latitude du cap Anne est d'environ 42° 38'.

Le lendemain 17 dudict mois levasmes l'ancre pour aller à un cap, que nous avions veu le jour précèdent, qui nous demeuroit comme au su surouest98. Ce jour ne peusmes faire que 5 lieues, & passames par quelques isles remplies de bois. Je recognus en la baye tout ce que m'avoient dépeint les sauvages au cap des isles. Poursuivant nostre route il en vint à nous grand nombre dans des canaux, qui sortoient des isles, & de la terre ferme. Nous fusmes ancrer à une lieue du cap, qu'avons nommé S. Loys99, où nous apperçeusmes plusieurs fumées: y voulant aller nostre barque eschoua sur une roche, où nous fusmes en grand danger: car si nous n'y eussions promptement remédié, elle eut bouleversé dans la mer, qui perdoit tout à l'entour, où il y avoit 5 à 6 brasses d'eau: mais Dieu nous preserva, & fusmes 61/209mouiller l'ancre proche du susdict cap, où il vint quinze ou seize canaux de sauvages, & en tel y en avoit 15 ou 16 qui commencèrent à monstrer grands signes de resjouissance, & faisoient plusieurs sortes de harangues, que nous n'entendions nullement. Le sieur de Mons envoya trois ou quatre hommes à terre dans nostre canau, tant pour avoir de l'eau, que pour voir leur chef nommé Honabetha, qui eut quelques cousteaux, & autres jolivetés, que le sieur de Mons luy donna, lequel nous vint voir jusques en nostre bort, avec nombre de ses compagnons, qui estoient tant le long de la rive, que dans leurs canaux. L'on receut le chef fort humainement, & luy fit-on bonne chère: &c y ayant esté quelque espace de temps, il s'en retourna. Ceux que nous avions envoyés devers eux, nous apportèrent de petites citrouilles de la grosseur du poing, que nous mangeasmes en sallade comme concombres, qui sont tresbonnes; & du pourpié100, qui vient en quantité parmy le bled d'Inde, dont ils ne font non plus d'estat que de mauvaises herbes. Nous vismes en ce lieu grande quantité de petites maisonnettes, qui sont parmy les champs où ils sement leur bled d'Inde.

Note 98: (retour)

Ce cap, appelé plus loin cap Saint-Louis, leur «demeurait comme au sud-sud-ouest» dans la journée du 16.

Note 99: (retour)

La pointe Brandt. On ne la désigne ordinairement que comme pointe, parce que, suivant l'expression même de Champlain, c'est «une terre médiocrement basse.»

Note 100: (retour)

Portulaca oleracea. «Ce pourpier,» dit Miller (Dict. des Jardiniers), «croît naturellement en Amérique et dans les parties les plus chaudes du globe.» Il est assez probable que cette plante se sera propagée jusqu'à cette latitude avec la culture du tabac.

Plus y a en icelle baye 101 une riviere qui est fort spatieuse, laquelle avons nommée la riviere du Gas 102, qui, à mon jugement, va rendre vers les Yroquois, nation qui a guerre ouverte avec les montaignars qui sont en la grande riviere S. Lorans.

Note 101: (retour)

Dans la baie de Boston.

Note 102: (retour)

Du nom de M. de Monts, Pierre Du Gas. C'est probablement la rivière Charles; mais elle vient du sud-ouest, plutôt que du côté des Iroquois.




62/210 Continuation des descouvertures de la coste des Almouchiquois, & de ce qu'y avons remarqué de particulier.

CHAPITRE VIII.

Le lendemain doublasmes le cap S. Louys, ainsi nommé par le sieur de Mons, terre médiocrement basse, soubs la hauteur de 42 degrez 3 quarts de latitude103; & fismes ce jour deux lieues de coste sablonneuse, & passant le long d'icelle, nous y vismes quantité de cabannes & jardinages. Le vent nous estans contraire, nous entrasmes dedans un petit cu de sac, pour attendre le temps propre à faire nostre routte. Il vint à nous 2 ou 3 canaux, qui venoient de la pesche de morue, & autres poissons, qui sont là en quantité, qu'ils peschent avec des aims faits d'un morceau de bois, auquel ils fichent un os qu'ils forment en façon de harpon, & lient fort proprement, de peur qu'il ne sorte: le tout estant en forme d'un petit crochet: la corde qui y est attachée est d'escorce d'arbre. Ils m'en donnèrent un, que je prins par curiosité, où l'os estoit attaché de chanvre, à mon opinion, comme celuy de France, & me dirent qu'ils en cueilloient l'herbe dans leur terre sans la cultiver, en nous monstrant la hauteur comme de 4 à 5 pieds. Ledict canau s'en retourna à terre avertir ceux de son habitation, qui nous firent des fumées, & apperçeusmes 18 ou 20 sauvages, qui vindrent sur le bort de la coste, & se mirent à danser. Nostre canau fut à terre pour leur donner quelques 63/211bagatelles, dont ils furent fort contens. Il en vint aucuns devers nous qui nous prièrent d'aller en leur riviere. Nous levasmes l'ancre pour ce faire, mais nous n'y peusmes entrer à cause du peu d'eau que nous y trouvasmes estans de basse mer, & fusmes contraincts de mouiller l'ancre à l'entrée d'icelle. Je descendis à terre, où j'en vis quantité d'autres qui nous reçeurent fort gratieusement: & fus recognoistre la riviere, où n'y vey autre chose qu'un bras d'eau qui s'estant quelque peu dans les terres, qui sont en partie desertées; dedans lequel il n'y a qu'un ruisseau qui ne peut porter basteaux, sinon de pleine mer. Ce lieu peut avoir une lieue de circuit. En l'une des entrées duquel y a une manière d'icelle couverte de bois, & principalement de pins, qui tient d'un costé à des dunes de sable, qui sont assez longues: l'autre costé est une terre assez haute. Il y a deux islets dans ladicte baye, qu'on ne voit point si l'on n'est dedans, où autour la mer asseche presque toute de basse mer. Ce lieu est fort remarquable de la mer, d'autant que la coste est fort basse, horsmis le cap de l'entrée de la baye, qu'avons nommé, le port du cap sainct Louys104, distant dudict cap deux lieues, & dix du cap aux isles. Il est environ par la hauteur du cap S. Louys.

Note 103: (retour)

La latitude de la pointe Brandt est d'environ 42° 6'.

Note 104: (retour)

Ce port Saint-Louis est précisément le lieu où abordaient, quinze ans plus tard, les fondateurs de la Nouvelle-Angleterre, appelés les Pèlerins (Pilgrim Fathers). Ils lui donnèrent le nom de Plymouth, en mémoire de la ville d'où ils étaient partis pour l'Amérique. (Holme's Annals, an. 1620.)

211a

Port St-Louis

Les chifres montrent les brasses d'eau.

A Monstre le lieu où posent les vaisseaux.

B L'achenal.

C Deux Isles.

D Dunes de sable

E Basses.

F Cabannes où les sauvages labourent la terre.

G Le lieu où nous fusmes eschouer nostre barque.

H Une manière d'isle remplie de bois tenant aux dunes de sable.

I Promontoire assez haut qui paroist de 4 à 5 lieux à la mer.

Le 19 du mois nous partismes de ce lieu. Rengeant la coste comme au su, nous fismes 4 à 5 lieues, & passames proche d'un rocher qui est à fleur d'eau. Continuant nostre route nous 64/212apperçeusmes des terres que jugions estre isles, mais en estans plus prés nous recogneusmes que c'estoit terre ferme, qui nous demeuroit au nord nordouest, qui estoit le cap d'une grande baye contenant plus de 18 à 19 lieues de circuit, où nous nous engouffrasmes tellement, qu'il nous falut mettre à l'autre bort pour doubler le cap qu'avions veu, lequel nous nommasmes le cap blanc105, pour ce que c'estoient sables & dunes, qui paroissent ainsi. Le bon vent nous servit beaucoup en ce lieu: car autrement nous eussions esté en danger d'estre jettés à la coste. Cette baye est fort seine, pourveu qu'on n'approche la terre que d'une bonne lieue, n'y ayant aucunes isles ny rochers que celuy dont j'ay parlé, qui est proche d'une riviere, qui entre assez avant dans les terres, que nommasmes saincte suzanne du cap blanc 106, d'où jusques au cap S. Louis y a dix lieues de traverse. Le cap blanc est une pointe de sable qui va en tournoyant vers le su quelque six lieues. Ceste coste est assez haute eslevée de sables, qui sont fort remarquables venant de la mer, où on trouve la sonde à prés de 15 ou 18 lieues de la terre à 30, 40, 50 brasses d'eau jusques à ce qu'on vienne à 10 brasses en approchant de la terre, qui est très seine. Il y a une grande estendue de pays descouvert sur le bort de la coste devant que d'entrer dans les bois, qui sont fort aggreables & plaisans à voir. Nous mouillasmes l'ancre à 65/213la coste, & vismes quelques sauvages, vers lesquels furent quatre de nos gens, qui cheminant sur une dune de sable, advisèrent comme une baye & des cabannes qui la bordoient tout à l'entour. Estans environ une lieue & demye de nous, il vint à eux tout dansant (à ce qu'ils nous ont raporté) un sauvage qui estoit descendu de la haute coste, lequel s'en retourna peu après donner advis de nostre venue à ceux de son habitation.

Note 105: (retour)

Sans aucun doute, l'auteur n'avait pas eu connaissance du voyage du capitaine Gosnold, qui, un peu plus de deux ans auparavant, s'était comme lui engouffré dans la même baie, et qui avait, dès 1602, donné à ce cap le nom de cap Cod, parce qu'on y avait pris grande quantité de morue (cod).

Note 106: (retour)

Ce que l'auteur appelle la rivière de Sainte-Suzanne du cap Blanc, est probablement la baie de Wellfleet, à l'entrée de laquelle se trouve la batture de Billingsgate.

Le lendemain 20 du mois fusmes en ce lieu que nos gens avoient aperçeu, que trouvasmes estre un port fort dangereux, à cause des basses & bancs, où nous voiyons briser de toutes parts. Il estoit presque de basse mer lors que nous y entrasmes, & n'y avoit que quatre pieds d'eau par la passée du nort; de haute mer il y a deux brasses. Comme nous fusmes dedans nous vismes ce lieu assez spatieux, pouvant contenir 3 à 4 lieues de circuit, tout entouré de maisonnettes, à l'entour desquelles chacun a autant de terre qu'il luy est necessaire pour sa nourriture. Il y descend une petite riviere, qui est assez belle, où de basse mer y a quelque trois pieds & demy d'eau. Il y a deux ou trois ruisseaux bordez de prairies. Ce lieu est tresbeau, si le havre estoit bon. J'en prins la hauteur, & trouvé 42 degrez de latitude & 18 degrez 40 minuttes de declinaison107 de la guide-aymant. Il vint à nous quantité de sauvages, tant hommes que femmes, qui accouroient de toutes parts en dansant. Nous avons nommé ce lieu le port de Mallebarre108.

Note 107: (retour)

La déclinaison aujourd'hui n'y est que de 7° environ.

Note 108: (retour)

Aujourd'hui le havre de Nauset, dont la latitude est de 41° 50'.

66/214Le lendemain 21 du mois le sieur de Mons prit resolution d'aller voir leur habitation, & l'accompaignasmes neuf ou dix avec nos armes: le reste demeura pour garder la barque. Nous fismes environ une lieue le long de la coste. Devant que d'arriver à leurs cabannes, nous entrasmes dans un champ semé de bled d'Inde à la façon que nous avons dit cy dessus. Le bled estoit en fleur de la hauteur de 5 pieds & demy. Il y en avoit d'autre moins avancé qu'ils sement plus tart. Nous vismes force febves du Bresil, & force citrouilles de plusieurs grosseurs, bonnes à manger, du petun & des racines, qu'ils cultivent, lesquelles ont le goust d'artichaut. Les bois sont remplis de chesnes noyers & de tresbeaux cyprès, qui sont rougeastres & ont fort bonne odeur 109. Il y avoit aussi plusieurs champs qui n'estoient point cultivez: d'autant qu'ils laissent reposer les terres. Quand ils y veulent semer, ils mettent le feu dans les herbes, & puis labourent avec leurs bêches de bois. Leurs cabannes sont rondes, couvertes de grosses nattes, faictes de roseaux, & par enhaut il y a au milieu environ un pied & demy de descouvert, par où sort la fumée du feu qu'ils y font. Nous leur demandasmes s'ils avoient leur demeure arrestée en ce lieu, & s'il y negeoit beaucoup; ce que ne peusmes bien sçavoir, pour ne pas entendre leur langage, bien qu'ils s'y efforçassent par signe, en prenant du sable en leur main, puis l'espandant sur la terre, & monstrant estre de la couleur de nos rabats, & qu'elle venoit sur la terre de la hauteur d'un 67/215pied: & d'autres nous monstroient moins, nous donnant aussi à entendre que le port ne geloit jamais: mais nous ne peusmes sçavoir si la nege estoit de longue durée. Je tiens neantmoins que le pays est tempéré, & que l'yver ny est pas rude. Pendant le temps que nous y fusmes, il fit une tourmente de vent de nordest, qui dura 4 jours, avec le temps si couvert que le soleil n'aparoissoit presque point. Il y faisoit fort froid: ce qui nous fit prendre nos cappots, que nous avions delaissez du tout: neantmoins je croy que c'estoit par accident, comme l'on void souvent arriver en d'autres lieux hors de saison.

Note 109: (retour)

La couleur rougeâtre et l'odeur de l'arbre mentionné en cet endroit, font voir que l'auteur parle du cèdre rouge (juniperus virginiana). C'est une nouvelle preuve que ce qu'il appelle cyprès dans son voyage de 1603, n'est rien autre chose que notre cèdre ordinaire (thuja)

Le 23 dudict mois de Juillet, quatre ou cinq mariniers estans allés à terre avec quelques chaudières, pour quérir de l'eau douce, qui estoit dedans des dunes de sable, un peu esloignée de nostre barque, quelques sauvages desirans en avoir aucunes, espierent l'heure que nos gens y alloyent, & en prirent une de force entre les mains d'un matelot, qui avoit puisé le premier, lequel n'avoit nulles armes: Un de ses compagnons voulant courir après, s'en revint tout court, pour ne l'avoir peu atteindre, d'autant qu'il estoit plus viste à la cource que luy. Les autres sauvages voyans que nos matelos accouroient à nostre barque en nous criant que nous tirassions quelques coups de mousquets sur eux, qui estoient en grand nombre, ils se mirent à fuir. Pour lors y en avoit quelques uns dans nostre barque qui se jetterent à la mer, & n'en peusmes saisir qu'un. Ceux en terre qui s'en estoient fuis les appercevant nager, 68/216retournèrent droit au matelot 110 à qui ils avoient osté la chaudière, & luy tirèrent plusieurs coups de flèches par derrière & l'abbatirent, ce que voyant ils coururent aussitost sur luy & l'acheverent à coups de cousteau. Cependant on fit diligence d'aller à terre, & tira on des coups d'arquebuse de nostre barque, dont la mienne creva entre mes mains & me pença perdre. Les sauvages oyans cette escopeterie se remirent à la fuite, qu'ils doublèrent quand ils virent que nous estions à terre: d'autant qu'ils avoient peur nous voyans courir après eux. Il n'y avoit point d'apparence de les attraper: car ils sont vistes comme des chevaux. L'on apporta le mort qui fut enterré quelques heures après: Cependant nous tenions tousjours le prisonnier attaché par les pieds & par les mains au bort de nostre barque, creignant qu'il ne s'enfuist. Le Sieur de Mons se resolut de le laisser aller, se persuadant qu'il n'y avoit point de sa faute, & qu'il ne sçavoit rien de ce qui s'estoit passé, ny mesme ceux qui estoient pour lors dedans & autour de nostre barque. Quelques heures après il vint des sauvages vers nous, faisant des excuses par signes & demonstrations, que ce n'estoit pas eux qui avoient fait ceste meschanceté, mais d'autres plus esloignez dans les terres. On ne leur voulut point faire de mal, bien qu'il fut en nostre puissance de nous venger.

Note 110: (retour)

C'était, suivant Lescarbot, un charpentier malouin. (Liv. IV, ch. VII.)

Tous ces sauvages depuis le cap des isles ne portent point de robbes, ny de fourrures, que fort rarement, encore les robbes sont faites d'herbes & de chanvre, qui à peine leur couvrent le corps, & leur vont jusques aux jarrets. Ils ont seulement la 69/217nature cachée d'une petite peau, & les femmes aussi, qui leur descendent un peu plus bas qu'aux hommes par derrière; tout le reste du corps est nud. Lors que les femmes nous venoient voir, elles prenoient des robbes ouvertes par le devant. Les hommes se coupent le poil dessus la teste comme ceux de la riviere de Chouacoet. Je vey entre autres choses une fille coiffée assez proprement, d'une peau teinte de couleur rouge, brodée par dessus de petites patenôtres de porceline: une partie de ses cheveux estoient pendans par derrière, & le reste entrelassé de diverses façons. Ces peuples se peindent le visage de rouge, noir, & jaune. Ils n'ont presque point de barbe, & se l'arrachent à mesure qu'elle croist. Ils sont bien proportionnez de leurs corps. Je ne sçay quelle loy ils tiennent, & croy qu'en cela ils ressemblent à leurs voisins, qui n'en ont point du tout. Ils ne sçavent qu'adorer ny prier. Ils ont bien quelques superstitions comme les autres, que je descriray en leur lieu. Pour armes, ils n'ont que des picques, massues, arcs & flèches. Il semble à les voir qu'ils soient de bon naturel, & meilleurs que ceux du nort: mais tous à bien parler ne vallent pas grande chose. Si peu de fréquentation que l'on ait avec eux, les fait incontinent cognoistre. Ils sont grands larrons; & s'ils ne peuvent attraper avec les mains, ils y taschent avec les pieds, comme nous l'avons esprouvé souventefois. J'estime que s'ils avoient dequoy eschanger avec nous, qu'ils ne s'adonneroient au larrecin. Ils nous troquèrent leurs arcs, flèches & carquois, pour des espingles & des boutons, & s'ils eussent eu autre chose de meilleur ils en 70/218eussent fait autant. Il se faut donner garde de ces peuples, & vivre en mesfiance avec eux toutefois sans leur faire apperçevoir. Ils nous donnèrent quantité de petum, qu'ils font secher, & puis le reduisent en poudre111. Quand ils mangent le bled d'Inde ils le font bouillir dedans des pots de terre qu'ils font d'autre manière que nous 112. Ils le pilent aussi dans des mortiers de bois & le reduisent en farine, puis en font des gasteaux & galettes, comme les Indiens du Pérou.

Note 111: (retour)

Il n'y a aucun doute que les Almouchiquois préparaient leur tabac, ou petun, comme les sauvages du Canada, c'est-à-dire, qu'après l'avoir fait sécher, comme, dit Champlain, ils le broyaient assez menu pour pouvoir en charger commodément leurs pipes ou petunoirs, mais non pas si fin que le tabac râpé. C'est ce que prouvent du reste les intéressantes découvertes que vient de faire monsieur J. C. Taché. Le riche musée d'antiquités huronnes que l'université Laval doit à la générosité de cet infatigable antiquaire, renferme des échantillons parfaitement conservés de pipes qui ont été trouvées encore toutes chargées de leur tabac, et par lesquelles on peut constater que cette espèce de poudre que les sauvages mettaient dans leurs calumets n'était guère plus fine que notre tabac haché.

Note 112: (retour)

Ces vases de terre n'étaient point faits au tour, comme les poteries européennes, ni cuits au four, mais à feu libre. Voici, d'après Sagard, comment les femmes huronnes, et sans doute aussi les femmes almouchiquoises, s'y prenaient pour fabriquer leur poterie: «Elles ont l'industrie de faire de bons pots de terre, qu'elles cuisent dans leur foyer fort proprement, & sont si forts qu'ils ne se cassent point au feu sans eau comme les nostres, mais ils ne peuvent aussi souffrir longtemps l'humidité ny l'eau froide, qu'ils ne s'attendrissent & ne se cassent au moindre heurt qu'on leur donne, autrement ils durent beaucoup. Les Sauvagesses les font prenans de la terre propre, laquelle elles nettoyent & petrissent très bien entre leurs mains, & y mestent, je ne sçay par quelle science, un peu de grais pillé parmy; puis la masse estant réduite comme une boulle, elles y font un trou au milieu avec le poing, qu'elles agrandisent tousjours en frappant par dehors avec une petite palette de bois, tant & si longtemps qu'il est necessaire pour les parfaire: ces pots sont de diverses grandeurs, sans pieds & sans ances, & tous ronds comme une boulle, excepté la gueulle qui sort un peu dehors.» (Hist. du Canada, liv. II, ch. XIII.) L'université Laval doit encore au même monsieur J. C. Taché le plus bel échantillon que l'on connaisse de cette ancienne poterie huronne.

218b

Malle Baiye

Les chifres montrent les brasses d'eau.

A Les deux entrées du port.

B Dunes de sable où les sauvages tuèrent un Matelot de la barque du

sieur de Mons.

C Les lieux où fut la barque du sieur de Mons audit port.

D Fontaine sur le bort du port.

E Une riviere descendant audit port.

F Ruisseau.

G Petite riviere où on prend cantité de poisson.

H Dunes de sable où il y a un petit bois & force vignes.

I Isle à la pointe des dunes.

L Les maisons & habitations des sauvages qui cultivent la terre.

M Basses & bancs de sable tant à l'entrée que dedans ledit port.

O Dunes de sable.

P La coste de la mer.

q La barque du sieur de Poitrincourt quand il y fut deux aprés le sieur

de Mons.

R Dessente des gens du sieur de Poitrincourt.

En ce lieu, & en toute la coste, depuis Quinibequi, il y a quantité de figuenocs113, qui est un poisson portant une 71/219escaille sur le dos, comme la tortue: mais diferente pourtant; laquelle a au milieu une rangée de petits piquants de couleur de fueille morte, ainsi que le reste du poisson: Au bout de laquelle escaille il y en a une autre plus petite, qui est bordée d'esguillons fort piquans. La queue est longue selon qu'ils sont grands ou petits du bout de laquelle ces peuples ferrent leurs flèches, ayant aussi une rangée d'esguillons comme la grande escaille sur laquelle sont les yeux. Il a huict petits pieds comme ceux d'un cancre, & derrière deux plus longs & plats, desquels il se sert à nager. Il en a aussi deux autres fort petits devant, avec quoy il mange: quand il chemine ils sont tous cachez, excepté les deux de derrière qui paroissent un peu. Soubs la petite escaille il y a des membranes qui s'enflent, & ont un battement comme la gorge des grenouilles, & sont les unes sur les autres en façon des facettes d'un pourpoint. Le plus grand que j'aye veu, a un pied de large, & pied & demy de long.

Note 113: (retour)

C'est le Limule Polyphène (limulus poltphemus, LAMARCK). La femelle, qui est plus grande que le mâle, a ordinairement une vingtaine de pouces de longueur, et un peu moins de dix pouces de large. «Cette espèce, commune dans nos parages», dit M. James-E. De Kay (New-York Fauna), «est connue ici sous le nom vulgaire de pied-de-cheval (horse-foot), à cause de sa forme, et retient encore dans quelques districts le nom de king-crab que lui donnaient les premiers colons anglais.» Jean de Laët fait aussi de ce singulier crustacé, une description détaillée et accompagnée d'une figure.

Nous vismes aussi un oiseau marin 114 qui a le bec noir, le haut un peu aquilin, & long de quatre poulces, fait en forme de lancette, sçavoir la partie inférieure representant le manche & la superieure la lame qui est tenue, trenchante des deux costez & plus courte d'un tiers que l'autre, qui donne de l'estonnement à beaucoup de personnes, qui ne peuvent 72/220comprendre comme il est possible que cet oiseau puisse manger avec un tel bec115. Il est de la grosseur d'un pigeon, les ailles fort longues à proportion du corps, la queue courte & les jambes aussi, qui sont rouges, les pieds petits & plats: Le plumage par dessus est gris brun, & par dessous fort blanc. Il va tousjours en troupe sur le rivage de la mer, comme font les pigeons pardeçà.

Note 114: (retour)

Le Bec-en-ciseaux ou Coupeur-d'eau (rhynchops nigra, LATHAM). La singularité de ses habitudes et l'étrange conformation de son bec, lui ont valu différents noms populaires surtout chez les navigateurs anglais, comme ceux de cutwater, shearwater, razorbill, black skimmer, flood gull, skippang et autres. Il a le bec noir à l'extrémité, et tirant sur le rouge près de la tête. Cependant l'on rencontre des individus qui ont le bec entièrement noir, comme celui dont parle ici l'auteur; mais ce n'est probablement qu'une variété d'âge. Il se trouve principalement sur les rivages de la Caroline du Sud, et du Texas, et quelquefois par volées immenses.

Note 115: (retour)

Avec un bec en apparence si incommode, cet oiseau sait fort bien trouver sa vie. Quand il veut pêcher, il rase lentement la surface de la mer, et, coupant l'eau avec la partie inférieure de son bec, il saisit en dessous le poisson, qui fait sa nourriture habituelle.

Les sauvages en toutes ces costes où nous avons esté, disent qu'il vient d'autres oiseaux quand leur bled est à maturité, qui sont fort gros; & nous contrefaisoient leur chant semblable à celuy du cocq d'Inde. Ils nous en montrèrent des plumes en plusieurs lieux, dequoy ils empannent leurs flèches & en mettent sur leurs testes pour parade, & aussi une manière de poil qu'ils ont soubs la gorge, comme ceux qu'avons en France: & disent qu'ils leur tumbe une creste rouge sur le bec. Ils nous les figurèrent aussi gros qu'une outarde, qui est une espece d'oye; ayant le col plus long & deux fois plus gros que celles de pardeça. Toutes ces demonstrations nous firent juger que c'estoient cocqs d'Inde. Nous eussions bien desiré voir de ces oiseaux, aussi bien que de la plume, pour plus grande certitude. Auparavant que j'eusse veu les plumes & le petit boquet de poil qu'ils ont soubs la gorge; & que j'eusse oy contrefaire leur chant, je croiyois que ce fussent de certains oiseaux116, qui se trouvent en quelques endroits du Perou en 73/221forme de cocqs d'Inde, le long du rivage de la mer, mangeans les charongnes autres choses mortes, comme font les corbeaux: mais ils ne sont pas si gros, & n'ont pas la barbe si longue, ny le chant semblable aux vrais coqs d'Inde, & ne sont pas bons à manger comme sont ceux que les sauvages disent qui viennent en troupe en esté; & au commencement de l'yver s'en vont aux pays plus chauts, où est leur demeure naturelle.

Note 116: (retour)

L'oiseau dont parle ici Champlain, est vraisemblablement l'Aura (vultur aura, LINNÉE), appelé Ouroua par les Brésiliens, et Suyuntu par les Péruviens, «se nourrissant plutôt de chair morte et de vidanges, que de chair vivante», suivant Buffon.




Retour des descouvertures de la coste des Almouchiquois.

CHAPITRE IX.

Ayant demeuré plus de cinq sepmaines à eslever trois degrez de latitude, nous ne peusmes estre plus de six sepmaines en nostre voyage; car nous n'avions porté des vivres que pour ce temps là. Et aussi ne pouvans passer à cause des brumes & tempestes que jusques à Mallebarre, où fusmes quelques jours attendans le temps propre pour sortir, & nous voyans pressez par la necessité des vivres, le sieur de Mons délibéra de s'en retourner à l'isle de saincte Croix, afin de trouver autre lieu plus propre pour nostre habitation: ce que ne peusmes faire en toutes les costes que nous descouvrismes en ce voyage.

Et partismes de ce port, pour voir ailleurs, le 25 du mois de Juillet, où au sortir courusmes risque de nous pardre sur la barre qui y est à l'entrée, par la faute de nos pilottes appelez Cramolet & Champdoré 117 Maistres de la barque, qui 74/222avoient mal ballizé l'entrée de l'achenal du costé du su, par où nous devions passer. Ayans evité ce péril nous mismes le cap au nordest six lieues jusques au cap blanc: & de là jusques au cap des isles continuant 15 lieues au mesme vent: puis misme le cap à l'est nordest 16 lieues jusques à Chouacoet, où nous vismes le Capitaine sauvage Marchim, que nous avions esperé voir au lac de Quinibequy118, lequel avoit la réputation d'estre l'un des vaillans hommes de son pays: aussi avoit il la façon belle, où tous ses gestes paroissoient graves, quelque sauvage qu'il fut. Le sieur de Mons luy fit present de beaucoup de choses, dont il fut fort satisfait, & en recompense donna un jeune garçon Etechemin, qu'il avoit prins en guerre, que nous emmenasmes avec nous, & partismes de ce lieu ensemblement bons amis, & mismes le cap au nordest quart de l'est 15 lieues, jusques à Quinibequy, où nous arrivasmes le 29 du mois, & où pensions trouver un sauvage appelé Sasinou, dont j'ay parlé cy dessus, que nous attendismes quelque temps, pensant qu'il deust venir, afin de retirer de luy un jeune homme & une jeune fille Etechemins, qu'il tenoit prisoniers. En l'attendant il vint à nous un capitaine appelé Anassou pour nous voir, lequel traicta quelque peu de pelleterie, & fismes allience avec luy. Il nous 75/223dit qu'il y avoit un vaisseau 119 à dix lieues du port, qui faisoit pesche de poisson, & que ceux de dedans avoient tué cinq sauvages d'icelle riviere, soubs ombre d'amitié: & selon la façon qu'il nous despeignoit les gens du vaisseau, nous les jugeasmes estre Anglois, & nommasmes l'isle où ils estoient la nef: pour ce que de loing elle en avoit le semblance. Voyant que ledict Sasinou ne venoit point nous mismes le cap à l'est suest 20 lieues jusques à l'isle haute où mouillasmes l'ancre attendant le jour.

Note 117: (retour)

Pierre Angibaut dit Champdoré. (Lescarbot, Muses de la Nouv. France, p. 48.)

Note 118: (retour)

Voir ci-dessus p. 49, note 1.

Note 119: (retour)

Les différentes circonstances de ce récit prouvent que le vaisseau dont parle Anassou, était celui du capitaine Waymouth. 1° C'était un vaisseau anglais, d'après la description qu'en fait le capitaine sauvage. Or il ne paraît pas qu'il soit venu aux côtes du Maine, en 1605, d'autre vaisseau anglais que l'Arkangel, commandé par George Waymouth. Il est vrai que ce vaisseau était reparti dès le 26 de juin (nouveau style), c'est-à-dire, depuis plus d'un mois; mais Anassou pouvait croire qu'il était encore dans ces parages, vu que le capitaine anglais, avant de reprendre directement la route de l'Angleterre, était retourné à son havre de la Pentecôte, situé en face de l'île de Monahigan. Il est possible, en outre, qu'Anassou n'ait pas dit autre chose sinon que les Anglais s'étaient retirés à cette île, et que les Français aient compris qu'ils y étaient encore. 2° A dix lieues du port. Précisément à dix lieues du port ou était mouillée la barque de M. de Monts, se trouve cette île remarquable, appelée Monahigan, qui est celle où, suivant les critiques anglais, a dû mouiller l'Arkangel à son arrivée, et non loin de laquelle Waymouth jeta l'ancre encore avant que de repartir; c'est cette île que Champlain appelle la Nef. 3° Qui faisait pêche de poisson. Quoique ce ne fut pas là le but principal du voyage de Waymouth, l'équipage employa effectivement une bonne partie du temps à faire la pêche soit à la ligne, soit à la seine. 4° Que ceux de dedans avaient tué cinq sauvages. Le capitaine Waymouth, ayant de bonnes raisons de croire que les sauvages voulaient le surprendre traîtreusement, résolut de les devancer, et en fit saisir cinq d'entre eux: Sassacomouet, Maneddo, Skitouarros, Amohouet, et un sagamo du nom de Tahanedo. Anassou pouvait croire qu'on les avait tués; cependant le capitaine anglais au contraire les traita si bien, qu'ils parurent ensuite contents de leur sort. «Quoique, au moment de la surprise, dit Rosier, ils aient résisté de leur mieux, ne sachant point nos vues, ni ce que nous étions, ou ce que nous en prétendions faire; cependant, dès qu'ils virent, par nos bons traitements que nous ne leur voulions point de mal, ils ne parurent pas depuis mécontents de nous.» (Rap. du voy. de Waymouth par Rosier, Coll. de la Soc. Hist. de Mass. 3e série, vol. VIII.) 5° Sauvages d'icelle rivière. Ces sauvages étaient donc du Kénébec. Cette circonstance vient à l'appui de l'ingénieuse dissertation que M. John McKeen a publiée en 1867, dans le cinquième volume des Collections de la Société Historique du Maine, et dans laquelle l'auteur prouve aussi bien qu'il est possible de le faire, suivant nous, que Waymouth a visité, non pas le Pénobscot, comme le prétend Belknap et quelques autres auteurs, mais bien le Kénébec. 6° Sous ombre d'amitié. L'intention de Waymouth n'était pas d'abord d'user de ruse ou de trahison avec ces sauvages. «Ayant trouvé, dit Rosier, que ce lieu répondait parfaitement au motif de notre voyage de découverte, savoir, qu'on y pouvait faire un bon établissement, nous traitâmes ces gens avec toute la bonté qu'il nous fut possible d'imaginer, ou dont nous les croyions capables.» Cependant, il n'est pas surprenant qu'Anassou et les autres sauvages aient attribue la conduite des Anglais à un motif qui leur paraissait assez naturel. Ainsi, le vaisseau dont parle Anassou, est évidemment celui de George Waymouth.

Le lendemain premier d'Aoust nous le mismes à l'est quelque 20 lieues jusques au cap Corneille 120 où nous passâmes la nuit. 76/224Le 2 du mois le mettant au nordest 7 lieues vinsmes à l'entrée de la riviere S. Croix du costé de l'ouest. Ayant mouillé l'ancre entre les deux premières isles, le sieur de Mons s'embarqua dans un canau à six lieues de l'habitation S. Croix, où le lendemain nous arrivasmes avec nostre barque. Nous y trouvasmes le sieur des Antons de sainct Maslo, qui estoit venu en l'un des vaisseaux du sieur de Mons, pour apporter des vivres, & autres commoditez pour ceux qui devoient yverner en ce pays.

Note 120: (retour)

La carte de 1612 et les distances données ici par l'auteur, permettent de croire que ce cap est dans Cross Island (ou Crow's Island?)




L'habitation qui estoit en l'isle de. S. Croix transportée au port Royal, & pourquoy.

CHAPITRE X.

Le sieur de Mons se délibéra de changer de lieu & faire une autre habitation pour esviter aux froidures & mauvais yver qu'avions eu en l'isle saincte Croix. N'ayant trouvé aucun port qui nous fut propre pour lors, & le peu de temps que nous avions à nous loger & bastir des maisons à cest effect, nous fit équipper deux barques, que l'on chargea de la charpenterie des maisons de saincte Croix, pour la porter au port Royal, à 25 lieues de là, où l'on jugeoit y estre la demeure beaucoup plus douce & tempérée. Le Pont & moy partismes pour y aller, où estans arrivez cerchasmes un lieu propre pour la situation de nostre logement & à l'abry du norouest, que nous redoutions pour en avoir esté fort tourmentez.

77/225Apres avoir bien cerché d'un costé & d'autre, nous n'en trouvasmes point de plus propre & mieux scitué qu'en un lieu qui est un peu eslevé, autour duquel y a quelques marescages & bonnes sources d'eau.

Ce lieu est devant l'isle qui est à l'entrée de la riviere de la Guille121: Et au nord de nous comme à une lieue, il y a un costau de montagnes, qui dure prés de dix lieues nordest & surouest. Tout le pays est rempli de forests tres-espoisses ainsi que j'ay dit cy dessus, horsmis une pointe qui est à une lieue & demie dans la riviere, où il y a quelques chesnes qui y sont fort clairs, & quantité de lambruches, que l'on pourroit deserter aisement, & mettre en labourage, neantmoins maigres & sablonneuses. Nous fusmes presque en resolution d'y bastir: mais nous considerasmes qu'eussions esté trop engouffrez dans le port & riviere: ce qui nous fit changer d'advis.

Note 121: (retour)

Rivière de l'Equille. «On choisit la demeure,» dit Lescarbot, «vis-à-vis de l'île qui est à l'entrée de la rivière de l'Equille, dite aujourd'hui la rivière du Dauphin, laquelle fut appelée l'Équille, parce que le premier poisson qu'on y print fut une Équille.» (Liv. IV, ch. VIII et ch. III.)

Ayant donc recogneu l'assiette de nostre habitation estre bonne, on commença à défricher le lieu, qui estoit plein d'arbres; & dresser les maisons au plustost qu'il fut possible: un chacun s'y employa. Apres que tout fut mis en ordre, & la pluspart des logemens faits, le sieur de Mons se délibéra de retourner en France pour faire vers sa Majesté qu'il peust avoir ce qui seroit de besoin pour son entreprise. Et pour commander audit lieu en son absence, il avoit volonté d'y laisser le sieur d'Orville: mais la maladie de terre, dont il estoit atteint, ne luy peut permettre de pouvoir satisfaire au desir dudit sieur de Mons: qui fut occasion d'en parler au 78/226Pont-gravé, & luy donner ceste charge; ce qu'il eut pour aggreable: & fit parachever de bastir ce peu qui restoit en l'habitation 122. Et moy en pareil temps je pris resolution d'y demeurer aussi, sur l'esperance que j'avois de faire de nouvelles descouvertures vers la Floride: ce que le sieur de Mons trouva fort bon.

Note 122: (retour)

«A tant, dit Lescarbot, on met la voile au vent, & demeure ledit sieur du Pont pour lieutenant par delà, lequel ne manque de promptitude (selon son naturel) à faire & parfaire ce qui estoit requis pour loger soy & les tiens: qui est tout ce qui se peut faire pour cette année en ce pais la. Car de s'éloigner du parc durant l'hiver, mêmes après un si long harassement: il n'y avoit point d'apparence. Et quant au labourage de la terrer je croy qu'ils n'eurent le temps commode pour y vacquer: car ledit sieur du Pont n'etoit pas homme pour demeurer en repos, ni pour laisser ses gens oisifs s'il y eût eu moyen de ce faire.» (Liv. IV, ch. VIII.)




Ce qui se passa depuis le partement du sieur de Mons, jusqu'à ce que voyant qu'on n'avoit point nouvelles de ce qu'il avoit promis, on partist du port Royal pour retourner en France.

CHAPITRE XI.

Aussi tost que ledit sieur de Mons fut party, de 40 ou 45 qui resterent, une partie commença à faire des jardins. J'en fis aussi un pour éviter oisiveté, entouré de fossez plains d'eau, esquels y avoit de fort belles truites que j'y avois mises, & où descendoient trois ruisseaux de fort belle eaue courante, dont la pluspart de nostre habitation se fournissoit. J'y fis une petite escluse contre le bort de la mer, pour escouler l'eau quand je voulois. Ce lieu estoit tout environné des prairies, où j'accomoday un cabinet avec de beaux arbres, pour y aller prendre de la fraischeur. J'y fis aussi un petit 79/227reservoir pour y mettre du poisson d'eau sallée, que nous prenions quand nous en avions besoin. J'y semay quelques graines, qui proffiterent bien: & y prenois un singulier plaisir: mais auparavant il y avoit bien fallu travailler. Nous y allons souvent passer le temps: & sembloit que les petits oiseaux d'alentour en eussent du contentement: car ils s'y amassoient en quantité, & y faisoient un ramage & gasouillis si aggreable, que je ne pense pas jamais en avoir ouy de semblable.

Le plan de l'habitation estoit de 10 toises de long, & 8 de large, qui font trentesix de circuit. Du costé de l'orient est un magazin de la largeur d'icelle, & une fort belle cave de 5 à 6 pieds de haut. Du costé du Nord est le logis du sieur de Mons eslevé d'assez belle charpenterie 123. Au tour de la basse court sont les logemens des ouvriers. A un coing du costé de l'occident y a une platte forme, où on mit quatre pièces de canon, & à l'autre coing vers l'orient est une palissade en façon de platte forme: comme on peut veoir par la figure suivante124.

Note 123: (retour)

C'est le logis qui correspond aux lettres N, N, dans l'abitation du port royal, dont l'auteur nous a conservé une vue. Autant qu'on peut en juger par le dessin, ce logis devait avoir environ quarante pieds de long.

Note 124: (retour)

Dans la première édition, la figure de l'habitation était intercalée dans le texte.

227a

Habitation du Port Royal

A Logemens des artisans.

B Plate forme où estoit le canon.

C Le magasin.

D Logement du sieur de Pontgravé & Champlain.

E La forge.

F Palissade de pieux.

G Le four,

H La cuisine.

0 Petite maisonnette où l'on retiroit les utansiles de nos barques;

que depuis le sieur de Poitrincourt fit rebastir, & y logea le sieur

Boulay quand le sieur du Pont s'en revint en France.

P (1) La porte de l'abitation.

Q (2) Le cemetiere.

R (3) La riviere.

(1) Cette lettre manque dans le dessin; mais la porte est bien reconnaissable tant par sa figure que par l'avenue qui y aboutit—(2) K, dans le dessin—(3) L, dans le dessin.

Quelques jours après que les bastiments furent achevez, je fus à la riviere S. Jean, pour chercher le sauvage appellé Secondon, lequel avoit mené les gens de Preverd à la mine de cuivre, que j'avois desja esté chercher avec le sieur de Mons, quand nous fusmes au port aux mines, & y perdismes nostre temps. L'ayant trouvé, je le priay d'y venir avec nous: ce 80/228qu'il m'accorda fort librement: & nous la vint monstrer. Nous y trouvasmes quelques petits morceaux de cuivre de l'espoisseur d'un sold; & d'autres plus, enchassez dans des rochers grisastres & rouges. Le mineur qui estoit avec nous, appellé Maistre Jaques, natif d'Esclavonie, homme bien entendu à la recherche des minéraux, fut tout au tour des costaux voir s'il trouveroit de la gangue; mais il n'en vid point: Bien trouva il à quelques pas d'où nous avions prins les morceaux de cuivre susdit, une manière de mine qui en approchoit aucunement. Il dit que par l'apparence du terrouer, elle pourroit estre bonne si on y travailloit, & qu'il n'estoit croyable que dessus la terre il y eut du cuivre pur, sans qu'au fonds il n'y en eut en quantité. La vérité est, que si la mer ne couvroit deux fois le jour les mines, & qu'elles ne fussent en rochers si durs, on en espereroit quelque chose.

Apres l'avoir recogneue, nous nous en retournasmes à nostre habitation, où nous trouvasmes de nos gens malades du mal de la terre, mais non si griefvement qu'en l'isle S. Croix, bien que de 45 que nous estions il en mourut 12 dont le mineur fut du nombre, & cinq malades, qui guérirent le printemps venant. Nostre chirurgien appelle des Champs, de Honfleur, homme expert en son art, fit ouverture de quelques corps, pour veoir s'il recognoistroit mieux la cause des maladies, que n'avoient fait ceux de l'année précédente. Il trouva les parties du corps offencées comme ceux qui furent ouverts en l'isle S. Croix, & ne peut on trouver remède pour les guérir non plus que les autres.

81/229Le 20 Decembre il commença à neger: & passa quelques glaces par devant nostre habitation. L'yver ne fut si aspre qu'il avoit esté l'année d'auparavant, ny les neges si grandes, ny de si longue durée. Il fit entre autres choses un si grand coup de vent le 20 de Fevrier 1605 125 qu'il abbattit une grande quantité d'arbres avec leurs racines, & beaucoup qu'il brisa. C'estoit chose estrange à veoir. Les pluyes furent assez ordinaires, qui fut occasion du peu d'yver, au regard du passé, bien que du port Royal à S. Croix, n'y ait que 25 lieues.

Note 125: (retour)

Février 1606. C'est peut-être par inadvertance, plutôt que par un reste de l'ancienne coutume de commencer l'année à Pâques, que Champlain met ici 1605: car on peut voir plus loin, au chapitre XVI, que, dès l'année suivante, il compte exactement comme nous.

Le premier jour de Mars, Pont-gravé fit accommoder une barque du port de 17 à 18 tonneaux, qui fut preste au 15 pour aller descouvrir le long de la coste de la Floride.

Pour cet effect nous partismes le 16 ensuivant, & fusmes contraints de relascher à une isle au su de Menasne, & ce jour fismes 18 lieues, & mouillasmes l'ancre dans une ance de sable, à l'ouvert de la mer, où le vent de su donnoit, qui se renforça la nuit d'une telle impetuosité que ne peusmes tenir à l'ancre, & fallut par force aller à la coste, à la mercy de Dieu & des ondes, qui estoient si furieuses & mauvaises, que comme nous appareillions le bourcet sur l'ancre, pour après coupper le câble sur l'escubier, il ne nous en donna le loisir car aussitost il se rompit sans coup frapper. A la ressaque le vent & la mer nous jetterent sur un petit rocher, & n'attendions que l'heure de voir briser nostre barque, pour nous sauver sur 82/230quelques esclats d'icelle, si eussions peu. En ce desespoir il vint un coup de mer si grand & favorable, après en avoir receu plusieurs autres, qu'il nous fit franchir le rocher, & nous jetta en une petite playe de sable, qui nous guarentit pour ceste fois de naufrage.

La barque estant eschouée, l'on commença promptement à descharger ce qu'il y avoit dedans, pour voir où elle estoit offencée, qui ne fut pas tant que nous croyons. Elle fut racoustrée promptement par la diligence de Champdoré Maistre d'icelle. Estant bien en estat on la rechargea en attendant le beau temps, & que la fureur de la mer s'apaisast, qui ne fut qu'au bout de quatre jours, sçavoir le 21 Mars, auquel sortismes de ce malheureux lieu, & fusmes au port aux Coquilles, à 7 ou 8 lieues de là, qui est à l'entrée de la riviere saincte Croix, où y avoit grande quantité de neges. Nous y arrestasmes jusques au 29 dudit mois, pour les brumes & vents contraires, qui sont ordinaires en ces saisons, que le Pont-gravé print resolution de relascher au port Royal, pour voir en quel estat estoient nos compagnons, que nous y avions laissez malades. Y estans arrivés le Pont fut atteint d'un mal de coeur, qui nous fit retarder jusques au 8 d'Avril.

Et le 9 du mesme mois il s'embarqua, bien qu'il se trouvast encores maldisposé, pour le desir qu'il avoit de voir la coste de la Floride, & croyant que le changement d'air luy rendroit la santé. Ce jour fusmes mouiller l'ancre & passer la nuit à l'entrée du port, distant de nostre habitation deux lieues. Le lendemain devant le jour Champdoré vint demander au Pont-gravé 83/231s'il desiroit faire lever l'ancre, lequel luy respondit que s'il jugeoit le temps propre, qu'il partist. Sur ce propos Champdoré fit à l'instant lever l'ancre & mettre le bourcet au vent, qui estoit nort nordest, selon son rapport. Le temps estoit fort obscur, pluvieux & plain de brumes, avec plus d'aparence de mauvais que de beau temps. Comme l'on vouloit sortir de l'emboucheure du port, nous fusmes tout à un coup transportez par les marées hors du passage, & fusmes plustost sur les rochers du costé de l'est norouest, que nous ne les eusmes apperceus. Le Pont & moy qui estions couchez, entendismes les matelots s'escrians & disans, Nous sommes perdus: ce qui me fit bien tost jetter sur pieds, pour voir ce que c'estoit. Du Pont estoit encores malade, qui l'empescha de se lever si promptement qu'il desiroit. Je ne fus pas sitost sur le tillac, que la barque fut jettée à la coste & le vent se trouva nort, qui nous poussoit sur une pointe. Nous deffrelasmes la grande voille, que l'on mit au vent, & la haussa l'on le plus qu'il fut possible pour nous pousser tousjours sur les rochers, de peur que le ressac de la marée, qui perdoit de bonne fortune, ne nous attirast dedans, d'où il eust esté impossible de nous sauver. Du premier coup que nostre barque donna sur les rochers le gouvernail fut rompu, une partie de la quille, & trois ou quatre planches enfoncées, avec quelques membres brisez, qui nous donna estonnement: car nostre barque s'emplit incontinent; & ce que nous peusmes faire, fut d'attendre que la mer se retirast de dessoubs, pour mettre pied à terre: car autrement nous courions risque de la vie, à cause 84/232de la houlle qui estoit fort grande & furieuse au tour de nous. La mer estant donc retirée nous descendismes à terre par le temps qu'il faisoit, où promptement on deschargea la barque de ce qu'il y avoit, & sauvasmes une bonne partie des commoditez qui y estoient, à l'aide du Capitaine sauvage Secondon, & de ses compagnons, qui vindrent à nous avec leurs canots, pour reporter en nostre habitation ce que nous avions sauvé de nostre barque, laquelle toute fracassée s'en alla au retour de la mer en plusieurs pièces: & nous bien heureux d'avoir la vie sauve retournasmes en nostre habitation avec nos pauvres sauvages, qui y demeurèrent presque une bonne partie de l'yver, où nous louasmes Dieu de nous avoir preservez de ce naufrage, dont n'esperions sortir à si bon marché.

La perte de nostre barque nous fit un grand desplaisir, pour nous voir, à faute de vaisseau, hors d'esperance de parfaire le voyage que nous avions entreprins, & de n'en pouvoir fabriquer un autre, car le temps nous pressoit, bien qu'il y eust encore une barque sur les chantiers: mais elle eut esté trop long temps à mettre en estat, & ne nous en eussions peu servir qu'au retour des vaisseaux de France, qu'attendions de jour en autre.

Ce fut une grande disgrace, & faute de prevoyance au Maistre, qui estoit opiniastre & peu entendu au fait de la marine, qui ne croioit que sa teste. Il estoit bon Charpentier, adroit à fabriquer des vaisseaux, & soigneux de les accommoder de choses necessaires: mais il n'estoit nullement propre à les conduire. Le Pont estant à l'habitation, fit informer à l'encontre de 85/233Champdoré, qui estoit accusé d'avoir malicieusement mis nostre barque à la coste; & sur ses informations fut emprisonné & emmenotté, d'autant qu'on le vouloit mener en France pour le mettre entre les mains du sieur de Mons, & en requérir justice.

Le 15 de Juin le Pont voyant que les vaisseaux de France ne revenoient point, fit desemmenotter Champdoré pour parachever la barque qui estoit sur les chantiers, lequel s'aquitta fort bien de son devoir.

Et le 16 juillet, qui estoit le temps que nous nous devions retirer, au cas que les vaisseaux ne fussent revenus, ainsi qu'il estoit porté par la commission qu'avoit donnée le sieur de Monts au Pont, nous partismes de nostre habitation pour aller au cap Breton ou à Gaspé, chercher le moyen de retourner en France, puis que nous n'en n'avions aucunes nouvelles.

Il y eust deux de nos hommes126 qui demeurèrent de leur propre volonté pour prendre garde à ce qui restoit des commoditez en l'habitation, à chacun desquels le Pont promit cinquante escus en argent, & cinquante autres qu'il devoit faire valoir leur practique, en les venant requérir l'année suivante.

Note 126: (retour)

Lescarbot nous a conservé les noms de ces deux braves: l'un s'appelait La Taille, et l'autre Miquelet. «Je ne puis que je ne loue, dit-il, le gentil courage de ces deux hommes... & méritent bien d'être ici enchassées, pour avoir exposé si librement leurs vies à la conservation du bien de la Nouvelle-France. Car le sieur du Pont n'ayant qu'une barque & une patache, pour venir chercher vers la Terre-neuve des navires de France, ne pouvoit se charger de tant de meubles, blez, farines & marchandises, qui etoient par-delà, léquels il eût fallu jetter dans la mer (ce qui eût été à notre grand prejudice, & en avions bien peur) si ces deux hommes n'eussent pris le hazard de demeurer là pour la conservation de ces choses. Ce qu'ilz firent volontairement, & de gayeté de coeur.» (Liv. IV, ch. XII.)

86/234Il y eut un Capitaine des sauvages appellé Mabretou127 qui promit de les maintenir, & qu'ils n'auroient non plus de deplaisir que s'ils estoient ses propres enfans. Nous l'avions recogneu pour bon sauvage en tout le temps que nous y fusmes, bien qu'il eust le renom d'estre le plus meschant & traistre qui fut entre ceux de sa nation.

Note 127: (retour)

Lescarbot et le P. Biard écrivent Membertou.




Partement du port Royal pour retourner en France. Rencontre de Ralleau au cap de Sable, qui fit rebrouser chemin.

CHAPITRE XII.

Le 17 du mois, suivant la resolution que nous avions prise, nous partismes de l'emboucheure du port Royal avec deux barques, l'une du port de 18 tonneaux, & l'autre de 7 à 8 pour parfaire la routte du cap Breton ou de Campseau & vinsmes mouiller l'ancre au destroit de l'isle Longue, où la nuit nostre câble rompit & courusmes risque de nous perdre par les grandes marées qui jettent sur plusieurs pointes de rochers, qui sont dans & à la sortie de ce lieu: Mais par la diligence d'un chacun on y remédia & fit on en sorte qu'on en sortit pour ceste fois.

Le 21 du mois il vint un grand coup de vent qui rompit les ferremens de nostre gouvernail entre l'isle Longue & le cap fourchu, & nous mit en telle peine, que nous ne sçavions de quel bois faire flesches: car d'aborder la terre, la furie de la mer ne le permettoit pas, par ce qu'elle brisoit haute comme 87/235des montaignes le long de la coste: de façon que nous resolusmes plustost mourir à la mer, que d'aborder la terre, sur l'esperance que le vent & la tourmente s'appaiseroit, pour puis après ayant le vent en pouppe aller eschouer en quelque playe de sable. Comme chacun pensoit à part soy à ce qui seroit de faire pour nostre seureté, un matelot dit, qu'une quantité de cordages attachez au derrière de la barque, & traînant en l'eau, nous pourroit aucunement servir pour gouverner nostre vaisseau, mais ce fut si peu que rien, & vismes bien que si Dieu ne nous aidoit d'autres moyens, celuy là ne nous eust guarentis du naufrage. Comme nous estions pensifs à ce qu'on pourroit faire pour nostre seureté, Champdoré, qu'on avoit de rechef emmenotté, dit à quelques uns de nous, que si le Pont vouloit qu'il trouveroit moyen de faire gouverner nostre barque: ce que nous rapportasmes au Pont, quine refusa pas cette offre, & les autres encore moins. Il fut donc desemmenotté pour la seconde fois, & quant & quant prist un câble qu'il coupa, & en accommoda fort dextrement le gouvernail & le fit aussi bien gouverner que jamais il avoit fait: & par ce moyen repare les fautes qu'il avoit commises à la première barque qui fut perdue: & fut libéré de ce dont il avoit esté accusé, par les prières que nous en fismes au Pont-gravé qui eut un peu de peine à s'y resoudre.

Ce jour mesme fusmes mouiller l'ancre prez la baye courante, à deux lieues du cap fourchu, & là fut racommodée la barque.

Le 23 du mois de Juillet fusmes proche du cap de Sable.

88/236Le 24 du dit mois sur les deux heures du soir nous apperçeusmes une chalouppe, proche de l'isle aux cormorans, qui venoit du cap de Sable, qu'aucuns jugeoient estre des sauvages qui se retiroient du cap Breton, ou de l'isle de Campseau: D'autres disoient que ce pouvoit estre des chalouppes qu'on envoyoit de Campseau pour sçavoir de nos nouvelles. Enfin approchant plus prez on vid que c'estoient François, ce qui nous resjouit fort: Et comme elle nous eust presque joints, nous recogneusmes Ralleau Secrétaire du sieur de Mons, ce qui nous redoubla le contentement. Il nous fit entendre que le sieur de Mons envoyoit un vaisseau de six vingts tonneaux 128, & que le sieur de Poitrincourt y commandoit, & estoit venu pour Lieutenant général, & demeurer au pays avec cinquante hommes: & qu'il avoit mis pied à terre à Campseau, d'où ledit vaisseau avoit pris la plaine mer, pour voir s'il ne nous descouvriroit point, cependant que luy s'en venoit le long de la coste dans une chalouppe pour nous rencontrer au cas qu'y fussions en chemin, croyans que serions partis du port Royal, comme il estoit bien vray: Et en cela firent fort sagement. Toutes ces nouvelles nous firent rebrousser chemin; & arrivasmes au port Royal le 25 129 du mois, où nous trouvasmes ledict vaisseau, & le sieur de Poitrincourt, ce qui nous apporta beaucoup de resjouissance, 89/237pour voir renaistre ce qui estoit hors d'esperance. Il nous dit que ce qui avoit causé son retardement estoit un accident qui estoit survenu au vaisseau, au sortir de la chaine de la Rochelle, d'où il estoit party, & avoit esté contrarié du mauvais temps sur son voyage 130.

Note 128: (retour)

C'était le Jonas, où se trouvait Lescarbot.

Note 129: (retour)

Le 31 juillet, qui était un lundi. Pour que Pont-Gravé et Champlain eussent pu retourner au port Royal dans l'espace d'environ vingt-quatre heures, il eût fallu un concours de circonstances si exceptionnelles, que l'auteur n'aurait pas manqué de le faire observer. En outre, quand ils arrivèrent à Port-Royal, le vaisseau et M. de Poutrincourt y étaient déjà rendus: or, suivant Lescarbot, qui, en cet endroit, donne toutes les dates de ces diverses circonstances, le vaisseau entra dans le port le jeudi 27 de juillet, et Pont-Gravé arriva «le lundi dernier jour de juillet.» (Liv. IV, ch. XIII.)

Note 130: (retour)

Toutes ces circonstances sont rapportées en détail dans Lescarbot, liv. IV, chapitres IX-XIII.

Le lendemain le sieur de Poitrincourt commença à discourir de ce qu'il devoit faire, & avec l'advis d'un chacun se resolut de demeurer au port Royal pour ceste année, d'autant que l'on n'avoit descouvert aucune chose depuis le sieur de Mons, & que quatre mois qu'il y avoit jusques à l'yver n'estoit assez pour chercher & faire une autre habitation: encore avec un grand vaisseau, qui n'est pas comme une barque, qui tire peu d'eau, furette par tout, & trouve des lieux à souhait pour faire des demeures: mais que durant ce temps on iroit seulement recognoistre quelque endroit plus commode pour nous loger131.

Note 131: (retour)

Tout en décidant qu'on hivernerait encore à Port-Royal, parce qu'on n'avait pu, jusqu'ici, trouver de lieu plus commode, M. de Poutrincourt devait suivre les instructions que lui avait données M. de Monts, à son départ de France. «Le sieur de Monts, dit Lescarbot, ayant desiré de s'élever au su tant qu'il pourroit & chercher un lieu bien habitable par delà Malebarre, avoit prié le sieur de Poutrincourt de passer plus loin qu'il n'avoit été, & chercher un port convenable en bonne température d'air, ne faisant plus de cas de Port-Royal que de sainte Croix, pour ce qui regarde la santé. A quoy voulant obtempérer le dit sieur de Poutrincourt, il ne voulut attendre le printemps, sachant qu'il auroit d'autres exercices à s'occuper.»

Sur ceste resolution le sieur de Poitrincourt envoya aussitost quelques gens de travail au labourage de la terre, en un lieu qu'il jugea propre, qui est dedans la riviere, à une lieue & demie de l'habitation du port Royal, où nous pensames faire 90/238nostre demeure 132, & y fit semer du bled, seigle, chanvre, & plusieurs autres graines, pour voir ce qu'il en reussiroit. Le 22 d'Aoust, on advisa une petite barque qui tiroit vers nostre habitation. C'estoit des Antons de S. Maslo, qui venoit de Campseau, où estoit son vaisseau133, à la pesche du poisson, pour nous donner advis qu'il y avoit quelques vaisseaux au tour du cap Breton qui traittoient de pelleterie 134, & que si on vouloit envoyer nostre navire, il les prendroit en s'en retournant en France: ce qui fut resolu après qu'il seroit deschargé des commodités qui estoient dedans.

Note 132: (retour)

Voir ci-dessus p. 77. C'est précisément le lieu où est maintenant Annapolis, au sud de la rivière de l'Équille (aujourd'hui rivière d'Annapolis), et près de l'endroit où la rivière du Moulin se jette dans celle de l'Équille.

Note 133: (retour)

Le Saint-Étienne.

Note 134: (retour)

«Quant au sieur du Pont, dit Lescarbot, il deliberoit en passant d'attaquer un marchand de Rouen nommé Boyer (lequel contre les deffenses du Roy étoit allé par delà troquer avec les Sauvages, après avoir été délivré des prisons de la Rochelle par le consentement du sieur de Poutrincourt, & souz promesse qu'il n'iroit point) mais il étoit ja parti.» (Liv. IV, ch. XIII.)

Ce qu'estant fait, du Pont-gravé s'enbarqua dedans avec le reste de ses compagnons qui avoient demeuré l'yver avec luy au port Royal, horsmis quelques uns, qui fut Champdoré & Foulgere de Vitré. J'y demeuray aussi avec le sieur de Poitrincourt, pour moyennant l'aide de Dieu, parfaire la carte des costes & pays que j'avois commencé. Toutes choses mises en ordre en l'habitation, le sieur de Poitrincourt fit charger des vivres pour nostre voyage de la coste de la Floride.

Et le 29 d'Aoust partismes du port Royal quant & Pont-gravé, & des Antons qui alloient au cap Breton & à Campseau pour se saisir des vaisseaux qui fesoient traitte de pelleterie, comme j'ay dit cy dessus. Estans à la mer nous fusmes contraints de relascher au port pour le mauvais vent qu'allions. Le grand vaisseau tint tousjours sa route & bientost le perdismes de veue.




91/239 Le sieur de Poitrincourt part du port Royal pour faire des descouvertures. Tout ce que l'on y vid: & ce qui y arriva jusques à Male-barre.

CHAPITRE XIII.

Le 5 Septembre nous partismes de rechef du port Royal 135.

Note 135: (retour)

D'après Lescarbot, M. de Poutrincourt relâcha par deux fois. «Quant au sieur de Poutrincourt, dit-il, il print la volte de l'ile sainte Croix première demeure des François, ayant Champdoré pour maître & conducteur de sa barque, mais contrarié du vent, & pour ce que sa barque faisoit eau, il fut contraint de relâcher par deux fois.»

Le 7 nous fusmes à rentrée de la riviere S. Croix, où trouvasmes quantité de sauvages, entre autres Secondon & Messamouet. Nous nous y pensames perdre contre un islet de rochers, par l'opiniastreté de Champdoré, à quoy il estoit fort subject.

Le lendemain fusmes dedans une chalouppe à l'isle de S. Croix, où le sieur de Mons avoit yverné, voir si nous trouverions quelques espics du bled, & autres graines qu'il y avoit fait semer. Nous trouvasmes du bled qui estoit tombé en terre, & estoit venu aussi beau qu'on eut sceu desirer136, & quantité d'herbes potagères qui estoient venues belles & grandes: cela nous resjouit infiniment, pour voir que la terre y estoit bonne & fertile.

Note 136: (retour)

Monsieur de Poutrincourt «nous en envoya au Port Royal, dit Lescarbot, où j'étois demeuré, ayant été de ce prié pour avoir l'oeil à la maison, & maintenir ce qui y restoit de gens en concorde. A quoy j'avoy condescendu (encores que cela eust été laissé à ma volonté) pour l'asseurance que nous nous donnions que l'an suivant l'habitation se seroit en païs plus chaut par delà Malebarre, & que nous irions tous de compagnie avec ceux qu'on nous envoyeroit de France. Pendant ce temps je me mis à préparer de la terre, & faire des clôtures & compartimens de jardins pour y semer des légumes, & herbes de ménage. Nous fimes aussi faire un fossé tout à l'entour du Fort, lequel étoit bien necessaire pour recevoir les eaux & humidités qui paravant decouloient par dessouz les logemens parmi les racines des arbres qu'on y avoit défrichez: ce qui paraventure rendoit le lieu mal sain.» (Liv. IV, ch. XIII.)

92/240Apres avoir visité l'isle, nous retournasmes à nostre barque, qui estoit du port de 18 tonneaux, & en chemin prismes quantité de maquereaux, qui y sont en abondance en ce temps là; & se resolut on de continuer le voyage le long de la coste, ce qui ne fut pas trop bien consideré: d'autant que nous perdismes beaucoup de temps à repasser sur les descouvertures que le sieur de Mons avoit faites jusques au port de Malebarre, & eut esté plus à propos, selon mon opinion, de traverser du lieu où nous estions jusques audict Malebarre, dont on sçavoit le chemin, & puis employer le temps jusques au 40° degré, ou plus su, & au retour revoir toute la coste à son plaisir.

Après ceste resolution nous prismes avec nous Secondon & Messamouet, qui vindrent jusques à Chouacoet dedans une chalouppe, où ils vouloient aller faire amitié avec ceux du pays en leur faisant quelques presens.

Le 12 de Septembre nous partismes de la riviere saincte Croix.

93/241Le 21137 arrivasmes à Chouacoet, où nous vismes Onemechin chef de la riviere, & Marchin, lesquels avoient fait la cueillette de leur bleds. Nous vismes des raisins à l'isle de Bacchus qui estoient meurs, & assez bons: & d'autres qui ne l'estoient pas, qui avoient le grain aussi beau que ceux de France, & m'asseure que s'ils estoient cultivez, on en feroit de bon vin.

Note 137: (retour)

Lescarbot nous donne sur cette navigation de Sainte-Croix à Chouacouet, quelques détails que Champlain omet sans doute parce qu'il était ennuyé de suivre le même chemin, et qu'il avait déjà décrit tous ces lieux, «Revenons au sieur de Poutrincourt, dit-il, lequel nous avons laissé en l'ile Sainte-Croix. Apres avoir là fait une reveue, & caressé les Sauvages qui y étoient, il s'en alla en quatre jours à Pemptegoet, qui est ce lieu tant renommé souz le nom de Norombega. Et ne falloit un si long temps pour y parvenir, mais il s'arrêta sur la route à faire racoutrer sa barque: car à cette fin il avoit mené un serrurier & un charpentier, & quantité d'ais. Il traversa les iles qui sont à l'embouchure de la rivière, & vint à Kinibeki, là où sa barque fut en péril à-cause des grans courans d'eaux que la nature du lieu y fait. C'est pourquoy il ne s'y arrêta point, ains passa outre à la Baye de Marchin, qui est le nom d'un Capitaine Sauvage, lequel à l'arrivée dudit sieur commença à crier hautement Hé, hé: A quoy on lui répondit de même. Il répliqua demandant en son langage: Qui êtes-vous? On lui dit que c'étoient amis. Et là dessus à l'approcher le sieur de Poutrincourt traita amitié avec lui, & lui fit des presens de couteaux, haches, & Matachiaz, c'est à dire écharpes, carquans, & brasselets faits de patenôtres, ou de tuyaux de verre blanc & bleu, dont il fut fort aise, même de la confédération que ledit sieur de Poutrincourt faisoit avec lui, reconnoissant bien que cela lui feroit beaucoup de support. Il distribua à quelques uns d'un grand nombre de peuple qu'il avoit autour de soy, les presens dudit sieur de Poutrincourt, auquel il apporta force chairs d'Orignac, ou Ellan (car les Basques appellent un Cerf, ou Ellan, Orignac) pour refraichir de vivres la compagnie. Cela fait, on tendit les voiles vers Chouakoet.» (Liv. IV, ch. XIV.)

En ce lieu le sieur de Poitrincourt retira un prisonnier qu'avoit Onemechin, auquel Messamouet fit des presens de chaudières, haches, cousteaux, & autres choses138. Onemechin luy en fit au réciproque, de bled d'Inde, cytrouilles, febves du Bresil: ce qui ne contenta pas beaucoup ledit Messamouet, qui partit d'avec eux fort mal content, pour ne l'avoir pas bien recogneu, de ce qu'il leur avoit donné, en dessein de leur 94/242faire la guerre en peu de temps: car ces nations ne donnent qu'en donnant, si ce n'est à personnes qui les ayent bien obligez, comme de les avoir assistez en leurs guerres.

Note 138: (retour)

«Messamouet, capitaine en la rivière du port de la Heve, sur lequel on avoit pris ce prisonier,» & Secondon «avoient force marchandises troquées avec les François, léquelles ilz venoient là débiter, sçavoir chaudières grandes, moyennes, & petites, haches, couteaux, robbes, capots, camisoles rouges, pois, fèves, biscuit, & autres choses. Sur ce voici arriver douze ou quinze bateaux pleins de Sauvages de la sujetion d'_Olmechin, iceux en bon ordre, tous peinturés à la face, selon leur coutume, quand ilz veulent être beaux, ayans l'arc, & la flèche en main, & le carquois auprès d'eux, léquels ilz mirent bas à bord. A l'heure Messamoet commence à haranguer devant les Sauvages, leur remontrant comme par le passé ils avoient eu souvent de l'amitié ensemble; & qu'ilz pourroient facilement domter leurs ennemis s'ils se vouloient entendre, & se servir de l'amitié des François, léquels ils voyoient là presens pour reconoitre leur pais, à fin de leur porter des commodités à l'avenir, & les secourir de leurs forces, léquelles il sçavoit, & les leur representoit d'autant mieux, que lui qui parloit étoit autrefois venu en France, & y avoit demeuré en la maison du sieur de Grandmont Gouverneur de Bayonne. Somme, il fut prés d'une heure à parler avec beaucoup de véhémence & d'affection, & avec un contournement de corps & de bras tel qu'il est requis en un bon Orateur. Et à la fin jetta toutes ses marchandises (qui valoient plus de trois cens escus rendues en ce païs-là) dans le bateau d'Olmechin, comme lui faisant present de cela en asseurance de l'amitié qu'il lui vouloit témoigner. Cela fait la nuit s'approchoit, & chacun se retira.» (Lescarbot, liv, IV, ch. XIV.)

Continuant nostre routte, nous allasmes au cap aux isles, où fusmes un peu contrariez du mauvais temps & des brumes; & ne trouvasmes pas beaucoup d'apparence de passer la nuit: d'autant que le lieu n'y estoit pas propre. Comme nous estions en ceste peine, il me resouvint, que rengeant la coste avec le sieur de Mons, j'avois, à une lieue de là, remarqué en ma carte un lieu, qui avoit apparence d'estre bon pour vaisseaux, ou n'entrasmes point à cause que nous avions le vent propre à faire nostre routte, lors que nous y passames. Ce lieu estoit derrière nous, qui fut occasion que je dis au sieur de Poitrincourt qu'il faloit relascher à une pointe que nous y voiyons, où estoit le lieu dont il estoit question, lequel me sembloit estre propre pour y passer la nuit. Nous fusmes mouiller l'ancre à l'entrée, & le lendemain entrasmes dedans.

Le sieur de Poitrincourt y mit pied à terre avec huit ou dix de nos compagnons. Nous vismes de fort beaux raisins qui estoient à maturité, pois du Bresil, courges, cytrouilles, & des racines qui sont bonnes, tirant sur le goust de cardes, que les sauvages cultivent. Il nous en firent quelques presens en contr'eschange d'autres petites bagatelles qu'on leur donna. Ils avoient desja fait leur moisson. Nous vismes 200 sauvages en ce lieu, qui est assez aggreable, & y a quantité de noyers, cyprès, sasafras, chesnes, fresnes, & hestres, qui sont tresbeaux. Le chef de ce lieu s'appelle Quiouhamenec, qui nous 95/243vint voir avec un autre sien voisin nommé Cohouepech, à qui nous fismes bonne chère. Onemechin chef de Chouacoet nous y vint aussi voir, à qui on donna un habit qu'il ne garda pas long temps, & en fit present à un autre, à cause qu'estant gesné dedans il ne s'en pouvoit accommoder. Nous vismes aussi en ce lieu un sauvage qui se blessa tellement au pied, & perdit tant de sang, qu'il en tomba en syncope, autour duquel en vint nombre d'autres chantans un espace de temps devant que de luy toucher: après firent quelques gestes des pieds & des mains, & luy secouerent la teste, puis le soufflant il revint à luy. Nostre chirurgien le pensa, & ne laissa après de s'en aller gayement.

Le lendemain comme on calfeustroit nostre chalouppe, le sieur de Poitrincourt apperceut dans le bois quantité de sauvages, qui venoyent en intention de nous faire quelque desplaisir, se rende à un petit ruisseau qui est sur le destroit d'une chaussée, qui va à la grande terre, où de nos gens blanchissoient du linge. Comme je me pourmenois le long d'icelle chaussée ces sauvages m'apperçeurent, & pour faire bonne mine, à cause qu'ils virent bien que je les avois descouvers en pareil temps, ils commancerent à s'escrier & se mettre à danser: puis s'en vindrent à moy avec leurs arcs, flesches, carquois & autres armes. Et d'autant qu'il y avoit une prairie entre eux & moy, je leur fis signe qu'ils redansassent; ce qu'ils firent en rond, mettant toutes leurs armes au milieu d'eux. Ils ne faisoient presque que commencer, qu'ils adviserent le sieur de Poitrincourt dedans le bois avec 96/244huit arquebusiers, ce qui les estonna: toutesfois ne laisserent d'achever leur danse, laquelle estant finie, ils se retirèrent d'un costé & d'autre, avec apprehention qu'on ne leur fit quelque mauvais party: Nous ne leur dismes pourtant rien, & ne leur fismes que toutes demonstrations de resjouinance; puis nous revinsmes à nostre chalouppe pour la mettre à l'eaue, & nous en aller. Ils nous prièrent de retarder un jour, disans qu'il viendroit plus de deux mil hommes pour nous voir: mais ne pouvans perdre temps, nous ne voulusmes diferer d'avantage. Je croy que ce qu'ils en fesoient estoit pour nous surprendre. Il y a quelques terres desfrichées, & en desfrichoient tous les jours: en voicy la façon. Ils couppent les arbres à la hauteur de trois pieds de terre, puis font brusler les branchages sur le tronc, & sement leur bled entre ces bois couppez: & par succession de temps ostent les racines. Il y a aussi de belles prairies pour y nourrir nombre de bestail. Ce port est tresbeau & bon, où il y a de l'eau assez pour les vaisseaux, & où on se peut mettre à l'abry derrière des isles. Il est par la hauteur de 43 degrez de latitude; & l'avons nommé le Beau-port 139.

Note 139: (retour)

Aujourd'hui Gloucester.

244a

Le beau port.

Les chifres montrent les brasses d'eau.

A Le lieu où estoit nostre barque.

B Prairies.

C Petite isle.

D Cap de rocher.

E Le lieu où l'on faisoit calfeutrer nostre chalouppe.

F [f] Petit islet de rochers assez haut à la coste.

G Cabanes des sauvages, & où ils labourent la terre.

H Petite riviere où il y a des prairies.

I Ruisseau.

L Langue de terre plaine de bois où il y a quantité de safrans, noyers &

vignes.

M La mer d'un cul de sac en tournant le cap aux isles.

N Petite riviere.

0 Petit ruisseau venant des preries.

P Autre petit ruisseau où l'on blanchissoit le linge.

Q Troupe de sauvages venant pour nous surprendre.

R Playe de sable.

S La coste de la mer.

T Le sieur de Poitrincourt en embuscade avec quelque 7 ou 8 arquebusiers.

V Le sieur de Champlain apersevant les sauvages.

Le dernier de Septembre nous partismes du beau port, & passâmes par le cap S. Louys, & fismes porter toute la nuit pour gaigner le cap blanc. Au matin une heure devant le jour nous nous trouvasmes à vau le vent du cap blanc en la baye blanche à huict pieds d'eau, esloignez de la terre une lieue, où nous mouillasmes l'ancre, pour n'en approcher de plus prés, en 97/245attendant le jour; & voir comme nous estions de la marée. Cependant envoyasmes sonder avec nostre chalouppe, & ne trouva on plus de huit pieds d'eau: de façon qu'il fallut délibérer attendant le jour ce que nous pourrions faire. L'eau diminua jusques à cinq pieds, & nostre barque talonnoit quelquefois sur le sable: toutesfois sans s'offencer ny faire aucun dommage: Car la mer estoit belle, & n'eusmes point moins de trois pieds d'eau soubs nous, lors que la mer commença à croistre, qui nous donna beaucoup d'esperance.

Le jour estant venu nous apperceusmes une coste de sable fort basse, où nous estions le travers plus à vau le vent, & d'où on envoya la chalouppe pour sonder vers un terrouer, qui est assez haut, où on jugeoit y avoir beaucoup d'eau; & de fait on y en trouva sept brasses. Nous y fusmes mouiller l'ancre, & aussitost appareillasmes la chalouppe avec neuf ou dix hommes, pour aller à terre voir un lieu où jugions y avoir un beau & bon port pour nous pouvoir sauver si le vent se fut eslevé plus grand qu'il n'estoit. Estant recogneu nous y entrasmes à 2, 3 & 4 brasses d'eau. Quand nous fusmes dedans, nous en trouvasmes 5 & 6. Il y avoit force huistres qui estoient tresbonnes, ce que n'avions encores apperceu, & le nommasmes le port aux Huistres 140: & est par la hauteur de 42 degrez 141 de latitude. Il y vint à nous trois canots de sauvages. Ce jour le vent nous vint favorable, qui fut cause que nous levasmes l'ancre pour aller 98/246au Cap blanc, distant de ce lieu de 5 lieues, au Nord un quart du Nordest, & le doublasmes.

Note 140: (retour)

La baie de Barnstable. Il semble qu'elle ait légué son ancien nom à une baie plus petite qu'elle renferme et que l'on appelle baie aux Huîtres (Oysters Bay).

Note 141: (retour)

L'entrée du port aux Huîtres est par les 41° 45'.

Le lendemain 2 d'Octobre arrivasmes devant Malebarre, où sejournasmes quelque temps pour le mauvais vent qu'il faisoit, durant lequel, le sieur de Poitrincourt avec la chalouppe accompagné de 12 à 15 hommes, fut visiter le port, où il vint au-devant de luy quelque 150 sauvages, en chantant & dansant, selon leur coustume. Apres avoir veu ce lieu nous nous en retournasmes en nostre vaisseau, où le vent venant bon, fismes voille le long de la coste courant au Su.




Continuation des susdites descouvertures: & ce qui y fut remarqué de singulier.

CHAPITRE XIV.

Comme nous fusmes à quelque six lieues de Malebarre, nous mouillasmes l'ancre proche de la coste, d'autant que n'avions bon vent. Le long d'icelle nous advisames des fumées que faisoient les sauvages: ce qui nous fit délibérer de les aller voir: pour cet effect on esquipa la chalouppe: Mais quand nous fusmes proches de la coste qui est areneuse, nous ne peusmes l'aborder: car la houlle estoit trop grande: ce que voyant les sauvages, ils mirent un canot à la mer, & vindrent à nous 8 ou 9 en chantans, & faisans signes de la joye qu'ils avoient de nous voir, & nous monstrerent que plus bas il y avoit un port, où nous pourrions mettre nostre barque en seureté.

99/247Ne pouvant mettre pied à terre, la chalouppe s'en revint à la barque, & les sauvages retournèrent à terre, qu'on avoit traicté humainement.

Le lendemain le vent estant favorable nous continuasmes notre routte au Nord142 5 lieues, & n'eusmes pas plustost fait ce chemin, que nous trouvasmes 3 & 4 brasses d'eau estans esloignez une lieue & demie de la coste: Et allans un peu de l'avant, le fonds nous haussa tout à coup à brasse & demye & deux brasses, ce qui nous donna de l'apprehention, voyant la mer briser de toutes parts, sans voir aucun passage par lequel nous pussions retourner sur nostre chemin: car le vent y estoit entièrement contraire.

Note 142: (retour)

Il faut lire au sud, comme le prouve assez cette expression continuasmes notre routte; c'est, du reste, ce que donne à entendre tout le contexte.

De façon qu'estans engagez parmy des brisans & bancs de sable, il fallut passer au hasart, selon que l'on pouvoit juger y avoir plus d'eau pour nostre barque, qui n'estoit que quatre pieds au plus: & vinsmes parmy ces brisans jusques à 4 pieds & demy: Enfin nous fismes tant, avec la grâce de Dieu, que nous passames par dessus une pointe de sable, qui jette prés de trois lieues à la mer, au Su Suest, lieu fort dangereux. Doublant ce cap que nous nommasmes le cap batturier, qui est à 12 ou 13 lieues de Malebarre143, nous mouillasmes l'ancre à deux brasses & demye d'eau, d'autant que nous nous voiyons entournez de toutes parts de brisans & battures, reservé en quelques endroits où la mer ne fleurissoit pas beaucoup. On envoya la chalouppe pour trouver en achenal, à fin d'aller à un 100/248lieu que jugions estre celuy que les sauvages nous avoient donné à entendre: & creusmes aussi qu'il y avoit une riviere, où pourrions estre en seureté.

Note 143: (retour)

La tête de Sankaty (Sankaty Head), qui fait la pointe sud-est la plus avancée de l'île Nantucket.

Nostre chalouppe y estant, nos gens mirent pied à terre, & considererent le lieu, puis réunirent avec un sauvage qu'ils amenèrent, & nous dirent que de plaine mer nous y pourrions entrer, ce qui fut resolu, & aussitost levasmes l'ancre, & fusmes par la conduite du sauvage, qui nous pilotta, mouiller l'ancre à une rade qui est devant le port, à six brasses d'eau & bon fonds: car nous ne peusmes entrer dedans à cause que la nuit nous surprint.

Le lendemain on envoya mettre des balises sur le bout d'un banc de sable qui est à l'embouchure du port: puis la plaine mer venant y entrasmes à deux brasses d'eau. Comme nous y fusmes, nous louasmes Dieu d'estre en lieu de seureté. Nostre gouvernail s'estoit rompu, que l'on avoit accommodé avec des cordages, & craignions que parmy ces basses & fortes marées il ne rompist de rechef, qui eut esté cause de nostre perte. Dedans ce port il n'y a qu'une brasse d'eau, & de plaine mer deux brasses, à l'Est y a une baye qui refuit au Nort quelque trois lieues, dans laquelle y a une isle & deux autres petits culs de sac, qui décorent le pays, où il y a beaucoup de terres défrichées, & force petits costaux, où ils font leur labourage de bled & autres grains, dont ils vivent. Il y a aussi de tresbelles vignes, quantité de noyers, chesnes, cyprès, & peu de pins. Tous les peuples de ce lieu sont fort amateurs du labourage & font provision de bled d'Inde pour l'yver, lequel ils conservent en la façon qui ensuit.

101/249Ils font des fosses sur le penchant des costaux dans le sable quelque cinq à six pieds plus ou moins, & prennent leurs bleds & autres grains qu'ils mettent dans de grands tacs d'herbe, qu'ils jettent dedans lesdites fosses, & les couvrent de sable trois ou quatre pieds par dessus le superfice de la terre, pour en prendre à leur besoin, & ce conserve aussi bien qu'il sçauroit faire en nos greniers.

Nous vismes en ce lieu quelque cinq à six cens sauvages, qui estoient tous nuds, horsmis leur nature, qu'ils couvrent d'une petite peau de faon, ou de loup marin. Les femmes le sont aussi, qui couvrent la leur comme les hommes de peaux ou de fueillages. Ils ont les cheveux bien peignez & entrelassez en plusieurs façons, tant hommes que femmes, à la manière de ceux de Chouacoet; & sont bien proportionnez de leurs corps, ayans le teinct olivastre. Ils se parent de plumes, de patenostres de porceline, & autres jolivetés qu'ils accommodent fort proprement en façon de broderie. Ils ont pour armes des arcs, flesches & massues. Ils ne sont pas si grands chasseurs comme bons pescheurs & laboureurs.

Pour ce qui est de leur police, gouvernement & créance, nous n'en avons peu juger, & croy qu'ils n'en ont point d'autre que nos sauvages Souriquois, & Canadiens, lesquels n'adorent ny la lune ny le soleil, ny aucune chose, & ne prient non plus que les bestes: Bien ont ils parmy eux quelques gens qu'ils disent avoir intelligence avec le Diable, à qui ils ont grande croyance, lesquels leur disent tout ce qui leur doit advenir, où ils mentent le plus souvent: Quelques fois ils peuvent bien 102/250rencontrer, & leur dire des choses semblables à celles qui leur arrivent; c'est pourquoy ils ont croyance en eux, comme s'ils estoient Prophètes, & ce ne sont que canailles qui les enjaulent comme les Aegyptiens & Bohémiens font les bonnes gens de vilage. Ils ont des chefs à qui ils obeissent en ce qui est de la guerre, mais non autrement, lesquels travaillent, & ne tiennent non plus de rang que leurs compagnons. Chacun n'a de terre que ce qui luy en faut pour sa nourriture.

Leurs logemens sont separez les uns des autres selon les terres que chacun d'eux peut occuper, & sont grands, faits en rond, couverts de natte faite de senne ou fueille de bled d'Inde, garnis seulement d'un lict ou deux, eslevés un pied de terre, faicts avec quantité de petits bois qui sont pressez les uns contre les autres, dessus lesquels ils dressent un estaire à la façon d'Espaigne (qui est une manière de natte espoisse de deux ou trois doits) sur quoy ils se couchent. Ils ont grand nombre de pulces en esté, mesme parmy les champs: Un jour en nous allant pourmener nous en prismes telle quantité, que nous fusmes contraints de changer d'habits.

Tous les ports, bayes & costes depuis Chouacoet sont remplis de toutes sortes de poisson, semblable à celuy que nous avons devers nos habitations; & en telle abondance, que je puis asseurer qu'il n'estoit jour ne nuict que nous ne vissions & entendissions passer aux costez de nostre barque, plus de mille marsouins, qui chassoient le menu poisson. Il y a aussi quantité de plusieurs especes de coquillages, & principalement d'huistres. La chasse des oyseaux y est fort abondante.

103/251Ce seroit un lieu fort propre pour y bastir & jetter les fondemens d'une republique si le port estoit un peu plus profond & l'entrée plus seure qu'elle n'est.

Devant que sortir du port l'on accommoda nostre gouvernail, & fit on faire du pain de farines qu'avions apportées pour vivre, quand nostre biscuit nous manqueroit. Cependant on envoya la chalouppe avec cinq ou six hommes & un sauvage, pour voir si on pourroit trouver un passage plus propre pour sortir, que celuy par où nous estions venus.

Ayant fait cinq ou six lieues & abbordant la terre, le sauvage s'en fuit, qui avoit eu crainte que l'on ne l'emmenast à d'autres sauvages plus au midy, qui sont leurs ennemis, à ce qu'il donna à entendre à ceux qui estoient dans la chalouppe, lesquels estans de retour, nous firent rapport que jusques où ils avoient esté il y avoit au moins trois brasses d'eau, & que plus outre il n'y avoit ny basses ny battures.

On fit donc diligence d'accommoder nostre barque & faire du pain pour quinze jours. Cependant le sieur de Poitrincourt accompagné de dix ou douze arquebusiers visita tout le pays circonvoisin, d'où nous estions, lequel est fort beau, comme j'ay dit cy dessus, où nous vimes quantité de maisonnettes ça & la.

Quelque 8 ou 9 jours après le sieur de Poitrincourt s'allant pourmener, comme il avoit fait auparavant, nous apperceusmes que les sauvages abbatoient leurs cabannes & envoyoient dans les bois leurs femmes, enfans & provisions, & autres choses qui leur estoient necessaires pour leur vie, qui nous donna soubçon 104/252de quelque mauvaise intention, & qu'ils vouloyent entreprendre sur nos gens qui travailloient à terre, & où ils demeuroient toutes les nuits, pour conserver ce qui ne se pouvoit embarquer le soir qu'avec beaucoup de peine, ce qui estoit bien vray: car ils resolurent entre eux, qu'après que toutes leurs commoditez seroient en seureté, il les viendroient surprendre à terre à leur advantage le mieux qu'il leur seroit possible, & enlever tout ce qu'ils avoient. Que si d'aventure ils les trouvoient sur leurs gardes, ils viendroient en signe d'amitié comme ils vouloient faire, en quittant leurs arcs & flesches.

Or sur ce que le sieur de Poitrincourt avoit veu, & l'ordre qu'on luy dit qu'ils tenoient quand ils avoient envie de jouer quelque mauvais tour, nous passames par des cabannes, où il y avoit quantité de femmes, à qui on avoit donné des bracelets, & bagues pour les tenir en paix, & sans crainte, & à la plus part des hommes apparens & antiens des haches, cousteaux, & autres choses, dont ils avoient besoing: ce qui les contentoit fort, payant le tout en danses & gambades, avec des harangues que nous n'entendions point. Nous passames partout sans qu'ils eussent asseurance de nous rien dire: ce qui nous resjouist fort, les voyans si simples en apparence comme ils montroient.

Nous revinmes tout doucement à nostre barque, accompagnez de quelques sauvages. Sur le chemin nous en rencontrasmes plusieurs petites trouppes qui s'amassoient peu à peu avec leurs armes, & estoient fort estonnez de nous voir si avant 105/253dans le pays; & ne pensoient pas que vinssions de faire une ronde de prés de 4 à 5 lieues de circuit au tour de leur terre, & passans prés de nous ils tremblotent de crainte que on ne leur fist desplaisir, comme il estoit en nostre pouvoir; mais nous ne le fismes pas, bien que cognussions leur mauvaise volonté. Estans arrivez où nos ouvriers travailloient, le sieur de Poitrincourt demanda si toutes choses estoient en estat pour s'opposer aux desseins de ces canailles.

Il commanda de faire embarquer tout ce qui estoit à terre: ce qui fut fait, horsmis celuy qui faisoit le pain qui demeura pour achever une fournée, qui restoit, & deux autres hommes avec luy. On leur dit que les sauvages avoient quelque mauvaise intention & qu'ils fissent diligence, afin de s'embarquer le soir ensuivant, scachans qu'ils ne mettoient en exécution leur volonté que la nuit, ou au point du jour, qui est l'heure de leur surprinse en la pluspart de leurs desseins.

Le soir estant venu, le sieur de Poitrincourt commanda qu'on envoyast la chalouppe à terre pour quérir les hommes qui restoient: ce qui fut fait aussitost, que la marée le peut permettre, & dit on à ceux qui estoient à terre, qu'ils eussent à s'embarquer pour le subject dont l'on les avoit advertis, ce qu'ils refuserent, quelques remonstrances qu'on leur peust faire, & des risques où ils se mettoient, & de la desobeissance qu'ils portoient à leur chef. Ils n'en feirent aucun estat, horsmis un serviteur du sieur de Poitrincourt, qui s'embarqua, mais deux autres se desembarquerent de la chalouppe qui furent trouver les trois autres, qui estoient à terre, lesquels 106/254estoient demeurez pour manger des galettes qu'ils prindrent sur le pain, que l'on avoit fait. Ne voulans donc faire ce qu'on leur disoit, la chalouppe s'en revint à bort sans le dire au sieur de Poitrincourt qui reposoit & pensoit qu'ils fussent tous dedans le vaisseau.

Le lendemain au matin 15 d'Octobre les sauvages ne faillirent de venir voir en quel estat estoient nos gens, qu'ils trouverent endormis, horsmis un qui estoit auprès du feu. Les voyans en cet estat ils vindrent doucement par dessus un petit costau au nombre de 400 & leur firent une telle salve de flesches, qu'ils ne leur donnèrent pas le loisir de se relever, sans estre frappez à mort: & se sauvant le mieux qu'ils pouvoient vers nostre barque, crians, à l'ayde on nous tue, une partie tomba morte en l'eau: les autres estoient tout lardez de coups de flesches, dont l'un mourut quelque temps après. Ces sauvages menoient un bruit desesperé, avec des hurlemens tels que c'estoit chose espouvantable à ouir.

Sur ce bruit, & celuy de nos gens, la sentinelle qui estoit en nostre vaisseau s'escria, aux armes l'on tue nos gens: Ce qui fit que chacun se saisit promptement des tiennes, & quant & quant nous nous embarquasmes en la chalouppe quelque 15 ou 16 pour aller à terre: Mais ne pouvans l'abborder à cause d'un banc de sable qu'il y avoit entre la terre & nous, nous nous jettasmes en l'eau & passames à gay de ce banc à la grand terre la portée d'un mousquet. Aussitost que nous y fusmes, ces sauvages nous voyans à un trait d'arc, prirent la fuitte dans les terres: De les poursuivre c'estoit en vain, car ils sont 107/255merveilleusement vistes. Tout ce que nous peusmes faire, fut de retirer les corps morts & les enterrer auprès d'une croix qu'on avoit plantée le jour d'auparavant, puis d'aller d'un costé & d'autre voir si nous n'en verrions point quelques uns, mais nous perdismes nostre temps: Quoy voyans, nous nous en retournasmes. Trois heures après ils revindrent à nous sur le bord de la mer. Nous leur tirasmes plusieurs coups de petits espoirs de fonte verte: & comme ils entendoient le bruit ils se tapissoient en terre pour éviter le coup. En derision de nous ils abbatirent la croix, & desenterrerent les corps: ce qui nous donna un grand desplaisir, & fit que nous fusmes à eux pour la seconde fois: mais ils s'en fuirent comme ils avoient fait auparavant. Nous redressasmes la croix & renterrasmes les morts qu'ils avoient jettés ça & la parmy des bruieres, où ils mirent le feu pour les brusler, & nous en revinsmes sans faire aucun effect comme nous avions esté l'autre fois144, voyans bien qu'il n'y avoit gueres d'apparence de s'en venger pour ce coup, & qu'il failloit remettre la partie quand il plairoit à Dieu.

Note 144: (retour)

D'autres exemplaires portent: «sans avoir rien fait contre eux non plus que l'autre fois.»

Le 16 du mois nous partismes du port Fortuné 145 qu'avions nommé de ce nom pour le malheur qui nous y arriva. Ce lieu est par la haulteur de 41 degré & un tiers de latitude, & à quelque 12 ou 13 lieues de Malebarre.

Note 145: (retour)

Le port Fortuné est bien évidemment le port de Chatham, à en juger soit par la description que l'auteur en fait ici, soit par la place qu'il lui assigne dans sa grande carte de 1632. Cependant, il n'est pas à plus de sept ou huit lieues de Mallebarre, même par eau, et sa latitude est de 41 degrés et deux tiers.

255a

Port fortune.

Les chifres montrent les brasses d'eau.

A Estang d'eau sallée.

B Les cabannes des sauvages & leurs terres où ils labourent.

C Prairies où il y a deux petis ruisseaux.

C Prairies à l'isle qui couvrent à toutes les marées.

D Petis costaux de montaignes en l'isle remplis de bois, vignes &

pruniers.

E Estang d'eau douce, où il y a quantité de gibier.

F Manières de prairies en l'isle.

G Isle remplie de bois dedans un grand cul de sac.

H Manière d'estang d'eau salée & où il y a force coquillages,

entre autres quantité d'huîtres.

I Dunes de sable sur une lenguette de terre.

L Cul de sac.

M Rade où mouillasmes l'ancre devant le port.

N Entrée du port.

O Le port & lieu où estoit nostre barque.

P La croix que l'on planta.

Q Petis ruisseau.

R Montaigne qui descouvre de fort loin.

S La coste de la mer.

T Petite riviere.

V Chemin que nous fismes en leur pais autour de leurs logement, il est

pointé de petits points.

X Bans & baze.

Y Petite montagne qui paroit dans les terres.

Z Petits ruisseaux.

9 L'endroit où nos gens furent tués par les sauvages prés la Croix.




108/256 L'incommodité du temps ne nous permettant, pour lors, de faire d'avantage de descouvertures, nous fit resoudre de retourner en l'habitation. Et ce qui nous arriva jusques en icelle.

CHAPITRE XV.

Comme nous eusmes fait quelques six ou sept lieues nous eusmes cognoissance d'une isle que nous nommasmes la soupçonneuse 146, pour avoir eu plusieurs fois croyance de loing que ce fut autre chose qu'une isle, puis le vent nous vint contraire, qui nous fit relascher au lieu d'où nous estions partis, auquel nous fusmes deux ou trois jours sans que durant ce temps il vint aucun sauvage se presenter à nous.

Note 146: (retour)

Dans l'édition de 1632, l'auteur dit qu'elle est «à une lieue vers l'eau.» C'est donc vraisemblablement l'île qui porte aujourd'hui le nom de Martha's Vineyard.

Le 20 partismes de rechef, & rengeant la coste au Surouest prés de 12 lieues, où passames proche d'une riviere qui est petite & de difficile abord, à cause des basses & rochers qui sont à l'entrée, que j'ay nommée de mon nom 147. Ce que nous vismes de ces costes sont terres basses & sablonneuses. Le vent nous vint de rechef contraire, & fort impétueux, qui nous fit mettre vers l'eau, ne pouvans gaigner ny d'un costé ny d'autre, lequel enfin s'apaisa un peu, & nous fut favorable: mais ce ne fut que

109/257pour relascher encore au port Fortuné, dont la coste, bien qu'elle soit basse, ne laisse d'estre belle & bonne, toutesfois de difficile abbord, n'ayant aucunes retraites, les lieux fort batturiers, & peu d'eau à prés de deux lieues de terre. Le plus que nous en trouvasmes, ce fut en quelques fosses 7 à 8 brasses, encore cela ne duroit que la longueur du cable, aussitost l'on revenoit à 2 ou 3 brasses, & ne s'y fie qui voudra qu'il ne l'aye bien recogneue la sonde à la main.

Note 147: (retour)

L'auteur, dans sa grande carte de 1632, la marque comme venant du nord-ouest. Or, dans l'espace d'environ douze lieues à l'ouest du port Fortuné, il n'y a, croyons-nous, qu'une seule rivière qui suive cette direction: c'est celle qui traverse le district de Machpee et se jette dans la baie de Popponesset, La plupart des cartes ne lui assignent aucun nom.

Estant relaschez au port, quelques heures après le fils de Pontgravé appelé Robert, perdit une main en tirant un mousquet qui se creva en plusieurs pièces sans offencer aucun de ceux qui estoient auprès de luy.

Or voyant tousjours le vent contraire & ne nous pouvans mettre en la mer, nous resolumes cependant d'avoir quelques sauvages de ce lieu pour les emmener en nostre habitation & leur faire moudre du bled à un moulin à bras, pour punition de l'assacinat qu'ils avoient commis en la personne de cinq ou six de nos gens: mais que cela se peust faire les armes en la main, il estoit fort malaysé, d'autant que quand on alloit à eux en délibération de se battre, ils prenoient la fuite, & s'en alloient dans les bois, où on ne les pouvoit attraper. Il fallut donc avoir recours aux finesses: & voicy comme nous advisames. Qu'il failloit lors qu'ils viendroient pour rechercher amitié avec nous les amadouer en leur montrant des patinostres & autres bagatelles, & les asseurer plusieurs fois: puis prendre la chalouppe bien armée, & des plus robustes & 110/258forts hommes qu'eussions, avec chacun une chaîne de patinostres & une brasse de mèche au bras, & les mener à terre, où estans, & en faisant semblant de petuner avec eux (chacun ayant un bout de sa mèche allumé, pour ne leur donner soupçon, estant l'ordinaire de porter du feu au bout d'une corde pour allumer le petum) les amadoueroient par douces paroles pour les attirer dans la chalouppe; & que s'ils n'y vouloient entrer, que s'en approchant chacun choisiroit son homme, & en luy mettant les patinostres au col, luy mettroit aussi en mesme temps la corde pour les y tirer par force: Que s'ils tempestoient trop, & qu'on n'en peust venir à bout; tenant bien la corde on les poignarderoit: Et que si d'aventure il en eschapoit quelques uns, il y auroit des hommes à terre pour charger à coups d'espée sur eux: Cependant en nostre barque on tiendroit prestes les petites pièces pour tirer sur leurs compagnons, au cas qu'il en vint les secourir; à la faveur desquelles la chalouppe se pourroit retirer en asseurance. Ce qui fut fort bien exécuté ainsi qu'on l'avoit proposé.

258a

Port fortune.

Agrandissement (2901x1861 pixels, 16-couleurs)

A Le lieu où estoient les François faisans le pain.

B Les sauvages surprenans les François en tirant sur eux à coups de

flesches.

C François bruslez par les sauvages.

D François s'enfuians à la barque tout lardés de flesches.

E Trouppes de sauvages faisans brusler les François qu'ils avoient tués.

F Montaigne sur le port.

G Cabannes des sauvages.

H François à terre chargeans les sauvages.

I Sauvages desfaicts par les François.

L Chalouppe où estoient les François.

M Sauvages autour de la chalouppe qui furent surpris par nos gens.

N Barque du sieur de Poitrincourt.

O Le port.

P Petit ruisseau.

Q François tombez morts dans l'eau pensans se sauver à la barque.

R Ruisseau venant de certins marescages.

S Bois par où les sauvages venoient à couvert.

Quelques jours après que ces choses furent passées, il vint des sauvages trois à trois, quatre à quatre sur le bort de la mer, faisans signe que nous allassions à eux: mais nous voiyons bien leur gros qui estoit en embuscade au dessoubs d'un costau derrière des buissons, & croy qu'ils ne desiroient que de nous attraper en la chalouppe pour descocher un nombre de flesches sur nous, & puis s'en fuir: toutesfois le sieur de Poitrincourt ne laissa pas d'y aller avec dix de nous autres, bien équipez & en resolution de les combattre si l'occasion se presentoit. 111/259Nous fusmes dessendre par un endroit que jugions estre hors de leur embuscade, où ils ne nous pouvoient surprendre. Nous y mismes trois ou quatre pied à terre avec le sieur de Poitrincourt: le reste ne bougea de la chalouppe pour la conserver & tenir preste à un besoin. Nous fusmes sur une butte & autour des bois pour voir si nous descouvririons plus à plain ladite embuscade. Comme ils nous virent aller si librement à eux ils leverent le siege & furent en autres lieux, que ne peusmes descouvrir, & des quatre sauvages n'en vismes plus que deux, qui s'en alloient tout doucement. En se retirant ils nous faisoient signe qu'eussions à mener nostre chalouppe en autre lieu, jugeant qu'elle n'estoit pas à propos pour leur dessein. Et nous voyans aussi qu'ils n'avoient pas envie de venir à nous, nous nous rembarquasmes & allasmes où ils nous monstroient, qui estoit la seconde embuscade qu'ils avoient faite, taschant de nous attirer en signe d'amitié à eux, sans armes: ce qui pour lors ne nous estoit permis: neantmoins nous fusmes assez proches d'eux sans voir ceste embuscade, qui n'en estoit pas esloignée, à nostre jugement. Comme nostre chalouppe approcha de terre, ils se mirent en fuite, & ceux de l'embuscade aussi, après qui nous tirasmes quelques coups de mousquets, voyant que leur intention ne tendoit qu'à nous decevoir par caresses, en quoy ils se trompoient: car nous recognoissions bien quelle estoit leur volonté, qui ne tendoit qu'à mauvaise fin. Nous nous retirasmes à nostre barque après avoir fait ce qu'il nous fut possible.

Ce jour le sieur de Poitrincourt resolut de s'en retourner à 112/260nostre habitation pour le subject de 4 ou 5 mallades & blessez, à qui les playes empiroient à faute d'onguens, car nostre Chirurgien n'en avoit aporté que bien peu, qui fut grande faute à luy, & desplaisir aux malades & à nous aussi: d'autant que l'infection de leurs blesseures estoit si grande en un petit vaisseau comme le nostre, qu'on ne pouvoit presque durer: & craignions qu'ils engendrassent des maladies: & aussi que n'avions plus de vivres que pour faire 8 ou 10 journées de l'advant, quelque retranchement que l'on fist, & ne sçachans pas si le retour pourroit estre aussi long que l'aller, qui fut prés de deux mois.

Pour le moins nostre délibération estant prinse, nous ne nous retirasmes qu'avec le contentement que Dieu n'avoit laissé impuny le mesfait de ces barbares. Nous ne fusmes que jusques au 41 degré & demy, qui ne fut que demy degré plus que n'avoit fait le sieur de Mons à sa descouverture. Nous partismes donc de ce port.

Et le lendemain vinsmes mouiller l'ancre proche de Mallebarre, où nous fusmes jusques au 28 du mois que nous mismes à la voile. Ce jour l'air estoit assez froid, & fit un peu de neige. Nous prismes la traverse pour aller à Norambegue, ou à l'isle Haute. Mettant le cap à l'Est Nordest fusmes deux jours sur la mer sans voir terre, contrariez du mauvais temps. La nuict ensuivant eusmes cognoissance des isles qui sont entre Quinibequi & Norembegue. Le vent estoit si grand que fusmes contraincts de nous mettre à la mer, pour attendre le jour, où nous nous esloignasmes si bien de la terre, quelque peu de 113/261voiles qu'eussions, que ne la peusmes revoir que jusques au lendemain, que nous vismes le travers de l'isle Haute.

Ce jour dernier d'Octobre, entre l'isle des Monts-deserts, & le cap de Corneille, nostre gouvernail se rompit en plusieurs pièces, sans sçavoir le subject. Chacun en disoit son opinion. La nuit venant avec beau frais, nous estions parmy quantité d'isles & rochers, où le vent nous jettoit, & resolumes de nous sauver, s'il estoit possible, à la première terre que rencontrerions.

Nous fusmes quelque temps au gré du vent & de la mer, avec seulement le bourcet de devant: mais le pis fut que la nuit estoit obscure & ne sçavions où nous allions: car nostre barque ne gouvernoit nullement, bien que l'on fit ce qu'on pouvoit, tenant les escouttes du bourcet à la main, qui quelquefois la faisoient un peu gouverner. Tousjours on sondoit si l'on pourroit trouver fonds pour mouiller l'ancre & se préparer à ce qui pourroit subvenir. Nous n'en trouvasmes point; enfin allant plus viste que ne desirions, l'on advisa de mettre un aviron par derrière avec des hommes pour faire gouverner à une isle que nous apperceusmes, afin de nous mettre à l'abry du vent. On mit aussi deux autres avirons sur les costés au derrière de la barque, pour ayder à ceux qui gouvernoient, à fin de faire arriver le vaisseau d'un costé & d'autre. Ceste invention nous servit si bien que mettions le cap où desirions, & fusmes derrière la pointe de l'isle qu'avions apperceue, mouiller l'ancre à 21 brasses d'eau attendant le jour, pour nous recognoistre & aller chercher un endroit pour faire un autre gouvernail.

114/262Le vent s'appaisa. Le jour estant venu nous nous trouvasmes proches des isles Rangées, tout environnés de brisans; & louasmes Dieu de nous avoir conservés si miraculeusement parmy tant de périls.

Le premier de Novembre nous allasmes en un lieu que nous jugeasmes propre pour eschouer nostre vaisseau & refaire nostre timon. Ce jour je fus à terre, & y vey de la glace espoisse de deux poulces, & pouvoit y avoir huit ou dix jours qu'il y avoit gelé, & vy bien que la température du lieu differoit de beaucoup à celle de Malebarre & port Fortuné: car les fueilles des arbres n'estoient pas encores mortes ny du tout tombées quand nous en partismes, & en ce lieu elles estoient toutes tombées, & y faisoit beaucoup plus de froid qu'au port Fortuné.

Le lendemain comme on alloit eschouer la barque, il vint un canot où y avoit des sauvages Etechemins qui dirent à celuy que nous avions en nostre barque, qui estoit Secondon, que Jouaniscou avec ses compagnons avoit tué quelques autres sauvages & emmené des femmes prisonnieres, & que proche des isles des Montsdeserts ils avoient fait leur exécution.

Le neufiesme du mois nous partismes d'auprès du cap de Corneille & le mesme jour vinsmes mouiller l'ancre au petit passage148 de la riviere saincte Croix.

Note 148: (retour)

C'est le passage de l'ouest.

Le lendemain au matin mismes nostre sauvage à terre avec quelques commoditez qu'on luy donna, qui fut tres-aise & satisfait d'avoir fait ce voyage avec nous, & emporta quelques testes des sauvages qui avoient esté tuez au port Fortuné. 115/263Ledict jour allasmes mouiller l'ancre en une fort belle ance au Su de l'isle de Menasne.

Le 12 du mois fismes voile, & en chemin la chalouppe que nous traisnions derrière nostre barque y donna un si grand & si rude coup qu'elle fit ouverture & brisa tout le haut de la barque: & de rechef au resac rompit les ferremens de nostre gouvernail, & croiyons du commencement qu'au premier coup qu'elle avoit donné, qu'elle eut enfoncé quelques planches d'embas, qui nous eut fait submerger: car le vent estoit si eslevé, que ce que pouvions faire estoit de porter nostre misanne: Mais après avoir veu le dommage qui estoit petit, & qu'il n'y avoit aucun péril, on fit en sorte qu'avec des cordages on accommoda le gouvernail le mieux qu'on peut, pour parachever de nous conduire, qui ne fut que jusques au 14 de Novembre, où à l'entrée du port Royal pensames nous perdre sur une pointe: mais Dieu nous delivra tant de ce péril que de beaucoup d'autres qu'avions courus.




Retour des susdites descouvertures & ce qui se passa durant l'hyvernement.

CHAPITRE XVI.

A nostre arrivée l'Escarbot qui estoit demeuré en l'habitation nous fit quelques gaillardises avec les gens qui y estoient restez pour nous resjouir149.

Note 149: (retour)

«Le sieur de Poutrincourt arriva au Port-Royal le quatorzième de Novembre, où nous le receumes joyeusement & avec une solennité toute nouvelle par delà. Car sur le point que nous attendions son retour avec grand desir, (& ce d'autant plus, que si mal lui fût arrivé nous eussions été en danger d'avoir de la confusion) je m'avisay de representer quelque gaillardise en allant audevant de lui, comme nous fîmes. Et d'autant que cela fut en rhimes Françoises faites à la hâte, je l'ay mis avec Les Muses de la Nouvelle-France souz le tiltre de THEATRE DE NEPTUNE, où je renvoyé mon Lecteur. Au surplus pour honorer davantage le retour de nôtre action, nous avions mis au dessus de la porte de notre Fort les armes de France, environnées de couronnes de lauriers (dont il y a là grande quantité au long des rives des bois) avec la devise du Roy, DUO PROTEGIT UNUS. Et au dessous celles du sieur de Monts avec cette inscription, DABIT DEUS HIS QUOQUE FINEM: & celle-du sieur de Poutrincourt avec cette autre inscription, INVIA VIRTUTI NULLA EST VIA, toutes deux aussi ceintes de chapeaux de lauriers.» (Lescarbot, liv. IV, ch. XV.)

116/264Estans à terre, & ayans repris halaine chacun commença à faire de petits jardins, & moy d'entretenir le mien, attendant le printemps, pour y semer plusieurs sortes de graines, qu'on avoit apportées de France, qui vindrent fort bien en tous les jardins.

Le sieur de Poitrincourt, d'autre part fit faire un moulin à eau à prés d'une lieue & demie de nostre habitation, proche de la pointe où on avoit semé du bled. Le moulin estoit basty auprès d'un saut d'eau, qui vient d'une petite riviere qui n'est point navigable pour la quantité de rochers qui y sont, laquelle se va rendre dans un petit lac. En ce lieu il y a une telle abbondance de harens en sa saison, qu'on pourroit en charger des chalouppes, si on vouloit en prendre la peine, & y apporter l'invention qui y seroit requise. Aussi les sauvages de ces pays y viennent quelquesfois faire la pesche. On fit aussi quantité de charbon pour la forge. Et l'yver pour ne demeurer oisifs j'entreprins de faire un chemin sur le bort du bois pour aller à une petite riviere qui est comme un ruisseau, que nommasmes la truittiere150, à cause qu'il y en avoit beaucoup. Je demanday deux ou trois hommes au sieur de Poitrincourt, qu'il me donna pour m'ayder à y faire une allée. 117/265Je fis si bien qu'en peu de temps je la rendy nette. Elle va jusques à la truittiere, & contient prés de deux mille pas, laquelle servoit pour nous pourmener à l'ombre des arbres, que j'avois laisse d'un costé & d'autre. Cela fit prendre resolution au sieur de Poitrincourt d'en faire une autre au travers des bois, pour traverser droit à l'emboucheure du port Royal, où il y a prés de trois lieues & demie par terre de nostre habitation, & la fit commencer de la truittiere environ demie lieue, mais il ne l'ascheva pas pour estre trop pénible, & s'occupa à d'autres choses plus necessaires pour lors. Quelque temps après nostre arrivée, nous apperceusmes une chalouppe, où il y avoit des sauvages, qui nous dirent que du lieu d'où ils venoient, qui estoit Norembegue, on avoit tué un sauvage qui estoit de nos amis, en vengeance de ce que Jouaniscou aussi sauvage, & les siens avoient tué de ceux de Norembegue, & de Quinibequi, comme j'ay dit cy dessus, & que des Etechemins l'avoient dit au sauvage Secondon qui estoit pour lors avec nous.

Note 150: (retour)

Ce ruisseau était du côté de l'ouest de l'habitation, comme le marque l'auteur dans sa carte du port Royal, tandis que son jardin était du côté de l'est.

Celuy qui commandoit en la chalouppe estoit le sauvage appelle Ouagimou151, qui avoit familiarité avec Bessabes chef de la riviere de Norembegue, à qui il demanda le corps de Panounia qui avoit esté tué: ce qu'il luy octroya, le priant de dire à ses amis qu'il estoit bien fasché de sa mort, luy asseurant que c'estoit sans son sçeu qu'il avoit esté tué, & que n'y ayant de sa faute, il le prioit de leur dire qu'il desiroit qu'ils demeurassent amis comme auparavant: ce que Ouagimou luy promit faire quand il seroit de retour. Il nous dit qu'il luy ennuya 118/266fort qu'il n'estoit hors de leur compagnie, quelque amitié qu'on luy monstrast, comme estans subjects au changement, craignant qu'ils ne luy en fissent autant comme au deffunct: aussi n'y arresta il pas beaucoup après sa despeche. Il emmena le corps en sa chalouppe depuis Norembegue jusques à nostre habitation, d'où il y a 50 lieues.

Note 151: (retour)

Lescarbot écrit Oagimont.

Aussi tost que le corps fut à terre ses parens & amis commencèrent à crier au prés de luy, s'estans peints tout le visage de noir, qui est la façon de leur dueil. Après avoir bien pleuré, ils prindrent quantité de petum, & deux ou trois chiens, & autres choses qui estoient au deffunct, qu'ils firent brusler à quelque mille pas de nostre habitation sur le bort de la mer. Leurs cris continuèrent jusques à ce qu'ils fussent de retour en leur cabanne.

Le lendemain ils prindrent le corps du deffunct, & l'envelopperent dedans une catalongue rouge, que Mabretou chef de ces lieux m'inportuna fort de luy donner, d'autant qu'elle estoit belle & grande, laquelle il donna aux parens dudict deffunct, qui m'en remercièrent bien fort. Après donc avoir emmaillotté le corps, ils le parèrent de plusieurs sortes de matachiats, qui sont patinostres & bracelets de diverses couleurs, luy peinrent le visage, & sur la teste luy mirent plusieurs plumes & autres choses qu'ils avoient de plus beau, puis mirent le corps à genoux au milieu de deux bastons, & un autre qui le soustenoit soubs les bras: & au tour du corps y avoit sa mère, sa femme & autres de ses parens & amis, tant femmes que filles, qui hurloient comme chiens.

119/267Cependant que les femmes & filles crioient le sauvage appelé Mabretou, faisoit une harangue à ses compagnons sur la mort du deffunct, en incitant un chacun d'avoir vengeance de la meschanceté & trahison commise par les subjects de Bessabes, & leur faire la guerre le plus promptement que faire se pourroit. Tous luy accordèrent de la faire au printemps.

La harange faitte & les cris cessez, ils emportèrent le corps du deffunct en une autre cabanne. Après avoir petuné, le renveloperent dans une peau d'Eslan, & le lièrent fort bien, & le conserverent jusques à ce qu'il y eust plus grande compagnie de sauvages, de chacun desquels le frère du defunct esperoit avoir des presens, comme c'est leur coustume d'en donner à ceux qui ont perdu leurs pères, mères, femmes, frères, ou soeurs.

La nuit du 26. Décembre il fist un vent de Surest, qui abbatit plusieurs arbres.

Le dernier Décembre il commença à neger, & cela dura jusqu'au lendemain matin.

Le 16 janvier ensuivant 1607, le sieur de Poitrincourt voulant aller au haut de la riviere de l'Equille la trouva scelée de glaces à quelque deux lieues de nostre habitation, qui le fit retourner pour ne pouvoir passer.

Le 8 Fevrier il commença à descendre quelques glaces du haut de la riviere dans le port qui ne gele que le long de la coste.

Le 10 de May ensuivant, il negea toute la nuict, & sur la fin du mois faisoit de fortes gelées blanches, qui durèrent jusques au 10 & 12 de Juin, que tous les arbres estoient couverts de fueilles, horsmis les chesnes qui ne jettent les leurs que vers le 15.

120/268L'yver ne fut si grand que les années précédentes, ny les neges aussi ne furent si long temps sur la terre. Il pleust assez souvent, qui fut occasion que les sauvages eurent une grande famine, pour y avoir peu de neges. Le sieur de Poitrincourt nourrist une partie de ceux qui estoient avec nous, sçavoir Mabretou, sa femme & ses enfans, & quelques autres.

Nous passames cest yver fort joyeusement, & fismes bonne chère, par le moyen de l'ordre de bontemps que j'y establis, qu'un chacun trouva utile pour la santé, & plus profitable que toutes sortes de medicines, dont on eust peu user. Ceste ordre estoit une chaine que nous mettions avec quelques petites cérémonies au col d'un de nos gens, luy donnant la charge pour ce jour d'aller chasser: le lendemain on la bailloit à un autre, & ainsi consecutivement: tous lesquels s'efforçoient à l'envy à qui feroit le mieux & aporteroit la plus belle chasse: Nous ne nous en trouvasmes pas mal, ny les sauvages qui estoient avec nous152.

Note 152: (retour)

Lescarbot donne quelques détails de plus sur ce sujet: «Je diray que pour nous tenir joyeusement & nettement, quant aux vivres, fut établi un Ordre en la Table dudit sieur de Poutrincourt, qui fut nommé L'ORDRE DE BON-TEMPS, mis premièrement en avant par Champlein, suivant lequel ceux d'icelle table étoient Maitres-d'hotel chacun à son tour, qui étoit en quinze jours une fois. Or avoit-il le soin de faire que nous fussions bien & honorablement traités. Ce qui fut si bien observé, que (quoy que les gourmans de deçà nous disent souvent que là nous n'avions point la rue aux Ours de Paris) nous y avons fait ordinairement aussi bonne chère que nous sçaurions faire en cette rue aux Ours, & à moins de frais. Car il n'y avoit celui qui deux jours devant que son tour vint ne fût soigneux d'aller à la chasse, ou à la pêcherie, & n'apportât quelque chose de rare, outre ce qui étoit de notre ordinaire. Si bien que jamais au déjeuner nous n'avons manqué de saupiquets de chair ou de poisson: & au repas de midi & du soir encor moins: car c'étoit le grand festin, là où l'Architriclin, ou Maitre-d'hotel (que les Sauvages appellent Atoctegic) ayant fait préparer toutes choses au cuisinier, marchoit la serviete sur l'épaule, le bâton d'office en main, le collier de l'Ordre au col, & tous ceux d'icelui Ordre après lui portant chacun son plat. Le même étoit au dessert, non toutefois avec tant de suite. Et au soir avant rendre grâce à Dieu, il resignoit le collier de l'Ordre, avec un verre de vin à son successeur en la charge, & buvoient l'un à l'autre.» (Liv. IV, ch. XVI.)

121/269

II y eut de la maladie de la terre parmy nos gens, mais non si aspre qu'elle avoit esté aux années précédentes: Neantmoins il ne laissa d'en mourir sept; & un autre d'un coup de flesche qu'il avoit receu des sauvages au port Fortuné.

Nostre chirurgien appelé maistre Estienne, fit ouverture de quelques corps, & trouva presque toutes les parties de dedans offencées, comme on avoit fait aux autres les années précédentes. Il y en eut 8 ou 10 de malades qui guérirent au printemps.

Au commencement de Mars & d'Avril, chacun se mit à préparer les jardins pour y semer des graines en May, qui est le vray temps, lesquelles vindrent aussi bien qu'elles eussent peu faire en France, mais quelque peu plus tardives: & trouve que la France est au plus un mois & demy plus advancée: & comme j'ay dit, le temps est de semer en May, bien qu'on peut semer quelquefois en Avril, mais ces semences n'advancent pas plus que celles qui sont semées en May, & lors qu'il n'y a plus de froidures qui puisse offencer les herbes, sinon celles qui sont fort tendres, comme il y en a beaucoup qui ne peuvent resister aux gelées blanches, si ce n'est avec un grand soin & travail.

Le 24 de May apperceusmes une petite barque du port de 6 à 7 tonneaux qu'on envoya recognoistre, & trouva on que c'estoit un jeune homme de sainct Maslo appelé Chevalier qui apporta lettres du sieur de Mons au sieur de Poitrincourt, par lesquelles il luy mandoit de ramener ses compagnons en 122/270France153, & nous dit la naissance de Monseigneur le Duc d'Orléans 154, qui nous apporta de la resjouissance, & en fismes les feu de joye, & chantasmes le Te deum.

Note 153: (retour)

Lescarbot ajoute encore ici plusieurs autres détails, qui ne manquent pas d'intérêt «Le soleil commençoit à échauffer la terre, & oeillader sa maitresse d'un regard amoureux, quand le Sagamos Membertou (apres noz prières solennellement faites à Dieu, & le desjeuner distribué au peuple, selon la coutume) nous vint avertir qu'il avoit veu une voile sur le lac, c'est à dire dans le port, qui venoit vers notre Fort. A cette joyeuse nouvelle chacun va voir, mais encore ne se trouvoit-il persone qui eût si bonne veue que lui, quoy qu'il soit âgé de plus de cent ans. Neantmoins on découvrit bientôt ce qui en étoit. Le sieur de Poutrincourt fit en diligence apprêter la petite barque pour aller reconoitre. Champ-doré & Daniel Hay y allèrent & par le signal qu'ils nous donnèrent étans certains que c'étoient amis, incontinent fimes charger quatre canons, & une douzaine de fauconneaux, pour saluer ceux qui nous venoient voir de si loin. Eux de leur part ne manquèrent à commencer la fête, & décharger leurs pièces, auxquels fut rendu le réciproque avec usure. C'étoit tant seulement une petite barque marchant souz la charge d'un jeune homme de saint-Malo nommé Chevalier, lequel arrivé au Fort bailla ses lettres au sieur de Poutrincourt, léquelles furent leuës publiquement. On lui mandoit que pour ayder à sauver les frais du voyage, le navire (qui étoit encor le JONAS) s'arreteroit au port de Campseau pour y faire pêcherie de Morues, les marchans associez du sieur de Monts ne sachans pas qu'il y eût pêcherie plus loin que ce lieu: toutefois que s'il étoit necessaire il fit venir ledit navire au Port Royal. Au reste, que la societé étoit rompue, d'autant que contre l'honnêteté & devoir les Holandois (qui ont tant d'obligations à la France) conduits par un traitre François nommé La Jeunesse, avoient l'an précèdent enlevé les Castors & autres pelleteries de la Grande Rivière de Canada: chose qui tournoit au Grand detriement de la societé, laquelle partant ne pouvoit plus fournir aux frais de l'habitation de delà, comme elle avoit fait par le passé. Joint qu'au Conseil du Roy (pour ruiner cet affaire) on avoit nouvellement révoqué le privilège octroyé pour dix ans au sieur de Monts pour la traicte des Castors, chose que l'on n'eût jamais esperé. Et pour cette cause n'envoyoient persone pour demeurer là après nous. Si nous eûmes de la joye de voir nôtre secours asseuré, nous eûmes aussi une grande tristesse de voir une si belle & si sainte entreprise rompue; que tant de travaux & de périls passez ne servissent de rien: & que l'esperance de planter là le nom de Dieu, & la Foy Catholique, s'en allât evanouie.» (Liv. IV, ch. XVII.)

Note 154: (retour)

Il ne faut pas confondre ce duc d'Orléans, second fils de Henri IV, avec son frère Gaston, qui ne prit le titre de duc d'Orléans qu'après la mort de celui dont il est ici question. Ce second fils de Henri IV mourut, sans être nommé, à Saint-Germain-en-Laye, le 17 novembre 1611. Il était né le 16 avril de cette année 1607. (Hist. généalogique de la France, t. I, p. 146.)

Depuis le commencement de Juin jusqu'au 20 du mois, s'assemblerent en ce lieu quelque 30 ou 40 155 sauvages, pour s'en aller faire la guerre aux Almouchiquois, & venger la mort de Panounia, qui fut enterré par les sauvages selon leur 123/271coustume, lesquels donnèrent en aprés quantité de pelleterie à un sien frere. Les presens faicts, ils partirent tous de ce lieu le 29 de Juin pour aller à la guerre à Chouacoet, qui est le pays des Almouchiquois.

Note 155: (retour)

Environ quatre cents, d'après Lescarbot. «Au commencement de Juin,» dit-il, liv. IV, ch. XVII, «les Sauvages, au nombre d'environ quatre cens, partirent de la cabanne que le Sagamos Membertou avoit façonné de nouveau en forme de ville environnée de hautes palissades, pour aller à la guerre contre les Almouchiquois... Les Sauvages furent prés de deux mois à s'assembler là. Membertou le grand Sagamos les avoit fait avertir durant & avant l'hiver, leur ayant envoyé hommes exprés, qui étoient ses deux fils Actaudin & Actauddinech, pour leur donner là le rendez-vous.» (Liv. IV, ch. XVII.)

Quelques jours après l'arrivée dudict Chevalier, le sieur de Poitrincourt l'envoya à la riviere S. Jean & saincte Croix pour traicter quelque pelleterie: mais il ne le laissa pas aller sans gens pour ramener la barque, d'autant que quelques uns avoient raporté qu'il desiroit s'en retourner en France avec le vaisseau où il estoit venu, & nous laisser en nostre habitation. L'Escarbot estoit de ceux qui l'accompagnèrent, lequel n'avoit encores sorty du port Royal: c'est le plus loin qu'il ayt esté, qui sont seulement 14 à 15 lieues plus avant que ledit port Royal 156.

Note 156: (retour)

«Je ne sçay, dit Lescarbot, à quel propos Champlein en la relation de ses voyages imprimés l'an mil six cens treize, s'amuse à écrire que je n'ay point été plus loin que Sainte-Croix, veu que je ne di pas le contraire. Mais il est peu memoratif de ce qu'il fait, disant là même, p. 151» (anc. édit.) «que dudit Sainte-Croix au port Royal n'y a que quatorze lieues, & en la page 95» (p. 76 de cette édit.) «il avoit dit qu'il y en a 25. Et si on regarde sa charte géographique, il s'en trouvera pour le moins quarante.» (Liv. IV, ch. XVII.)—Il ne faut pas faire un crime à Lescarbot d'avoir été piqué de la remarque de Champlain; mais il est évident que la mauvaise humeur lui fait voir des contradictions là où il n'y en a point. Champlain ne dit pas précisément qu'il y ait quatorze lieues de Port-Royal à Sainte-Croix, mais seulement que Lescarbot ne fut pas plus loin que quatorze ou quinze lieues au-delà de Port-Royal; ce qui n'est point exact, il est vrai, si l'auteur veut parler de la distance à Sainte-Croix; mais il est visible que Champlain, dans cette phrase, reporte sa pensée sur la rivière Saint-Jean, où Chevalier se rendait directement, et qui est en effet à quatorze ou quinze lieues de Port-Royal. Quant aux distances marquées dans les cartes de Champlain, il est impossible, avec toute la bonne volonté du monde, de trouver même trente lieues de Sainte-Croix à Port-Royal. Ce qui a trompé Lescarbot, sans doute, c'est que, dans les cartes de Champlain, les chiffres de ses échelles, au lieu d'être marqués au bout de chacune des divisions, sont placés au milieu de l'espace qui les sépare.

Attendant le retour dudit Chevalier, le sieur de Poitrincourt fut au fonds de la baye Françoise dans une chalouppe avec 7 à 8 hommes. Sortant du port & mettant le cap au Nordest quart de 124/272l'Est le de la coste quelque 25 lieues, fusmes à un cap, où le sieur de Poitrincourt voulut monter sur un rocher de plus de 30 thoises de haut, où il courut fortune de sa vie: d'autant qu'estant sur le rocher, qui est fort estroit, où il avoit monté avec assez de difficulté, le sommet trembloit soubs luy: le subject estoit que par succession de temps il s'y estoit amassé de la mousse de 4 à 5 pieds d'espois laquelle n'estant solide, trembloit quand on estoit dessus, & bien souvent quand on mettoit le pied sur une pierre il en tomboit 3 ou 4 autres: de sorte que s'il y monta avec peine, il descendit avec plus grande difficulté, encore que quelques matelots, qui sont gens assez adroits à grimper, luy eussent porté une haussiere (qui est une corde de moyenne grosseur) par le moyen de laquelle il descendit. Ce lieu fut nommé le cap de Poitrincourt 157, qui est par la hauteur de 45 degrez deux tiers de latitude.

Note 157: (retour)

Ce cap a été appelé depuis cap Fendu (Cape Split). Sa latitude est de 45° 22'.

Nous fusmes au fonds d'icelle baye 158, & ne vismes autre chose que certaines pierres blanches à faire de la chaux: Mais en petite quantité, & force mauves, qui sont oiseaux, qui estoient dans des isles: Nous en prismes à nostre volonté, & fismes le tour de la baye pour aller au port aux mines, où j'avois esté auparavant, & y menay le sieur de Poitrincourt, qui y print quelques petits morceaux de cuivre, qu'il eut avec bien grand peine. Toute ceste baye peut contenir quelque 20 lieues de circuit, où il y a au fonds une petite riviere, qui est fort 125/273platte & peu d'eau. Il y a quantité d'autres petits ruisseaux & quelques endroits, où il y a de bons ports, mais c'est de plaine mer, où l'eau monte de cinq brasses. En l'un de ces ports 159 3 à 4 lieues au Nort du cap de Poitrincourt trouvasmes une Croix qui estoit fort vieille, toute couverte de mousse & presque toute pourrie, qui monstroit un signe evident qu'autrefois il y avoit esté des Chrestiens. Toutes ces terres sont forests tres-espoisses, où le pays n'est pas trop aggreable, sinon en quelques endroits.

Note 158: (retour)

Le bassin des Mines.

Note 159: (retour)

Probablement la baie de Greville.

Estant au port aux mines nous retournasmes à nostre habitation. Dedans icelle baye y a de grands transports de marée qui portent au Surouest.

Le 12 de Juillet arriva Ralleau secretaire du sieur de Mons, luy quatriesme dedans une chalouppe, qui venoit d'un lieu appelé Niganis160, distant du port Royal de quelque 160 ou 170 lieues, qui confirma au sieur de Poitrincourt ce que Chevalier lui avoit raporté.

Note 160: (retour)

Ou Niganiche, dans l'île du Cap-Breton, à six ou sept lieues au sud du cap de Nord.

Le 3 Juillet 161 on fit équiper trois barques pour envoyer les hommes & commoditez qui estoient à nostre habitation pour aller à Campseau, distant de 115 lieues de nostre habitation, & à 45 degrez & un tiers de latitude, où estoit le vaisseau162 qui faisoit pesche de poisson, qui nous devoit repasser en France.

Note 161: (retour)

Il est probable que le manuscrit de l'auteur portait le 30 juillet, ce qui s'accorderait assez bien avec le récit de Lescarbot. Voici comment celui-ci rapporte les circonstances du départ. «Sur le point qu'il falut dire adieu au Port Royal, le sieur de Poutrincourt envoya son peuple les uns après les autres trouver le navire, à Campseau... Nous avions une grande barque, deux petites & une chaloupe. Dans l'une des petites barques on mit quelques gens que l'on envoya devant. Et le trentième de Juillet partirent les deux autres. J'étois dans la grande, conduite par Champ-doré». (Liv. IV, ch. XVIII.)

Note 162: (retour)

C'était le Jonas, par lequel était retourné Pont-Gravé. (Lescarbot, liv. IV, ch. XVII.)

126/274Le sieur de Poitrincourt renvoya tous ses compagnons, & demeura luy neufieme en l'habitation pour emporter en France quelques bleds qui n'estoient pas bien à maturité.

Le 10 d'Aoust arriva de la guerre Mabretou, lequel nous dit avoir esté à Chouacoet, & avoir tué 20 sauvages & 10 ou 12 de blessez, & que Onemechin chef de ce lieu, Marchin, & un autre avoient esté tués par Sasinou chef de la riviere de Quinibequi, lequel depuis fut tué par les compagnons d'Onemechin & Marchin. Toute ceste guerre ne fut que pour le subject de Panounia sauvage de nos amis, lequel, comme j'ay dict cy dessus avoit esté tué à Norembegue par les gens dudit Onemechin & Marchin.

Les chefs qui sont pour le jourd'huy en la place d'Onemechin, Marchin, & Sasinou, sont leurs fils, sçavoir pour Sasinou, Pememen: Abriou pour Marchin son père: & pour Onemechin Queconsicq. Les deux derniers furent blessez par les gens de Mabretou, qui les attrapèrent soubs apparence d'amitié, comme est leur coustume, de quoy on se doit donner garde, tant des uns que des autres.




Habitation abandonnée. Retour en France du sieur de Poitrincourt & de tous ses gens.

CHAPITRE XVII.

L'onsieme du mois d'Aoust partismes de nostre habitation dans une chalouppe, & rengeasmes la coste jusques au cap Fourchu, où 127/275j'avois esté auparavant.

Continuant nostre routte le long de la coste jusques au cap de la Héve (où fut le premier abort avec le sieur de Mons, le 8 de May 1604.) nous recogneusmes la coste depuis ce lieu jusques à Campseau, d'où il y a prés de 60 lieues: ce que n'avois encor fait, & la vis lors fort particulièrement, & en fis la carte comme du reste.

Partant du cap de la Héve jusques à Sesambre, qui est une isle ainsi appelée par quelques Mallouins163, distante de la Héve de 15 lieues. En ce chemin y a quantité d'isles qu'avions nommées les Martyres pour y avoir eu des françois autrefois tués par les sauvages. Ces isles sont en plusieurs culs de sac & bayes: En une desquelles y a une riviere appelée saincte Marguerite distante de Sesambre de 7 lieues, qui est par la hauteur de 44 degrez & 23 minuttes de latitude. Les isles & costes sont remplies de quantité de pins, sapins, boulleaux, & autres meschants bois. La pesche du poisson y est abbondante, comme aussi la chasse des oiseaux.

Note 163: (retour)

En souvenir d'une petite île du même nom qui est en face de Saint-Malo. De Sésambre, on a fait S. Sambre, et les navigateurs anglais, qui ne sont pas fort dévots aux saints, l'ont appelée simplement Sambro.

De Sesambre passames une baye fort saine164 contenant sept à huit lieues, où il n'y a aucunes isles sur le chemin horsmis au fonds, qui est à l'entrée d'une petite riviere de peu d'eau 165, & fusmes à un port distant de Sesambre de 8 lieues mettant le cap au Nordest quart d'Est, qui est assez bon pour des vaisseaux du port de cent à six vingts tonneaux. En son entrée 128/276y a une isle de laquelle on peut de basse mer aller à la grande terre. Nous avons nommé ce lieu, le port saincte Helaine166, qui est par la hauteur de 44 degrez 40 minuttes peu plus ou moins de latitude.

Note 164: (retour)

Cette baie Saine était appelée par les sauvages Chibouctou. C'est la baie d'Halifax.

Note 165: (retour)

C'est, sans doute, pour cette raison que l'auteur l'appelle rivière Flatte, dans son édition de 1632.

Note 166: (retour)

Le port de Sainte-Hélène est probablement celui qu'on a appelé plus tard baie de Théodore, et dont on a fait Jeddore.

De ce lieu fusmes à une baye appelée la baye de toutes isles 167, qui peut contenir quelques 14 à 15 lieues: lieux qui sont dangereux à cause des bancs, basses & battures qu'il y a. Le pays est tresmauvais à voir, rempli de mesmes bois que j'ay dict cy dessus. En ce lieu fusmes contrariez de mauvais temps.

Note 167: (retour)

Ce qu'on a appelé, et ce qu'on appelle encore baie de Toutes-Iles, n'est pas à proprement parler une baie. Dès les premiers temps, on désignait sous ce nom tout l'archipel qui s'étend depuis la chaîne de la rivière Théodore, jusqu'à quelques lieues en deçà de la rivière Sainte-Marie; ce qui pouvait faire quatorze à quinze lieues, comme dit Champlain. Aujourd'hui, ce que l'on appelle baie des Iles, ne s'étend que du havre au Castor jusqu'à celui de Liscomb; c'est-à-dire que la baie des Iles d'aujourd'hui n'est pas même la moitié de la baie de Toutes-Iles d'autrefois.

De là passames proche d'une riviere qui en est distante de six lieues qui s'appelle la riviere de l'isle verte 168, pour y en avoir une en son entrée. Ce peu de chemin que nous fismes est remply de quantité de rochers qui jettent prés d'une lieue à la mer, où elle brise fort, & est par la hauteur de 45 degrez un quart de latitude.

Note 168: (retour)

Denys, dans sa Description de l'Amérique, t. I, p. 116, dit que la rivière de l'île Verte «a elle nommée Sainte-Marie par La Giraudière, qui s'y est venu habiter.» Près de l'entrée de cette rivière, il y a une île appelée Pierre-à-Fusil (Wedge Island), qui doit avoir porté le nom d'île Verte, que l'on donne aujourd'hui à une autre île, située à l'entrée du port Sandwich ou Country harbour; et une des raisons qui viennent à l'appui de cet avancé, c'est l'expression dont se sert ici Champlain, pour y en avoir une en son entrée. En effet cette île est seule à l'entrée de la rivière de Sainte-Marie; tandis que celle qu'on appelle aujourd'hui île Verte ou Green island, est la plus petite des trois qui sont situées à l'entrée du «cul-de-sac» dont parle l'auteur un peu plus loin.

129/277De là fusmes à un lieu où il y a un cul de sac 169, & deux ou trois isles, & un assez beau port, distant de l'isle verte trois lieux. Nous passames aussi par plusieurs isles qui sont rangées les unes proches des autres, & les nommasmes les isles rangées170, distantes de l'isle verte de 6 à 7 lieues. En après passames par une autre baye 171, où il y a plusieurs isles, & fusmes jusque à un lieu où trouvasmes un vaisseau qui faisoit pesche de poisson entre des isles qui sont un peu esloignées de la terre, distantes des isles rangées quatre lieues, & 130/278nommasmes 172 ce lieu le port de Savalette, qui estoit le maistre du vaisseau qui faisoit pesche qui estoit Basque, lequel nous fit bonne chère, & fut tres-aise de nous voir: d'autant qu'il y avoit des sauvages qui luy vouloient faire quelque desplaisir: ce que nous empeschasmes.

Note 169: (retour)

Ce cul-de-sac, à l'entrée duquel il y a trois îles, était appelé autrefois Mocodome. Aujourd'hui il est connu sous le nom de Country harbour. Le cap qui ferme le port du côté de l'ouest a seul retenu le nom ancien.

Note 170: (retour)

Ces îles sont près de la terre ferme, à l'est de l'entrée de la rivière Sainte-Catherine.

Note 171: (retour)

Cette baie est évidemment celle qui porte maintenant le nom de Tor bay.

Note 172: (retour)

Quand l'auteur emploie cette expression nommâmes, il veut dire simplement que le nom a été donné ou suggéré par quelqu'un de la troupe. Cette fois ce fut à Lescarbot. «Nous arrivâmes, dit-il, à quatre lieues de Campseau, à un Port où faisoit sa pêcherie un bon vieillart de Saint-Jean de Lus nommé le Capitaine Savalet, lequel nous receut avec toutes les courtoisies du monde. Et pour autant que ce Port (qui est petit, mais tres-beau) n'a point de nom, je l'ay qualifié sur ma Charte géographique du nom de Savalet. Ce bon personnage nous dit que ce voyage étoit le quarante-deuxième qu'il faisoit pardela, & toutefois les Terreneuviers n'en font tous les ans qu'un. Il étoit merveilleusement content de sa pêcherie, & nous disoit qu'il faisoit tous les jours pour cinquante écus de Morues: & que son voyage vaudroit dix mille francs. Il avoit seze hommes à ses gages: & son vaisseau étoit de quatre vints tonneaux, qui pouvoit porter cent milliers de morues seches. Il étoit quelquefois inquiété des Sauvages là cabannez, léquelz trop privément & impudemment alloient dans son navire, & lui cmportoient ce qu'ilz vouloient. Et pour éviter cela il les menaçoit que nous viendrions & les mettrions tous au fil de l'épée s'ilz lui faisoient tort. Cela les intimidoit, & ne lui faisoient pas tout le mal qu'autrement ilz eussent fait. Neantmoins toutes les fois que les pécheurs arrivoient avec leurs chaloupes pleines de poissons, ces Sauvages choisissoient ce que bon leur sembloit, & ne s'amusoient point au Morues, ains prenoient des Merlus, Bars, & Flétans qui vaudroient ici à Paris quatre écus, ou plus. Car c'est un merveilleusement bon manger, quand principalement ilz sont grands & épais de six doits, comme ceux qui se péchoient là. Et eût été difficile de les empêcher en cette insolence, d'autant qu'il eût toujours fallu avoir les armes en main, & la besogne fût demeurée. Or l'honnêteté de cet homme ne s'étendit pas seulement envers nous, mais aussi envers tous les nôtres qui passerent à son Port, car c'étoit le passage pour aller & venir au Port-Royal. Mais il y en eut quelques uns de ceux qui nous vindrent querir, qui faisoient pis que les Sauvages, & se gouvernoient envers lui comme fait ici le gend'arme chez le bon homme: chose que j'ouy fort à regret.» Plusieurs raisons nous font croire que le port de Savalette est celui qu'on appelle aujourd'hui White haven. Il est à environ quatre lieues des îles Rangées, et à six de Canseau, comme l'auteur le remarque plus loin. Il est vrai que Lescarbot le met à quatre lieues seulement de Canseau; mais rien, dans son récit, ne vient confirmer son avancé: tandis que notre auteur marque séparément la distance du port de Savalette aux îles Rangées et à Canseau, et que ces deux distances réunies donnent exactement le nombre de lieues qu'il y a des îles Rangées à Canseau. De plus, à l'entrée de ce port, il y a plusieurs îles qui sont un peu éloignées de la terre; et, dans le port même, certains noms que l'on y retrouve, semblent rappeler la mémoire du vieux voyageur basque, comme l'île du Pêcheur, la pointe au Pilote.

Partant de ce lieu arrivasmes à Campseau le 27 du mois, distant du port de Savalette six lieues, ou passames par quantité d'isles jusques audit Campseau, où trouvasmes les trois barques arrivées à port de salut. Champdoré & l'Escarbot vindrent audevant de nous pour nous recevoir. Aussi trouvasmes le vaisseau prest à faire voile qui avoit fait sa pesche, & n'attendoit plus que le temps pour s'en retourner: cependant nous nous donnasmes du plaisir parmy ces isles, où il y avoit telle quantité de framboises qu'il ne se peut dire plus.

Toutes les costes que nous rengeasmes depuis le cap de Sable jusques en ce lieu sont terres médiocrement hautes, & costes de rochers, en la pluspart des endroits bordées de nombres d'isles & brisans qui jettent à la mer par endroits prés de deux lieues, qui sont fort mauvais pour l'abort des vaisseaux: Neantmoins il ne laisse d'y avoir de bons ports & raddes le long des costes Seines, s'ils estoient descouverts. Pour ce qui est de la terre elle est plus mauvaise & mal aggreable, qu'en autres lieux qu'eussions veus; si ce ne sont en quelques rivieres ou ruisseaux, où le pays est assez plaisant: & ne faut doubter qu'en ces lieux l'yver n'y soit froid, y durant prés de six à sept mois.

131/279Ce port de Campseau 173 est un lieu entre des isles qui est de fort mauvais abord, si ce n'est de beau-temps, pour les rochers & brisans qui sont au tour. Il s'y fait pesche de poisson vert & sec.

Note 173: (retour)

Ce nom de Campseau ou Canseau, que les Anglais écrivent Canso, est sauvage, suivant Lescarbot (page 221 de la 3e édition). Le P. F. Martin (App. de sa trad. du P. Bressani, p. 320), après avoir mentionné Lescarbot, au sujet de ce mot, ajoute: «Thévet, dans un manuscrit de 1586, dit qu'il vient de celui d'un navigateur français nommé «Canse.» Le passage du manuscrit de 1586 est extrait mot pour mot de la Cosmographie Universelle de Thévet. Or, en cet endroit l'auteur parle des Antilles, et non du Canada; et, en second lieu, il n'écrit pas Canse, mais Cause. Voici le passage en entier: «Quant à l'isle de Virgengorde & celle de Ricque» (Porto-Rico), «basse & sablonneuse, il vous faut tirer à celle de Sainct Domingue, & conduire les vaisseaux droit à la poincte de la Gouade» (del Aguada) «qui est au bout de l'isle» (de Porto-Rico), «puis à celle de Mona, premièrement que venir aborder & mouiller l'ancre à l'isle Espagnole. Passé qu'avez, & doublé la haulteur de laditte isle, vous apparoist la terre de Cause, qui prend son nom de l'un des vaillans Capitaines pilotes, natif d'une certaine villette, nommée Cause» (Cozes), «en Xainctonge, une lieue de maison de Madion.» (Cosm. Universelle, verso du fol. 993.) Thévet ne parle donc point de Canseau, dans ce passage, et son témoignage n'infirme en rien celui de Lescarbot.

De ce lieu jusques à l'isle du cap Breton qui est par la hauteur de 45 degrez trois quars174 de latitude & 14 degrez 50 minuttes175 de declinaison de l'aimant y a huit lieues, & jusques au cap Breton 25, où entre les deux y a une grande baye 176 qui entre quelque 9 ou 10 lieues dans les terres & fait passage entre l'isle du cap Breton & la grand terre qui va rendre en la grand baye sainct Laurens, par où on va à Gaspé & isle parcée, où se fait pesche de poisson. Ce passage de l'isle du cap Breton est fort estroit: Les grands vaisseaux n'y passent point, bien qu'il y aye de l'eau assez, à cause des grands courans & transports de marée qui y sont: & avons nommé ce lieu le passage courant 177, qui est par la hauteur de 45 degrez trois quarts de latitude.

Note 174: (retour)

L'extrémité la plus méridionale de l'île du Cap-Breton est à 45° 34', et la latitude du cap Breton lui-même est de 45° 57' environ.

Note 175: (retour)

Il est assez probable qu'il faut lire 24° 50'. Aujourd'hui la variation de l'aiguille au cap Breton est de prés de 24° de déclinaison occidentale.

Note 176: (retour)

La baie de Chédabouctou, que l'on a appelée quelque temps baie de Milford.

Note 177: (retour)

Le passage Courant a pris plus tard le nom de Fronsac, et aujourd'hui on l'appelle passage ou détroit de Canseau.

132/280Ceste isle du cap Breton est en forme triangulaire, qui a quelque 80 lieues de circuit, & est la pluspart terre montagneuse: Neantmoins en quelques endroits fort aggreable. Au milieu d'icelle y a une manière de lac178, où la mer entre par le costé du Nord quart du Nordouest, & du Su quart du Suest179: & y a quantité d'isles remplies de grand nombre de gibier, & coquillages de plusieurs sortes: entre autres des huistres qui ne sont de grande saveur. En ce lieu y a deux ports, où l'on fait pesche de poisson: sçavoir le port aux Anglois180, distant du cap Breton quelque 2 à 3 lieues: & l'autre, Niganis, 18 ou 20 lieues au Nord quart du Nordouest. Les Portuguais autrefois voulurent habiter ceste isle, & y passèrent un yver: mais la rigueur du temps & les froidures leur firent abandonner leur habitation.

Note 178: (retour)

Le Bras-d'or, ou Labrador, dont le nom sauvage était Bideauboch, d'après Bellin.

Note 179: (retour)

L'auteur, dans sa carte de 1613, indique en effet une communication entre le Bras-d'Or et les eaux du golfe vers le nord-quart-de-nord-ouest; mais il n'en marque aucune du côté du sud-est. On sait que le Bras-d'Or ne communique avec la mer que du côté de l'est par la Grande et la Petite Entrées.

Note 180: (retour)

Le port de Louisbourg.

Le 3 Septembre partismes de Campseau 181.

Note 181: (retour)

«Nous levâmes les ancres, dit Lescarbot, & avec beaucoup de difficultez sortimes hors les brisans qui sont aux environs dudit Campseau. Ce que nos mariniers firent avec deux chaloupes qui portoient les ancres bien avant en mer pour soutenir notre vaisseau, à fin qu'il n'allât donner contre les rochers. En fin étans en mer on laissa à l'abandon l'une dédites chaloupes, & l'autre fut tirée dans le Jonas, lequel outre notre charge portoit cent milliers de Morues, que seches que vertes. Nous eûmes assez bon vent jusques à ce que nous approchâmes les terres de l'Europe.» (Liv. IV, ch. XVIII.)

Le 4 estions le travers de l'isle de Sable.

Le 6 Arrivasmes sur le grand banc, où se fait la pesche du poisson vert, par la hauteur de 45 degrez & demy de latitude.

Le 26 entrasmes sur la Sonde proche des costes de Bretagne & Angleterre, à 65 brasses d'eau, & par la hauteur de 49 degrez & demy de latitude.

133/281Et le 28, relachasmes à Roscou182 en basse Bretagne, ou fusmes contrariés du mauvais temps jusqu'au dernier de Septembre, que le vent venant favorable nous nous mismes à la mer pour parachever nostre routte jusques à sainct Maslo183, qui fut la fin de ces voyages 184, où Dieu nous conduit sans naufrage ny péril.

Note 182: (retour)

«Nous demeurâmes» à Roscou, dit Lescarbot, «deux jours & demi à nous rafraîchir. Nous avions un sauvage qui se trouvoit assez étonné de voir les batimens, clochers & moulins à vent de France: même les femmes qu'il n'avoit onques veu vêtues à notre mode.»

Note 183: (retour)

«En quoy je ne puis que je ne loue,» ajoute Lescarbot, «la prévoyante vigilance de notre maître de navire Nicolas Martin, de nous avoir si dextrement conduit en une telle navigation, & parmi tant d'écueils & capharées rochers dont est remplie la cote d'entre le cap d'Ouessans & ledit Saint Malo. Que si cetui ci est louable en ce qu'il a fait, le capitaine Foulques ne l'est moins de nous avoir mené parmi tant de vents contraires en des terres inconues où nous nous sommes efforcés de jetter les premiers fondemens de la Nouvelle France.»

Note 184: (retour)

Le vaisseau de Chevalier, qui était de Saint-Malo, était rendu à sa destination. Champlain dut prendre de là le chemin de la Saintonge. Messieurs de Poutrincourt, de Biencourt et Lescarbot, y demeurèrent encore quelques jours, pendant lesquels ils visitèrent le Mont-Saint-Michel et les pêcheries de Cancale; puis ils se mirent dans une barque qui les conduisit à Honfleur. «En cette navigation,» dit Lescarbot, «nous servit beaucoup l'expérience du sieur de Poutrincourt, lequel voyant que nos conducteurs étoient au bout de leur latin, quand il se virent entre les iles de Jersey & Sart» (Serck) «... il print sa Charte marine en main, & fit le maitre de navire, de manière que nous passames le Raz-Blanchart (passage dangereux à des petites barques) & vinmes à l'aise suivant la côte de Normandie audit Honfleur.» (Liv. IV, ch. XVIII.)

Fin des voyages depuis l'an 1604, jusques en 1608.




135/283

LES VOYAGES
FAITS AU GRAND FLEUVE
SAINCT LAURENS PAR LE
sieur de Champlain Capitaine ordinaire
pour le Roy en la marine, depuis
l'année 1608. jusques en 1612.


LIVRE SECOND.




Resolution du sieur de Mons pour faire les descouvertures par dedans les terres; sa commission, & enfrainte d'icelle par des Basques qui désarmèrent le vaisseau de Pont-gravé; & l'accort qu'ils firent après entre eux.

CHAPITRE I.

stant de retour en France après avoir sejourné trois ans au pays de la nouvelle France, je fus trouver le sieur de Mons, auquel je recitay les choses les plus singulieres que j'y eusse veues depuis son partement, & luy donnay la carte & plan des costes & ports les plus remarquables qui y soient.

Quelque temps après ledit sieur de Mons se delibera de continuer ses dessins, & parachever de descouvrir dans les terres par le grand fleuve S. Laurens, où j'avois esté par le commandement du feu Roy HENRY LE GRAND en l'an 1603. quelque 136/284180 lieues, commençant par la hauteur 48 degrez deux tiers de latitude, qui est Gaspé entrée dudit fleuve jusques au grand saut, qui est sur la hauteur de 45 degrez & quelques minuttes de latitude, où finist nostre descouverture, & où les batteaux ne pouvoient passer à nostre jugement pour lors: d'autant que nous ne l'avions pas bien recogneue comme depuis nous avons fait.

Or après que par plusieurs fois le sieur de Mons m'eust discouru de son intention touchant les descouvertures, print resolution de continuer une si genereuse, & vertueuse entreprinse, quelques peines & travaux qu'il y eust eu par le passé. Il m'honora de sa lieutenance pour le voyage: & pour cest effect fit equipper deux vaisseaux, où en l'un commandoit du Pont-gravé, qui estoit député pour les negotiations, avec les sauvages du pays, & ramener avec luy les vaisseaux: & moy pour hyverner audict pays.

Le sieur de Mons pour en supporter la despence obtint lettres de sa Majesté pour un an, où il estoit interdict à toutes personnes de ne trafficquer de pelleterie avec les sauvages, sur les peines portées par la commission qui ensuit.

«HENRY PAR LA GRACE DE DIEU ROY DE FRANCE ET DE NAVARRE, A nos amez & féaux Conseillers, les officiers de nostre Admirauté de Normandie, Bretaigne & Guienne, Baillifs, Seneschaux, Prevosts, Juges ou leurs Lieutenans, & à chacun d'eux endroict soy, en l'estendue de leurs ressorts, Jurisdictions & destroits, Salut: Sur l'advis qui nous a esté donné par ceux qui sont venus de la nouvelle France, de la bonté, fertilité des terres dudit pays, & que les peuples d'iceluy sont disposez à recevoir la cognoissance de Dieu, Nous avons resolu de faire continuer l'habitation qui avoit esté cy devant commencée audit pays, à fin que nos subjects y puissent aller librement trafficquer. Et sur l'offre que le sieur de Monts Gentil-homme ordinaire de nostre chambre, & nostre Lieutenant General audit pays, nous aurait proposée de faire ladite habitation, en luy 137/285donnant quelque moyen & commodité d'en supporter la despence: Nous avons eu aggreable de luy promettre & asseurer qu'il ne serait permis à aucuns de nos subjects qu'à luy de trafficquer de pelleteries & autres marchandises, durant le temps d'un an seulement, és terres, pays, ports, rivieres & advenues de l'estendue de sa charge: Ce que voulons avoir lieu. Nous pour ces causes & autres considerations, à ce nous mouvans, vous mandons & ordonnons que vous ayez chacun de vous en l'estendue de vos pouvoirs, jurisdictions & destroicts, à faire de nostre part, comme nous faisons tres-expressement inhibitions & deffences à tous marchands, maistres & Capitaines de navires, matelots, & autres nos subjects, de quelque qualité & condition qu'ils soient, d'equipper aucuns vaisseaux, & en iceux aller ou envoyer faire traffic, ou trocque de Pelleteries, & autres choses avec les Sauvages de la nouvelle France, fréquenter, negotier, & communiquer durant ledit temps d'un an en l'estendue du pouvoir dudit sieur de Monts, à peine de desobeyssance, de confiscation entière de leurs vaisseaux, vivres, armes, & marchandises, au proffit dudit sieur de Monts & pour asseurance de la punition de leur desobeissance: Vous permettrez, comme nous avons permis & permettons audict sieur de Monts ou ses lieutenans, de saisir, appréhender, & arrester tous les contrevenans à nostre présente deffence & ordonnance, & leurs vaisseaux, marchandises, armes, vivres, & vituailles, pour les amener y remettre és mains de la Justice, & estre procedé, tant contre les personnes que contre les biens des desobeyssans, ainsi qu'il appartiendra. Ce que nous voulons, & vous mandons faire incontinent lire & publier par tous les lieux & endroicts publics de vosdits pouvoirs & jurisdictions, où vous jugerez, besoin estre, par le premier nostre Huissier ou Sergent sur ce requis, en vertu de ces presentes, ou coppie d'icelles, deuement collationnées pour une fois seulement, par l'un de nos amez & féaux Conseillers, Notaires & Secrétaires, ausquelles voulons foy estre adjoustée comme au present original, afin qu'aucuns de nosdits subjects n'en prétendent cause d'ignorance, ains que chacun obeysse & se conforme sur ce à nostre volonté. Mandons en outre à tous Capitaines de navires, maistres d'iceux, contre-maistres, matelots, & autres estans dans vaisseaux ou navires au port & havres dudit pays, de permettre, comme nous avons permis audit sieur de Monts, & autres ayant pouvoir & charge de luy, de visiter dans leursdits vaisseaux qui auront traicté de laditte Pelleterie, aprés que les presentes deffences leur auront esté signifiées. Nous voulons qu'à la requeste dudit sieur de Monts, ses lieutenans, & autres ayans charge, vous procédiez contre les desobeyssans & contrevenans, ainsi qu'il appartiendra: De ce faire vous donnons pouvoir, authorité, commission, & mandement special, nonobstant l'Arrest de nostre Conseil du 17e jour de Juillet dernier, clameur de haro, chartre normande, prise à-partie, oppositions, ou appellations quelsconques: Pour lesquelles, & sans prejudice d'icelles, ne voulons estre differé, & dont si aucune interviennent, nous en avons retenu & reservé à nous & à nostre Conseil la cognoissance, privativement à tous autres juges, & icelle interdite & défendue à toutes nos Cours & Juges: Car tel est nostre plaisir. Donné a Paris le septiesme jour de Janvier l'an de grâce, mil six cents huict. Et de nostre règne le dix-neufiesme. Signé, HENRY. Et plus bas. Par le Roy, Delomenie.

Et seellé sur simple queue du grand seel de cire jaulne,

Collationné à l'original par moy Conseiller, Notaire & Secrétaire du Roy.»

138/286Je fus à Honnefleur pour m'embarquer, où je trouvay le vaisseau de Pontgravé prest, qui partit du port, le 5 d'Avril; & moy le 13 & arrivay sur le grand banc le 15 de May, par la hauteur de 45 degrez & un quart de latitude, & le 26 eusmes cognoissance du cap saincte Marie, qui est par la hauteur de 46 degrez trois quarts 185 de latitude, tenant à l'isle de terreneufve. Le 27 du mois eusmes la veue du cap sainct Laurens tenant à la terre du cap Breton & isle de sainct Paul, distante du cap de saincte Marie 83 lieues. Le 30 du mois eusmes cognoissance de l'isle percée, & de Gaspé qui est soubs la hauteur de 48 degrez deux tiers de latitude, distant du cap de sainct Laurens, 70 à 75 lieues.

Note 185: (retour)

46° 51'.

Le 3 de Juin arrivasmes devant Tadoussac186, distant de Gaspé 80 ou 90 lieues, & mouillasmes l'ancre à la radde du port 187 de Tadoussac, qui est à une lieue du port, lequel est comme une ance à l'entrée de la riviere du Saguenay, où il y a une marée fort estrange pour sa vistesse, où quelquesfois il vient des vents impétueux qui ameinent de grandes froidures. L'on tient que ceste riviere a quelque 45 ou 50 lieues du port de Tadoussac jusques au premier saut, qui vient du Nort Norouest. Ce port est petit, & n'y pourroit que quelque 20 vaisseaux: Il y a de l'eau assez, & est à l'abry de la riviere de Saguenay & d'une petite isle de rochers qui est presque coupée de la mer.

Note 186: (retour)

Ce que l'auteur dit ici de Tadoussac, est emprunté presque mot pour mot au Voyage de 1603, p. 4-22.

Note 187: (retour)

La rade du port de Tadoussac est le mouillage du Moulin-Baude.

139/287Le reste sont montaignes hautes eslevées, où il y a peu de terre, sinon rochers & sables remplis de bois, comme sappins & bouleaux 188. Il y a un petit estanc proche du port renfermé de montagnes couvertes de bois. A l'entrée y a deux pointes l'une du costé du Surouest, contenant prés d'une lieue en la mer, qui s'appelle la pointe sainct Matthieu, ou autrement aux Allouettes, & l'autre du costé du Nordouest contenant demy quart de lieue, qui s'appele la pointe de tous les Diables 189, pour le grand danger qu'il y a. Les vents du Su Suest frappent dans le port, qui ne sont point à craindre: mais bien celuy du Saguenay. Les deux pointes cy dessus nommées assechent de basse mer: nostre vaisseau ne peust entrer dans le port pour n'avoir le vent & marée propre. Je fis aussitost mettre nostre basteau hors du vaisseau pour aller au port voir si Pont-gravé estoit arrivé. Comme j'estois en chemin, je rencontray une chalouppe & le pilotte de Pont-gravé & un Basque, qui me venoit advertir de ce qui leur estoit survenu pour avoir voulu faire quelques deffences aux vaisseaux Basques de ne traicter suivant la commission que le sieur de Mons avoit obtenue de sa majesté, Qu'aucuns vaisseaux ne pourroient traicter sans la permission du sieur de Monts, comme il estoit porté par icelle.

Note 188: (retour)

L'auteur avait dit, en 1603, «pins, cyprez, sapins & quelques manières d'arbres de peu.» Il semble avoir reconnu que ce qu'il appelait cyprès n'en était pas réellement.

Note 189: (retour)

Aujourd'hui la pointe aux Vaches. Voir 1603, note 2 de la page 6.

Et que nonobstant les significations que peust faire Pont-gravé de la part de sa Majesté, ils ne laissoient de traicter la 140/288force en la main, & qu'ils s'estoient mis en armes & se maintenoient si bien dans leur vaisseau, que faisant jouer touts leurs canons sur celuy de Pont-gravé, & tirant force coups de mousquets, il fut fort blessé, & trois des siens, dont il y en eust un qui en mourut, sans que le Pont fit aucune resistance: Car dés la première salve de mousquets qu'ils tirèrent il fut abbatu par terre. Les Basques vindrent à bort du vaisseau & enleverent tout le canon & les armes qui estoient dedans, disans qu'ils traicteroient nonobstant les deffences du Roy, & que quand ils seroient prés de partir pour aller en France il luy rendroient son canon & son amonition, & que ce qu'ils en faisoient estoit pour estre en seureté. Entendant toutes ces nouvelles, cela me fascha fort, pour le commencement d'une affaire, dont nous nous fussions bien passez.

Or après avoir ouy du pilotte toutes ces choses je luy demanday qu'estoit venu faire le Basque au bort de nostre vaisseau, il me dit qu'il venoit à moy de la part de leur maistre appelé Darache, & de ses compagnons, pour tirer asseurance de moy, Que je ne leur ferois aucun desplaisir, lors que nostre vaisseau seroit dans le port.

Je fis responce que je ne le pouvois faire, que premier je n'eusse veu le Pont. Le Basque dit que si j'avois affaire de tout ce qui despendoit de leur puissance qu'ils m'en assisteroient. Ce qui leur faisoit tenir ce langage, n'estoit que la cognoissance qu'ils avoient d'avoir failly comme ils confessoient, & la crainte qu'on ne leur laissast faire la pesche de balene.

141/289Après avoir assez parlé je fus à terre voir le Pont pour prendre délibération de ce qu'aurions affaire, & le trouvay fort mal. Il me conta particulièrement tout ce qui s'estoit passé. Nous considerasmes que ne pouvions entrer audit port que par force, & que l'habitation ne fut pardue pour cette année, de sorte que nous advisasmes pour le mieux, (afin d'une juste cause n'en faire une mauvaise & ainsi se ruiner) qu'il failloit leur donner asseurance de ma part tant que je serois là & que le Pont n'entreprendroit aucune chose contre eux, mais qu'en France la justice se feroit & vuideroit le différent qu'ils avoient entr'eux.

Darache maistre du vaisseau me pria d'aller à son bort, où il me fit bonne réception. Après plusieurs discours je fis l'accord entre le Pont & luy, & luy fis promettre qu'il n'entreprendroit aucune chose sur Pont-gravé ny au prejudice du Roy & du sieur de Mons. Que s'ils faisoient le contraire je tiendrois ma parole pour nulle: Ce qui fut accordé & signé d'un chacun.

En ce lieu y avoit nombre de sauvages qui y estoient venus pour la traicte de pelleterie, plusieurs desquels vindrent à nostre vaisseau avec leurs canots190, qui sont de 8 ou 9 pas de long, & environ un pas, ou pas & demy de large par le milieu, & vont en diminuant par les deux bouts. Il sont fort subjects à tourner si on ne les sçay bien gouverner, & sont faicts d'escorce de boulleau, renforcez par le dedans de petits cercles de cèdre blanc, bien proprement arrangez: & sont si 142/290légers qu'un homme en porte aysement un. Chacun peut porter la pesanteur d'une pipe. Quand ils veulent traverser la terre pour aller en quelque riviere où ils ont affaire, ils les portent avec eux. Depuis Chouacoet le long de la coste jusques au port de Tadoussac ils sont tous semblables.

Note 190: (retour)

Ce qui est dit ici du canot sauvage, est emprunté au Voyage de 1603, p. 9 et 10.




De la riviere du Saguenay, & des sauvages qui nous y vindrent abborder. De l'isle d'Orléans; & de tout ce que nous y avons remarqué de singulier.

CHAPITRE II.

Aprés cest accord fait, je fis mettre des charpentiers à accommoder une petite barque du port de 12 à 14 tonneaux, pour porter tout ce qui nous seroit necessaire pour nostre habitation, & ne peut estre plustost preste qu'au dernier de Juin.

Cependant j'eu moyen de visiter quelques endroits de la riviere du Saguenay, qui est une belle riviere, & d'une profondeur incroyable, comme 150. & 200. brasses191. A quelque cinquante lieues de l'entrée du port, comme dit est, y a un grand saut d'eau, qui descend d'un fort haut lieu & de grande impetuosité. Il y a quelques isles dedans icelle riviere qui sont fort desertes, n'estans que rochers, couvertes de petits sapins & bruieres. Elle contient de large demie lieue en des endroits, & 143/291un quart en son entrée, où il y a un courant si grand qu'il est trois quarts de marée couru dedans la riviere, qu'elle porte encore hors. Toute la terre que j'y ay veue ne sont que montaignes & promontoires de rochers, la pluspart couverts de sapins & boulleaux, terre fort mal plaisante, tant d'un costé que d'autre: enfin ce sont de vrays deserts inhabités d'animaux & oyseaux: car allant chasser par les lieux qui me sembloient les plus plaisans, je n'y trouvois que de petits oiselets, comme arondelles, & quelques oyseaux de riviere, qui y viennent en esté, autrement il n'y en a point, pour l'excessive froidure qu'il y fait. Ceste riviere vient du Norouest192.

Note 191: (retour)

L'auteur donne ici au Saguenay une trop grande profondeur; les plus forts sondages y sont de 150 brasses environ. Aussi corrige-t-il cette erreur dans sa dernière édition.

Note 192: (retour)

Ce que l'auteur dit ici du Saguenay, et de ce que lui ont rapporté les sauvages, est du Voyage de 1603, avec quelques corrections.

Les sauvages m'ont fait rapport qu'ayant passé le premier saut ils en passent huit autres, puis vont une journée sans en trouver, & de rechef en passent dix autres, & vont dans un lac, où ils font trois journées 193, & en chacune ils peuvent faire à leur aise dix lieues en montant: Au bout du lac y a des peuples qui vivent errans, & trois rivieres qui se deschargent dans ce lac, l'une venant du Nord 194, fort proche de la mer, qu'ils tiennent estre beaucoup plus froide que leur pays; & les 144/292autres deux 195 d'autres costes par dedans les terres, où il y a des peuples sauvages errans qui ne vivent aussi que de la chasse, & est le lieu où nos sauvages vont porter les marchandises que nous leur donnons pour traicter les fourrures qu'ils ont, comme castors, martres, loups serviers, & loutres, qui y sont en quantité, & puis nous les apportent à nos vaisseaux. Ces peuples septentrionaux disent aux nostres qu'ils voient la mer salée196; & si cela est, comme je le tiens pour certain, ce ne doit estre qu'un gouffre qui entre dans les terres par les parties du Nort. Les sauvages disent qu'il peut y avoir de la mer du Nort au port de Tadoussac 40 à 50197 journées à cause de la difficulté des chemins, rivieres & pays qui est fort montueux, où la plus grande partie de l'année y a des neges. Voyla au certain ce que j'ay appris de ce fleuve. J'ay desiré souvent faire ceste descouverture, mais je n'ay peu sans les sauvages, qui n'ont voulu que j'allasses avec eux ny aucuns de nos gens: Toutesfois ils me l'ont promis. Ceste descouverture ne seroit point mauvaise, pour oster beaucoup de personnes qui sont en doubte de ceste mer du Nort, par où l'on tient que les Anglois ont esté en ces dernières années pour trouver le chemin de la Chine.

Note 193: (retour)

Dans le Voyage de 1603, l'auteur avait dit «où ils sont deux jours à rapasser; en chasque jour, ils peuvent faire à leur aise quelques douze à quinze lieues»; ce qui était moins près de la réalité. Le lac Saint-Jean a dix ou onze lieues de long; mais il est à remarquer que, si les sauvages mettent deux ou trois jours à le passer, c'est parce qu'ils ne se hasardent guère à le traverser, et qu'ils en font à moitié le tour pour venir prendre l'une de ces grandes rivières dont l'auteur parle un peu plus loin.

Note 194: (retour)

La rivière Mistassini (grosse pierre), ou des Mistassins, qui est le chemin de la baie d'Hudson. On l'a appelée aussi rivière des Sables.

Note 195: (retour)

Ces deux autres rivières sont: le Chomouchouan (Achouabmoussouan, guet à l'orignal), qui vient du nord-ouest, et le Péribauca (rivière Percée), qui vient du nord-est.

Note 196: (retour)

La baie d'Hudson. Elle fut découverte en 1610 par Henry Hudson, anglais de naissance, qui y passa l'hiver, et y périt misérablement l'année suivante 1611. Voir le 4e vol. de Purchas et Belknap's Biog. I, 394-407.

Note 197: (retour)

Voir 1603, note 3 de la page 21.

292a

R du Saguenay.

Les chifres montrent les brasses d'eau.

A Une montaigne ronde sur le bort de la riviere du Saguenay.

B Le port de Tadoussac.

C Petit ruisseau d'eau douce.

D Le lieu où cabannent les sauvages quand ils viennent pour la traicte.

E Manière d'isle qui clost une partie du port de la riviere du Saguenay.

F (1) La pointe de tous les Diables.

G La riviere du Saguenay.

H La pointe aux allouettes (2).

I Montaignes fort mauvaises, remplies de sapins & boulleaux.

L Le moulin Bode.

M La rade où les vaisseaux mouillent l'ancre attendant le vent & la

marée.

N Petit estang proche du port.

O Petit ruisseau sortant de l'estang, qui descharge dans le Saguenay.

P Place sur la pointe sans arbres, où il y a quantité d'herbages.

(1) f, dans la carte. Cette pointe s'appelle aujourd'hui la pointe aux Vaches.—(2) La lettre H est placée plutôt sur la batture que sur la pointe aux Alouettes.

Je party de Tadoussac le dernier du mois 198 pour aller à Quebecq, & passames prés d'une isle qui s'apelle l'isle aux 145/293lievres, distante de six lieues dudict port, & est à deux lieues de la terre du Nort, & à prés de 4 lieues 199 de la terre du Su. De l'isle au lievres, nous fusmes à une petite riviere, qui asseche de basse mer, où à quelque 700 à 800 pas dedans y a deux sauts d'eau: Nous la nommasmes la riviere aux Saulmons200, à cause que nous y en prismes. Costoyant la coste du Nort nous fusmes à une pointe qui advance à la mer, qu'avons nommé le cap Dauphin 201, distant de la riviere aux Saulmons 3 lieues. De là fusmes à un autre cap que nommasmes le cap à l'Aigle 202, distant du cap Daulphin 8 lieues: entre les deux y a une grande ance, où au fonds y a une petite riviere qui asseche de basse mer 203. Du cap à l'Aigle fusmes à l'isle aux couldres qui en est distante une bonne lieue, & peut tenir environ lieue & demie de long. Elle est quelque peu unie venant en diminuant par les deux bouts: A celuy de l'Ouest y a des prairies 204 & pointes de rochers, qui advancent quelque peu dans la riviere: & du costé du Surouest elle est fort batturiere; toutesfois assez aggreable, à cause des bois qui 146/294l'environnent, distante de la terre du Nort d'environ demie lieue, où il y a une petite riviere qui entre assez avant dedans les terres, & l'avons nommée la riviere du gouffre 205, d'autant que le travers d'icelle la marée y court merveilleusement, & bien qu'il face calme, elle est tousjours fort esmeue, y ayant grande profondeur: mais ce qui est de la riviere est plat & y a force rochers en son entrée & autour d'icelle. De l'isle aux Couldres costoyans la coste fusmes à un cap, que nous avons nommé le cap de tourmente 206, qui en est à cinq lieues, & l'avons ainsi nommé, d'autant que pour pe qu'il face de vent la mer y esleve comme si elle estoit plaine. En ce lieu l'eau commence à estre douce. De là fusmes à l'isle d'Orléans, où il y a deux lieues, en laquelle du costé du Su y a nombre d'isles, qui sont basses, couvertes d'arbres, & fort aggreables, remplies de grandes prayries, & force gibier, contenant à ce que j'ay peu juger les unes deux lieux, & les autres peu plus ou moins. Autour d'icelles y a force rochers & basses fort dangereuses à passer qui sont esloignés de quelques deux lieues de la grand terre du Su. Toute ceste coste, tant du Nord que du Su, depuis Tadoussac jusques à l'isle d'Orléans, est terre montueuse & fort mauvaise, où il n'y a que des pins, 147/295sappins, & boulleaux, & des rochers tresmauvais, où on ne sçauroit aller en la plus part des endroits.

Note 198: (retour)

Le 30 de juin.

Note 199: (retour)

La côte du sud n'est qu'à environ 3 lieues; mais le peu d'élévation qu'elle a, comparativement à celle du nord, la fait paraître plus éloignée qu'elle n'est.

Note 200: (retour)

Suivant toutes les apparences, cette rivière aux Saumons est celle qui se jette dans le port à l'Équille, que l'on a appelé aussi port aux Quilles (Skittles port). Son embouchure est à trois lieues du cap au Saumon, et il n'y a point dans les environs d'autre rivière dont la position réponde aussi bien à ce qu'en dit l'auteur. Il ne faut pas la confondre avec le cap au Saumon.

Note 201: (retour)

Ce nom a complètement disparu. Le cap Dauphin doit être le même que le cap au Saumon. La pointe à l'Homme, sur laquelle il est situé, avance à la mer d'une manière très-remarquable.

Note 202: (retour)

Le cap aux Oies, qui est à près de deux lieues de l'île aux Coudres. Ici la tradition est évidemment en défaut: car le cap à l'Aigle d'aujourd'hui est bien à six lieues plus bas que celui auquel Champlain a donné ce nom.

Note 203: (retour)

Dans sa grande carte de 1632, l'auteur la désigne, par le chiffre 4, sous le nom de rivière Platte. C'est celle de la Malbaie. (Voir la note 2 de la page suivante.)

Note 204: (retour)

Cette partie de l'île aux Coudres s'appelle encore Les Prairies, ou Côte-des-Prairies.

Note 205: (retour)

La rivière du Gouffre a gardé fidèlement son nom, malgré une erreur qui s'est glissée dans l'édition de 1632. On y a reproduit tout ce passage, en appliquant à la rivière du Gouffre une addition que l'auteur destinait évidemment à celle de la Malbaie, comme le prouve surabondamment la légende de la grande carte, où se trouvent ïndiquées séparément la baie du Gouffre (la baie Saint-Paul, qui forme l'entrée de la rivière du Gouffre) et la rivière Flatte ou Malbaie.

Note 206: (retour)

Le cap Tourmente est à environ huit lieues de l'île aux Coudres. La grande hauteur des Caps fait paraître les distances beaucoup moindres.

Or nous rangeasmes l'isle d'Orléans du costé du Su, distante de la grand terre une lieue & demie: & du costé du Nort demie lieue, contenant de long 6 lieues, & de large une lieue, ou lieue & demie, par endroits. Du costé du Nort elle est fort plaisante pour la quantité des bois & prayries qu'il y a: mais il y fait fort dangereux passer, pour la quantité de pointes & rochers qui sont entre la grand terre & l'isle, où il y a quantité de beaux chesnes, & des noyers en quelques endroits; & à l'embucheure207 des vignes & autres bois comme nous avons en France. Ce lieu est le commencement du beau & bon pays de la grande riviere, où il y a de son entrée 120.208 Au bout de l'isle y a un torent d'eau209 du costé du Nort, qui vient d'un lac 210 qui est quelque dix lieues dedans les terres, & descend de dessus une coste qui a prés de 25 thoises211 de haut, au dessus de laquelle la terre est unie & plaisante à voir bien que dans le pays on voye de hautes montaignes, qui paroissent de 15 à 20 lieues.

Note 207: (retour)

Ou embuchure. Ce mot, qui ne paraît pas avoir été fort en usage, doit signifier ici entrée du bois, et la phrase revient à celle-ci: «et, à l'entrée du bois, (il y a) des vignes, et autres bois comme en France.» Notre vigne sauvage, en effet, se rencontre ordinairement le long des rivières ou à l'entrée des bois.

Note 208: (retour)

Cent vingt lieues.

Note 209: (retour)

Au chapitre suivant, dans la carte des environs de Québec, l'auteur l'indique, à la lettre H, sous le nom de Montmorency, et dans l'édition de 1632, il ajoute ces mots, «que j'ay nommé le sault de Montmorency.» Il est assez probable que ce fut à ce voyage de 1608 que Champlain lui donna ce nom, en l'honneur du duc de Montmorency, à qui il avait dédié son Voyage de 1603.

Note 210: (retour)

Le lac des Neiges.

Note 211: (retour)

Le saut Montmorency a environ 40 toises de haut.




148/296Arrivée à Quebecq, où nous fismes nos logemens, sa situation. Conspiration contre, le service du Roy, & ma vie, par aucuns de nos gens. La punition qui en fut faite, & tout ce qui se passa en cet affaire.

CHAPITRE III.

De l'isle d'Orléans jusques à Quebecq, y a une lieue, & y arrivay le 3 Juillet: où estant, je cherchay lieu propre pour nostre habitation, mais je n'en peu trouver de plus commode, ny mieux situé que la pointe de Quebecq, ainsi appellé des sauvages212, laquelle estoit remplie de noyers. Aussitost j'emploiay une partie de nos ouvriers à les abbatre pour y faire nostre habitation, l'autre à scier des aix, l'autre fouiller la cave & faire des fossez: & l'autre à aller quérir nos commoditez à Tadoussac avec la barque. La première chose que nous fismes fut le magazin pour mettre nos vivres à couvert, qui fut promptement fait par la diligence d'un chacun, & le soin que j'en eu.

Note 212: (retour)

Par ces mots «ainsi appelé des Sauvages» l'auteur veut dire, suivant nous, que le mot Québec est sauvage, et c'est ainsi que Lescarbot l'a compris. Dans les différents dialectes de la langue algonquine, le mot kebec ou kepac signifie rétrécissement. «Kébec, en micmac,» dit un de nos missionnaires qui ont le mieux connu cette langue (M. Bellanger), «veut dire rétrécissement des eaux formé par deux langues ou pointes de terre qui se croisent. Dans les premiers temps que j'étais dans les missions, je descendais de Riscigouche à Carleton; les deux sauvages qui me menoient en canot répétant souvent le mot kebec, je leur demandai s'ils se préparaient à aller bientôt à Québec Ils me repondirent: Non; regarde les deux pointes, et l'eau, qui est resserrée en dedans: on appelle cela kébec en notre langue.» (Cours d'Hist. de M. Ferland, I, p. 90.) Cette pointe de Québec, où est maintenant l'église de la basse ville, n'est presque plus reconnaissable par suite de la disparution du Cul-de-Sac, à la place duquel on a fait le marché Champlain.

296a

Quebec.

Agrandissement (3146x2051x16)

Les chifres montrent les brasses d'eau.

A Le lieu où l'habitation est bastie (1).

B Terre deffrichée où l'on seme du bled & autres grains (2).

C Les jardinages (3).

D Petit ruisseau qui vient de dedans des marescages (4).

E Riviere (5) où hyverna Jaques Quartier, qui de son temps la nomma

saincte Croix, que l'on a transféré à 15 lieues audessus de Québec.

F Ruisseau des marais (6).

G Le lieu où l'on amassoit les herbages pour le bestail que l'on y avoit

mené (7).

H Le grand saut de Montmorency qui descent de plus de 25 brasses de haut

dans la riviere (8).

I Bout de l'isle d'Orléans.

L Pointe fort estroite (9) du costé de l'orient de Quebecq.

M Riviere bruyante, qui va aux Etechemains.

N La grande riviere S. Laurens.

O Lac de la riviere bruyante.

P Montaignes qui sont dans les terres; baye que j'ay nommé la nouvelle

Bisquaye.

Q Lac du grand saut de Montmorency (10).

R Ruisseau de lours (11).

S Ruisseau du Gendre (12).

T Prairies qui sont inondées des eaux à toutes les marées.

V Mont du Gas (13) fort haut, sur le bort de la riviere.

X Ruiseau courant, propre à faire toutes sortes de moulins.

Y Coste de gravier, où il se trouve quantité de diamants un peu

meilleurs que ceux d'Alanson.

Z La pointe aux diamants.

9 (14) Lieux où souvent cabannent les sauvages.

(1)C'est là proprement la pointe de Québec, qui comprenait l'espace renfermé aujourd'hui entre la Place, la rue Notre-Dame et le fleuve.—(2)Ce premier défrichement a dû être ce qu'on a appelé plus tard l'Esplanade du fort, ou la Grand-Place, ou peut-être l'un et l'autre. La Grand-Place devint en 1658 le fort des Hurons; c'était l'espace compris entre la Côte de la basse ville et la rue du Fort.—(3)Un peu au-dessus des jardinages, sur le penchant de la côte du Saut-au-Matelot, on distingue une croix, qui semble indiquer que dès lors le cimetière était où on le trouve quelques années après mentionné pour la première fois.—(4)D'après les anciens plans de Québec, ces marécages auraient été à l'ouest du Mont-Carmel et au pied des glacis de la Citadelle. Le ruisseau venait passer à l'est du terrain des Ursulines et des Jésuites, suivait quelque temps la rue de la Fabrique, jusqu'à la clôture de l'Hôtel-Dieu, à l'est de laquelle il se jetait en bas du côteau vers le pied de la côte de la Canoterie.—(5)La rivière Saint-Charles. La lettre E n'indique pas précisément le lieu où hiverna Jacques Cartier, mais seulement l'embouchure de la rivière (voir p. 156).—(6)A en juger par les contours du rivage, ce ruisseau, qui venait du sud-ouest, se jetait dans le havre du Palais, vers l'extrémité ouest du Parc.—(7)C'est probablement ce qu'on appela plus tard la grange de Messieurs de la Compagnie, ou simplement la Grange, qui paraît avoir été quelque part sur l'allée du Mont-Carmel.—(8)Le saut Montmorency a 40 brasses de haut, ou 240 pieds français, et même davantage.—(9)On voit qu'en 1613, cette pointe n'avait pas encore de nom; en 1629, Champlain l'appelle cap de Lévis: on peut donc conclure que cette pointe tire son nom de celui du duc de Ventadour, Henri de Lévis, et qu'elle dut être ainsi appelée entre les années 1625 et 1627, époque où il fut vice-roi.—(10)Le lac des Neiges est la source de la branche ouest de la rivière du Saut.—(11)La rivière de Beauport, qu'on appelle aussi la Distillerie.—(12)Appelé plus tard ruisseau de la Cabane-aux-Taupiers, rivière Chalifour, et enfin rivière des Fous, à cause du nouvel asile des Aliénés, sur l'emplacement duquel il passe aujourd'hui.—(13)Élévation où est maintenant le bastion du Roi à la Citadelle. Ce nom lui fut donné sans doute en souvenir de M. de Monts, Pierre du Gas.—(14)Ce chiffre se retrouve non-seulement à la pointe du cap Diamant, mais encore le long de la côte de Beauport et au bout de l'île d'Orléans.

Quelques jours après que je fus audit Quebecq, il y eut un 149/297serrurier qui conspira contre le service du Roy; qui estoit m'ayant fait mourir, & s'estant rendu maistre de nostre fort, le mettre entre les mains des Basques ou Espagnols213, qui estoient pour lors à Tadoussac, où vaisseaux ne peuvent passer plus outre pour n'avoir la cognoissance du partage ny des bancs & rochers qu'il y a en chemin 214.

Note 213: (retour)

Lescarbot prétend encore ici trouver Champlain en défaut, parce que «les conspirateurs (qui dévoient exécuter leur entreprise dans quatre jours) avoient proposé de livrer la place aux Hespagnols, laquelle toutefois n'étoit à peine commencée à bâtir.» (Liv. V, ch. II.) Il suffit de considérer les différentes circonstances du récit de Champlain, pour voir qu'il n'y a pas l'ombre de contradiction. Quand le complot fut formé, il n'était point question de livrer aux Espagnols un fort déjà construit, puisque Duval «les avoit induits à telle trahison, dés qu'ils partirent de France,» comme le déposent les témoins (voir ci-après, p. 154). Le complot consistait donc à choisir le moment opportun pour s'emparer de tout, que le fort fût achevé ou non. Or, comme l'auteur le remarque plus loin (p. 150), les conjurés n'eussent pu venir à bout de leur dessein une fois les barques arrivées de Tadoussac.

Note 214: (retour)

Dans un temps où l'on n'avait encore pu faire que des observations incomplètes, c'eût été une vraie imprudence que de risquer à monter plus haut un vaisseau de gros tonnage, puisque, de nos jours même, avec des études spéciales, avec le secours des cartes marines si exactes de l'Amirauté, nos pilotes canadiens, qui certes n'ont pourtant pas dégénéré de leurs ancêtres, regardent encore la Traverse comme la partie la plus difficile de la navigation du fleuve. (Voir Bayfield, I, partie II, ch. XI.)

Pour exécuter son malheureux dessin, sur l'esperance d'ainsi faire sa fortune, il suborna quatre215 de ceux qu'il croyoit estre des plus mauvais garçons, leur faisant entendre mille faulcetez & esperances d'acquérir du bien.

Note 215: (retour)

«Champlain racontant ce fait,» dit Lescarbot, «se met au nombre des juges & dit que du Val en débaucha quatre, comme ainsi soit que par son discours il ne s'en trouve que trois.» (Liv. V, ch. II.) Si Champlain, après avoir affirmé que Duval en avait débauché quatre, disait ensuite qu'il n'en débaucha que trois la contradiction sauterait aux yeux; mais il n'en est rien. L'auteur dit bien que Duval en débaucha quatre, ce qui faisait cinq conjurés; mais, de ces cinq, il n'en restait plus que quatre, dès que Champlain eut accordé le pardon à Natel; c'est-à-dire, qu'il n'y en eut que quatre qui subirent leur procès, et qui furent condamnés.

Après que ces quatre hommes furent gaignez, ils promirent chacun de faire en sorte que d'attirer le reste à leur devotion, & que pour lors je n'avois personne avec moy en qui j'eusse fiance: ce qui leur donnoit encore plus d'esperance de faire reussir leur dessin: d'autant que quatre ou cinq de mes 150/298compagnons, en qui ils sçavoient que je me fiois, estoient dedans les barques pour avoir esgard à conserver les vivres & commoditez qui nous estoient necessaires pour nostre habitation.

Enfin ils sceurent si bien faire leurs menées avec ceux qui restoient, qu'ils devoient les attirer tous à leur devotion, & mesme mon laquay, leur promettant beaucoup de choses qu'ils n'eussent sceu accomplir.

Estant donc tous d'accord, ils estoient de jour en autre en diverses resolutions comment ils me feroient mourir, pour n'en pouvoir estre accusez, ce qu'ils tenoient difficile: mais le Diable leur bandant à tous les yeux: & leur ostant la raison & toute la difficulté qu'ils pouvoient avoir, ils arresterent de me prendre à despourveu d'armes & m'estouffer, ou donner la nuit une fauce alarme, & comme je sortirois tirer sur moy, & que par ce moyen ils auroient plustost fait qu'autrement: tous promirent les uns aux autres de ne se descouvrir, sur peine que le premier qui en ouvriroit la bouche, seroit poignardé: & dans quatre jours ils devoient exécuter leur entreprise, devant que nos barques fussent arrivées: car autrement ils n'eussent peu venir à bout de leur dessin.

Ce mesme jour arriva l'une de nos barques, où estoit nostre pilotte appelé le Capitaine Testu, homme fort discret. Après que la barque fut deschargée & preste à s'en retourner à Tadoussac, il vint à luy un serrurier appelé Natel, compagnon de Jean du Val chef de la traison, qui luy dit, qu'il avoit 151/299promis aux autres de faire tout ainsi qu'eux: mais qu'en effect il n'en desiroit l'exécution, & qu'il n'osoit s'en déclarer, & ce qui l'en avoit empesché, estoit la crainte qu'il avoit qu'il ne le poignardassent.

Après qu'Antoine Natel eust fait promettre audit pilotte de ne rien déclarer de ce qu'il diroit, d'autant que si ses compagnons le descouvroient, ils le feroient mourir. Le pilotte l'asseura de toutes choses, & qu'il luy declarast le fait de l'entreprinse qu'ils desiroient faire: ce que Natel fit tout au long: lequel pilotte luy dist, Mon amy vous avez bien fait de descouvrir un dessin si pernicieux, & montrez que vous estes homme de bien, & conduit du S. Esprit. Mais ces choses ne peuvent passer sans que le sieur de Champlain le scache pour y remedier, & vous promets de faire tant envers luy, qu'il vous pardonnera & à d'autres: & de ce pas, dit le pilotte, je le vays trouver sans faire semblant de rien, & vous, allez faire vostre besoigne, & entendez tousjours ce qu'ils diront, & ne vous souciez du reste. Aussitost le pilotte me vint trouver en un jardin que je faisois accommoder, & me dit qu'il desiroit parler à moy en lieu secret, où il n'y eust que nous deux. Je luy dis que je le voulois bien. Nous allasmes dans le bois, où il me conta toute l'affaire. Je luy demanday qui luy avoit dit. Il me pria de pardonner à celuy qui luy avoit déclaré: ce que je luy accorday bien qu'il devoit s'adresser à moy. Il croignoit dit-il qu'eussiez entré en cholere, & que l'eussiez offencé. Je luy dis que je sçavois mieux me gouverner que cela en telles affaires, & qu'il le fit venir, pour l'oyr parler. Il 152/300y fut, & l'amena tout tremblant de crainte qu'il avoit que luy fisse quelque desplaisir. Je l'asseuray, & luy dy qu'il n'eust point de peur & qu'il estoit en lieu de seureté, & que je luy pardonnois tout ce qu'il avoit fait avec les autres, pourveu qu'il dist entièrement la vérité de toutes chose, & le subjet qui les y avoit meuz, Rien, dit-il, sinon que ils s'estoient imaginez que rendant la place entre les mains des Basques ou Espaignols, ils seroient tout riches, & qu'ils ne desiroient plus aller en France, & me conta le surplus de leur entreprinse.

Après l'avoir entendu & interrogé, je luy dis qu'il s'en allast à ses affaires: Cependant je commanday au pilotte qu'il fist: approcher sa chalouppe: ce qu'il fit; & après donnay deux bouteilles de vin à un jeune homme, & qu'il dit à ces quatre galants principaux de l'entreprinse, que c'estoit du vin de present que ses amis de Tadoussac luy avoient donné & qu'il leur en vouloit faire part: ce qu'ils ne réfuserent, & furent sur le soir en la Barque, où il leur devoit donner la collation: je ne tarday pas beaucoup après à y aller, & les fis prendre & arrester attendant le lendemain.

Voyla donc mes galants bien estonnez. Aussitost je fis lever un chacun (car c'estoit sur les dix heures du soir) & leur pardonnay à tous, pourveu qu'ils me disent la vérité de tout ce qui s'estoit passé, ce qu'ils firent, & après les fis retirer.

Le lendemain je prins toutes leurs depositions les unes après les autres devant le pilotte & les mariniers du vaisseau, lesquelles je fis coucher par escript, & furent fort aises à ce qu'ils dirent, d'autant qu'ils ne vivoient qu'en crainte, pour 153/301la peur qu'ils avoient les uns des autres, & principalement de ces quatre coquins qui les avoient ceduits; & depuis vesquirent en paix, se contentans du traictement qu'ils avoient receu, comme ils déposerent.

Ce jour fis faire six paires de menottes pour les autheurs de la cedition, une pour nostre Chirurgien appelé Bonnerme, une pour un autre appelé la Taille que les quatre ceditieux avoient chargez, ce qui se trouva neantmoins faux, qui fut occasion de leur donner liberté.

Ces choses estans faites, j'emmenay mes galants à Tadoussac, & priay le Pont de me faire ce bien de les garder, d'autant que je n'avois encores lieu de seureté pour les mettre, & qu'estions empeschez à édifier nos logemens, & aussi pour prendre resolution de luy & d'autres du vaisseau, de ce qu'aurions à faire là dessus. Nous advisames qu'après qu'il auroit fait ses affaires à Tadoussac, il s'en viendroit à Ouebecq avec les prisonniers, où les ferions confronter devant leurs tesmoins: & après les avoir ouis, ordonner que la justice en fut faite selon le délict qu'ils auroient commis.

Je m'en retournay le lendemain à Quebecq pour faire diligence de parachever nostre magazin, pour retirer nos vivres qui avoient esté abandonnez de tous ces belistres, qui n'espargnoient rien, sans considerer où ils en pourroient trouver d'autres quand ceux là manqueroient: car je n'y pouvois donner remède que le magazin ne fut fait & fermé.

Le Pont-gravé arriva quelque temps après moy, avec les prisonniers, ce qui apporta du mescontentement aux ouvriers qui 154/302restoient, craignant que je leur eusse pardonné, & qu'ils n'usassent de vengeance envers eux, pour avoir déclaré leur mauvais dessin.

Nous les fismes confronter les uns aux autres, où ils leur maintindrent tout ce qu'ils avoient déclaré dans leur dépositions, sans que les prisonniers leur deniassent le contraire, s'accusans d'avoir meschament fait, & mérité punition, si on n'usoit de misericorde envers eux, en maudissant Jean du Val, comme le premier qui les avoit induits à telle trahison, dés qu'ils partirent de France. Ledit du Val ne sceut que dire, sinon qu'il meritoit la mort, & que tout le contenu és informations estoit véritable, & qu'on eust pitié de luy, & des autres qui avoient adhéré à ses pernicieuses vollontez.

Après que le Pont & moy, avec le Capitaine du vaisseau, le Chirurgien, maistre, contre maistre, & autres mariniers eusmes ouy leurs dépositions & confrontations, Nous advisames que ce seroit assez de faire mourir le dit du Val, comme le motif de l'entreprinse, & aussi pour servir d'exemple à ceux qui restoient, de se comporter sagement à l'advenir en leur devoir, & afin que les Espagnols & Basques qui estoient en quantité au pays n'en fissent trophée: & les trois autres condamnez d'estre pendus, & cependant les remmener en France entre les mains du sieur de Mons, pour leur estre fait plus ample justice, selon qu'il adviseroit, avec toutes les informations, & la sentence, tant dudict Jean du Val qui fut pendu & estranglé audit Quebecq, & sa teste mise au bout d'une pique pour estre plantée au lieu le plus eminent de nostre fort & les autres trois renvoyez en France.




155/303Retour du Pont-gravé en France. Description de nostre logement & du lieu ou sejourna Jaques Quartier en l'an 1535.

CHAPITRE IV.

Aprés que toutes ces choses furent passées le Pont partit de Quebecq le 18 Septembre pour s'en retourner en France avec les trois prisonniers. Depuis qu'ils furent hors tout le reste se comporta sagement en son devoir.

Je fis continuer nostre logement, qui estoit de trois corps de logis à deux estages. Chacun contenoit trois thoises de long & deux & demie de large. Le magazin216 six & trois de large, avec une belle cave de six pieds de haut. Tout autour de nos logemens je fis faire une galerie par dehors au second estage, qui estoit fort commode, avec des fossés de 15 pieds de large & six de profond: & au dehors des fossés, je fis plusieurs pointes d'esperons217 qui enfermoient une partie du logement, 156/304là où nous mismes nos pièces de canon: & devant le bastiment y a une place 218 de quatre thoises de large, & six ou sept de long, qui donne sur le bort de la riviere. Autour du logement y a des jardins qui sont très-bons, & une place de costé de Septemptrion qui a quelque cent ou six vingts pas de long, 50 ou 60 de large 219. Plus proche dudit Quebecq, y a une petite riviere 220 qui vient dedans les terres d'un lac distant de nostre habitation de six à sept lieues. Je tiens que dans cette riviere qui est au Nort & un quart du Norouest de nostre habitation, ce fut le lieu où Jaques Quartier yverna, d'autant qu'il y a encores à une lieue 221 dans la riviere des vestiges comme d'une cheminée, dont on a trouvé le fondement, & apparence d'y avoir eu des fossez autour de leur logement, qui estoit petit. Nous trouvasmes aussi de grandes pièces de bois escarrées, vermoulues, & quelques 3 ou 4 balles de canon. Toutes ces choses monstrent evidemment que c'a esté une 157/305habitation, laquelle a esté fondée par des Chrestiens: & ce qui me fait dire & croire que c'est Jaques Quartier, c'est qu'il ne se trouve point qu'aucun aye yverné ny basty en ces lieux que ledit Jaques Quartier au temps de ses descouvertures, & failloit, à mon jugement, que ce lieu s'appelast sainte Croix, comme il l'avoit nommé, que l'on a transféré depuis à un autre lieu qui est 15 lieues de nostre habitation à l'Ouest, & n'y a pas d'apparence qu'il eust yverné en ce lieu que maintenant on appelle saincte Croix, ny en d'autres: d'autant qu'en ce chemin il n'y a riviere ny autres lieux capables de tenir vaisseaux, si ce n'est la grande riviere ou celle dont j'ay parlé cy dessus, où de basse mer y a demie brasse d'eau, force rochers & un banc à son entrée: Car de tenir des vaisseaux dans la grande riviere, où il y a de grands courans, marées & glaces qui charient en hyver, ils courroient risque de se perdre, aussi qu'il y a une pointe de sable qui advance sur la riviere, qui est remplie de rochers, parmy lesquels nous avons trouvé depuis trois ans un partage 222 qui n'avoit point encore esté descouvert: mais pour le passer il faut bien prendre son temps, à cause des pointes & dangers qui y sont. Ce lieu est à descouvert des vents de Norouest, & la riviere y court comme si c'estoit un saut d'eau, & y pert de deux brasses & demie. Il ne s'y voit aucune apparence de bastimens ny qu'un homme de jugement voulust s'establir en cest endroit, y en ayant beaucoup d'autres meilleurs quand on seroit forcé de demeurer, 158/306J'ay bien voulu traicter de cecy, d'autant qu'il y en a beaucoup qui croyent que ce lieu fust la residence dudit Jaques Quartier223: ce que je ne croy pas pour les raisons cy dessus: car ledit Quartier en eust aussi bien fait le discours pour le laisser à la posterité comme il l'a fait de tout ce qu'il a veu & descouvert: & soustiens que mon dire est véritable: ce qui se peut prouver par l'histoire qu'il en a escrite.

Note 216: (retour)

Suivant toutes les apparences, ce premier magasin de Québec était situé à angle droit avec les longs pans de l'église de la basse ville, à peu près à l'endroit où est la chapelle latérale, et, comme ce terrain continua d'appartenir au gouvernement jusqu'à ce qu'on y bâtit, l'église, il y a tout lieu de croire que la limite de cette enceinte, du côté du sud-ouest, était l'alignement du mur auquel est adossé le maître-autel, avec l'encoignure des rues Saint-Pierre et Sous-le-Fort.

Note 217: (retour)

Les deux corps de logis les plus rapprochés du fleuve devaient faire entre eux un angle correspondant à celui que fait, un peu plus en arrière, la rue Notre-Dame; par conséquent les deux pointes d'éperons que figurent l'auteur dans la vue de ce premier logement, enfermaient quelque peu l'habitation de ce côté. Cependant il semble que, s'il n'y en avait eu que deux, Champlain n'aurait pas dit plusieurs; en outre on remarque, dans ce dessin, la prolongation d'une des faces de l'enceinte au-delà de l'angle oriental de l'habitation; ce qui autorise à croire qu'il y avait une troisième pointe d'éperon du côté du nord-est. Ceci est d'autant plus vraisemblable, que ce côté était plus exposé à une attaque.

Note 218: (retour)

Cette place forme aujourd'hui une partie de la rue Saint-Pierre, dont la direction s'est trouvée déterminée sans doute par la position du corps de logis qui était le plus à l'est, comme semble l'indiquer le dessin que nous en a conservé l'auteur.

Note 219: (retour)

La largeur de la rue Notre-Dame, avec les emplacements qui la bordent du côté du Nord, forment en effet une profondeur d'une cinquantaine de pas.

Note 220: (retour)

Cette Petite Rivière (car les habitants de Québec l'appellent encore ainsi) vient du lac Saint-Charles, qui n'est qu'à environ quatre lieues de Québec. Les Montagnais, au rapport du Frère Sagard, l'appelaient Cabirecoubat, «à raison, dit-il, qu'elle tourne et fait plusieurs pointes.» (Hist. du Canada, liv. II, ch. V.) Jacques Cartier lui donna le nom de Sainte-Croix, parce qu'il y arriva le jour de l'Exaltation de la sainte Croix, 14 septembre 1535; et enfin les Récollets lui imposèrent le nom qu'elle porte généralement aujourd'hui, et l'appelèrent rivière Saint-Charles, en mémoire du grand vicaire de Pontoise, Charles Des Boues. (P. Chrestien LeClercq, Prem. établiss. de la foi, vol I, p. 157.)

Note 221: (retour)

Suivant l'auteur lui-même (édit. 1632, liv. I, ch. II), Jacques Cartier hiverna à l'endroit où les PP. Jésuites fixèrent leur demeure, «Or, dit M. Ferland (I, p. 26), les Jésuites bâtirent leur première maison, ainsi que leur chapelle de Notre-Dame des Anges, à la pointe formée par les rivières Saint-Charles et Lairet. C'est donc à l'embouchure de la rivière Lairet, et vis-à-vis la pointe aux Lièvres, que furent placés pour l'hiver la Grande et la Petite Hermine.» Il est vrai que l'embouchure de la rivière Lairet n'est qu'à environ une demi-lieue dans la Petite-Rivière; mais il est probable que Champlain compte la distance depuis l'habitation.

Note 222: (retour)

Le chenal du Richelieu. On sait combien il est difficile de faire, dans un courant aussi rapide, des observations régulières et des sondages suivis.

Note 223: (retour)

Ce qu'il y a d'étonnant, c'est que, un siècle plus tard, Charlevoix, qui avait connaissance des relations et de Champlain et de Cartier, soutienne encore une opinion si dénuée de vraisemblance. (Voir Hist. gén. de la Nouv. France, liv I.)

296b

Abitation de Quebecq.

A Le magazin.

B Colombier.

C Corps de logis où sont nos armes, & pour loger les ouvriers.

D Autre corps de logis pour les ouvriers.

E Cadran.

F Autre corps de logis où est la forge, & artisans logés.

G Galleries tout au tour des logemens.

H Logis du sieur de Champlain.

I La porte de l'habitation, où il y a pont-levis.

L Promenoir autour de l'habitation contenant 10 pieds de large jusques

sur le bort du fossé.

M Fossés tout autour de l'habitation.

N Plattes formes, en façon de tenailles pour mettre le canon.

O Jardin du sieur de Champlain.

P La cuisine.

Q Place devant l'habitation sur le bort de la riviere.

R La grande riviere de sainct Lorens.

Et pour monstrer encore que ce lieu que maintenant on appelle saincte Croix n'est le lieu où yverna Jaques Quartier, comme la pluspart estiment, voicy ce qu'il en dit en des descouvertures, extrait de son histoire, asçavoir, Qu'il arriva à l'isle aux Coudres le 5 Decembre224 en l'an 1535. qu'il appella de ce nom pour y en avoir, auquel lieu y a grand courant de marée, & dit qu'elle contient 3 lieues de long, mais quand on contera lieue & demie c'est beaucoup 225.

Note 224: (retour)

Le 6 septembre. (Voir le second Voyage de Cartier.)

Note 225: (retour)

L'île aux Coudres a deux lieues de long, et une lieue de large.

Et le 7 du mois jour de nostre dame 226, il partit d'icelle pour aller à mont le fleuve, où il vit 14 isles distantes de l'isle aux Coudres de 7 à 8 lieues du Su. En ce compte il s'esgare un peu, car il n'y en a pas plus de trois 227: & dit que le lieu où sont les isles susd. est le commencement de la 159/307terre ou province de Canada, & qu'il arriva à une isle de 10 lieues de long & cinq de large, où il se fait grande pescherie de poisson, comme de fait elle est fort abondante, principalement en Esturgeon: mais de ce qui est de sa longueur elle n'a pas plus de six lieues & deux de large, chose maintenant assez cogneue. Il dit aussi qu'il mouilla l'ancre entre icelle isle & la terre du Nort, qui est le plus petit passage & dangereux, & là mit deux sauvages à terre qu'il avoit amenez en France, & qu'après avoir arresté en ce lieu quelque temps avec les peuples du pays il fit admener ses barques, & passa outre à mont ledict fleuve avec le flot pour cercher havre & lieu de seureté pour mettre les navires, & qu'ils furent outre le fleuve costoyant ladite isle contenant 10 lieues comme il met, où au bout ils trouverent un affour d'eau fort beau & plaisant, auquel y a une petite riviere & havre de barre, qu'ils trouverent fort propre pour mettre leurs vaisseaux à couvert, & le nommèrent saincte Croix 228, pour y estre arrivez ce jour là lequel lieu s'appeloit au temps, & voyage dudit Quartier Stadaca229, que maintenant nous appelons Quebecq, & qu'après qu'il eust recogneu ce lieu, il retourna quérir ses vaisseaux pour y yverner.

Note 226: (retour)

Champlain cite ici fidèlement; mais le 7 de septembre était, comme aujourd'hui, la veille, et non le jour, de la Nativité de Notre-Dame. Aussi Ramusio met-il: la vigilia della Madona; et Hakluyt: being our Ladies even.

Note 227: (retour)

L'auteur eût mieux fait, ce semble, de ne pas reprendre ici le capitaine malouin, qui, au fond, est plus exact que lui. Il est bien vrai que ces quatorze îles sont environ trois lieues plus haut, dans le fleuve, que ne l'est l'île aux Coudres; mais celle-ci est très-rapprochée de la côte du nord; tandis que les autres sont du côté du sud. En sorte que, de l'île aux Coudres au point le plus rapproché de l'île aux Oies, il n'y a guère moins de cinq lieues; et même, pour entrer dans cet archipel, qui ne commence sensiblement qu'au haut de l'île aux Grues, il faut faire pour le moins sept ou huit lieues en ligne droite.

Note 228: (retour)

Voir la note 3 de la page 156.

Note 229: (retour)

Stadaconé (Second Voyage de Cartier).

Or est il donc à juger que de l'isle aux Coudres jusques à l'isle d'Orléans, il n'y a que 5 lieues, au bout de laquelle vers l'Occidant la riviere est fort spacieuse, & n'y a audit 160/308affour, comme l'appelle Quartier, aucune riviere que celle qu'il nomma saincte Croix, distante de l'isle d'Orléans d'une bonne lieue, où de basse mer n'y a que demie brasse d'eau, & est fort dangereuse en son entrée pour vaisseaux, y ayant quantité d'esprons, qui sont rochers espars par cy par là, & faut balisser pour entrer dedans, où de plaine mer, comme j'ay dict, il y a 3 brasses d'eau, & aux grandes marées 4 brasses, & 4 & demie ordinairement à plain flot, & n'est qu'à 1500 pas de nostre habitation, qui est plus à mont dans ladite riviere, & n'y a autre riviere, comme j'ay dit, depuis le lieu que maintenant on appelle saincte Croix, où on puisse mettre aucuns vaisseaux: Ce ne sont que de petits ruisseaux. Les costes son plattes & dangereuses, dont Quartier ne fait aucune mention que jusques à ce qu'il partit du lieu de saincte Croix appelé maintenant Quebecq, où il laissa ses vaisseaux, & y fit édifier son habitation comme on peut voir ainsi qu'il s'ensuit.

Le 19 Septembre il partit de saincte Croix où estoient ses vaisseaux, & fit voile pour aller avec la marée à mont ledit fleuve qu'ils trouverent fort aggreable, tant pour les bois, vignes & habitations qu'il y avoit de son temps, qu'autres choses: & furent poser l'ancre à vingt cinq lieues de l'entrée 161/309de la terre de Canada 230, qui est au bout de l'isle d'Orléans du costé de l'oriant ainsi appelée par ledit Quartier. Ce qu'on appelle aujourd'huy S. Croix s'appeloit lors Achelacy231, destroit de la riviere, fort courant & dangereux, tant pour les rochers qu'autres choses, & où on ne peut passer que de flot, distant de Quebecq & de la riviere où yverna ledit Quartier 15 lieues.

Note 230: (retour)

«Charlevoix,» dit M. Ferland (I, p. 24), «croit que Cartier s'est trompé en restreignant le nom de Canada à une très-petite partie du pays... Cependant, nonobstant la haute autorité de Charlevoix, il est permis de croire que Cartier, dans ses rapports avec les sauvages pendant les deux hivers qu'il a passés près de Stadaconé, a dû apprendre les noms des différentes parties du pays. Il s'explique fort clairement sur les divisions territoriales reconnues par les nations qui habitaient les bords du grand fleuve; et, d'après leur témoignage, il établit l'existence des royaumes de Saguenay, de Canada et de Hochelaga, chacun desquels était soumis à un chef principal. Donnacona, dont la résidence ordinaire était à Stadaconé et dont l'autorité ne s'étendait pas au-delà de quelques lieues autour de sa bourgade, est toujours désigné comme roi de Canada. Cartier lui-même, le routier de Jean-Alphonse et l'auteur du voyage de Roberval, donnent le nom de Canada à Stadaconé et à la pointe de terre sur laquelle était ce village. Ce fut plus tard que le nom de rivière de Canada fut assigné par les Français au fleuve qui traverse le pays.»

Note 231: (retour)

L'auteur suit, pour ce mot, l'orthographe de Lescarbot; mais les trois relations manuscrites du Second Voyage de Cartier, portent Achelaiy ou Achelayy, et l'édition de 1545 Ochelay.

Or en toute ceste riviere n'y a destroit depuis Quebecq jusques au grand saut, qu'en ce lieu que maintenant on appelle saincte Croix, où on a transféré ce nom d'un lieu à un autre qui est fort dangereux, comme j'ay descript: & appert fort clairement par son discours, que ce n'est point le lieu de son habitation, comme dit est, & que ce fut proche de Quebecq & qu'aucun n'avoit encore recerché ceste particularité, sinon ce que j'ay fait en mes voyages: Car dés la première fois qu'on me dit qu'il avoit habité en ce lieu, cela m'estonna fort, ne voyant apparence de riviere pour mettre vaisseaux, comme il descrit. Ce fut ce qui m'en fit faire exacte recerche pour en lever le soubçon & doubte à beaucoup.

Pendant que les Charpentiers, scieurs d'aix & autres ouvriers travailloient à nostre logement, je fis mettre tout le reste à desfricher au tour de l'habitation, afin de faire des jardinages pour y semer des grains & grennes pour voir comme le tout succederoit, d'autant que la terre parroissoit fort bonne.

162/310Cependant quantité des sauvages estoient cabannés proche de nous, qui faisoient pesche d'anguilles qui commencent à venir comme au 15 de Septembre, & finit au 13 Octobre. En ce temps tous les sauvages se nourrissent de ceste manne, & en font secher pour l'yver jusques au mois de Fevrier, que les neiges sont grandes comme de 2 pieds & demy, & 3 pieds pour le plus, qui est le temps que quand leurs anguilles & autres choses qu'ils font checher, sont accommodées, ils vont chasser aux Castors, où ils sont jusques au commencement de Janvier. Comme ils y furent, ils nous laisserent en garde toutes leurs anguilles & autres choses jusques à leur retour, qui fut au 15 Décembre, & ne firent pas grand chasse de Castors pour les eaux estre trop grandes, & les rivieres desbordées, ainsi qu'ils nous dirent. Je leur rendis toutes leurs vituailles qui ne leur durèrent que jusques au 20 de Janvier. Quand leurs anguilles leur faillent ils ont recours à chasser aux Eslans & autres bestes sauvages, qu'ils peuvent trouver en attendant le printemps, où j'eu moyen de les entretenir de plusieurs choses. Je consideray fort particulièrement leurs coustumes232.

Note 232: (retour)

L'auteur répète ici, avec quelques corrections, ce qu'il dit dans son Voyage de 1603, ch. III.

Tous ces peuples patissent tant, que quelquesfois ils sont contraincts de vivre de certains coquillages, & manger leurs chiens & peaux dequoy ils se couvrent contre le froid. Je tiens que qui leur monstreroit à vivre, & leur enseigneroit le labourage des terres, & autres choses, ils apprendroient fort bien: car ils s'en trouve assez qui ont bon jugement & 163/311respondent à propos sur ce qu'on leur demande. Ils ont une meschanceté en eux, qui est d'user de vengeance, & d'estre grands menteurs, gens ausquels il ne se faut pas trop asseurer, sinon avec raison, & la force en la main. Ils promettent assez, mais ils tiennent peu. Ce sont gens dont la pluspart n'ont point de loy, selon que j'ay peu voir, avec tout plain d'autres fauces croyances. Je leur demanday de quelle sorte de cérémonies ils usoient à prier leur Dieu, ils me dirent qu'ils n'en usoient point d'autres, sinon qu'un chacun le prioit en son coeur, comme il vouloit. Voila pourquoy il n'y a aucune loy parmy eux, & ne sçavent que c'est d'adorer & prier Dieu, vivans comme bestes bruttes, & croy que bien tost ils seroient réduits bons Chrestiens si on habitoit leur terre, ce qu'ils désirent la pluspart. Ils ont parmy eux quelques sauvages qu'ils appellent Pillotois, qu'ils croient parler au Diable visiblement, leur disant ce qu'il faut qu'ils facent, tant pour la guerre que pour autres choses, & s'ils leur commandoit qu'ils allassent mettre en exécution quelque entreprinse, ils obeiroient aussitost à son commandement: Comme aussi ils croyent que tous les songes qu'ils font, sont véritables: & de fait, il y en a beaucoup qui disent avoir veu & songé choses qui adviennent ou adviendront. Mais pour en parler avec vérité, ce sont visions Diabolique qui les trompe & seduit. Voila tout ce que j'ay peu apprendre de leur croyance bestialle. Tous ces peuples sont gens bien proportionnez de leurs corps, sans difformité, & sont dispos. 164/312Les femmes sont aussi bien formées, potelées & de couleur bazannée, à cause de certaines peintures dont elles se frotent, qui les fait demeurer olivastres. Ils sont habillez de peaux: une partie de leur corps est couverte & l'autre partie descouverte: mais l'yver ils remédient à tout: car ils sont habillez de bonnes fourrures, comme de peaux d'Eslan, Loustres, Castors, Ours, Loups marins, Cerfs & Biches qu'ils ont en quantité. L'yver quand les neges sont grandes ils font une manière de raquettes qui sont grandes deux ou trois fois plus que celles de France, qu'ils attachent à leurs pieds, & vont ainsi dans les neges, sans enfoncer: car autrement ils ne pourroient chasser ny aller en beaucoup de lieux. Ils ont aussi une façon de mariage, qui est, Que quand une fille est en l'aage de 14 ou 15 ans, & qu'elle a plusieurs serviteurs elle a compagnie avec tous ceux que bon luy semble: puis au bout de 5 ou 6 ans elle prend lequel il luy plaist pour son mary, & vivent ensemble jusques à la fin de leur vie: sinon qu'après avoir demeuré quelque temps ensemble, & elles n'ont point enfans, l'homme se peut desmarier & prendre une autre femme, disant que la sienne ne vaut rien: Par ainsi les filles sont plus libres que les femmes.

Depuis qu'elles sont mariés, elles sont chastes, & leurs maris sont la pluspart jaloux, lesquels donnent des presens aux pères ou parens des filles qu'ils ont espousez. Voila les cérémonies & façons dont ils usent en leurs mariages. Pour ce qui est de leurs enterremens: Quand un homme, ou une femme meurt, ils font une fosse, où ils mettent tout le bien qu'ils ont, comme chaudières, fourrures, haches, arcs, flèches, 165/313robbes & autres choses: puis ils mettent le corps dans la fosse & le couvrent de terre, & mettent quantité de grosses pièces de bois dessus, & une autre debout qu'ils peindent de rouge par enhaut. Ils croyent l'immortalité des âmes, & disent qu'ils vont se rejouir en d'autres pays, avec leurs parens & amis qui sont morts. Si ce sont Capitaines ou autres ayans quelque créance, ils vont après leur mort, trois fois l'année faire un festin, chantans & dançans sur leur fosse.

Tout le temps qu'ils furent avec nous, qui estoit le lieu le plus de seureté pour eux, ils ne laissoient d'aprehender tellement leurs ennemis, qu'ils prenoient souvent des alarmes la nuit en songeant, & envoyoient leurs femmes & enfans à nostre fort, où je leur faisois ouvrir les portes, & les hommes demeurer autour dudict: fort, sans permettre qu'ils entrassent dedans, car ils estoient autant en seureté de leurs personnes comme s'ils y eussent esté, & faisois sortir cinq ou six de nos compagnons pour leur donner courage, & aller descouvrir parmy les bois s'ils verroient rien pour les contenter. Ils sont fort craintifs & aprehendent infiniment leurs ennemis, & ne dorment presque point en repos en quelque lieu qu'ils soient, bien que je les asseurasse tous les jours de ce qu'il m'estoit possible, en leur remonstrant de faire comme nous, sçavoir veiller une partie, tandis que les autres dormiront, & chacun avoir ses armes prestes comme celuy qui fait le guet, & ne tenir les songes pour vérité, sur quoy ils se reposent: d'autant que la pluspart ne sont que menteries, avec autres propos sur ce subject: mais peu leur servoient ces 166/314remonstrances, & disoient que nous sçavions mieux nous garder de toutes choses qu'eux, & qu'avec le temps si nous habitions leur pays, ils le pourroient apprendre.




Semences & vignes plantées a Quebecq. Commencement de l'hiver & des glaces. Extresme necessité de certains sauvages.

CHAPITRE V.

Le premier Octobre, je fis semer du bled, & au 15 du seigle.

Le 3 du mois il fit quelques gelées blanches, & les feuilles des arbres commencèrent à tomber au 15.

Le 24 du mois, je fis planter des vignes du pays, qui vindrent fort belles: Mais après que je fus party de l'habitation pour venir en France, on les gasta toutes, sans en avoir eu soing, qui m'affligea beaucoup à mon retour.

Le 18 de Novembre tomba quantité de neges, mais elles ne durèrent que deux jours sur la terre, & fit en ce temps un grand coup de vent. Il mourut en ce mois un matelot & nostre serrurier233, de la dissenterie, comme firent plusieurs sauvages à force de manger des anguilles mal cuites, selon mon advis.

Note 233: (retour)

Antoine Natel (voir ci-dessus, p. 150).

Le 5 Fevrier il negea fort, & fit un grand vent qui dura deux jours.

Le 20 du mois il apparut à nous quelques sauvages qui estoient de dela la riviere, qui crioyent que nous les allassions 167/315secourir, mais il estoit hors de nostre puissance, à cause de la riviere qui charioit un grand nombre de glaces, car la faim pressoit si fort ces pauvres miserables, que ne sçachans que faire, ils se resolurent de mourir, hommes, femmes, & enfans, ou de passer la riviere, pour l'esperance qu'ils avoient que je les assisterois en leur extresme necessité. Ayant donc prins ceste resolution, les hommes & les femmes prindrent leurs enfans, & se mirent en leurs canaux, pensant gaigner nostre coste par une ouverture de glaces que le vent avoit faitte: mais ils ne furent sitost au milieu de la riviere, que leurs canaux furent prins & brisez entre les glaces en mille pièces. Ils firent si bien qu'ils se jetterent avec leurs enfans que les femmes portoient sur leur dos, dessus un grand glaçon. Comme ils estoient là dessus, on les entendoit crier, tant que c'estoit grand pitié, n'esperans pas moins que de mourir: Mais l'heur en voulut tant à ces pauvres miserables, qu'une grande glace vint choquer par le costé de celle où ils estoient, si rudement qu'elle les jetta à terre. Eux voyant ce coup si favorable furent à terre avec autant de joye que jamais ils en receurent, quelque grande famine qu'ils eussent eu. Ils s'en vindrent à nostre habitation si maigres & deffaits, qu'ils sembloyent des anathomies, la pluspart ne pouvans se soubstenir. Je m'estonnay de les voir, & de la façon qu'ils avoient passé, veu qu'ils estoient si foibles & debilles. Je leur fis donner du pain & des feves. Ils n'eurent pas la patience qu'elles fussent cuites pour les manger. Je leur pretay aussi quelques escorces d'arbres, que d'autres sauvages 168/316m'avoient donné pour couvrir leurs cabanes. Comme ils se cabannoient, ils adviserent une charongne qu'il y avoit prés de deux mois que j'avois fait jetter pour attirer des regnards, dont nous en prenions de noirs & roux, comme ceux de France, mais beaucoup plus chargez de poil. Ceste charongne estoit une truye & un chien qui avoient enduré toutes les rigueurs du temps chaut & froit. Quand le temps s'adoulcissoit, elles puoit si fort que l'on ne pouvoit durer auprès: neantmoins ils ne laisserent de la prendre & emporter en leur cabanne, où aussitost ils la devorerent à demy cuite, & jamais viande ne leur sembla de meilleur goust. J'envoyay deux ou trois hommes les advertir qu'ils n'en mengeassent point s'ils ne vouloient mourir: comme ils approchèrent de leur cabanne, ils sentirent une telle puanteur de ceste charongne à demy eschauffée, dont ils avoient chacun une pièce en la main, qu'ils pencerent rendre gorge, qui fit qu'ils n'y arresterent gueres. Ces pauvres miserables acheverent leur festin. Je ne laissay pourtant de les accommoder selon ma puissance, mais c'estoit peu pour la quantité qu'ils estoient: & dans un mois ils eussent bien mangé tous nos vivres, s'ils les eussent eu en leur pouvoir, tant ils sont gloutons: Car quand ils en ont, ils ne mettent rien en reserve, & en font chère entière jour & nuit, puis après ils meurent de faim. Ils firent encore une autre chose aussi miserable que la première. J'avois fait mettre une chienne au haut d'un arbre, qui servoit d'appas aux martres & oiseaux de proye, où je prenois plaisir, d'autant qu'ordinairement ceste charongne en estoit assaillie: Ces 169/317sauvages furent à l'arbre & ne pouvans monter dessus à cause de leur foiblesse, ils l'abbatirent, & aussitost enleverent le chien, où il n'y avoit que la peau & les os, & la teste puante & infaicte, qui fut incontinent devoré.

Voila le plaisir qu'ils ont le plus souvent en yver: Car en esté ils ont assez de quoy se maintenir & faire des provisions, pour n'estre assaillis de ces extresmes necessitez, les rivieres abbondantes en poisson & chasse d'oiseaux & austres bestes sauvages. La terre est fort propre & bonne au labourage, s'ils vouloient prendre la peine d'y semer des bleds d'Inde, comme font tous leurs voisins Algommequins, Ochastaiguins234 & Yroquois, qui ne sont attaquez d'un si cruel assaut de famine pour y sçavoir remédier par le soin & prevoyance qu'ils ont, qui fait qu'ils vivent heureusement au pris de ces Montaignets, Canadiens 235 & Souriquois qui sont le long des costes de la mer. Voila la pluspart de leur vie miserable. Les neiges & les glaces y sont trois mois sur la terre, qui est depuis le mois de Janvier jusques vers le huictiesme d'Avril, qu'elles sont presque toutes fondues: Et au plus à la fin dudict mois il ne s'en voit que rarement au lieu de nostre habitation. C'est chose estrange, que tant de neiges & glaces qu'il y a espoisses de deux à trois brasses sur la riviere soient en moins de 12 jours toutes fondues. Depuis Tadoussac jusques à Gaspé, cap Breton, 170/318isle de terre neufve & grand baye, les glaces & neges y sont encores en la pluspart des endroits jusques à la fin de May: auquel temps toute l'entrée de la grande riviere est scelée de glaces: mais à Quebecq il n'y en a point: qui montre une estrange différence pour 120 lieues de chemin en longitude236: car l'entrée de la riviere est par les 49, 50 & 51 degré de latitude, & nostre habitation par les 46. & deux tiers 237.

Note 234: (retour)

C'est ainsi que Champlain a d'abord appelé les Hurons, du nom d'Ochateguin, l'un de leurs chefs.

Note 235: (retour)

A cette époque on comprenait sous le nom de Canadiens les sauvages qui demeuraient plus bas que le Saguenay, sur les bords de la grande rivière de Canada. «Au costé gauche de ce fleuve» (du Saguenay), dit Laët, «commence la province des Sauvages appelles vulgairement Canadiens.» (Description des Indes Occidentales, liv. II, ch. VIII.)

Note 236: (retour)

Champlain n'ignorait pas que c'est surtout la différence de latitude qui fait la différence des climats; mais ce qui paraît le surprendre, c'est que, à une si petite distance dans le fleuve, il y ait une si grande différence de température, lorsque la latitude ne diffère que de trois ou quatre degrés.

Note 237: (retour)

D'après le capitaine Bayfield, la latitude de Québec est de 46° 49' 8", au bastion de l'Observatoire.




Maladies de la terre, à Quebecq. Le suject de l'yvernement. Description dudit lieu. Arrivée du sieur des Marais gendre de Pont-gravé, audit Quebecq.

CHAPITRE VI.

Les maladies de la terre commencèrent à prendre fort tart, qui fut en Fevrier jusqu'à la my Avril. Il en fut frappé 18 & en mourut dix, & cinq autres de la disenterie. Je fis faire ouverture de quelques uns, pour voir s'ils estoient offencez comme ceux que j'avois veus és autres habitations: on trouva le mesme. Quelque temps après nostre Chirurgien 238 mourut. Tout cela nous donna beaucoup de desplaisir, pour la peine que nous avions à penser les malades. Cy dessus J'ay descript la forme de ces maladies.

Note 238: (retour)

Il s'appelait Bonnerme (voir, ci-dessus, p. 153).

171/319Or je tiens qu'elles ne proviennent que de manger trop de salures & légumes, qui eschaufent le sang, & gastent les parties intérieures. L'yver aussi en est en partie cause, qui reserre la chaleur naturelle qui cause plus grande corruption de sang: Et aussi la terre quand elle est ouverte il en sort de certaines vapeurs qui y sont encloses lesquelles infectent l'air: ce que l'on a veu par expérience en ceux qui ont esté aux autres habitations après la première année que le soleil eut donné sur ce qui estoit deserté, tant de nostre logement qu'autres lieux, où l'air y estoit beaucoup meilleur & les maladies non si aspres comme devant. Pour ce qui est du pays, il est beau & plaisant, & apporte toutes sortes de grains & grennes à maturité, y ayant de toutes les especes d'arbres que nous avons en nos forests par deçà, & quantité de fruits, bien qu'ils soient sauvages pour n'estre cultivez: comme Noyers, Serisiers, Pruniers, Vignes, Framboises, Fraizes, Groiselles verdes & rouges, & plusieurs autres petits fruits qui y sont assez bons. Aussi y a il plusieurs sortes de bonnes herbes & racines. La pesche de poisson y est en abondance dans les rivieres, où il y a quantité de prairies & gibier, qui est en nombre infiny. Depuis le mois d'Avril jusques au 13 de Décembre l'air y est si sain & bon, qu'on ne sent en soy aucune mauvaise disposition: Mais Janvier Fevrier & Mars sont dangereux pour les maladies qui prennent plustost en ce temps qu'en esté, pour les raisons cy dessus dittes: Car pour le traitement, tous ceux qui estoient avec moy estoient bien vestus, & couchez dans de 172/320bons licts, & bien chauffez & nourris, s'entend des viandes salées que nous avions, qui à mon opinion les offensoient beaucoup, comme j'ay dict cy dessus: & à ce que j'ay veu, la maladie s'attacque aussi bien à un qui se tient délicatement, & qui aura bien soin de soy, comme à celuy qui fera le plus miserable. Nous croiyons au commencement qu'il n'y eust que les gens de travail qui fussent prins de ces maladies: mais nous avons veu le contraire. Ceux qui navigent aux Indes Orientalles & plusieurs autres régions, comme vers l'Allemaigne & l'Angleterre, en sont aussi bien frappez qu'en la nouvelle France. Depuis quelque temps en ça les Flamans en estans attacquez en leurs voyages des Indes, ont trouvé un remède fort singulier contre ceste maladie, qui nous pourroit bien servir: mais nous n'en avons point la cognoissance pour ne l'avoir recherché. Toutesfois je tiens pour asseuré qu'ayant de bon pain & viandes fraîches, qu'on n'y feroit point subject.

Le 8 d'Avril les neges estoient toutes fondues, & neantmoins l'air estoit encores assez froit jusques en Avril239, que les arbres commencent à jetter leurs fueilles.

Note 239: (retour)

En mai. L'auteur corrige lui-même dans l'édition de 1632.

Quelques uns de ceux qui estoient malades du mal de la terre, furent guéris venant le printemps, qui en est le temps de guerison. J'avois un sauvage du pays qui yverna avec moy, qui fut atteint de ce mal, pour avoir changé sa nourriture en salée, lequel en mourut: Ce qui montre evidemment que les saleures ne valent rien, & y sont du tout contraires.

173/321Le 5 Juin arriva une chalouppe à nostre habitation, où estoit le sieur des Marais, gendre du Pont-gravé, qui nous aportoit nouvelles que son beau père estoit arrivé à Tadoussac le 28 de May. Ceste nouvelle m'apporta beaucoup de contentement pour le soulagement que nous en esperions avoir. Il ne restoit plus que huit de 28 que nous estions, encores la moitié de ce qui restoit esttoit mal disposée.

Le 7 de Juin je party de Quebecq, pour aller à Tadoussac communiquer quelques affaires, & priay le sieur des Marais de demeurer en ma place jusques à mon retour: ce qu'il fit.

Aussitost que j'y fus arrivé le Pont-gravé & moy discourusmes ensemble sur le subject de quelques descouvertures que je devois faire dans les terres, où les sauvages m'avoient promis de nous guider. Nous resolusmes que j'y irois dans une chalouppe avec vingt hommes, & que Pont-gravé demeureroit à Tadoussac pour donner ordre aux affaires de nostre habitation, ainsi qu'il avoit esté resolu, il fut fait & y yverna: d'autant que je devois m'en retourner en France selon le commandement du sieur de Mons, qui me l'avoit escrit, pour le rendre certain des choses que je pouvois avoir faites, & des descouvertures dudit pays. Après avoir prins ceste resolution je party aussitost de Tadoussac, & m'en retournay à Quebecq, où je fis accommoder une chalouppe de tout ce qui estoit necessaire pour faire les descouvertures du pays des Yroquois, où je devois aller avec les Montagnets nos alliez.




174/322 Partement de Quebecq jusques à l'isle saincte Esloy, & de la rencontre que j'y fis des sauvages Algomequins & Ochataiguins.

CHAPITRE VII.

Et pour cest effect je partis le 18 dudit mois, où la riviere commence à s'eslargir, quelque fois d'une lieue & lieue & demie en tels endroits. Le pays va de plus en plus en embellisant. Ce sont costaux en partie le long de la riviere & terres unies sans rochers que fort peu. Pour la riviere elle est dangereuse en beaucoup d'endroits, à cause des bancs & rochers qui sont dedans, & n'y fait pas bon naviger, si ce n'est la sonde à la main. La riviere est fort abondante en plusieurs sortes de poisson, tant de ceux qu'avons pardeça, comme d'autres que n'avons pas. Le pays est tout couvert de grandes & hautes forests des mesmes sortes qu'avons vers nostre habitation. Il y a aussi plusieurs vignes & noyers qui sont sur le bort de la riviere, & quantité de petits ruisseaux & rivieres, qui ne sont navigables qu'avec des canaux. Nous passames proche de la pointe Ste. Croix, où beaucoup tiennent (comme j'ay dit ailleurs) estre la demeure où yverna Jacques Quartier. Ceste pointe est de sable, qui advance quelque peu dans la riviere, à l'ouvert du Norouest, qui bat dessus. Il y a quelques prayries, mais elles sont innondées des eaues à toutes les fois que vient la plaine mer, qui pert de prés de deux brasses & demie. Ce passage est fort dangereux à passer pour quantité de rochers 175/323qui sont au travers de la riviere, bien qu'il y aye bon achenal, lequel est fort tortu, où la riviere court comme un ras, & faut bien prendre le temps à propos pour le passer. Ce lieu a tenu beaucoup de gens en erreur, qui croyoient ne le pouvoir passer que de plaine mer, pour n'y avoir aucun achenal: maintenant nous avons trouvé le contraire: car pour descendre du haut en bas, on le peut de basse mer: mais de monter, il seroit mal-aisé, si ce n'estoit avec un grand vent, à cause du grand courant d'eau, & faut par necessité attendre un tiers de flot pour le passer, où il y a dedans le courant 6, 8, 10, 12, 15 brasses d'eau en l'achenal.

Continuant nostre chemin, nous fusmes à une riviere qui est fort aggreable, distante du lieu de saincte Croix, de neuf lieues, & de Quebecq, 24 & l'avons nommée la riviere saincte Marie 240. Toute ceste riviere 241 depuis saincte Croix est fort plaisante & aggreable.

Note 240: (retour)

Aujourd'hui rivière Sainte-Anne de La Pérade. Elle est à environ neuf lieues de l'église actuelle de Sainte-Croix, et à une vingtaine de lieues de Québec.

Note 241: (retour)

Le fleuve Saint-Laurent.

Continuant nostre routte, je fis rencontre de quelques deux ou trois cens sauvages, qui estoient cabannez proche d'une petite isle, appelée S. Esloy242, distant de S. Marie d'une lieue & demie, & là les fusmes recognoistre, & trouvasmes que c'estoit des nations de sauvages appelez Ochateguins & Algoumequins qui venoient à Quebecq, pour nous assister aux descouvertures du pays des Yroquois, contre lesquels ils ont guerre mortelle, n'espargnant aucune chose qui toit à eux.

Note 242: (retour)

Voir le Voyage de 1603, p. 29.

176/324Après les avoir recogneus, je fus à terre pour les voir, & m'enquis qui estoit leur chef: Ils me dirent qu'il y en avoit deux, l'un appelé Yroquet & l'autre Ochasteguin qu'ils me montrèrent: & fus en leur cabanne, où ils me firent bonne réception, selon leur coustume.

Je commençay à leur faire entendre le subjet de mon voyage, dont ils furent fort resjouis: & après plusieurs discours je me retiray: & quelque temps après ils vindrent à ma chalouppe, où ils me firent present de quelque pelleterie, en me monstrant plusieurs signes de resjouissance: & de là s'en retournèrent à terre.

Le lendemain les deux chefs s'en vindrent me trouver, où ils furent une espace de temps sans dire mot, en songeant & petunant tousjours. Après avoir bien pensé, ils commencèrent à haranguer hautement à tous leurs compagnons, qui estoient sur le bort du rivage avec leurs armes en la main, escoutans fort ententivement ce que leurs chefs leur disoient, sçavoir.

Qu'il y avoit prés de dix lunes, ainsi qu'ils comptent, que le fils d'Yroquet m'avoit veu, & que je luy avois fait bonne réception, & déclaré que le Pont & moy desirions les assister contre leurs ennemis, avec lesquels ils avoient, dés longtemps, la guerre, pour beaucoup de cruautés qu'ils avoient exercées contre leur nation, soubs prétexte d'amitié: Et qu'ayant tousjours depuis desiré la vengeance, ils avoient solicité tous les sauvages que je voyois sur le bort de la riviere, de venir à nous, pour faire alliance avec nous, & qu'ils n'avoient 177/325jamais veu de Chrestiens, ce qui les avoit aussi meus de nous venir voir: & que d'eux & de leurs compagnons j'en ferois tout ainsi que je voudrois; & qu'ils n'avoient point d'enfans avec eux, mais gens qui sçavoient faire la guerre, & plains de courage, sçachans le pays & les rivieres qui sont au pays des Yroquois; & que maintenant ils me prioyent de retourner en nostre habitation, pour voir nos maisons, & que trois jours après nous retournerions à la guerre tous ensemble, & que pour signe de grande amitié & resjouissance je feisse tirer des mousquets & arquebuses, & qu'ils seroient fort satisfaits: ce que je fis. Ils jetterent de grands cris avec estonnement, & principalement ceux qui jamais n'en avoient ouy ny veus.

Après les avoir ouis, je leur fis responce, Que pour leur plaire, je desirois bien m'en retourner à nostre habitation pour leur donner plus de contentement, & qu'ils pouvoient juger que je n'avois autre intention que d'aller faire la guerre, ne portant avec nous que des armes, & non des marchandises pour traicter, comme on leur avoit donné à entendre, & que mon desir n'estoit que d'accomplir ce que je leur avois promis: & si j'eusse sceu qu'on leur eut raporté quelque chose de mal, que je tenois ceux là pour ennemis plus que les leur mesme. Ils me dirent qu'ils n'en croioyent rien, & que jamais ils n'en avoient ouy parler; neantmoins c'estoit le contraire: car il y avoit eu quelques sauvages qui le dirent au nostres: Je me contentay, attendant l'occasion de leur pouvoir montrer par effect autre chose qu'ils n'eussent peu esperer de moy.




178/326Retour à Quebecq, et depuis continuation avec les sauvages jusques au saut de la riviere des Yroquois.

CHAPITRE VIII.

Le lendemain 243 nous partismes tous ensemble, pour aller à nostre habitation, où ils se resjouirent quelques 5 ou 6 jours, qui se passerent en dances & festins, pour le desir qu'ils avoient que nous fussions à la guerre.

Note 243: (retour)

Probablement le 22 de juin.

Le Pont vint aussitost de Tadoussac avec deux petites barques plaines d'hommes, suivant une lettre où je le priois de venir le plus promptement qu'il luy seroit possible.

Les sauvages le voyant arriver se resjouirent encores plus que devant, d'autant que je leur dis qu'il me donnoit de ses gens pour les assister, & que peut estre nous yrions ensemble.

Le 28 du mois 244 nous esquipasmes des barques pour assister ces sauvages: le Pont se mit dans l'une & moy dans l'autre, & partismes tous ensemble. Le premier Juin245 arrivasmes à saincte Croix, distant de Quebecq de 15 lieues, où estant, nous advisames ensemble, le Pont & moy, que pour certaines considerations je m'en yrois avec les sauvages, & luy à nostre habitation & à Tadoussac. La resolution estant prise, j'embarqué dans ma chalouppe tout ce qui estoit necessaire avec neuf hommes, des Marais, & la Routte nostre pilotte, & moy.

Note 244: (retour)

Le 28 de juin.

Note 245: (retour)

Le premier juillet.

179/327Je party de saincte Croix, le de Juin246 avec tous les sauvages, & passames par les trois rivieres, qui est un fort beau pays, remply de quantité de beaux arbres. De ce lieu à saincte Croix y a 15 lieues. A l'entrée d'icelle riviere y a six isles, trois desquelles sont fort petites, & les autres de quelque 15 à 1600. pas de long, qui sont fort plaisantes à voir. Et proches du lac sainct Pierre 247, faisant quelque deux lieues dans la riviere 248 y a un petit saut d'eau, qui n'est pas beaucoup dificile à passer. Ce lieu est par la hauteur de 46 degrez quelques minuttes moins de latitude. Les sauvages du pays nous donnèrent à entendre, qu'à quelques journées il y a un lac par où passe la riviere, qui a dix journées, & puis on passe quelques sauts, & après encore trois ou quatre autres lacs de 5 ou 6 journées: & estans parvenus au bout, ils font 4 ou 5 lieues par terre, & entrent de rechef dans un autre lac 249, ou le Sacqué 250 prend la meilleure part de sa source. Les sauvages viennent dudit lac à Tadoussac. Les trois rivieres vont 40 journées des sauvages: & disent qu'au bout d'icelle riviere il y a des peuples 251 qui sont grands chasseurs, n'ayans de demeure arrestée, & qu'ils voyent la mer du Nort en moins de six journées. Ce peu de terre que j'ay veu est 180/328sablonneuse, assez eslevée en costaux, chargée de quantité de pins & sapins, sur le bort de la riviere, mais entrant dans la terre quelque quart de lieue, les bois y sont tresbeaux & clairs, & le pays uny.

Note 246: (retour)

Le 3 juillet.

Note 247: (retour)

C'est la première fois qu'on trouve le nom de Saint-Pierredonné à ce lac. En 1603, Champlain y entra le jour de la Saint-Pierre, 29 juin, et c'est là probablement l'origine de ce nom. Thévet et Wytfliet l'appellent lac d'Angoulême.

Note 248: (retour)

Dans le Saint-Maurice. (Voir le Voyage de 1603, p. 31.)

Note 249: (retour)

Le lac Saint-Jean.

Note 250: (retour)

Sagné, pour Saguenay.

Note 251: (retour)

Probablement les Atticamègues ou Poissons-Blancs, qui étaient en effet plus chasseurs que guerriers, et qui avaient des rapports avec cinq ou six nations situées encore plus au nord qu'eux, (Voir Relat. 1641, p. 32, éd. 1858.)

Continuant nostre routte jusques à l'entrée du lac sainct Pierre, qui est un pays fort plaisant & uny, & traversant le lac à 2, 3, & 4. brasses d'eau, lequel peut contenir de long quelque 8 lieues, & de large 4. Du costé du Nort nous vismes une riviere qui est fort aggreable, qui va dans les terres quelques 20 lieues, & l'ay nommée saincte Suzanne252: & du costé du Su, il y en a deux, l'une appelée la riviere du Pont253,& l'autre de Gennes254, qui sont tresbelles & en beau & bon pays. L'eau est presque dormante dans le lac, qui est fort poissonneux. Du costé du Nort, il parroist des terres à quelque douze ou quinze lieues du lac, qui sont un peu montueuses. L'ayant traversé, nous passames par un grand nombre d'isles, qui sont de plusieurs grandeurs, où il y a quantité de noyers & vignes, & de belles prayries avec force gibier & animaux sauvages, qui vont de la grand terre ausdites isles. La pescherie du poisson y est plus abondante qu'en aucun autre lieu de la riviere qu'eussions veu. De ces isles fusmes à l'entrée de la riviere des Yroquois, où nous sejournasmes deux jours & nous rafraichismes de bonnes venaisons, oiseaux, & 181/329poissons, que nous donnoient les sauvages, & où il s'esmeut entre eux quelque différent sur le subject de la guerre, qui fut occasion qu'il n'y en eut qu'une partie qui se resolurent de venir avec moy, & les autres s'en retournèrent en leur pays avec leurs femmes & marchandises qu'ils avoient traictées.

Note 252: (retour)

Elle porte maintenant le nom de rivière du Loup.

Note 253: (retour)

La rivière de Nicolet (voir la grande carte de 1612). Il est probable que c'est par inadvertance que l'auteur l'indique sous le nom de rivière du Gast, dans la grande carte de l'édition de 1632; puisque, dans le texte, il reproduit le même passage en y laissant le nom de Du Pont. Il est possible aussi que le graveur ait mis sur cette rivière le chiffre que l'auteur destinait à la rivière dont il parle ci-dessus, p. 6l, et à laquelle il avait donné le nom de Du Gast ou Du Gua.

Note 254: (retour)

Probablement, la rivière d'Yamaska.

Partant de ceste entrée de riviere (qui a quelque 4. à 500. pas de large, & qui est fort belle, courant au Su) nous arrivasmes à un lieu qui est par la hauteur de 45 degrez 255 de latitude à 22 ou 23 lieues des trois rivieres. Toute ceste riviere depuis son entrée jusques au premier saut, où il y a 15 lieues, est fort platte & environnée de bois, comme sont tous les autres lieux cy dessus nommez, & des mesmes especes. Il y a 9 ou 10 belles isles jusques au premier saut des Yroquois, lesquelles tiennent quelque lieue, ou lieue & demie, remplies de quantité de chesnes & noyers. La riviere tient en des endroits prés de demie lieue de large, qui est fort poissonneuse. Nous ne trouvasmes point moins de 4 pieds d'eau. L'entrée du saut est une manière de lac256, où l'eau descend, qui contient quelque trois lieues de circuit, & y a quelques prairies où il n'y habite aucuns sauvages, pour le subject des guerres. Il y a fort peu d'eau au saut qui court d'une grande vistesse, & quantité de rochers & cailloux, qui font que les sauvages ne les peuvent surmonter par eau: mais au retour ils les descendent fort bien. Tout cedict pays est fort uny, remply de forests, vignes & noyers. Aucuns Chrestiens n'estoient encores 182/330parvenus jusques en cedit lieu, que nous, qui eusmes assez de peine à monter la riviere à la rame.

Note 255: (retour)

Les rapides de Chambly sont à environ 45° 30' de latitude.

Note 256: (retour)

Le bassin de Chambly.

Aussitost que nous fusmes arrivez au saut, des Marais, la Routte & moy, & cinq hommes fusmes à terre, voir si nous pourrions passer ce lieu, & fismes quelque lieue & demie sans en voir aucune apparence, sinon une eau courante d'une grandissime roideur, où d'un costé & d'autre y avoit quantité de pierres, qui sont fort dangereuses & avec peu d'eau. Le saut peut contenir quelque 600 pas de large. Et voyant qu'il estoit impossible coupper les bois & faire un chemin avec si peu d'hommes que j'avois, je me resolus avec le conseil d'un chacun, de faire autre chose que ce que nous nous estions promis, d'autant que les sauvages m'avoient asseuré que les chemins estoient aisez: mais nous trouvasmes le contraire, comme j'ay dit cy dessus, qui fut l'occasion que nous en retournasmes en nostre chalouppe, où j'avois laissé quelques hommes pour la garder & donner à entendre aux sauvages quand ils seroient arrivez, que nous estions allez descouvrir le long du dit saut.

Après avoir veu ce que desirions de ce lieu, en nous en retournant nous fismes rencontre de quelques sauvages, qui venoient pour descouvrir comme nous avions fait, qui nous dirent que tous leurs compagnons estoient arrivez à nostre chalouppe où nous les trouvasmes fort contans & satisfaits de ce que nous allions de la façon sans guide, sinon que par le raport de ce que plusieurs fois ils nous avoient fait.

183/331Estant de retour, & voyant le peu d'apparence qu'il y avoit de passer le saut avec nostre chalouppe, cela m'affligea, & me donna beaucoup de desplaisir, de m'en retourner sans avoir veu un grandicime lac, remply de belles isles, & quantité de beau pays, qui borne le lac, où habitent leurs ennemis, comme ils me l'avoient figuré. Après avoir bien pensé en moy mesme, je me resolus d'y aller pour accomplir ma promesse, & le desir que j'avois: & m'embarquay avec les sauvages dans leurs canots, & prins avec moy deux hommes de bonne volonté. Après avoir proposé mon dessein à des Marais, & autres de la chalouppe, je priay ledit des Marais de s'en retourner en nostre habitation avec le reste de nos gens soubs l'esperance qu'en brief, avec la grâce de Dieu, je les reverrois.

Aussitost je fus parler aux Capitaines des sauvages & leur donnay à entendre comme ils nous avoient dit le contraire de ce que j'avois veu au saut, sçavoir, qu'il estoit hors nostre puissance d'y pouvoir passer avec la chalouppe: toutesfois que cela ne m'empecheroit de les assister comme je leur avois promis. Ceste nouvelle les attrista fort & voulurent prendre une autre resolution: mais je leur dis & les y sollicitay, qu'ils eussent à continuer leurs premier dessin, & que moy troisieme, je m'en irois à la guerre avec eux dans leurs canots pour leur monstrer que quant à moy je ne voulois manquer de parole en leur, endroit, bien que fusse seul, & que pour lors je ne voulois forcer personne de mes compagnons de s'embarquer, sinon ceux qui en auroient la volonté, dont j'en avois trouvé deux, que je menerois avec moy.

184/332Ils furent fort contens de ce que je leur dis, & d'entendre la resolution que j'avois, me promettant tousjours de me faire voir choses belles.




Partement du saut de la riviere des Yroquois. Description d'un grand lac. De la rencontre des ennemis que nous fismes audict lac, & de la façon & conduite qu'ils usent en allant attacquer les Yroquois.

CHAPITRE IX.

Je party donc dudit saut de la riviere des Yroquois, le 2. Juillet257. Tous les sauvages commencèrent à apporter leurs canots, armes & bagages par terre quelque demie lieue, pour passer l'impetuosité & la force du saut, ce qui fut promptement fait.

Note 257: (retour)

Probablement le 12 juillet. Si les dates de l'arrivée de Pont-Gravé à Tadoussac, et de Desmarais à Québec, sont exactes, la petite flottille dut partir de Québec dans les derniers jours de juin, et, par conséquent, arriver à Sainte-Croix, non le premier de juin, mais le premier de juillet, comme nous l'avons remarqué ci-dessus. Elle en repart le 3 du même mois: elle ne pouvait donc pas avoir passé le saut de la rivière des Iroquois le 2 de juillet. Mais, si l'on suit attentivement la marche de cette petite armée depuis Sainte-Croix jusqu'au saut, c'est-à-dire, jusqu'aux rapides de Chambly, et depuis ce lieu jusqu'à celui où elle rencontra l'ennemi, le 29, on en viendra à la conclusion qu'elle devait avoir passé le saut vers le 12. Or il est assez vraisemblable que le typographe, au lieu du 12, ait mis le 2.

Aussitost ils les mirent tous en l'eau, & deux hommes en chacun avec leur bagage, & firent aller un des hommes de chasque canot, par terre quelque trois lieues, que peut contenir ledit saut, mais non si impétueux comme à l'entrée, sinon en quelques endroits de rochers qui barrent la riviere, qui n'est pas plus large de 3. à 400 pas. Après que nous eusmes passé le saut, qui ne fut sans peine, tous les sauvages qui estoient allez par 185/333terre, par un chemin assez beau & pays uny, bien qu'il y aye quantité de bois, se rembarquèrent dans leurs canots. Les hommes que j'avois furent aussi par terre, & moy par eau, dedans un canot. Ils firent reveue de tous leurs gens, & se trouva vingt quatre canots, où il y avoit soixante hommes. Après avoir fait leur reveue, nous continuasmes le chemin jusques à une isle258 qui tient trois lieues de long, remplye des plus beaux pins que j'eusse jamais veu. Ils firent la chasse & y prindrent quelques bestes sauvages. Passant plus outre environ trois lieues de là, nous y logeasmes pour prendre le repos la nuit ensuivant.

Note 258: (retour)

L'île Sainte-Thérèse.

Incontinent un chacun d'eux commença, l'un à coupper du bois, les autres à prendre des escorces d'arbre pour couvrir leurs cabannes, pour se mettre à couvert: les autres à abbatre de gros arbres pour se barricader sur le bort de la riviere au tour de leurs cabannes, ce qu'ils sçavent si promptement faire, qu'en moins de deux heures, cinq cens de leurs ennemis auroient bien de la peine à les forcer, sans qu'ils en fissent beaucoup mourir. Ils ne barricadent point le costé de la riviere où sont leurs canots arrengez, pour s'embarquer si l'occasion le requeroit. Après qu'ils furent logez, ils envoyerent trois canots avec neuf bons hommes, comme est leur coustume, à tous leurs logemens, pour descouvrir deux ou trois lieues s'ils n'appercevront rien, qui après se retirent. Toute la nuit ils se reposent sur la descouverture des avant-coureurs, qui est une tresmauvaise coustume en eux: car quelque fois ils sont surpris de leurs ennemis en dormant, qui les assomment, sans 186/334qu'ils ayent le loisir de se mettre sur pieds pour leur defendre. Recognoissant cela je leur remonstrois la faute qu'ils faisoient,& qu'ils devoient veiller, comme ils nous avoient veu faire toutes les nuits, & avoir des hommes aux agguets, pour escouter & voir s'ils n'appercevroient rien, & ne point vivre de la façon comme bestes. Ils me dirent qu'ils ne pouvoient veiller, & qu'ils travailloient assez de jour à la chasse: d'autant que quand ils vont en guerre ils divisent leurs troupes en trois, sçavoir, une partie pour la chasse separée en plusieurs endroits: une autre pour faire le gros, qui sont tousjours sur leurs armes; & l'autre partie en avant-coureurs, pour descouvrir le long des rivieres, s'ils ne verront point quelque marque ou signal par où ayent passé leurs ennemis, ou leurs amis: ce qu'ils cognoissent par de certaines marques que les chefs se donnent d'une nation à l'autre, qui ne sont tousjours semblables, s'advertissans de temps en temps quand ils en changent; & par ce moyen ils recognoissent si sont amis ou ennemis qui ont passé. Les chasseurs ne chassent jamais de l'advant du gros, ny des avant-coureurs, pour ne donner d'allarmes ny de désordre, mais sur la retraicte & du costé qu'ils n'aprehendent leurs ennemis: & continuent ainsi jusques à ce qu'ils soient à deux ou trois journées de leurs ennemis, qu'ils vont de nuit à la desrobée, tous en corps, horsmis les coureurs, & le jour se retirent dans le fort des bois, où ils reposent, sans s'esgarer ny mener bruit, ny faire aucun feu, afin de n'estre apperceuz, si par fortune leurs ennemis passoient; ny pour ce qui est de leur manger durant ce temps.

187/335Ils ne font du feu que pour petuner, qui est si peu que rien. Ils mangent de la farine de bled d'Inde cuite, qu'ils destrempent avec de l'eau, comme bouillie. Ils conservent ces farines pour leur necessité, & quand ils sont proches de leurs ennemis, ou quand ils font retraite aprés leurs charges, qu'ils ne s'amusent à chasser, se retirant promptement.

A tous leurs logemens ils ont leur Pilotois ou Ostemoy259, qui sont manières de gens, qui sont les devins, en qui ces peuples ont créance, lequel fait une cabanne, entourée de petis bois, & la couvre de sa robbe: Aprés qu'elle est faitte, il se met dedans en sorte qu'on ne le voit en aucune façon, puis prend un des piliers de sa cabanne & la fait bransler, marmotant certaines paroles entre ses dens par lesquelles il dit qu'il invoque le Diable, & qu'il s'apparoist à luy en forme de pierre, & luy dit s'ils trouveront leurs ennemis, & s'ils en tueront beaucoup. Ce Pilotois est prosterné en terre, sans remuer, ne faisant que parler au diable, & puis aussitost se leve sur les pieds, en parlant & se tourmentant d'une telle façon, qu'il est tout en eau, bien qu'il toit nud. Tout le peuple est autour de la cabanne assis sur leur cul comme des singes. Ils me disoient souvent que le branlement que je voyois de la cabanne, estoit le Diable qui la faisoit mouvoir, & non celuy qui estoit dedans, bien que je veisse le contraire: car 188/336c'estoit, comme j'ay dit cy dessus, le Pilotois qui prenoit un des bastons de sa cabanne, & la faisoit ainsi mouvoir. Ils me dirent aussi que je verrois sortir du feu par le haut: ce que je ne vey point. Ces drosles contrefont aussi leur voix grosse & claire, parlant en langage inconneu aux autres sauvages. Et quand ils la representent cassée, ils croyent que c'est le Diable qui parle, & qui dit ce qui doit arriver en leur guerre, & ce qu'il faut qu'ils facent.

Note 259: (retour)

Ces deux mots étaient employés en Acadie, pour désigner le jongleur ou sorcier. Le mot pilotais, suivant le P. Biard (Rel. 1611, p. 17), venait des Basques, et les Souriquois se servaient du mot autmoin, que Lescarbot écrit aoutmoin, et Champlain ostemoy. Le P. Lejeune, dans la Relation, de 1636 (p. 13), nous apprend que les Montagnais appelaient leurs sorciers manitousiouekhi, et, d'après le P. Brebeuf (Rel. 1635, p. 35), les Hurons désignaient les leurs par le nom de arendiouane.

Neantmoins tous ces garniments qui sont les devins, de cent paroles n'en disent pas deux véritables, & vont abusans ces pauvres gens, comme il y en a assez parmy le monde, pour tirer quelque denrée du peuple, ainsi que sont ces galants. Je leur remonstrois souvent que tout ce qu'ils faisoient n'estoit que folie, & qu'ils ne devoient y adjouster foy.

Or après qu'ils ont sceu de leurs devins ce qu'il leur doit succeder, les chefs prennent des bastons de la longueur d'un pied autant en nombre qu'ils sont, & signallent par d'autres un peu plus grands, leurs chefs: Puis vont dans le bois & esplanadent une place de 5 ou 6 pieds en quarré, où le chef, comme sergent major, met par ordre tous ces bastons comme bon luy semble: puis appelle tous ses compagnons, qui viennent tous armez, & leur monstre le rang & ordre qu'ils devront tenir lors qu'ils se battront avec leurs ennemis: ce que tous ces sauvages regardent attentivement, remarquant la figure que leur chef a faite avec ces bastons: & aprés se retirent de là, & commencent de se mettre en ordre, ainsi qu'ils ont veu lesdicts bastons: 189/337puis se mettent les uns parmy les autres, & retournent de rechef en leur ordre, continuant deux ou trois fois, & à tous leurs logemens sans qu'il soit besoin de sergent pour leur faire tenir leurs rangs, qu'ils sçavent fort bien garder, sans se mettre en confusion. Voila la reigle qu'ils tiennent à leur guerre.

Nous partismes le lendemain, continuant nostre chemin dans la riviere jusques à l'entrée du lac. En icelle y a nombre de belles isles, qui sont basses remplies de tres-beaux bois & prairies, où il y a quantité de gibier & chasse d'animaux, comme Cerfs, Daims, Faons, Chevreuls, Ours, & autres sortes d'animaux qui viennent de la grand terre ausdictes isles. Nous y en prismes quantité. Il y a aussi grand nombre de Castors, tant en la riviere qu'en plusieurs autres petites qui viennent tomber dans icelle. Ces lieux ne sont habitez d'aucuns sauvages, bien qu'ils soient plaisans, pour le subject de leurs guerres, & se retirent des rivieres le plus qu'ils peuvent au profont des terres, afin de n'estre si tost surprins.

Le lendemain entrasmes dans le lac, qui est de grande estandue comme de 80 ou 100 lieues260, où j'y vis quatre belles isles, contenant 10, 12 & 15 lieues de long 261, qui autres fois ont esté habitées par les sauvages, comme aussi la riviere des Yroquois: mais elles ont esté abandonnées depuis qu'ils ont eu guerre les uns contre les autres: aussi y a il plusieurs rivieres qui viennent tomber dedans le lac, environnées de 190/338nombre de beaux arbres, de mesmes especes nous avons en France, avec force vignes plus belles qu'en aucun lieu que j'eusse veu: force chastaigners, & n'en avois encores point veu que dessus le bort de ce lac, où il y a grande abondance de poisson de plusieurs especes: Entre autres y en a un, appelé des sauvages du pays Chaousarou262, qui est de plusieurs longueurs: mais les plus grands contiennent, à ce que m'ont dict ces peuples, 8 à 10 pieds. J'en ay veu qui en contenoyent 5 qui estoient de la grosseur de la cuisse, & avoient la teste grosse comme les deux points, avec un bec de deux pieds & demy de long, & à double rang de dents fort agues & dangereuses. Il a toute la forme du corps tirant au brochet, mais il est armé d'escailles si fortes qu'un coup de poignard ne les sçauroit percer, & de couleur de gris argenté. Il a aussi l'extrémité du bec comme un cochon. Ce poisson fait la guerre à tous les autres qui sont dans ces lacs, & rivieres: & a une industrie merveilleuse, à ce que m'ont asseuré ces peuples, qui est, quand il veut prendre quelques oyseaux, il va dedans des joncs ou roseaux, qui font sur les rives du lac en plusieurs endroits, & met le bec hors l'eau sans se bouger: de façon que lors que les oiseaux 191/339viennent se reposer sur le bec, pensans que ce soit un tronc de bois, il est si subtil, que serrant le bec qu'il tient entr'ouvert, ils les tire par les pieds soubs l'eau. Les sauvages m'en donnèrent une teste, dont ils font grand estat, disans que lors qu'ils ont mal à la teste, ils se seignent avec les dents de ce poisson à l'endroit de la douleur qui se passe soudain.

Note 260: (retour)

Il était bien difficile de se faire ainsi, à première vue, une idée exacte des dimensions d'un lac aussi étendu que celui de Champlain. Aussi l'auteur lui donne-t-il presque trois fois la longueur qu'il a réellement.

Note 261: (retour)

Ces quatre îles sont sans doute celles de Contrecoeur (l'île Longue et la Grande-Ile), l'île La Motte, et celle de Valcour. Elles ne sont pas tout à fait aussi grandes que l'a cru notre auteur.

Note 262: (retour)

Nous rapprocherons de cette description du Chaousarou celle qu'en fait Sagard dans son Histoire du Canada (liv. ni, p. 765): «Au lieu nommé par les Hurons Onthrandéen, & par nous le Cap de Victoire,... je vis en la cabane d'un montagnais un certain poisson, que quelques-uns appellent Chaousarou, gros comme un grand brochet. Il n'estoit qu'un des médiocres, car il s'en voit de beaucoup plus grands, & qui ont jusqu'à 8, 9 & 10 pieds, à ce qu'on dit. Il avoit un bec d'environ un pied & demy de long, fait à peu prés comme celuy d'une becasse, sinon qu'il a l'extrémité mousse & non si pointu, gros à proportion du corps. Il a double rang de dens fort aiguës & dangereuses,... & la forme du corps tirant au brochet, mais armé de très-fortes & dures escailles, de couleur gris argenté, & difficile à percer.» D'après cette description, ce poisson doit appartenir au genre des Lépisostées de Lacépède. Mais les individus décrits par les Ichtyologistes n'ont pas d'aussi grandes proportions.

Continuant nostre route dans ce lac du costé de l'Occident, considérant le pays, je veis du costé de l'Orient de fort hautes montagnes, où sur le sommet y avoit de la neige. Je m'enquis aux sauvages si ces lieux estoient habitez, ils me dirent que ouy, & que c'estoient Yroquois263, & qu'en ces lieux y avoit de belles vallées, & campagnes fertiles en bleds, comme j'en ay mangé audit pays, avec infinité d'autres fruits: & que le lac alloit proche des montagnes, qui pouvoient estre esloignées de nous, à mon jugement, de vingt cinq 264 lieues. J'en veis au midy d'autres qui n'estoient moins hautes que les premières, horsmis qu'il n'y avoit point de neige. Les sauvages me dirent que c'estoit où nous devions aller trouver leurs ennemis, & qu'elles estoient fort peuplées & qu'il falloit passer par un saut d'eau 265 que je vis depuis: & de là entrer dans un autre lac 266 qui contient quelque 9 ou 10 lieues de 192/340long, & qu'estant parvenus au bout d'iceluy, il falloit faire quelque deux lieues de chemin par terre, & passer une riviere267, qui va tomber en la coste de Norembegue, tenant à celle de la Floride 268, & qu'ils n'estoient que deux jours à y aller avec leurs canots, comme je l'ay sçeu depuis par quelques prisonniers que nous prismes, qui me discoururent fort particulièrement de tout ce qu'ils en avoyent cognoissance, par le moien de quelques truchemens Algoumequins, qui sçavoient la langue des Yroquois.

Note 263: (retour)

Si ce rapport des sauvages est exact, il faut croire que la guerre entre les Mahingans et les Agniers, eut pour effet de rapprocher ceux-ci des autres tribus iroquoises, et de les faire émigrer au côté occidental du lac. Peut-être aussi les Montagnais qui accompagnaient Champlain traitaient-ils d'iroquois les Mahingans eux-mêmes, qui alors pouvaient être les alliés de la nation iroquoise: car le P. Jérôme Lalemant, en parlant de ce qu'avaient été autrefois les Loups ou Mahingans, dit (Rel. 1646, 3) i «Les Iroquois Annierronnons les ayans domtez, ils se sont jettez de leur party.»

Note 264: (retour)

L'édition de 1632 porte 15.

Note 265: (retour)

Ticonderoga.

Note 266: (retour)

Le lac Saint-Sacrement, aujourd'hui le lac George.

Note 267: (retour)

La rivière Hudson.

Note 268: (retour)

Il est probable que le manuscrit de l'auteur portait: «tirant à celle de la Floride»; car Champlain ne devait pas ignorer qu'entre la côte de Norembegue et la Floride, se trouvait la côte de la Virginie ou les Virgines, comme il dit lui-même (Table de sa grande carte, édit. 1632).

Or comme nous commençasmes à approcher à quelques deux ou trois journées de la demeure de leurs ennemis, nous n'allions plus que la nuit, & le jour nous nous reposions, neantmoins ne laissoient de faire tousjours leurs superstitions accoustumées pour sçavoir ce qui leur pourroit succeder de leurs entreprises; & souvent me venoient demander si j'avois songé, & avois veu leurs ennemis: le leur disois que non: Neantmoins ne laissois de leur donner du courage, & bonne esperance. La nuit venue nous nous mismes en chemin jusques au lendemain, que nous nous retirasmes dans le fort du bois, pour y passer le reste du jour. Sur les dix ou onze heures, après m'estre quelque peu proumené au tour de nostre logement, je fus me reposer, & en dormant, je songay que je voyois les Yroquois nos ennemis, dedans le lac, proche d'une montaigne, qui se noyoient à nostre 193/341veue, & les voulans secourir, nos sauvages alliez me disoient qu'il les falloit tous laisser mourir & qu'ils ne valoient rien. Estant esveillé, ils ne faillirent comme à l'acoustumée de me demander si j'avois songé quelque chose: je leur dis en effect ce que j'avois veu en songe: Cela leur apporta une telle créance qu'ils ne doutèrent plus de ce qui leur devoit advenir pour leur bien.

Le soir estant venu, nous nous embarquasmes en nos canots pour continuer nostre chemin, & comme nous allions fort doucement, & sans mener bruit, le 29 du mois, nous fismes rencontre des Yroquois sur les dix heures du soir au bout d'un cap 269 qui advance dans le lac du costé de l'occident, lesquels venoient à la guerre. Eux & nous commençasmes à jetter de grands cris, chacun se parant de ses armes. Nous nous retirasmes vers l'eau, & les Yroquois mirent pied à terre, & arrangèrent tous leurs canots les uns contre les autres, & commencèrent à abbatre du bois avec des meschantes haches qu'ils gaignent quelquesfois à la guerre, & d'autres de pierre, & se barricadèrent fort bien.

Note 269: (retour)

Ce cap, ou cette pointe, qui s'avance dans le lac, non loin de la décharge du lac George, comme l'indique la carte de 1632, nous paraît correspondre à la pointe Saint-Frédéric (Crown point).

Aussi les nostres tindrent toute la nuit leurs canots arrangez les uns contre les autres attachez à des perches pour ne s'esgarer, & combattre tous ensemble s'il en estoit de besoin; & estions à la portée d'une flesche vers l'eau du costé de leurs barricades. Et comme ils furent armez, & mis en ordre, ils envoyerent deux canots separez de la trouppe, pour sçavoir de leurs ennemis s'ils vouloient combatre, lesquels 194/342respondirent qu'ils ne desiroient autre chose: mais que pour l'heure, il n'y avoit pas beaucoup d'apparence, & qu'il falloit attendre le jour pour se cognoistre: & qu'aussitost que le soleil se leveroit, ils nous livreroient le combat: ce qui fut accordé par les nostres: & en attendant toute la nuit se passa en danses & chantons, tant d'un costé, que d'autre, avec une infinité d'injures, & autres propos, comme, du peu de courage qu'ils avoient, avec le peu d'effet & resistance contre leurs armes, & que le jour venant, ils le sentiroyent à leur ruine. Les nostres aussi ne manquoient de repartie, leur disant qu'ils verroient des effets d'armes que jamais ils n'avoient veu, & tout plain d'autres discours, comme on a accoustumé à un siege de ville. Après avoir bien chanté, dansé & parlementé les uns aux autres, le jour venu, mes compagnons & moy estions tousjours couverts, de peur que les ennemis ne nous veissent, preparans nos armes le mieux qu'il nous estoit possible, estans toutesfois separez, chacun en un des canots des sauvages montagnars. Après que nous fusmes armez d'armes légères, nous prismes chacun une arquebuse & descendismes à terre. Je vey sortir les ennemis de leur barricade, qui estoient prés de 200 hommes forts & robustes à les voir, qui venoient au petit pas audevant de nous, avec une gravité & asseurance qui me contenta fort à la teste desquels y avoit trois chefs. Les nostres aussi alloient en mesme ordre & me dirent que ceux qui avoient trois grands pannaches estoient les chefs, & qu'il n'y en avoit que ces trois, & qu'on les recognoissoit à ces plumes, qui estoient beaucoup plus grandes que celles de leurs compagnons, & que je 195/343feisse ce que je pourrois pour les tuer. Je leur promis de faire ce qui seroit de ma puissance, & que j'estois bien fasché qu'ils ne me pouvoient bien entendre pour leur donner l'ordre & façon d'attaquer leurs ennemis, & que indubitablement nous les desferions tous; mais qu'il n'y avoit remède, que j'estois tres-aise de leur monstrer le courage & bonne volonté qui estoit en moy quand ferions au combat.

Aussitost que fusmes à terre, ils commencèrent à courir quelque deux cens pas vers leurs ennemis qui estoient de pied ferme, & n'avoient encores aperçeu mes compagnons, qui s'en allèrent dans le bois avec quelques sauvages. Les nostres commencèrent à m'appeller à grands cris: & pour me donner passage ils s'ouvrirent en deux, & me mis à la teste, marchant quelque 20 pas devant, jusqu'à ce que je fusse à quelque 30 pas des ennemis, où aussitost ils m'aperceurent, & firent alte en me contemplant, & moy eux. Comme je les veis esbranler pour tirer sur nous, je couchay mon arquebuse en joue, visay droit à un des trois chefs, & de ce coup il en tomba deux par terre, & un de leurs compagnons qui fut blessé, qui quelque temps après en mourut. J'avois mis quatre balles dedans mon arquebuse. Comme les nostres virent ce coup si favorable pour eux, ils commencèrent à jetter de si grands cris qu'on n'eust pas ouy tonner; & cependant les flesches ne manquoyent de costé & d'autre. Les Yroquois furent fort estonnez, que si promptement deux hommes avoyent esté tuez, bien qu'ils fussent armez d'armes tissues de fil de cotton, & de bois à l'espreuve de 196/344leurs flesches; Cela leur donna une grande apprehension. Comme je rechargeois, l'un de mes compagnons tira un coup de dedans le bois, qui les estonna derechef de telle façon, voyant leurs chefs morts, qu'ils perdirent courage, & se mirent en fuite, & abandonnèrent le champ, & leur fort, s'enfuyans dedans le profond des bois, où les poursuivans, j'en fis demeurer encores d'autres. Nos sauvages en tuèrent aussi plusieurs, & en prindrent 10 ou 12 prisonniers: Le reste se sauva avec les blessez. Il y en eut des nostres 15 ou 16 de blessez de coups de flesches, qui furent promptement guéris.

Après que nous eusmes eu la victoire, ils s'amuserent à prendre force bled d'Inde, & les farines des ennemis, & de leurs armes, qu'ils avoient laissées pour mieux courir. Après avoir fait bonne chère, dansé & chanté, trois heures après nous en retournasmes avec les prisonniers. Ce lieu où se fit ceste charge est par les 43 degrez & quelques minutes 270 de latitude, & fut nommé le lac de Champlain.

Note 270: (retour)

La décharge du lac George est environ à 44°.

344a

Desfaite des Yroquois au Lac Champlain.

Agrandissement (2985x1893x16) 1.33 Mo.

Desfaite des Yroquois au Lac Champlain.

A (1} Le fort des Yroquois.

B Les ennemis.

C Les Canots des ennemis faits d'escorce de chesne, qui peuvent tenir

chacun 10, 15, & 18 hommes.

D. E. Deux chefs tués, & un blessé d'un coup d'arquebuse par le sieur

de Champlain.

F (2) Le sieur de Champlain.

G (3) Deux Arquebusiers du sieur de Champlain.

H (4) Montaignets, Ochastaiguins, Algoumequins.

I Canots de nos sauvages aliés faits d'escorce de bouleau.

K (5) Les bois.

(1) Cette lettre manque dans le dessin.—(2) La lettre manque; mais il est facile de reconnaître Champlain posté seul entre les combattants.—(3) Cette lettre manque dans le dessin, mais on reconnaît aisément les deux arquebusiers sur la lisière du bois.—(4) La lettre H a été mise par inadvertance sur les canots des alliés, où il y a déjà la lettre I.—(5) Cette lettre, qui manque aussi, est facile à suppléer.




Retour de la bataille, & ce qui se passa par le chemin.

CHAPITRE X.

Aprés avoir fait quelque 8 lieues, sur le soir, ils prindrent un des prisonniers, à qui ils firent une harangue des cruautez que luy & les siens avoyent exercées en leur endroit, sans 197/345avoir eu aucun esgard, & qu'au semblable il devoit se resoudre d'en recevoir autant, & luy commandèrent de chanter s'il avoit du courage, ce qu'il fit, mais avec un chant fort triste à ouyr.

Cependant les nostres allumèrent un feu, & comme il fut bien embrasé ils prindrent chacun un tizon, & faisoient brusler ce pauvre miserable peu à peu pour luy faire souffrir plus de tourmens. Ils le laissoient quelques fois, luy jettant de l'eau sur le dos: puis luy arrachèrent les ongles, & luy mirent du feu sur les extremitez des doigts & de son membre. Après ils luy escorcherent le haut de la teste, & luy firent dégoutter dessus certaine gomme toute chaude: puis luy percèrent les bras prés des poignets, & avec des bastons tiroyent les nerfs & les arrachoyent à force: & comme ils voioyent qu'ils ne les pouvoyent avoir, ils les couppoyent. Ce pauvre miserable jettoit des cris estranges, & me faisois pitié de le voir traitter de la façon, toutesfois avec une telle constance, qu'on eust dit quelquesfois qu'il ne sentoit presque point de mal. Ils me sollicitoyent fort de prendre du feu pour faire de mesme eux. Je leur remonstrois que nous n'usions point de ces cruautez, & que nous les faisions mourir tout d'un coup, & que s'ils vouloyent que je luy donnasse un coup d'arquebuze, j'en serois content. Ils dirent que non, & qu'il ne sentiroit point de mal. Je m'en allay d'avec eux comme fasché de voir tant de cruautez qu'ils exercoient sur ce corps. Comme ils virent que je n'en estois contant, ils m'appelèrent & me dirent que je luy donnasse un coup d'arquebuse: ce que je fis, sans qu'il en vist rien; & luy fis passer tous les tourmens qu'il devoit souffrir, 198/346d'un coup, plustost que de le voir tyranniser. Après qu'il fut mort ils ne se contentèrent pas, il luy ouvrirent le ventre, & jetterent ses entrailles dedans le lac: après ils luy coupperent la teste, les bras & les jambes, qu'ils separerent d'un costé & d'autre, & reserverent la peau de la teste, qu'ils avoient escorchée, comme ils avoient fait de tous les autres qu'ils avoient tuez à la charge. Ils firent encores une meschanceté, qui fut, de prendre le coeur qu'ils coupperent en plusieurs pièces & le donnèrent à manger à un sien frère, & autres de ses compagnons qui estoient prisonniers, lesquels le prindrent & le mirent en leur bouche, mais ils ne le voulurent avaller: quelques sauvages Algoumequins, qui les avoient en garde le firent recracher à aucuns, & le jetterent dans l'eau. Voila comme ces peuples se gouvernent à l'endroit de ceux qu'ils prennent en guerre: & mieux vaudroit pour eux mourir en combatant, ou se faire tuer à la chaude, comme il y en a beaucoup qui font, plustost que de tomber entre les mains de leurs ennemis. Après ceste exécution faite, nous nous mismes en chemin pour nous en retourner avec le reste des prisonniers, qui alloient tousjours chantans, sans autre esperance que celuy qui avoit esté ainsi mal traicté. Estans aux sauts de la riviere des Yroquois les Algoumequins s'en retournèrent en leur pays, & aussi les Ochatequins271 avec une partie des prisonniers, fort contens de ce qui s'estoit passé en la guerre, & de ce que librement j'estois allé avec eux. Nous nous departismes donc comme cela, avec de grandes protestations 199/347d'amitié, les uns & les autres, & me dirent si je ne desirois pas aller en leur pays pour les asister tousjours comme freres: je leur promis.

Note 271: (retour)

Ochateguins, ou Hurons.

Je m'en revins avec les Montagnets. Après m'estre informé des prisonniers de leurs pays, & de ce qu'il pouvoit y en avoir, nous ployames bagage pour nous en revenir, ce qui fut avec telle diligence, que chacun jour nous faisions 25 & 30 lieues dans leurs dicts canots, qui est l'ordinaire. Comme nous fusmes à l'entrée de la riviere des Yroquois, il y eut quelques sauvages qui songerent que leurs ennemis les poursuivoient: ce songe les fit aussitost lever le siege, encores que celle nuit fut fort mauvaise à cause des vents & de la pluye qu'il faisoit; & furent passer la nuit dedans de grands roseaux, qui sont dans le lac sainct Pierre, jusqu'au lendemain, pour la crainte qu'ils avoient de leurs ennemis. Deux jours après arrivasmes à nostre habitation, où je leur fis donner du pain & quelques poix, & des patinostres, qu'ils me demandèrent pour parer la teste de leurs ennemis, qui les portent pour faire des resjouissances à leur arrivée. Le lendemain je feu avec eux dans leurs canots à Tadoussac, pour voir leurs cérémonies. Aprochans de la terre, ils prindrent chacun un baston, où au bout ils pendirent les testes de leurs ennemis tués avec quelques patinostres, chantants les uns & les autres: & comme ils en furent prests, les femmes se despouillerent toutes nues, & se jetterent en l'eau, allant au devant des canots pour prendre les testes de leurs ennemis qui estoient au bout de longs bastons devant leurs batteaux, pour après les pendre à 200/348leur col comme si c'eust esté quelque chaîne precieuse, & ainsi chanter & danser. Quelques jours après ils me rirent present d'une de ces testes, comme chose bien precieuse, & d'une paire d'armes de leurs ennemis, pour les conserver, affin de les montrer au Roy: ce que je leur promis pour leur faire plaisir.

Quelques jours après je fus à Quebecq, où il vint quelques sauvages Algoumequins, qui me firent entendre le desplaisir qu'ils avoient de ne s'estre trouvez à la deffaite de leurs ennemis, & me firent present de quelques fourrures, en consideration de ce que j'y avois esté & assisté leurs amis.

Quelques jours après qu'ils furent partis pour s'en aller en leur pays, distant de nostre habitation de 120 lieues, je fus à Tadoussac voir si le Pont seroit de retour de Gaspé, où il avoit esté. Il n'y arriva que le lendemain, & me dit qu'il avoit délibéré de retourner en France. Nous resolusmes de laisser un honneste homme appelé le Capitaine Pierre Chavin, de Dieppe, pour commander à Quebecq, où il demeura jusques à ce que le sieur de Mons en eust ordonné.




Retour en France, & ce qui s'y passa jusques au rembarquement.

CHAPITRE XI.

Ceste resolution prinse nous fusmes à Quebecq pour l'establir, & luy laisser toutes les choses requises & necessaires à une habitation, avec quinze hommes. Toutes choses estant en estat 201/349nous en partismes le premier jour de Septembre pour aller à Tadoussac, faire appareiller nostre vaisseau, à fin de nous en revenir en France.

Nous partismes donc de ce lieu le 5 du mois, & le 8 nous fusmes mouiller l'ancre à l'isle Percée.

Le jeudy dixiesme partismes de ce lieu, & le mardy ensuivant 18272 du mois arrivasmes sur le grand banc.

Note 272: (retour)

Le mardi était le 15.

Le 2 d'Octobre, nous eusmes la sonde. Le 8 mouillasmes l'ancre au Conquet en basse Bretagne. Le Samedy 10 du mois partismes de ce lieu, & arrivasmes à Honfleur le 13.

Estans desembarqués, je n'y fis pas long sejour que je ne prinse la poste pour aller trouver le sieur de Mons, qui estoit pour lors à Fontaine-belau où estoit sa Majesté, & luy representay fort particulièrement tout ce qui s'estoit passé, tant en mon yvernement, que des nouvelles descouvertures, & l'esperance de ce qu'il y avoit à faire à l'advenir touchant les promesses des sauvages appelez Ochateguins, qui sont bons Yroquois. Les autres Yroquois leurs ennemis sont plus au midy. Les premiers entendent, & ne diferent pas beaucoup de langage aux peuples descouverts de nouveau, &qui nous avoient esté incogneus cy devant.

Aussitost je fus trouver sa Majesté, à qui je fis le discours de mon voyage, à quoy il print plaisir & contentement.

J'avois une ceinture faite de poils de porc-espic, qui estoit fort bien tissue, selon le pays, laquelle sa Majesté eut pour 202/350aggreable, avec deux petits oiseaux gros comme des merles, qui estoient incarnats 273, & aussi la teste d'un certain poisson qui fut prins dans le grand lac des Yroquois, qui avoit un becq fort long avec deux ou trois rangées de dents fort aiguës. La figure de ce poisson est dans le grand lac de ma carte Géographique 274.

Note 273: (retour)

Cette description convient au Pyranga rubra, AUD.

Note 274: (retour)

La grande carte de 1612. Voir plus haut, p. 190, la description de ce poisson.

Ayant fait avec sa Majesté, le sieur de Mons se délibéra d'aller à Rouen trouver ses associez les sieurs Collier & le Gendre marchands de Rouen, pour adviser à ce qu'ils avoient à faire l'année ensuivant. Ils resolurent de continuer l'habitation, & parachever de descouvrir dedans le grand fleuve S. Laurens, suivant les promesses des Ochateguins, à la charge qu'on les assisteroit en leurs guerres comme nous leur avions promis.

Le Pont fut destiné pour aller à Tadoussac tant pour la traicte que pour faire quelque autre chose qui pourroit apporter de la commodité pour subvenir aux frais de la despence.

Et le sieur Lucas le Gendre de Rouen, l'un des associez, ordonné pour avoir soin de faire tant l'achat des marchandises que vivres, & de la frette des vaisseaux, esquipages & autres choses necessaires pour le voyage.

Après ces choses resolues le sieur de Mons s'en retourna à Paris, & moy avec luy, où je fus jusques à la fin de Fevrier: durant lequel temps le sieur de Mons chercha moyen d'avoir nouvelle commission pour les traictes des nouvelles descouvertures, que nous avions faites, où auparavant personne 203/351n'avoit traicté: Ce qu'il ne peut obtenir, bien que les demandes & propositions fussent justes & raisonnables.

Et se voyant hors d'esperance d'obtenir icelle commission, il ne laissa de poursuivre son dessin, pour le desir qu'il avoit que toutes choses reussissent au bien & honneur de la France.

Pendant ce temps, le sieur de Mons ne m'avoit dit encores sa volonté pour mon particulier, jusques à ce que je luy eus dit qu'on m'avoit raporté qu'il ne devroit que j'yvernasse en Canadas, ce qui n'estoit pas, car il remit le tout à ma volonté.

Je m'esquipay des choses propres & necessaires pour hyverner à nostre habitation de Quebecq, & pour cest effet party de Paris le dernier jour de Fevrier ensuivant, & fus à Honfleur, où se devoit faire l'embarquement. Je passay par Rouen, où je sejournay deux jours: & de là fus à Honfleur, où je trouvay le Pont, & le Gendre, qui me dirent avoir fait embarquer les choses necessaires pour l'habitation. Je fus fort aise de nous voir prests à faire voile: toutesfois incertain si les vivres estoient bons & suffisans pour la demeure & yvernement.




205/353

SECOND VOYAGE275
DU SIEUR DE CHAMPLAIN
fait en la Nouvelle France en
l'année 1610.

Note 275: (retour)

Ce voyage est le second que l'auteur ait fait dans la Nouvelle-France avec une commission expresse et personnelle de fonder un établissement permanent. Dans les deux voyages précédents, il n'avait fait qu'accompagner M. de Monts ou ses lieutenants pour faire un rapport fidèle des avantages que pouvaient offrir les pays nouvellement découverts.




Partement de France pour retourner en la Nouvelle France, & ce qui se passa jusques à nostre arrivée en l'habitation.

CHAPITRE I.

e temps venant favorable je m'enbarquay à Honfleur avec quelque nombre d'artisans le 7 du mois de Mars, & fusmes contrariez de mauvais temps en la Manche, & contraincts de relascher en Angleterre, à un lieu appelé Porlan276, où fusmes quelques jours à la radde: & levasmes l'ancre pour aller à l'isle d'Huy277, qui est proche de la coste d'Angleterre, d'autant que nous trouvions la radde de Porlan fort mauvaise. Estans proches d'icelle isle, la brume s'esleva si fort que nous fusmes contraincts de relascher à la Houque.

Note 276: (retour)

Portland.

Note 277: (retour)

L'île de Wight.

206/354Depuis le partement de Honfleur, je fus persecuté d'une fort grande maladie, qui m'ostoit l'esperance de faire le voyage, & m'estois embarqué dans un batteau pour me faire reporter en France au Havre, & là me faire traicter, estant fort mal au vaisseau: Et faisois estat recouvrant ma santé, que je me rembarquerois dans un autre, qui n'estoit party de Honfleur, où devoit s'embarquer des Marests, gendre de Pont-gravé: mais je me fis porter à Honfleur, tousjours fort mal, où le 15 de Mars le vaisseau d'où j'estois sorty relascha, pour y prendre du l'aist, qui luy manquoit, pour estre bien en assiete. Il fut en ce lieu jusques au 8 d'Avril. Durant ce temps je me remis en assez bon estat: toutesfois encore que foible & débile, je ne laissay pas de me rembarquer.

Nous partismes derechef le 18278 d'Avril, & arrivasmes sur le grand banc le 19 du mois, & eusmes cognoissance des isles S. Pierre le 22. Estans le travers de Menthane nous rencontrasmes 207/355un vaisseau de S. Maslo, où il y avoit un jeune homme, qui beuvant à la santé de Pont-gravé, ne se peut si bien tenir, que par l'esbranlement du vaisseau il ne tombast en la mer, & se noya sans y pouvoir donner remède, à cause que le vent estoit trop impétueux.

Note 278: (retour)

Le 8, ou, comme portait peut-être le manuscrit, le dit huit, que l'on aura pris pour dix-huit, et traduit en chiffres. Lescarbot n'a pas vu d'autre moyen de corriger ce passage que de faire arriver Champlain le 26 de mai, au lieu du 26 du mois. Ce qui nous surprend, c'est que M. Ferland, qui d'ordinaire est si exact, ait adopté la supposition de Lescarbot, sans essayer lui-même de concilier ces dates. Mais il est à remarquer premièrement, que la correction que nous faisons, est motivée par les circonstances mêmes du récit de l'auteur, puisque le vaisseau «fut en ce lieu jusqu'au 8», et que, dans l'intervalle, Champlain se rétablit assez bien pour pouvoir se rembarquer. En second lieu, cette seule correction obvie à toutes les difficultés, tandis que celle de Lescarbot en laisse subsister d'assez graves: comment Champlain serait-il parti le dix-huit, quand il vient de dire que le vaisseau ne resta que jusqu'au huit? qu'aurait fait le vaisseau dans l'intervalle? Champlain n'aurait-il pas mentionné la raison de ce nouveau retard comme celle du premier? Enfin comment croire que «depuis plus de soixante ans» on n'eût pas vu les vaisseaux arriver à Tadoussac avant le 18 de mai, puisque la flotte du Canada partait ordinairement aux grandes mers de mars? (Fournier, Hydrogr., liv. III, ch. XLIX.) D'ailleurs, comme le vaisseau de Champlain avait d'abord fait voile au commencement de mars, il est extrêmement probable que les vaisseaux de traite, qui tenaient à n'être pas devancés, partirent aussi dans la première moitié du même mois; alors, rien d'étonnant qu'ils aient été rendus à Tadoussac dès le 18 d'avril. Champlain aurait donc fait la traversée en dix-huit jours; ce qui n'est point incroyable, puisqu'on a vu des traversées encore plus courtes. Il y a d'ailleurs raison de croire que le même vent qui amena si tôt les vaisseaux de traite à Tadoussac, dut favoriser également le vaisseau de Champlain.

Le 26 du mois arrivasmes à Tadoussac, où il y avoit des vaisseaux qui y estoient arrivez dés le 18, ce qui ne s'estoit veu il y avoit plus de 60. ans279, à ce que disoient les vieux mariniers qui voguent ordinairement audit pays. C'estoit le peu d'yver qu'il y avoit fait, & le peu de glaces 280, qui n'empescherent point l'entrée desdicts vaisseaux. Nous sçeusmes par un jeune Gentilhomme appelé le sieur du Parc qui avoit yverné à nostre habitation, que tous ses compagnons se portoient bien, & qu'il n'y en avoit eu que quelques uns de malades, encore fort peu, & nous asseura qu'il n'y avoit fait presque point d'yver, & avoient eu ordinairement de la viande fraische tout l'yver, & que le plus grand de leur travail estoit de se donner du bon temps.

Note 279: (retour)

«Cette remarque,» dit M. Ferland, «prouve que depuis le dernier voyage de M. de Roberval en 1649, les Basques, les Normands et les Bretons avaient continué de faire le trafic des pelleteries à Tadoussac.» (Cours d'Hist. du Canada, I, p. 157, note i.)

Note 280: (retour)

Champlain, en indiquant cette raison, se contente de mentionner un fait, sans prétendre le généraliser, et il reste dans le vrai. Lescarbot, moins scrupuleux, tire de suite la conclusion que, si l'entrée du golfe est obstruée de glaces à la fin de mai, elle doit l'être à plus forte raison au commencement du même mois ou dans le mois d'avril; ce qui cependant est contraire aux faits. «Là, dit-il, ilz trouvèrent des vaisseaux arrivez dés huit jours auparavant, chose qui ne s'étoit veue il y avoit plus de soixante ans, à ce que disoient les vieux mariniers. Car d'ordinaire les entrées du golfe de Canada sont seelées de glaces jusques à la fin de May.» (Liv. v, ch. v.)

Cest yver monstre comme se doivent comporter à l'advenir ceux qui auront telles entreprises, estant bien malaisé de faire une nouvelle habitation sans travail, & courir la première année mauvaise fortune, comme il s'est trouvé en toutes nos premières 208/356habitations. Et à la vérité en ostant les salures, & ayant de la viande fraische, la santé y est aussi bonne qu'en France.

Les sauvages281 nous attendoient de jour en autre pour aller à la guerre avec eux. Comme ils sceurent que le Pont & moy estions arrivez ensemble, il se resjouirent fort, & vindrent parler à nous. Je fus à terre, pour leur asseurer que nous irions avec eux, suivant les promesses qu'ils m'avoient faites, Qu'après le retour de leur guerre, il me meneroient descouvrir les trois rivieres, jusques en un lieu où il y a une si grande mer 282 qu'ils n'en voyent point le bout, & nous en revenir par le Saguenay audit Tadoussac: & leur demanday s'ils avoient encore ceste mesme volonté: Ils me dirent qu'ouy: mais que ce ne pouvoit estre que l'année suivante: ce qui m'aporta du plaisir283: Toutesfois j'avois promis aux Algoumequins & Ochateguins de les assister aussi en leurs guerres, lesquels m'avoient promis de me faire voir leur pays, & le grand lac 284, & quelques mines de cuivre & autres choses qu'ils m'avoient donné à entendre: si bien que j'avois deux cordes à mon arc: de façon que si l'une failloit, l'autre pouvoit reussir.

Note 281: (retour)

Les Montagnais, comme la suite le fait voir.

Note 282: (retour)

La Baie d'Hudson.

Note 283: (retour)

Le contexte prouve assez qu'il faut «du desplaisir.»

Note 284: (retour)

C'est-à-dire, leur grand lac, le lac Huron.

Le 28 dudit mois je party de Tadoussac, pour aller à Quebecq, où je trouvay le Capitaine Pierre 285 qui y commandoit, & tous ses compagnons en bon estat; & avec eux un Capitaine sauvage 209/357appelé Batiscan, & aucuns de ses compagnons, qui nous y attendoient, lesquels furent fort resjouys de ma venue, & se mirent à chanter & danser tout le soir. Je leur fis festin ce qu'ils eurent fort aggreable, & firent bonne chère, dont ils ne furent point ingrats, & me convierent moy huictiesme qui n'est pas petite faveur parmy eux, où nous portasmes chacun nostre escuelle, comme est la coustume, & de la remporter chacun plaine de viande, que nous donnions à qui bon nous sembloit.

Note 285: (retour)

Pierre Chavin. (Voir plus haut, p. 200.)

Quelques jours après que je fus party de Tadoussac, les Montagnets arriverent à Quebecq au nombre de 60 bons hommes, pour s'acheminer à la guerre. Ils y sejournerent quelques jours, s'y donnant du bon temps, & n'estoit pas sans souvent m'importuner, sçavoir si je ne manquerois point à ce que je leur avois promis. Je les asseuray, & promis de rechef, leur demandant s'ils m'avoient trouvé menteur par le passé. Ils se resjouirent fort lors que je leur reiteray mes promesses.

Et me disoient voila beaucoup de Basques & Mistigoches (ainsi appelent ils les Normans & Maslouins) qui disent qu'ils viendront à la guerre avec nous, que t'en semble? disent ils vérité? Je leur respondis que non, & que je sçavois bien ce qu'ils avoient au coeur, & que ce qu'ils en disoient n'estoient que pour avoir & attirer leurs commoditez. Ils me disoient tu as dit vray, ce sont femmes, & ne veulent faire la guerre qu'à nos Castors: avec plusieurs autres discours facetieux, & de l'estat & ordre d'aller à la guerre.

Ils se resolurent de partir, & m'aller attendre aux trois 210/358rivieres 30 lieues plus haut que Quebecq, où je leur avois promis de les aller trouver, & quatre barques chargées de marchandises, pour traicter de pelleterie, entre autres avec les Ochateguins, qui me devoient venir attendre à l'entrée de la riviere des Yroquois, comme ils m'avoient promis l'année précédente, & y amener jusques à 400 hommes, pour aller à la guerre.




Partement de Quebecq pour aller assister nos sauvages aliez à la guerre contre les Yroquois leurs ennemis, & tout ce qui se passa jusques à nostre retour en l'habitation.

CHAPITRE II.

Je party de Quebecq le 14 Juin pour aller trouver les Montagnets, Algoumequins & Ochateguins qui se devoient trouver à l'entrée de la riviere des Yroquois. Comme je fus à 8 lieues de Quebecq, je rencontray un canot, où il y avoit deux sauvages, l'un Algoumequin, & l'autre Montagnet, qui me venoient prier de m'advancer le plus viste qu'il me feroit possible, & que les Algoumequins & Ochateguins seroient dans deux jours au rendes-vous au nombre de 200 & 200 autres qui devoient venir un peu après, avec Yroquet un de leurs chefs; & me demandèrent si j'estois content de la venue de ces sauvages: je leur dy que je n'en pouvois estre fasché, puis qu'ils avoient tenu leur promesse. Ils se mirent dedans ma barque, où je leur fis fort bonne chère. Peu de temps aprés avoir devisé avec eux de plusieurs choses touchant leurs guerres, le sauvage 211/359Algoumequin, qui estoit un de leurs chefs, tira d'un sac une pièce de cuivre de la longueur d'un pied, qu'il me donna, lequel estoit fort beau & bien franc, me donnant à entendre qu'il y en avoit en quantité là où il l'avoit pris, qui estoit sur le bort d'une riviere proche d'un grand lac, & qu'ils le prenoient par morceaux, & le faisant fondre le mettoient en lames, & avec des pierres le rendoient uny. Je fus fort ayse de ce present, encores qu'il fut de peu de valleur.

Arrivant aux trois rivieres, je trouvay tous les Montagnets qui m'attendoient, & quatre barques, comme j'ay dit cy dessus, qui y estoient allées pour traicter avec eux.

Les sauvages furent resjouis de me voir. Je fus à terre parler à eux. Ils me prièrent, qu'allant à la guerre je ne m'embarquasse point, ny mes compagnons aussi, en d'autres canots que les leurs; & qu'ils estoient nos antiens amis: ce que je leur promis, leur disant que je voulois partir tout à l'heure, d'autant que le vent estoit bon, & que ma barque n'estoit point si aisée que leurs canots, & que pour cela je voulois prendre l'advant. Ils me prièrent instamment d'attendre au lendemain matin, que nous irions tous ensemble, & qu'ils ne feroient pas plus de chemin que moy; Enfin pour les contenter, je leurs promis, dont ils furent fort joyeux.

Le jour ensuivant nous partismes tous ensemble vogans jusques au lendemain matin 19e jour dudit mois, qu'arrivasmes à une isle devant ladite riviere des Yroquois, en attendant les Algoumequins qui devoient y venir ce mesme jour. Comme les 212/360Montagnets couppoient des arbres pour faire place pour danser & se mettre en ordre à l'arrivée desdits Algoumequins, voicy un canot Algoumequin qu'on aperceut venir en diligence advertir que les Algoumequins avoient fait rencontre des Yroquois, qui estoient au nombre de cent, & qu'ils estoient fort bien barricadez, & qu'il seroit malaisé de les emporter, s'ils ne venoient promptement, & les Matigoches avec eux (ainsi nous appelent ils.)

Aussitost l'alarme commença parmy eux, & chacun se mit en son canot avec ses armes. Ils furent promptement en estat, mais avec confusion: car ils se precipitoient si fort que au lieu d'advancer ils se retardoient. Ils vindrent à nostre barque, & aux autres, me priant d'aller avec eux dans leurs canots, & mes compagnons aussi, & me presserent si fort que je m'y embarquay moy cinquiesme. Je priay la Routte qui estoit nostre pilotte, de demeurer en la barque, & m'envoyer encores quelque 4 ou 5 de mes compagnons, si les autres barques envoyoient quelques chalouppes avec hommes pour nous donner secours: Car aucunes des barques n'y voulut aller avec les sauvages, horsmis le Capitaine Thibaut qui vint avec moy, qui avoit là une barque. Les sauvages crioyent à ceux qui restoient qu'ils avoient coeur de femmes, & ne sçavoient faire autre chose que la guerre à leurs pelleteries.

Cependant après avoir fait quelque demie lieue, en traversant la riviere tous les sauvages mirent pied à terre, & abandonnant leurs canots prindrent leurs rondaches, arcs, flesches, massues & espées, qu'ils amanchent au bout de grands bastons, & 213/361commencèrent à prendre leur course dans les bois, de telle façon que nous les eusmes bien tost perdus de veue, & nous laisserent cinq que nous estions sans guides. Cela nous apporta du desplaisir: neantmoins voyant tousjours leurs brisées nous les suivions; mais souvent nous nous abusions. Comme nous eusmes fait environ demie lieue par l'espois des bois, dans des pallus & marescages, tousjours l'eau jusques aux genoux, armez chacun d'un corcelet de piquier qui nous importunoit beaucoup, & aussi la quantité des mousquites, qui estoient si espoisses qu'elles ne nous permettoient point presque de reprendre nostre halaine, tant elles nous persecutoient, & si cruellement que c'estoit chose estrange, nous ne sçavions plus où nous estions sans deux sauvages que nous apperceusmes traversans le bois, lesquels nous appelasmes, & leur dy qu'il estoit necessaire qu'ils fussent avec nous pour nous guider & conduire où estoient les Yroquois, & qu'autrement nous n'y pourrions aller, & que nous nous esgarerions dans les bois. Ils demeurèrent pour nous conduire. Ayant fait un peu de chemin, nous apperceusmes un sauvage qui venoit en diligence nous chercher pour nous faire advancer le plus promptement qu'il seroit possible, lequel me fit entendre que les Algoumequins & Montagnets avoient voulu forcer la barricade des Yroquois & qu'ils avoient esté repoussés, & qu'il y avoit eu de meilleurs hommes Montagnets tuez, & plusieurs autres blessez, & qu'ils s'estoient retirez en nous attendant, & que leur esperance estoit du tout en nous. Nous n'eusmes pas fait demy quart de lieue avec ce sauvage qui estoit Capitaine Algoumequin, que 214/362nous entendions les hurlemens & cris des uns & des autres, qui s'entre disoient des injures, escarmouchans tousjours légèrement en nous attendant. Aussitost que les sauvages nous apperçeurent ils commencèrent à s'escrier de telle façon, qu'on n'eust pas entendu tonner. Je donnay charge à mes compagnons de me suivre tousjours, & ne m'escarter point. Je m'approchay de la barricade des ennemis pour, la recognoistre. Elle estoit faite de puissants arbres, arrangez les uns sur les autres en rond, qui est la forme ordinaire de leurs forteresses. Tous les Montagnets & Algoumequins s'approchèrent aussi de ladite barricade. Lors nous commençasmes à tirer force coups d'arquebuse à travers les fueillards, d'autant que nous ne les pouvions voir comme eux nous. Je fus blessé en tirant le premier coup sur le bord de leur barricade, d'un coup de flesche qui me fendit le bout de l'oreille & entra dans le col. Je prins la flesche qui me tenoit encores au col & l'arachay: elle estoit ferrée par le bout d'une pierre bien aiguë. Un autre de mes compagnons en mesme temps fut aussi blessé au bras d'une autre flesche que je luy arrachay. Neantmoins ma blesseure ne m'empescha de faire le devoir, & nos sauvages aussi de leur part, & pareillement les ennemis, tellement qu'on voyoit voler les flesches d'une part & d'autre, menu comme gresle: Les Yroquois s'estonnoient du bruit de nos arquebuses, & principalement de ce que les balles persoient mieux que leurs flesches; & eurent tellement l'espouvante de l'effet qu'elles faisoient, voyant plusieurs de leurs compaignons tombez morts, & blessez, que de crainte qu'ils avoient, croyans ces coups 215/363estre sans remède ils se jettoient par terre, quand ils entendoient le bruit: aussi ne tirions gueres à faute, & deux ou trois balles à chacun coup, & avions la pluspart du temps nos arquebuses appuyées sur le bord de leur barricade. Comme je vy que nos munitions commençoient à manquer, je dy à tous les sauvages, qu'il les falloit emporter de force & rompre leurs barricades, & pour ce faire prendre leurs rondaches & s'en couvrir, & ainsi s'en aprocher de si prés que l'on peust lier de bonnes cordes aux pilliers qui les soustenoient, & à force de bras tirer tellement qu'on les renversast, & par ce moyen y faire ouverture suffisante pour entrer dedans leur fort: & que cependant nous à coups d'arquebuses repousserions les ennemis qui viendroient se presenter pour les en empescher: & aussi qu'ils eussent à se mettre quelque quantité après de grands arbres qui estoient proches de ladite barricade, afin de les renverser dessus pour les accabler, que d'autres couvriroient de leurs rondaches pour empescher que les ennemis ne les endommageassent, ce qu'ils firent fort promptement. Et comme on estoit en train de parachever, les barques qui estoient à une lieue & demie de nous nous entendoient battre par l'equo de nos arquebusades qui resonnoit jusques à eux, qui fit qu'un jeune homme de sainct Maslo plein de courage, appelé des Prairies, qui avoit sa barque comme les autres pour la traite de pelleterie, dit à tous ceux qui restoient, que c'estoit une grande honte à eux de me voir battre de la façon avec des sauvages, sans qu'ils me vinssent secourir, & que pour luy il avoit trop l'honneur en recommandation, & qu'il ne vouloit 216/364point qu'on luy peut faire ce reproche: & sur cela se délibéra de me venir trouver dans une chalouppe avec quelques siens compagnons, & des miens qu'il amena avec luy. Aussitost qu'il fut arrivé il alla vers le fort des Yroquois, qui estoit sur le bort de la riviere, où il mit pied à terre, & me vint chercher. Comme je le vis, je fis cesser nos sauvages qui rompoient la forteresse, afin que les nouveaux venus eussent leur part du plaisir. Je priay le sieur des Prayries & ses compagnons de faire quelque salve d'arquebusades, auparavant que nos sauvages les emportassent de force, comme ils avoient délibéré: ce qu'ils firent, & tirèrent plusieurs coups, où chacun d'eux se comporta bien en son devoir. Et après avoir assez tiré, je m'adresse à nos sauvages & les incitay de parachever: Aussitost s'aprochans de ladite barricade comme ils avoient fait auparavant, & nous à leurs aisles pour tirer sur ceux qui les voudroient empescher de la rompre. Ils firent si bien & vertueusement qu'à la faveur de nos arquebusades ils y firent ouverture, neantmoins difficile à passer, car il y avoit encores la hauteur d'un homme pour entrer dedans, & des branchages d'arbres abbatus, qui nuisoient fort: Toutesfois quand je vey l'entrée assez raisonnable, je dy qu'on ne tirast plus: ce qui fut fait: Au mesme instant quelque vingt ou trente, tant des sauvages que de nous autres, entrasmes dedans l'espée en la main, sans trouver beaucoup de resistance. Aussitost ce qui restoit sain commença à prendre la fuitte: mais ils n'alloient pas loing, car ils estoient défaits par ceux qui estoient à l'entour de ladite baricade: & ceux qui 217/365eschaperent se noyèrent dans la riviere. Nous prismes quelques quinze prisonniers, le reste tué à coups d'arquebuse, de flesches & d'espée. Quand ce fut fait, il vint une autre chalouppe & quelques uns de nos compagnons dedans, qui fut trop tart: toutesfois assez à temps pour la despouille du butin, qui n'estoit pas grand chose: il n'y avoit que des robes de castor, des morts, plains de sang, que les sauvages ne vouloient prendre la peine de despouiller, & se moquoient de ceux qui le faisoient, qui furent ceux de la dernière chalouppe: Car les autres ne se mirent en ce villain devoir. Voila donc avec la grâce de Dieu la victoire obtenue, dont ils nous donnèrent beaucoup de louange.

364a

Fort des Yroquois

Agrandissement(2863x20783x16) 1.38 Mo.

A Le fort des Yroquois.

B Yroquois se jettans en la riviere pour se sauver poursuivis par les Montaignets & Algoumequins se jettant après eux pour les tuer.

D Le sieur de Champlain & 5 des siens.

E Tous nos sauvages amis.

F Le sieur des Prairies de S. Maslo avec ses compagnons.

G Chalouppe dudit sieur des Prairies.

H Grands arbres couppés pour ruiner le fort des Yroquois.

Ces sauvages escorcherent les testes de ceux qui estoient morts, ainsi qu'ils ont accoustumé de faire pour trophée de leur victoire, & les emportent. Ils s'en retournèrent avec cinquante blessez des leurs, & trois hommes morts desdicts Montagnets & Algoumequins, en chantant, & leurs prisonniers avec eux. Ayant les testes pendues à des bastons devant leurs canots & un corps mort couppé par quartiers, pour le manger par vengeance, à ce qu'ils disoient, & vindrent en ceste façon jusques où estoient nos barques audevant de ladite riviere des Yroquois.

Et mes compagnons & moy nous embarquasmes dans une chalouppe, où je me fis penser de ma blesseure par le chirurgien de Boyer de Rouen qui y estoit venu aussi pour la traicte. Tout ce jour se passa avec les sauvages en danses & chançons.

Le lendemain ledit sieur du Pont arriva avec une autre chalouppe chargée de quelques marchandises & une autre qu'il 218/366avoit laissée derrière où estoit le Capitaine Pierre qui ne pouvoit venir qu'avec peine, estant ladite barque un peu lourde & malaisée à nager.

Cedit jour on traicta quelque pelleterie, mais les autres barques emportèrent la meilleure part du butin. C'estoit leur avoir fait un grand plaisir de leur estre allé chercher des nations étrangères, pour après emporter le profit sans aucune risque ny hazard.

Ce jour je demanday aux sauvages un prisonnier Yroquois qu'ils avoient, lequel ils me donnèrent. Je ne fis pas peu pour luy, car je le sauvay de plusieurs tourmens qu'il luy eust fallu souffrir avec ses compagnons prisonniers, ausquels ils arrachoient les ongles, puis leur couppoient les doits, & les brusloient en plusieurs endroits. Ils en firent mourir ledit jour deux ou trois, & pour leur faire souffrir plus de tourmens ils en usent ainsi.

Ils prindrent leurs prisonniers & les emmenèrent sur le bort de l'eau & les attachèrent tous droits à un baston, puis chacun venoit avec un flambeau d'escorce de bouleau, les brullans tantost sur une partie tantost sur l'autre: & les pauvres miserables sentans ce feu faisoient des cris si haut que c'estoit chose estrange à ouyr, & des cruautez dont ces barbares usent les uns envers les autres. Après les avoir bien fait languir de la façon, & les brullans avec ladite escorce, ils prenoient de l'eau & leur jettoient sur le corps pour les faire languir d'avantage: puis leur remettoient de rechef le feu de telle façon, que la peau tomboit de leurs corps, & continuoyent avec grands cris & exclamations, dansant jusques à 219/367ce que ces pauvres miserables tombassent morts sur la place.

Aussi tost qu'il tomboit un corps mort à terre, ils frappoient dessus à grands coups de baston, puis luy coupoient les bras & les jambes, & autres parties d'iceluy, & n'estoit tenu pour homme de bien entr'eux celuy qui ne couppoit un morceau de sa chair & ne la donnoit aux chiens. Voila la courtoisie que reçoivent les prisonniers. Mais neantmoins ils endurent si constamment tous les tourmens qu'on leur fait, que ceux qui les voyent en demeurent estonnez.

Quant aux autres prisonniers qui resterent, tant aux Algoumequins que Montagnets, furent conservez pour les faire mourir par les mains de leurs femmes & filles, qui en cela ne se monstrent pas moins inhumaines que les hommes, encores elles les surpassent de beaucoup en cruauté: car par leur subtilité elles inventent des supplices plus cruels, & y prennent plaisir, les faisant ainsi finir leur vie en douleurs extresmes.

Le lendemain arriva le Capitaine Yroquet & un autre Ochatagin, qui avoient quelques 80 hommes, qui estoient bien faschez de ne s'estre trouvez à la deffaite. En toutes ces nations il y avoit bien prés de 200 hommes qui n'avoient jamais veu de Chrestiens qu'alors, dont ils firent de grandes admirations.

Nous fusmes quelques trois jours ensemble à une isle286 le 220/368travers de la riviere des Yroquois, & puis chacune des nations s'en retourna en son pays. J'avois un jeune garçon, qui avoit desja yverné deux ans à Quebecq, lequel avoit desir d'aller avec les Algoumequins, pour apprendre la langue. Pont-gravé & moy advisasmes que s'il en avoit envie que ce seroit mieux fait de l'envoyer là qu'ailleurs, pour sçavoir quel estoit leur pays, voir le grand lac, remarquer les rivieres, quels peuples y habitent; ensemble descouvrir les mines & choses les plus rares de ces lieux & peuples, afin qu'à son retour nous peussions estre informez de la vérité. Nous luy demandasmes s'il l'avoit aggreable: car de l'y forcer ce n'estoit ma volonté: mais aussi tost la demande faite, il accepta le voyage très-volontiers.

Note 286: (retour)

L'île de Saint-Ignace. Les sauvages, pour éviter les surprises, ayant pour habitude de camper dans les îles, on peut raisonnablement supposer que cette île était proprement le lieu de la traite, quoiqu'on désignât ce lieu sous le nom de cap au Massacre, ou cap de la Victoire, à cause de la proximité de ce dernier. Sans aucun doute, le cap de la Victoire a dû son nom à la victoire remportée sur les Iroquois dans cette expédition de 1610. «Ce lieu du Cap de la Victoire ou de Massacre,» écrit Sagard en 1632 (Grand Voyage, p. 60), est à douze ou quinze lieues au deçà de la Riviere des Prairies... La riviere en cet endroit n'a environ que demye lieue de large, & dés l'entrée se voyent tout d'un rang 6 ou 7 isles fort agréables & couvertes de beaux bois.—A l'issue du lac,» ajoute le même auteur dans son Histoire du Canada, «nous entrasmes peu après au port du Cap de la Victoire... On voit du port six ou sept isles toutes de front,... qui couvrent le lac S. Pierre & la riviere des Ignerhonons (nation hyroquoyse) qui se descharge icy dans le grand fleuve, vis à vis du port, beau, large & fort spacieux.» Plus loin, p. 765, il parle encore du même lieu, «nommé, dit-il, par les Hurons Onthrandéen, & par nous cap de la Victoire.» Un passage de Nicolas Perrot nous apprend d'une manière un peu plus précise la position du cap de la Victoire: «Les Outaoüas, dit-il, & toutes les autres nations qui commerçoient avec les François... s'imaginoient que l'Irroquois estoit embusqué partout. Ils n'en trouverent cependant qu'au cap Massacre, qui est l'endroit des dernières concessions au bas de Saint-Ours.» (Mémoire de Nicolas Perrot, édit. du P. Tailhan, p. 93.) Or on sait que la concession de Saint-Ours finissait, sur le fleuve, à une lieue et demie au-dessus de Sorel. Enfin la Relation de 1646 (p. 10) dit que «le cap nommé de Massacre était à une lieue plus haut que Richelieu,» ou Sorel.

Je fus trouver le Capitaine Yroquet qui m'estoit fort affectionné, auquel je demanday s'il vouloit emmener ce jeune garçon avec luy en son pays pour y yverner, & le ramener au printemps: Il me promit le faire, & le tenir comme son fils, & qu'il en estoit tres-content. Il le va dire à tous les Algoumequins, qui n'en furent pas trop contens, pour la crainte que quelque accident ne luy arriva: & que pour cela nous leur 221/369fissions la guerre. Ce doubte refroidit Yroquet, & me vint dire que tous ses compagnons ne le trouvoient pas bon: Cependant toutes les barques s'en estoient allées, horsmis celle du Pont, qui ayant quelque affaire pressée, à ce qu'il me dit, s'en alla aussi: & moy je demeuray avec la mienne, pour voir ce qui reussiroit du voyage de ce garçon que j'avois envie qu'il fit. Je fus donc à terre & demanday à parler aux Capitaines, lesquels vindrent à moy, & nous assismes avec beaucoup d'autres sauvages anciens de leurs trouppes; puis je leur demanday pourquoy le Capitaine Yroquet que je tenois pour mon amy, avoit refusé d'emmener mon garçon avec luy. Que ce n'estoit pas comme frère ou amy, de me dernier une chose qu'il m'avoit promis, laquelle ne leur pouvoit apporter que du bien; & que en emmenant ce garçon, c'estoit pour contracter plus d'amitié avec eux & leurs voisins, que n'avions encores fait, & que leur difficulté me faisoit avoir mauvaise opinion d'eux; & que s'ils ne vouloient emmener ce garçon, ce que le Capitaine Yroquet m'avoit promis, je n'aurois jamais d'amitié avec eux, car ils n'estoient pas enfans pour rejetter ceste promesse. Alors ils me dirent qu'ils en estoient bien contens, mais que changeant de nourriture, ils craignoient que n'estant si bien noury comme il avoit accoustumé, il ne luy arriva quelque mal dont je pourrois estre fasché, & que c'estoit la seule cause de leur refus.

Je leur fis responce que pour la vie qu'ils faisoient & des vivres dont ils usoient, ledit garçon s'y sçauroit bien accommoder, & que si par maladie ou fortune de guerre il luy 222/370survenoit quelque mal, cela ne m'empescheroit de leur vouloir du bien, & que nous estions tous subjects aux accidens, qu'il failloit prendre en patience: Mais que s'ils le traitoyent mal, & qu'il luy arriva quelque fortune par leur faute, qu'à la vérité j'en serois mal content; ce que je n'esperois de leur part, ains tout bien.

Ils me dirent, puis donc que tu as ce desir, nous l'emmenerons & le tiendrons comme nous autres: Mais tu prendras aussi un jeune homme en sa place, qui ira en France: Nous serons bien aise qu'il nous rapporte ce qu'il aura veu de beau. Je l'acceptay volontiers, & le prins287. Il estoit de la nation des Ochateguins, & fut aussi fort aise de venir avec moy. Cela donna plus de subject de mieux traicter mon garçon, lequel j'esquippay de ce qui luy estoit necessaire, & promismes les uns aux autres de nous revoir à la fin de Juin.

Note 287: (retour)

«J'ay vu souvent, dit Lescarbot, ce sauvage de Champlein nommé Savignon, à Paris, gros garson & robuste, lequel se mocquoit voyant quelquefois deux hommes se quereller sans se battre, ou tuer, disant que ce n'étoient que des femmes, & n'avoient point de courage.» (Liv. v, ch. v.)

Nous nous separasmes avec force promesses d'amitié. Ils s'en allèrent donc du costé du grand saut de la riviere de Canadas, & moy, je m'en retournay à Quebecq. En allant je rencontray le Pont-gravé, dedans le lac sainct Pierre, qui m'attendoit avec une grande pattache qu'il avoit rencontrée audit lac, qui n'avoit peu faire diligence de venir jusques où estoient les sauvages, pour estre trop lourde de nage. Nous nous en retournasmes tous ensemble à Quebecq: puis ledit Pont-gravé s'en alla à Tadoussac, pour mettre ordre à quelques affaires 223/371que nous avions en ces quartiers là; & moy je demeuray à Quebecq pour faire redifier quelques palissades au tour de nostre habitation, attendant le retour dudit Pont-gravé, pour adviser ensemblement à ce qui seroit necessaire de faire.

Le 4 de Juin288 des Marests arriva à Quebecq, qui nous resjouit fort: car nous doubtions qu'il luy fut arrivé quelque accident sur la mer.

Note 288: (retour)

Il est probable qu'il faut lire: le 4 de juillet.

Quelques jours après un prisonnier Yroquois que j'y faisois garder, par la trop grande liberté que je luy donnois s'en fuit & se sauva, pour la crainte & apprehension qu'il avoit: nonobstant les asseurances que luy donnoit une femme de sa nation que nous avions en nostre habitation.

Peu de jours après, le Pont-gravé m'escrivit qu'il estoit en délibération d'yverner en l'habitation, pour beaucoup de considerations qui le mouvoient à ce faire. Je luy rescrivy, que s'il croyoit mieux faire que ce que j'avois fait par le passé qu'il seroit bien.

Il fit donc diligence de faire apporter les commoditez necessaires pour ladite habitation.

Après que j'eu fait parachever la palissade autour de nostre habitation, & remis toutes choses en estat, le Capitaine Pierre revint dans une barque qui estoit allé à Tadoussac voir de ses amis: & moy j'y fus aussi pour voir ce qui reussiroit de la seconde traite & quelques autres affaires particulières, que j'y avois. Où estant je trouvay ledit Pont-gravé qui me communiqua fort particulièrement son dessin, & ce qui l'occasionnoit d'yverner. Je luy dis sainement ce qu'il m'en 224/372sembloit, qui estoit, que je croyois qu'il n'y proffiteroit pas beaucoup, selon les apparences certaines qui se pouvoient voir.

Il délibéra donc changer de resolution, & despescha une barque, & manda au Capitaine Pierre qu'il revint de Quebecq pour quelques affaires qu'il avoit avec luy: & aussi que quelques vaisseaux, qui estoient venus de Brouage apportèrent nouvelles, que monsieur de sainct Luc estoit venu en poste de Paris, & avoit chassé ceux de la Religion, hors de Brouage, & renforcé la garnison de soldats, & s'en estoit retourné en Court; & que le Roy avoit esté tué, & deux ou trois jours aprés luy, le duc de Suilly, & deux autres seigneurs dont on ne sçavoit le nom289.

Note 289: (retour)

Henri IV avait en effet été assassiné le 14 de mai; mais ni le duc de Sully ni aucun autre Seigneur ne l'avaient été.

Toutes ces nouvelles apportèrent un grand desplaisir aux vrais François, qui estoient lors en ces quartiers là: Pour moy, il m'estoit fortmalaisé de le croire, pour les divers discours qu'on en faisoit, qui n'avoient pas beaucoup d'apparence de vérité: & toutesfois bien affligé d'entendre de si mauvaises nouvelles.

Or après avoir sejourné trois ou quatre jours à Tadoussac, & veu la perte que firent beaucoup de marchans qui avoient chargé grande quantité de marchandises & équipé bon nombre de vaisseaux, esperant faire leurs affaires en la traite de Pelleterie, qui fut si miserable pour la quantité de vaiseaux, que plusieurs se souviendront long temps de la perte qu'ils firent en ceste année 290.

Note 290: (retour)

Lescarbot nous fait connaître la cause de cette affluence de vaisseaux de traite. «Cette année, dit-il, le refus fait au sieur de Monts de lui continuer son privilège, ayant été divulgué par les ports de mer, l'avidité des Merchens pour les Castors fut si grande, que les trois parts cuidans aller conquérir la toison d'or sans coup férir, ne conquirent pas seulement des toisons de laine, tant étoit grand le nombre des conquerans.» (Liv. v, ch. v.)

225/373Ledit sieur de Pont-gravé & moy, nous nous embarquasmes chacun dans une barque, & laissasmes ledit Capitaine Pierre au vaisseau & emmenasmes le Parc à Quebecq, où nous parachevasmes de mettre ordre à ce qui restoit de l'habitation. Après que toutes choses furent en bon estat, nous resolusmes que ledit du Parc qui avoit yverné avec le Capitaine Pierre y demeuroit derechef, & que le Capitaine Pierre reviendroit aussi en France, pour quelques affaires qu'il y avoit, & l'y appelloient.

Nous laissasmes donc ledit du Parc, pour y commander, avec seize hommes, ausquels nous fismes une remonstrance, de vivre tous sagement en la crainte de Dieu, & avec toute l'obeissance qu'ils devoient porter audit du Parc, qu'on leur laissoit pour chef & conducteur, comme si l'un de nous y demeuroit; ce qu'ils promirent tous de faire, & de vivre en paix les uns avec les autres.

Quand aux jardins nous les laissasmes bien garnis d'herbes potagères de toutes sortes, avec de fort beau bled d'Inde, & du froument, seigle & orge, qu'on avoit semé, & des vignes que j'y avois fait planter durant mon yvernement (qu'ils ne firent aucun estat de conserver: car à mon retour, je les trouvay toutes rompues, ce qui m'aporta beaucoup de desplaisir, pour le peu de soin qu'ils avoient eu à la conservation d'un si bon & beau plan, dont je m'estois promis qu'il en reussiroit quelque chose de bon.)

Après avoir veu toutes choses en bon estat, nous partismes de Quebecq, le 8 du mois d'Aoust, pour aller à Tadoussac, afin de faire apareiller nostre vaisseau, ce qui fut promptement fait.




226/374Retour en France. Rencontre d'une balaine, & de la façon qu'on les prent.

CHAPITRE III.

Le 13. dudit mois nous partismes de Tadoussac, & arrivasmes à l'isle Percée le lendemain, où nous trouvasmes quantité de vaisseaux faisant pesche de poisson sec & vert,

Le 18 dudit mois, nous partismes de l'isle Percée & passames par la hauteur de 42 degrez de latitude, sans avoir aucune cognoissance du grand banc, où se fait la pesche du poisson vert, pour ledit lieu estre trop estroit en ceste hauteur.

Estant comme à demy traversé, nous rencontrasmes une balaine qui estoit endormie, & le vaisseau passant par dessus, luy fit une fort grande ouverture proche de la queue, qui la fit bien tost resveiller sans que nostre vaisseau en fut endomagé, & jetta grande abbondance de sang.

Il m'a semblé n'estre hors de propos de faire icy une petite description de la pesche des balaines, que plusieurs n'ont veue, & croyent qu'elles se prennent à coups de canon, d'autant qu'il y a de si impudens menteurs qui l'afferment à ceux qui n'en sçavent rien. Plusieurs me l'ont soustenu obstinement sur ces faux raports.

Ceux donc qui sont plus adroits à cette pesche sont les Basques, lesquels pour ce faire mettent leurs vaisseaux en un port de seureté, ou proche de là où ils jugent y avoir quantité de ballaines, & équipent plusieurs chalouppes garnies de bons

227/375hommes & haussieres, qui sont petites cordes faites du meilleur chanvre qui se peut recouvrer, ayant de longeur pour le moins cent cinquante brasses, & ont force pertusanes longues de demie pique qui ont le fer large de six pouces, d'autres d'un pied & demy & deux de long, bien tranchantes. Ils ont en chacune chalouppe un harponneur, qui est un homme des plus dispos & adroits d'entre eux; aussi tire il les plus grands salaires après les maistres, d'autant que c'est l'office le plus hazardeux. Ladite chalouppe estant hors du port, ils regardent de toutes parts s'ils pourront voir & descouvrir quelque balaine, allant à la borde d'un costé & d'autre: & ne voyant rien, ils vont à terre & se mettent sur un promontoire, le plus haut qu'ils trouvent pour descouvrir de plus loing, où ils mettent un homme en sentinelle, qui apercevant la balaine, qu'ils descouvrent tant par sa grosseur, que par l'eau qu'elle jette par les esvans, qui est plus d'un poinçon à la fois, & de la hauteur de deux lances; & à ceste eau qu'elle jette, ils jugent ce qu'elle peut rendre d'huille. Il y en a telle d'où l'on en peut tirer jusques à six vingts poinçons, d'autres moins. Or voyant cet espouvantable poisson, ils s'embarquent promptement dans leurs chalouppes, & à force de rames ou de vent, vont jusques à ce qu'ils soient dessus. La voyant entre deux eaues, à mesme instant l'harponneur est au devant de la chalouppe avec un harpon, qui est un fer long de deux pieds & demy de large par le bas, emmanché en un baston de la longueur d'une demie pique, où au milieu il y a un trou où s'attache la 228/376haussiere, & aussi tost que ledit harponneur voit son temps, il jette son harpon sur la balaine, lequel entre fort avant, & incontinent qu'elle se sent blessée, elle va au fonds de l'eau. Et si d'adventure en se retournant quelque fois, avec sa queue elle rencontre la chalouppe, ou les hommes, elle les brise aussi facilement qu'un verre. C'est tout le hazard qu'ils courent d'estre tuez en la harponnant: Mais aussitost qu'ils ont jetté le harpon dessus, ils laissent filer leur haussiere, jusques à ce que la balaine soit au fonds: & quelque fois comme elle n'y va pas droit, elle entraine la chalouppe plus de huit ou neuf lieues, & va aussi viste comme un cheval, & sont le plus souvent contraints de coupper leur haussiere, craignant que la balaine ne les attire soubs l'eau: Mais aussi quand elle va au fonds tout droit, elle y repose quelque peu, & puis revient tout doucement sur l'eau: & à mesure qu'elle monte, ils rembarquent leur haussiere peu à peu & puis comme elle est dessus, ils se mettent deux ou trois chalouppes autour avec leurs pertusanes, desquelles ils luy donnent plusieurs coups, & se sentant frappée, elle descend de rechef soubs l'eau en perdant son sang, & s'affoiblit de telle façon, qu'elle n'a plus de force ne vigueur, & revenant sur l'eau ils achevent de la tuer: & quand elle est morte, elle ne va plus au fonds de l'eau, lors ils l'attachent avec de bonnes cordes, & la traînent à terre, au lieu où ils font leur degrat, qui est l'endroit où ils font fondre le lard de ladite balaine, pour en avoir l'huille. Voila la façon que elles se peschent, & non à coups de canon, ainsi que plusieurs pensent, comme j'ay dit cy dessus. Pour reprendre le fil de mon discours, Après la 229/377blessure de la balaine cy devant, nous prismes quantité de marsouins, que nostre contre maistre harponna, dont nous receusmes du plaisir & contentement.

Aussi prismes nous quantité de poisson à la grand oreille avec une ligne & un aim, où nous attachions un petit poisson ressemblant au hareng, & la laissions traîner derrière le vaisseau, & la grand oreille pensant en effect que ce fut un poisson vif, venoit pour l'engloutir, & se trouvoit aussitost prins à l'aim qui estoit passé dans le corps du petit poisson. Il est tresbon, & a de certaines aigrettes qui sont fort belles, & aggreables comme celles qu'on porte aux pennaches.

Le 22 de Septembre, nous arrivasmes sur la sonde, & advisasmes vingt vaisseaux qui estoient à quelque quatre lieux à l'Ouest de nous, que nous jugions estre Flamans à les voir de nostre vaisseau.

Et le 25 dudit mois nous eusmes la veue de l'isle de Grenezé, après avoir eu un grand coup de vent, qui dura jusques sur le midy.

Le 27 dudit mois arrivasmes à Honfleur.




231/379


LE TROISIESME
VOYAGE DU SIEUR DE
Champlain en l'année 1611.




Partement de France pour retourner en la nouvelle France. Les dangers & autres choses qui arriverent jusques en l'habitation.

CHAPITRE I.

ous partismes de Honfleur, le premier jour de Mars avec vent favorable jusques au huictiesme dudit mois, & depuis fusmes contrariés du vent de Su Surouest & Ouest Norouest qui nous fit aller jusques à la hauteur de 42 degrez de latitude, sans pouvoir eslever Su, pour nous mettre au droit chemin de nostre routte. Après donc avoir eu plusieurs coups de vent, & esté contrariés de mauvais temps: Et neantmoins, avec tant de peines & travaux, à force de tenir à un bort & à l'autre, nous fismes en sorte que nous arrivasmes à quelque 80 lieux du grand banc où se fait la pesche du poisson vert, où nous rencontrasmes des glaces de plus de trente à quarante brasses de haut, qui nous fit bien penser à ce que nous devions faire, craignant d'en rencontrer d'autres la nuit, & que le vent

232/380venant à changer, nous poussast contre, jugeant bien que ce ne feroit les dernières, d'autant que nous estions partis de trop bonne heure de France. Navigeant donc le long de cedit jour à basse voile au plus prés du vent que nous pouvions, la nuit estant venue, il se leva une brume si espoisse, & Ci obscure, qu'à peine voyons nous la longueur du vaisseau. Environ sur les onze heures de nuit les matelots adviserent d'autres glaces qui nous donnèrent de l'apprehension, mais enfin nous fismes tant avec la diligence des mariniers, que nous les esvitasmes. Pensant avoir passé les dangers nous vinsmes à en rencontrer une devant nostre vaisseau que les matelots apperceurent, & non si tost que nous fusmes presques portez dessus. Et comme un chacun se recommendoit à Dieu, ne pensant jamais esviter le danger de ceste glace qui estoit soubs nostre beau pré, l'on crioit au gouverneur qu'il fit porter: Car ladite glace, qui estoit fort grande drivoit au vent d'une telle façon qu'elle passa contre le bord de nostre vaisseau, qui demeura court comme s'il n'eust bougé pour la laisser passer, sans toutesfois l'offencer: Et bien que nous fussions hors du danger: si est ce que le sang d'un chacun ne fut si promptement rassis, pour l'apprehention qu'on en avoit eue, & louasmes Dieu de nous avoir delivrez de ce péril. Après cestuy là passé, ceste mesme nuit nous en passames deux ou trois autres, non moins dangereux que les premiers, avec une brume pluvieuse & froide au possible, & de telle façon que l'on ne se pouvoit presque réchauffer. Le lendemain continuant nostre routte nous rencontrasmes plusieurs autres grandes & fort hautes glaces, qui sembloient des isles à les voir de 233/381loin, toutes lesquelles evitasmes, jusques à ce que nous arrivasmes sur ledit grand banc, où nous fusmes fort contrariez de mauvais temps l'espace de six jours: Et le vent venant à estre un peu plus doux & assez favorable, nous desbanquasmes par la hauteur de 44 degrez & demy de latitude, qui fut le plus Su que peusmes aller. Après avoir fait quelque 60 lieues à l'Ouest-norouest nous apperceusmes un vaisseau qui venoit nous recognoistre, & puis fit porter à l'Est-nordest, pour esviter un grand banc de glace contenant toute l'estandue de nostre veue. Et jugeans qu'il pouvoit avoir panage par le milieu de ce grand banc, qui estoit separé en deux, pour parfaire nostre dite routte nous entrasmes dedans & y fismes quelque 10 lieues sans voir autre apparence que de beau partage jusques au soir, que nous trouvasmes ledit banc seelé, qui nous donna bien à penser ce que nous avions à faire, la nuit venant, & au défaut de la lune, qui nous ostoit tout moien de pouvoir retourner d'où nous estions venus: & neantmoins après avoir bien pensé, il fut resolu de rechercher nostre entrée à quoy nous nous mismes en devoir: Mais la nuict venant avec brumes, pluye & nege & un vent si impetueux que nous ne pouvions presque porter nostre grand papefi291, nous osta toute cognoissance de nostre chemin. Car comme nous croyons esviter lesdites glaces pour passer, le vent avoit desja fermé le passage, de façon que nous fusmes contraincts de retourner à l'autre bord, & n'avions loisir d'estre un quart d'heure sur un bord amurés, pour r'amurer sur l'autre, afin d'esviter milles glaces qui estoient 234/382de tous costez: & plus de 20 fois ne pensions sortir nos vies sauves.

Note 291: (retour)

Pacfi, ou simplement pafi; c'est la plus basse voile du grand mât.

Toute la nuict se passa en peines & travaux: & jamais ne fut mieux fait le quart, car parsonne n'avoit envie de reposer, mais bien de s'esvertuer de sortir des glaces & périls. Le froid estoit si grand que tous les maneuvres dudit vaisseau estoient si gelez & pleins de gros glaçons, que l'on ne pouvoit manouvrer, ny se tenir sur le Tillac dudit vaisseau. Après donc avoir bien couru d'un costé & d'autre, attendant le jour, qui nous donnoit quelque esperance: lequel venu avec une brume, voyant que le travail & fatigue ne pouvoit nous servir, nous resolusmes d'aller à un banc de glace, où nous pourrions estre à l'abri du grand vent qu'il faisoit, & amener tout bas, & nous laisser driver comme lesdites glaces, afin que quand nous les aurions quelque peu esloignées nous remissions à la voile, pour aller retrouver ledit banc, & faire comme auparavant, attendant que la brume fut passée, pour pouvoir sortir le plus promptement que nous pourrions. Nous fusmes ainsi tout le jour jusques au lendemain matin, où nous mismes à la voille, allant tantost d'un costé & d'autre, & n'allions en aucun endroit que ne nous trouvassions enfermez en de grands bancs de glaces, comme en des estangs qui sont en terre. Le soir apperceusmes un vaisseau, qui estoit de l'autre costé d'un desdicts bancs de glace, qui, je m'asseure, n'estoit point moins en soing que nous, & fusmes quatre ou cinq jours en ce péril en extrêmes peines, jusques à ce qu'à un matin jettans la veue de tous costez nous n'apperceusmes aucun passage, sinon à un endroit où 235/383l'on jugea que la glace n'estoit espoisse, & que facillement nous la pourrions passer. Nous nous mismes en devoir & passames par quantité de bourguignons, qui font morceaux de glace separez des grands bancs par la violance des vents. Estans parvenus audit banc de glasse, les matelots commencèrent à s'armer de grands avirons, & autres bois pour repousser les bourguignons que pourrions rencontrer, & ainsi passasmes ledit banc, qui ne fut pas sans bien aborder des morceaux de glace qui ne firent nul bien à nostre vaisseau, toutesfois sans nous faire dommage qui peust nous offencer. Estant hors nous louasmes Dieu de nous avoir delivrez. Continuans nostre routte le lendemain, nous en rencontrasmes d'autres, & nous engageasmes de telle façon dedans, que nous nous trouvasmes environés de tous costés, sinon par où nous estions venus, qui fut occasion qu'il nous fallut retourner sur nos brisées pour essayer de doubler la pointe du costé du Su: ce que ne peusmes faire que le deuxiesme jour, passant par plusieurs petits glaçons separez dudit grand banc, qui estoit par la hauteur de 44 degrez & demy, & singlasmes jusques au lendemain matin, faisant le Norouest & Nor-nor-ouest, que nous rencontrasmes un autre grand banc de glace, tant que nostre veue se pouvoit estendre devers l'Est & l'Ouest, lequel quand l'on l'apperceut l'on croioit que ce fut terre: car ledit banc estoit si uny que l'on eust dit proprement que cela avoit esté ainsi fait exprés, & avoit plus de dixhuit pieds de haut, & deux fois autant soubs l'eau, & faisions estat de n'estre qu'à quelque quinze lieues 236/384du cap Breton, qui estoit le vingtsixiesme jour dudit mois. Ces rencontres de glaces si souvent nous apportoient beaucoup de desplaisir: croyant aussi que le passage dudit cap Breton & cap de Raye seroit fermé, & qu'il nous faudroit tenir la mer longtemps devant que de trouver passage. Ne pouvans donc rien faire nous fumes contraincts de nous remettre à la mer quelque quatre ou cinq lieues pour doubler une autre pointe dudit grand banc, qui nous demeuroit à l'Ouest-surouest, & après retournâmes à l'autre bord au Norouest, pour doubler ladite pointe, & singlasmes quelques sept lieues, & puis fismes le Nor-norouest quelque trois lieues, où nous apperçusmes derechef un autre banc de glace. La nuit s'approchoit, & la brume se levoit, qui nous fit mettre à la mer pour passer le reste de la nuit attendant le jour, pour retourner recognoistre lesdites glaces. Le vintseptiesme jour dudit mois, nous advisasmes terre à l'Ouest-norouest de nous, & ne vismes aucunes glaces qui nous peuvent demeurer au Nor-nordest: Nous approchasmes de plus prés pour la mieux recognoistre, & vismes que c'estoit Campseau, qui nous fit porter au Nort pour aller à l'isle du cap Breton, nous n'eusmes pas plustost fait deux lieues que rencontrasmes un banc de glace qui fuioit au Nordest. La nuit venant nous fusmes contraincts de nous mettre à la mer jusques au lendemain, que fismes le Nordest, & rencontrasmes une autre glace qui nous demeuroit à l'Est & Est-suest, & la costoyasmes, mettant le cap au Nordest & au Nor plus de quinze lieux: En fin fusmes contraincts de refaire l'Ouest, qui nous donna beaucoup de desplaisir, voyant que ne pouvions trouver passage, & fusmes 237/385contraincts de nous en retirer & retourner sur nos brisées: & le mal pour nous que le calme nous prit de telle façon que la houle nous pensa jetter sur la coste dudit banc de glace, & fusmes prests de mettre nostre batteau hors, pour nous servir au besoin. Quand nous nous fussions sauvez sur lesdites glaces il ne nous eut servy que de nous faire languir, & mourir tous miserables. Comme nous estions donc en deliberation de mettre nostre dit batteau hors, une petite fraischeur se leva, qui nous fit grand plaisir, & par ainsi évitasmes lesdites glaces. Comme nous eusmes fait deux lieues, la nuit venoit avec une brume fort espoisse, qui fut occasion que nous amenasmes pour ne pouvoir voir: & aussi qu'il y avoit plusieurs grandes glaces en nostre routte, que craignions abborder: & demeurasmes ainsi toute la nuit jusques au lendemain vingtneufiesme jour dudit mois, que la brume renforça de telle façon, qu'à peine pouvoit on voir la longueur du vaisseau, & faisoit fort peu de vent: neantmoins nous ne laissasmes de nous appareiller pour esviter lesdites glaces: mais pensans nous desgager, nous nous y trouvasmes si embarrassez, que nous ne sçavions de quel bort amurer: & derechef fusmes contraints d'amener, & nous laisser driver jusques à ce que lesdites glaces nous fissent appareiller, & fismes cent bordées d'un costé & d'autre, & pensasmes nous perdre par plusieurs fois: & le plus asseuré y perdroit tout jugement, ce qu'eust aussi bien fait le plus grand astrologue du monde. Ce qui nous donnoit du desplaisir d'avantage, c'estoit le peu de veue, & la nuit qui venoit, & 238/386n'avions refuite d'un quart de lieue sans trouver banc ou glaces, & quantité de bourguignons, que le moindre eust esté suffisant de faire perdre quelque vaisseau que ce fust. Or comme nous estions tousjours costoyans au tour des glaces, il s'esleva un vent si impétueux qu'en peu de temps il separa la brume, & fit faire veue, & en moins d'un rien rendit l'air clair, & beau soleil. Regardant au tour de nous, nous nous vismes enfermez dedans un petit estang, qui ne contenoit pas lieue & demie en rondeur, & apperçeusmes l'isle dudit cap Breton, qui nous demeuroit au Nort, presque à quatre lieues, & jugeasmes que le partage estoit encore fermé jusques audit cap Breton. Nous apperçeusmes aussi un petit banc de glace au derrière de nostre dit vaisseau, & la grand mer qui paroissoit au delà, qui nous fit prendre resolution de passer par dessus ledit banc, qui estoit rompu: ce que nous fismes dextrement sans offencer nostredit vaisseau, & nous nous mismes à la mer toute la nuit, & fismes le Suest desdites glaces. Et comme nous jugeasmes que nous pouvions doubler ledit banc de glace, nous fismes l'est-nordest quelques quinze lieues, & apperçeusmes seulement une petite glace, & la nuit amenasmes jusques au lendemain, que nous apperçeusmes un autre banc de glace au Nord de nous, qui continuoit tant que nostre veue se pouvoit estendre, & avions drivé à demy lieue prés, & mismes les voiles haut, cottoyant tousjours ladite glace pour en trouver l'extrémité. Ainsi que nous singlions nous avisasmes un vaisseau le premier jour de May qui estoit parmy les glaces, qui avoit bien eu de la peine d'en sortir aussi bien que nous, 239/387& mismes vent devant pour attendre ledit vaisseau qui faisoit large sur nous, d'autant que desirons sçavoir s'il n'avoit point veu d'autres glaces. Quand il fut proche, nous apperçeusmes que c'estoit le fils du sieur de Poitrincourt qui alloit trouver son père qui estoit à l'habitation du port Royal; & y avoit trois mois qu'il estoit party de France (je crois que ce ne fut pas sans beaucoup de peine) & s'ils 292 estoient encore à prés de cent quarante lieues dudit port Royal, bien à l'escart de leur routte. Nous leur dismes que nous avions eu cognoissance des isles de Campseau, qui à mon opinion les asseura beaucoup, d'autant qu'ils n'avoient point encore eu cognoissance d'aucune terre, & s'en alloient donner droit entre le cap S. Laurens, & cap de Raye, par où ils n'eussent pas trouvé ledit port Royal, si ce n'eust esté en traversant les terres. Après avoir quelque peu parlé ensemble, nous nous departismes chacun suivant sa routte. Le lendemain nous eusmes cognoissance des isles sainct Pierre, sans trouver glace aucune: & continuant nostre routte, le lendemain troisiesme jour du mois eusmes cognoissance du cap de Raye, sans aussi trouver glaces. Le quatriesme dudit mois eusmes cognoissance de l'isle sainct Paul, & cap sainct Laurens; & estions à quelques huit lieues au Nord dudit cap S. Laurens. Le lendemain eusmes cognoissance de Gaspé. Le septiesme jour dudit mois fusmes contrariez du vent de Norouest, qui nous fit driver prés de trente cinq lieues de chemin, puis le vent se vint à calmer, & en beauture, qui nous fut favorable jusques à Tadoussac, qui fut le tresiesme jour dudit mois de May, où nous 240/388fismes tirer un coup de canon pour advertir les sauvages, afin de sçavoir des nouvelles des gens de nostre habitation de Quebecq. Tout le pays estoit encore presque couvert de neige. Il vint à nous quelques canots, qui nous dirent qu'il y avoit une de nos pattaches qui estoit au port il y avoit un mois, & trois vaisseaux qui y estoient arrivez depuis huit jours. Nous mismes nostre batteau hors, & fusmes trouver lesdicts sauvages, qui estoient assez miserables, & n'avoient à traicter que pour avoir seulement des rafraichissemens, qui estoit fort peu de chose: encore voulurent ils attendre qu'il vint plusieurs vaisseaux ensemble, afin d'avoir meilleur marché des marchandises: & par ainsi ceux s'abusent qui pensent faire leurs affaires pour arriver des premiers: car ces peuples sont maintenant trop fins & subtils.

Note 292: (retour)

Et si, pour et cependant.

Le dixseptiesme jour dudit mois je partis de Tadoussac pour aller au grand saut trouver les sauvages Algoumequins & autres nations qui m'avoient promis l'année précédente de s'y trouver avec mon garçon que je leur avois baillé, pour apprendre de luy ce qu'il auroit veu en son yvernement dans les terres. Ceux qui estoient dans ledit port, qui se doutoient bien, où je devois aller, suivant les promesses que j'avois faites aux sauvages, comme j'ay dit cy dessus, commencèrent à faire bastir plusieurs petites barques pour me suivre le plus promptement qu'ils pouroient: Et plusieurs, à ce que j'appris devant que partir de France, firent equipper des navires & pattaches sur l'entreprise de nostre voyage, pensant en revenir riches comme d'un voyage des Indes.

241/389Le Pont demeura audit Tadoussac sur l'esperance que s'il n'y faisoit rien, de prendre une pattache, & me venir trouver au dit saut. Entre Tadoussac & Quebecq nostre barque faisoit grand eau, qui me contraignit de retarder à Quebecq pour l'estancher, qui fut le 21e jour de May.




Descente à Quebecq pour faire racommoder la barque, Partement dudit Quebecq pour aller au saut trouver les sauvages & recognoistre un lieu propre pour une habitation.

CHAPITRE II.

Estans à terre je trouvay le sieur du Parc qui avoit yverné en ladite habitation, & tous ses compagnons, qui se portoient fort bien, sans avoir eu aucune maladie. La chasse & gibier ne leur manqua aucunement en tout leur yvernement, à ce qu'ils me dirent. Je trouvay le Capitaine sauvage appelé Batiscan & quelques Algoumequins, qui disoient m'attendre, ne voulant retourner à Tadoussac qu'ils ne m'eussent veu. Je leur fis quelque proposition de mener un de nos gens aux trois rivieres pour les recognoistre, & ne peu obtenir aucune chose d'eux pour ceste année, me remettant à l'autre: neantmoins je ne laissay de m'informer particulièrement de l'origine & des peuples qui y habitent: ce qu'ils me dirent exactement. Je leur demanday un de leurs canots, mais ils ne s'en voulurent desfaire en aucune façon que ce fut pour la necessité qu'ils en avoient: car j'estois délibéré d'envoyer deux ou trois hommes descouvrir dedans lesdites trois rivieres voir ce qu'il y auroit: ce que 242/390je ne peu faire, à mon grand regret, remettant la partie à la première occasion qui se presenteroit.

Je fis cependant diligeance de faire accommoder nostredicte barque. Et comme elle fut preste, un jeune homme de la Rochelle appelé Trefart, me pria que je luy permisse de me faire compagnie audit saut, ce que je luy refusay, disant que j'avois des dessins particuliers, & que je ne desirois estre conducteur de personne à mon prejudice, & qu'il y avoit d'autres compaignies que la mienne pour lors, & que je ne desirois ouvrir le chemin & servir de guide, & qu'il le trouveroit assés aisement sans moy. Ce mesme jour je partis de Quebecq, & arrivay audit grand saut le vingthuictiesme de May, où je ne trouvay aucun des sauvages qui m'avoient promis d'y estre au vingtiessme dudit mois. Aussitost je fus dans un meschant canot avec le sauvage que j'avois mené en France, & un de nos gens. Après avoir visité d'un costé & d'autre, tant dans les bois que le long du rivage, pour trouver un lieu propre pour la scituation d'une habitation, & y préparer une place pour y bastir, je fis quelques huit lieues par terre cottoyant le grand saut par des bois qui sont assez clairs, & fus jusques à un lac293, où nostre sauvage me mena; où je consideray fort particulièrement le pays; Mais en tout ce que je vy, je n'en trouvay point de lieu plus propre qu'un petit endroit, qui est jusques où les barques & chalouppes peuvent monter aisement: neantmoins avec un grand vent, ou à la cirque, à cause du grand courant d'eau: car plus haut que ledit lieu (qu'avons nommé la 243/391place Royalle) à une lieue du mont Royal, y a quantité de petits rochers & basses, qui sont fort dangereuses. Et proches de ladite place Royalle y a une petite riviere294 qui va assez avant dedans les terres, tout le long de laquelle y a plus de 60 arpens de terre desertés qui sont comme prairies, où l'on pourroit semer des grains, & y faire des jardinages. Autresfois des sauvages295 y ont labouré, mais ils les ont quitées pour les guerres ordinaires qu'ils y avoient. Il y a aussi grande quantité d'autres belles prairies pour nourrir tel nombre de bestail que l'on voudra: & de toutes les sortes de bois qu'avons en nos forests de pardeça: avec quantité de vignes, 244/392noyers, prunes, serizes, fraises, & autres sortes qui sont très-bonnes à manger, entre autres une qui est fort excellente, qui a le goût sucrain, tirans à celuy des plantaines (qui est un fruit des Indes) & est aussi blanche que neige, & la fueille ressemblant aux orties, & rampe le long des arbres & de la terre, comme le lierre. La pesche du poisson y est fort abondante, & de toutes les especes que nous avons en France, & de beaucoup d'autres que nous n'avons point, qui sont très-bons: comme aussi la chasse des oiseaux aussi de diferentes especes: & celle des Cerfs, Daims, Chevreuls, Caribous, Lapins, Loups-serviers, Ours, Castors, & autres petites bestes qui y sont en telle quantité, que durant que nous fusmes audit saut, nous n'en manquasmes aucunement.

Note 293: (retour)

Le lac des Deux-Montagnes.

Note 294: (retour)

La petite rivière Saint-Pierre.

Note 295: (retour)

Les sauvages qui avaient cultivé ces terres étaient évidemment ceux que Cartier y avait trouvés en 1535, dans sa visite à Hochelaga et au Mont-Royal. «Commençasmes, dit-il, à trouver les terres labourées, & belles grandes champaignes plaines de bledz de leur terre, qui est comme mil de bresil, aussy gros ou plus que poix, dequoy vivent ainsi comme nous faisons de fourment; & au parmy d'icelles champaignes est située la ville de Hochelaga, prés & joignant une montaigne qui est à l'entour d'icelle, labourée & fort fertile.» (Second Voyage, fol. 23 b.) Or, selon toutes les apparences, les habitants d'Hochelaga étaient les mêmes que ceux auxquels plus tard on a donné le nom d'Iroquois. D'abord ils étaient sédentaires; ce qui était propre à la grande famille huronne-iroquoise; leurs villages, leurs cabanes avaient absolument la disposition et la forme qu'ont toujours eu les villages et les cabanes des Hurons et des Iroquois; tous les mots qui nous ont été conservés de leur langue par les relations de Cartier, se retrouvent encore dans la langue iroquoise; enfin les traditions qu'ont pu recueillir les missionnaires et les premiers voyageurs, attestent que les environs de Montréal et même de Québec étaient le pays des Iroquois. Nicolas Perrot, si bien instruit des traditions et de l'histoire des sauvages, dit que «le pays des Iroquois estoit autrefois le Montréal & les Trois Rivieres,» et qu'ils s'en éloignèrent par suite d'un démêlé survenu entre eux et les Algonquins (Mémoire de Nicolas Perrot, édit. du P. Tailhan, p. 9); ce qui, explique pourquoi ceux-ci revendiquaient aussi l'île de Montréal comme le pays de leurs ancêtres (Relations 1642, p. 38, et 1646, p. 34, édit. 1858). Le témoignage du P. Lafitau confirme encore celui de Perrot: «Les Iroquois Agniers, dit-il, assurent qu'ils errèrent longtemps sous la conduite d'une femme nommée Gaihonariosk; cette femme les promena dans tout le nord de l'Amérique, & les fit passer au lieu où est située maintenant la ville de Québec... C'est ce que les Agniés racontent de leur origine.» (Moeurs des sauvages, t. I, p. 101, 102.) Ce qu'il paraît y avoir de plus vraisemblable, c'est que les iroquois ou hurons de Hochelaga furent d'abord contraints de laisser leur pays aux Algonquins, qui alors avaient l'avantage sur eux; mais qu'ensuite les Iroquois, s'étant aguerris, finirent par en chasser les Algonquins, sans toutefois y revenir eux-mêmes, parce que leur nouveau pays leur offrait autant d'avantages et plus de sécurité. (Voir Histoire de la colonie française en Canada, t. I, p. 524 et s.)

Ayant donc recogneu fort particulièrement & trouvé ce lieu un des plus beaux qui fut en ceste riviere, je fis aussitost coupper & deffricher le bois de ladite place Royalle296 pour la rendre unie, & preste à y bastir, & peut on faire passer l'eau au tour aisement, & en faire une petite isle, & s'y establir comme l'on voudra.

Note 296: (retour)

Cette place Royale que Champlain fit défricher, était sur la pointe à laquelle on donna depuis le nom de Callières. (Voir la lettre A de la carte du saut Saint-Louis.)

Il y a un petit islet à quelque 20 thoises de ladite place Royalle, qui a quelques cent pas de long, où l'on peut faire une bonne & forte habitation. Il y a aussi quantité de prairies de très-bonne terre grasse à potier, tant pour bricque que pour bastir, qui est une grande commodité. J'en fis accommoder une partie & y fis une mouraille de quatre pieds d'espoisseur & 3 à 245/3934 de haut, & 10 toises de long pour voir comme elle se conserveroit durant l'yver quand les eaux descenderoient, qui à mon opinion ne sçauroit parvenir jusques à lad. muraille, d'autant que le terroir est de douze pieds eslevé dessus ladite riviere, qui est assez haut. Au milieu du fleuve y a une isle d'environ trois quarts de lieues de circuit, capable d'y bastir une bonne & forte ville, & l'avons nommée l'isle de saincte Elaine297. Ce saut descend en manière de lac, où il y a deux ou trois isles & de belles prairies.

Note 297: (retour)

L'auteur paraît avoir nommé ainsi cette île à l'occasion du mariage qu'il venait de contracter, un peu avant son départ de France, avec Demoiselle Hélène Boullé, fille de Nicolas Boullé, secrétaire de la chambre du roi.

Le premier jour de Juin le Pont arriva audit saut, qui n'avoit rien sceu faire à Tadoussac; & bonne compagnie le suivirent & vindrent après luy pour y aller au butin, car sans ceste esperance ils estoient bien de l'arriére.

Or attendant les sauvages, je fis faire deux jardins, l'un dans les prairies, & l'autre au bois, que je fis deserter, & le deuxiesme jour de juin j'y semay quelques graines, qui sortirent toutes en perfection, & en peu de temps, qui demonstre la bonté de la terre.

Nous resolusmes d'envoyer Savignon nostre sauvage avec un autre, pour aller au devant de ceux de son pays, afin de les faire haster de venir, & se délibèrent d'aller dans nostre canot, qu'ils doubtoient, d'autant qu'il ne valoit pas beaucoup.

Ils partirent le cinquiesme jour dudit mois. Le lendemain arriva quatre ou cinq barques (c'estoit pour nous faire escorte) d'autant qu'ils ne pouvoient rien faire audit Tadoussac.

Le septiesme jour je fus recognoistre une petite riviere par où 246/394vont quelques fois les sauvages à la guerre, qui se va rendre au saut de la riviere des Yroquois298: elle est fort plaisante, y ayant plus de trois lieues de circuit de prairies, & force terres, qui se peuvent labourer: elle est à une lieue du grand saut, & lieu & demie de la place Royalle.

Note 298: (retour)

En remontant la rivière Saint-Lambert, et en suivant celle de Montréal, on arrive effectivement au bassin de Chambly, c'est-à-dire, au pied du saut de la rivière des Iroquois.

Le neufiesme jour nostre sauvage arriva, qui fut quelque peu pardela le lac qui a quelque dix lieues de long, lequel j'avois veu auparavant299, où il ne fit rencontre d'aucune chose, & ne purent passer plus loin à cause de leur dit canot qui leur manqua; & furent contraints de s'en revenir. Ils nous rapportèrent que passant le saut ils virent une isle où il y avoit si grande quantité de hérons, que l'air en estoit tout couvert. Il y eust un jeune homme qui estoit au sieur de Mons appelé Louys, qui estoit fort amateur de la chasse, lequel entendant cela, voulut y aller contenter sa curiosité, & pria fort instamment nostredit sauvage de l'y mener: ce que le sauvage luy accorda avec un Capitaine sauvage Montagnet fort gentil personnage, appelé Outetoucos. Dés le matin led. Louys fut appeler les deux sauvages pour s'en aller à ladite isle des hérons. Ils s'embarquèrent dans un canot & y furent. Ceste isle est au milieu du saut300, où ils prirent telle quantité de heronneaux & autres oyseaux qu'ils voulurent, & se 247/395rembarquerent en leur canot. Outetoucos contre la volonté de l'autre sauvage & de l'instance qu'il peut faire voulut passer par un endroit fort dangereux, où l'eau tomboit prés de trois pieds de haut, disant que d'autresfois il y avoit passé, ce qui estoit faux, il fut long temps à debatre contre nostre sauvage qui le voulut mener du costé du Su le long de la grand Tibie301, par où le plus souvent ils ont accoustumé de passer, ce que Outetoucos ne desira, disant qu'il n'y avoit point de danger. Comme nostre sauvage le vit opiniastre, il condescendit à sa volonté: mais il luy dit qu'à tout le moins on deschargeast le canot d'une partie des oyseaux qui estoient dedans, d'autant qu'il estoit trop chargé, ou qu'infailliblement ils empliroient d'eau, & se perdroient: ce qu'il ne voulut faire, disant qu'il seroit assez à temps s'ils voyoient qu'il y eut du péril pour eux. Ils se laisserent donc driver dans le courant. Et comme ils furent dans la cheute du saut, ils en voulurent sortir & jetter leurs charges, mais il n'estoit plus temps, car la vitesse de l'eau les maistrisoit ainsi qu'elle vouloit, & emplirent aussitost dans les boullons du saut, qui leur faisoient faire mille tours haut & bas. Ils ne l'abandonnèrent de long temps: Enfin la roideur de l'eau les lassa de telle façon, que ce pauvre Louys qui ne sçavoit nager en aucune façon perdit tout jugement & le canot estant au fonds de l'eau il fut contraint de l'abandonner: & revenant au haut les deux autres qui le tenoient tousjours ne virent plus nostre 248/396Louys, & ainsi mourut miserablement302. Les deux autres tenoient tousjours ledit canot: mais comme ils furent hors du saut, ledit Outetoucos estant nud, & se fiant en son nager, l'abandonna, pensant gaigner la terre, bien que l'eau y courust encore de grande vitesse, & se noya: car il estoit si fatigué & rompu de la peine qu'il avoit eue, qu'il estoit impossible qu'il se peust sauver ayant abandonné le canot, que nostre sauvage Savignon mieux advisé tint tousjours fermement, jusques à ce qu'il fut dans un remoul, où le courant l'avoit porté, & sceut si bien faire, quelque peine & fatigue qu'il eut eue, qu'il vint tout doucement à terre, où estant arrivé il jetta l'eau du canot, & s'en revint avec grande apprehention qu'on ne se vangeast sur luy, comme ils font entre eux, & nous conta ces tristes nouvelles, qui nous apportèrent du desplaisir.

Note 299: (retour)

Le lac des Deux-Montagnes. (Conf. p. 242, ci-dessus.)

Note 300: (retour)

Cette expression au milieu du saut tranche une difficulté qui se rencontre dans la carte du Saut St. Louis, où manque la lettre Q, tandis que la lettre P s'y trouve deux fois: l'île aux Hérons est celle qui y est marquée R, et l'île au Diable, située au sud-ouest de la première, devrait porter la lettre R. Nous regrettons d'être, sur ce point, en désaccord avec l'auteur de l'Histoire de la Colonie française en Canada; mais nous avons du moins la consolation d'être d'accord avec la tradition.

Note 301: (retour)

La grand Tibie n'est rien autre chose que la grand Terre. C'est une faute typographique, que l'auteur a corrigée lui-même dans l'édition de 1632.

Note 302: (retour)

C'est sans doute en mémoire de la mort de ce jeune Louis, que l'on donna au Grand-Saut le nom de Saint-Louis, qu'il a toujours porté depuis.

396a

Le grand saut St Louis

A Petite place que je fis deffricher.

B Petit estang.

G Petit islet où je fis faire une muraille de pierre.

D Petit ruisseau où se tiennent les barques.

E Prairies où se mettent les sauvages quand ils viennent en ce pays.

F Montaignes qui paroissent dans les terres.

G Petit estang.

H (1) Mont Royal.

I Petit ruisseau.

L Le saut.

M Le lieu où les sauvages passent leurs canots, par terre du costé du

Nort.

N Endroit où un de nos gens & un sauvage se noyèrent.

O Petit islet de rochers.

P (2) Autre islet où les oyseaux font leurs nids.

Q (3) L'isle aux hérons.

R (4) Autre isle dans le saut.

S Petit islet.

T Petit islet rond.

V Autre islet demy couvert d'eau.

X (5) Autre islet ou il y a force oyseaux de riviere.

Y Prairies.

Z Petite riviere.

2 (6) Isles assez grandes & belles.

3 Lieux qui descouvrent quand le eaux baissent, où il se fait grands

bouillonnements, comme aussi fait audit saut.

4 Prairies plaines d'eaux.

5 Lieux fort bas & peu de fonds

6 Autre petit islet.

7 Petis rochers.

8 Isle sainct Helaine.

9 Petit islet desgarny d'arbres.

oo Marescages qui s'escoulent dan le grand saut.

(1) La lettre H se trouve en double; l'une sur la montagne, et c'est là sa place; l'autre au bas de 1 îlot Normandie. Cette dernière n'est probablement que le chiffre 11, dont le graveur aura fait une lettre. (2) La lettre P est en double. Evidemment, cet autre islet est entre N et 0. (3) La lettre Q ne se trouve pas dans la carte. C'est la lettre H qui est à sa place (voir note 3 de la page 246). (4) Cette lettre devrait être à la place de celui des deux F qui désigne l'île au Diable, c'est-à dire, cette autre île dans le saut qui est au sud-ouest de l'île aux Hérons. (5) x dans la carte. (6) Ce chiffre 2 se trouve tellement placé auprès de l'île Saint-Paul, qu'on le prendrait pour la lettre N.

Le lendemain 303 je fus dans un autre canot audit saut avec le sauvage, & un autre de nos gens, pour voir l'endroit où ils s'estoient perdus: & aussi si nous trouverions les corps, & vous asseure que quand il me monstra le lieu les cheveux me herisserent en la teste, de voir ce lieu si espouvantable, & m'estonnois comme les deffuncts avoient esté si hors de jugement de passer un lieu si effroiable, pouvant aller par ailleurs: car il est impossible d'y passer pour avoir sept à huit cheutes d'eau qui descendent de degré en degré, le moindre de trois pieds de haut, où il se faisoit un train & bouillonnement estrange, & une partie dudit saut estoit toute blanche d'escume, qui montroit le lieu le plus effroyable, avec 249/397un bruit si grand que l'on eut dit que c'estoit un tonnerre, comme l'air retentissoit du bruit de ces cataraques. Après avoir veu & consideré particulièrement ce lieu & cherché le long du rivage lesdicts corps, cependant qu'une chalouppe assez légère estoit allée d'un autre costé, nous nous en revinsmes sans rien trouver.

Note 303: (retour)

Le 11 de juin. Nos trois chasseurs étaient partis le 10 au matin, et vraisemblablement l'accident arriva le même jour.




Deux cens sauvages ramènent le François qu'on leur avoit baillé, & remmenerent leur sauvage qui estoit retourné, de France. Plusieurs discours de part & d'autre.

CHAPITRE III.

Le treisiesme jour dudit mois304 deux cens sauvages Charioquois305, avec les Capitaines Ochateguin, Yroquet & Tregouaroti frère de nostre sauvage amenèrent mon garçon. Nous fusmes fort contens de les voir, je fus au devant d'eux avec un canot & nostre sauvage, & cependant qu'ils approchoient doucement en ordre, les nostres s'apareillerent de leur faire une escopeterie d'arquebuses & mousquets, & quelques petites pièces. Comme ils approchoient, ils commencèrent à crier tous ensemble, & un des chefs commanda de faire leur harangue, où ils nous louoient fort, & nous tenant pour véritables, de ce que je leur avois tenu ce que je leur promis, qui estoit de les venir trouver audit saut. Après avoir fait trois autres cris, 250/398l'escopeterie tira par deux fois de 13 barques ou pattaches qui y estoient, qui les estonna de telle façon qu'ils me prièrent de dire que l'on ne tirast plus, & qu'il y en avoit la plus grand part, qui n'avoient jamais veu de Chrestiens, ny ouy des tonnerres de la façon, & craignoient qu'il ne leur fit mal, & furent fort contans de voir nostredit sauvage sain, qu'ils pensoient mort, sur des rapports que leur avoient fait quelques Algoumequins qui l'avoient ouy dire à des sauvages Montagnets. Le sauvage me loua du traictement que je luy avois fait en France, & des singularitez qu'il avoit veues, dont ils entrèrent tous en admiration, & s'en allèrent cabaner dans le bois assez légèrement attendant le lendemain, que je leur monstrasse le lieu où je desirois qu'ils se logassent. Aussi je vis mon garçon qui vint habillé à la sauvage, qui se loua du traistement des sauvages, selon leur pays, & me fit entendre tout ce qu'il avoit veu en son yvernement, & ce qu'il avoit apris desdicts sauvages.

Note 304: (retour)

Le 13 de juin.

Note 305: (retour)

Ce nom, que l'auteur remplace par celui de Hurons, dans son édition de 1632, était probablement celui d'un chef de cette nation, de même que celui d'Ochateguins.

Le lendemain venu, je leur monstray un lieu pour aller cabaner, où les antiens & principaux deviserent fort ensemble: Et après avoir esté un long temps en cest estat, ils me firent appeler seul avec mon garçon, qui avoit fort bien apris leur langue, & luy dirent qu'ils desiroient faire une estroite amitié avec moy, & estoient faschez de voir toutes ces chalouppes ensemble, & que nostre sauvage leur avoit dit qu'il ne les cognoissoit point, ny ce qu'ils avoient dans l'âme, & qu'ils voyoient bien qu'il n'y avoit que le gain & l'avarice qui les y amenoit, & que quand ils auroient besoin de leur assistance qu'ils ne leur 251/399donneroient aucun secours, & ne seroient comme moy qui m'offrois avec mes compagnons d'aller env leur pays, & les assister, & que je leur en avois monstré des tesmoignages par le passé, en se louant tousjours du traictement que j'avois fait à nostre sauvage comme à mon frère, & que cela les oubligeoit tellement à me vouloir du bien, que tout ce que je desirerois d'eux, ils assayeroient à me satisfaire, & craignoient que les autres pattaches ne leur fissent du desplaisir. Je leur asseuray que non feroient, & que nous estions tous soubs un Roy, que nostredit sauvage avoit veu, & d'une mesme nation, (mais pour ce qui estoit des affaires, qu'elles estoient particulières) & ne devoient point avoir peur, estant aussi asseurez comme s'ils eussent esté dans leur pays. Après plusieurs discours, ils me firent un present de 100 castors. Je leur donnay en eschange d'autres sortes de marchandise, & me dirent qu'il y avoit plus de 400 sauvages qui devoient venir de leur pays, & ce qui les avoit retardés, fut un prisonnier Yroquois qui estoit à moy, qui s'estoit eschappé & s'en estoit allé en son pays, & qu'il avoit donné à entendre que je luy avois donné liberté & des marchandises, & que je devois aller audit saut avec 600 Yroquois attendre les Algoumequins, & les tuer tous: Que la crainte de ces nouvelles les avoit arrestés, & que sans cela qu'ils fussent venus. Je leur fis response que le prisonnier s'estoit desrobé sans que je luy eusse donné congé, & que nostredit sauvage sçavoit bien de quelle façon il s'en estoit allé, & qu'il n'y avoit aucune apparence de laisser leur amitié comme ils avoient ouy dire, ayant esté à la guerre avec eux, & envoyé mon garçon en leur 252/400pays pour entretenir leur amitié; & que la promesse que je leur avois si fidèlement tenue le confirmoit encore. Ils me respondirent que pour eux ils ne l'avoient aussi jamais pensé, & qu'ils recognoissoient bien que tous ces discours estoient esloignez de la vérité; & que s'ils eussent creu autrement, qu'ils ne fussent pas venus, & que c'estoit les autres qui avoient eu peur, pour n'avoir jamais veu de François que mon garçon. Ils me dirent aussi qu'il viendroit trois cens Algoumequins dans cinq ou six jours, si on les vouloit attendre, pour aller à la guerre avec eux contre les Yroquois, & que si je n'y venois ils s'en retourneroient sans la faire. Je les entretins fort sur le subjet de la source de la grande riviere, & de leur pays, dont ils me discoururent fort particulièrement, tant des rivieres, sauts, lacs, & terres, que des peuples qui y habitent, & de ce qui s'y trouve. Quatre d'entre eux m'asseurerent qu'ils avoient veu une mer fort esloignée de leur pays, & le chemin difficile, tant à cause des guerres, que des deserts qu'il faut passer pour y parvenir. Ils me dirent aussi que l'yver précédant il estoit venu quelques sauvages du costé de la Floride par derrière le pays des Yroquois, qui voyoient nostre mer Oceane, & ont amitié avec lesdicts sauvages: Enfin ils m'en discoururent fort exactement, me demonstrant par figures tous les lieux où ils avoient esté, prenant plaisir à m'en discourir: & moy je ne m'ennuiois pas à les entendre, pour estre fait certain des choses dont j'avois esté en doute jusques à ce qu'ils m'en eurent esclarcis. Après tous ces discours finis, je leur dis qu'ils traictassent ce peu 253/401de commodités qu'ils avoient, ce qu'ils firent le lendemain, dont chacune des barques emporta sa pièce: nous toute la peine & advanture, les autres qui ne se soucioient d'aucunes descouvertures, la proye, qui est la seule cause qui les meut, sans rien employer ny hazarder.

Le lendemain après avoir traité tout ce qu'ils avoient, qui estoit peu de chose, ils firent une barricade autour de leur logement du costé du bois, & en partie du costé de nos pattaches, & disoient que c'estoit pour leur seureté, afin d'esviter la surprinse de leurs ennemis: ce que nous prismes pour argent content. La nuit venue ils appellerent nostre sauvage qui couchoit à ma pattache, & mon garçon, qui les furent trouver: Après avoir tenu plusieurs discours, ils me firent aussi appeler environ sur la minuit. Estant en leurs cabannes, je les trouvay tous assis en conseil, où ils me firent assoir prés d'eux, disans que leur coustume estoit que quand ils vouloient s'assembler pour proposer quelque chose, qu'ils le faisoient la nuit, afin de n'estre divertis par l'aspect d'aucune chose, & que l'on ne pensoit qu'à escouter, & que le jour divertissoit l'esprit par les objects: mais à mon opinion ils me vouloient dire leur volonté en cachette, se fians en moy. Et d'ailleurs ils craignoient les autres pattaches, comme ils me donnèrent à entendre depuis. Car ils me dirent qu'ils estoient faschez de voir tant de François, qui n'estoient pas bien unis ensemble, & qu'ils eussent bien desiré me voir seul: Que quelques uns d'entre eux avoient esté battuz: Qu'ils me vouloient autant de bien qu'à leurs enfans, ayant telle fiance en moy, que ce que je leur dirois ils le feroient, 254/402mais qu'ils se mesfioient fort des autres: Que si je retournois, que j'amenasse telle quantité de gens que je voudrois, pourveu qu'ils fussent soubs la conduite d'un chef: & qu'ils m'envoyoient quérir pour m'asseurer d'avantage de leur amitié, qui ne se romproit jamais, & que je ne fusse point faché contre eux: & que sçachans que j'avois pris deliberation de voir leur pays, ils me le feroient voir au péril de leurs vies, m'assistant d'un bon nombre d'hommes qui pourroient passer par tout. Et qu'à l'advenir nous devions esperer d'eux comme ils faisoient de nous. Aussitost ils firent venir 50 castors & 4 carquans de leurs porcelaines (qu'ils estiment entre eux comme nous faisons les chaisnes d'or) & que j'en fisse participant mon frère (ils entendoient Pont-gravé d'autant que nous estions ensemble) & que ces presens estoient d'autres Capitaines qui ne m'avoient jamais veu, qui me les envoyoient, & qu'ils desiroient estre tousjours de mes amis: mais que s'il y avoit quelques François qui voulussent aller avec eux, qu'ils en eussent esté fort contens, & plus que jamais, pour entretenir une ferme amitié. Après plusieurs discours faits, je leur proposay, Qu'ayant la volonté de me faire voir leur pays, que je supplirois sa Majesté de nous assister jusques à 40 ou 30 hommes armez de choses necessaires pour ledit voyage, & que je m'embarquerois avec eux, à la charge qu'ils nous entretiendroient de ce qui seroit de besoin pour nostre vivre durant ledit voyage, & que je leur apporterois dequoy faire des presens aux chefs qui sont dans les pays par où nous passerions, puis nous nous en reviendrions 255/403yverner en nostre habitation: & que si je recognoissois le pays bon & fertile, l'on y feroit plusieurs habitations; & que par ce moyen aurions communication les uns avec les autres, vivans heureusement à l'avenir en la crainte de Dieu, qu'on leur feroit cognoistre. Ils furent fort contens de ceste proposition, & me prièrent d'y tenir la main, disans qu'ils feroient de leur part tout ce qu'il leur seroit possible pour en venir au bout: & que pour ce qui estoit des vivres, nous n'en manquerions non plus que eux mesmes, m'asseurans de rechef, de me faire voir ce que je desirois: & la dessus je pris congé d'eux au point du jour, en les remerciant de la volonté qu'ils avoient de favoriser mon desir, les priant de tousjours continuer.

Le lendemain 17e jour dud. mois ils dirent qu'ils s'en alloient à la chasse des castors, & qu'ils retourneroient tous. Le matin venu ils acheverent de traicter ce peu qu'il leur restoit, & puis s'embarquèrent en leurs canots, nous prians de ne toucher à leurs logements pour les deffaire, ce que nous leur promismes: & se separerent les uns des autres, faignant aller chasser en plusieurs endroits, & laisserent nostre sauvage avec moy pour nous donner moins de mesfience d'eux: & neantmoins ils s'estoient donnez le randez-vous par de là le saut, où ils jugeoient bien que nous ne pourrions aller avec nos barques: cependant nous les attandions comme ils nous avoient dit.

Le lendemain il vint deux sauvages, l'un estoit Yroquet, & l'autre le frère de nostre Savignon, qui le venoient requérir, & me prier de la part de tous leurs compagnons que j'allasse 256/404seul avec mon garçon, où ils estoient cabannez, pour me dire quelque chose de consequence, qu'ils ne desiroient communiquer devant aucuns François: le leur promis d'y aller.

Le jour venu je donnay quelques bagatelles à Sauvignon qui partit fort content, me faisant entendre qu'il s'en alloit prendre une vie bien pénible aux prix de celle qu'il avoit eue en France; & ainsi se separa avec grand regret, & moy bien aise d'en estre deschargé. Les deux Capitaines me dirent que le lendemain au matin ils m'envoyeroient quérir, ce qu'ils firent. Je m'enbarquay & mon garçon avec ceux qui vinrent. Estant au saut, nous fusmes dans le bois quelques huit lieues, où ils estoient cabannez sur le bort d'un lac, où j'avois esté auparavant. Comme ils me virent ils furent fort contens, & commencèrent à s'escrier selon leur coustume, & nostre sauvage s'en vint audevant de moy me prier d'aller en la cabanne de son frère, où aussi tost il fit mettre de la cher & du poisson sur le feu, pour me festoyer. Durant que je fus là il se fit un festin, où tous les principaux furent invitez: je n'y fus oubligé306, bien que j'eusse desja pris ma refection honnestement, mais pour ne rompre la coustume du pays j'y fus. Après avoir repeu, ils s'en allèrent dans les bois, tenir leur Conseil, & cependant je m'amusay à contempler le paisage de ce lieu, qui est fort aggreable. Quelque temps après ils m'envoyerent appeler pour me communiquer ce qu'ils avoient resolu entre eux. J'y fus avec mon garçon. Estant assis auprès d'eux ils me dirent qu'ils estoient fort aises de me voir, & 257/405n'avoir point manqué à ma parolle de ce que je leur avois promis, & qu'ils recognoissoient de plus en plus mon affection, qui estoit à leur continuer mon amitié, & que devant que partir, ils desiroient prendre congé de moy, & qu'ils eussent eu trop de desplaisir s'ils s'en fussent allez sans me voir, croyant qu'autrement je leur eusse voulu du mal: & que ce qui leur avoit faict dire qu'ils alloient à la chasse, & la barricade qu'ils avoient faite, ce n'estoit la crainte de leurs ennemis, ny le desir de la chasse, mais la crainte qu'ils avoient de toutes les autres pattaches qui estoient avec moy à cause qu'ils avoient ouy dire que la nuit qu'ils m'envoyerent appeler qu'on les devoit tous tuer, & que je ne les pourrois deffendre contre les autres, estans beaucoup plus que moy, & que pour se desrober, ils userent de ceste finesse: mais que s'il n'y eust eu que nos deux pattaches qu'ils eussent tardé quelques jours d'avantage qu'ils n'avoient fait; & me prièrent que revenant avec mes compagnons je n'en amenasse point d'autres. Je leur dis que je ne les amenois pas, ains qu'ils me suivoient sans leur dire, & qu'à l'advenir j'yrois d'autre façon que je n'avois fait, laquelle je leur declaray, dont ils furent fort contens.

Note 306: (retour)

Oublié.

Et derechef ils me commencèrent à reciter ce qu'ils m'avoient promis touchant les descouvertures des terres, & moy je leur fis promesse d'accomplir, moyennant la grâce de Dieu, ce que je leur avois dit. Ils me prièrent encore de rechef de leur donner un homme: je leur dis que s'il y en avoit parmy nous qui y voulussent aller que j'en serois fort content.

258/406Ils me dirent qu'il y avoit un marchand appelé Bouvier qui commandoit en une pattache, qui les avoit priés d'emmener un jeune garçon, ce qu'ils ne luy avoient voulu accorder qu'auparavant ils n'eussent sçeu de moy si j'en estois content, ne sçachant si nous estions amis, d'autant qu'il estoit venu en ma compagnie traicter avec eux; & qu'ils ne luy avoient point d'obligation en aucune façon: mais qu'il s'offroit de leur faire de grands presens.

Je leur fis response que nous n'estions point ennemis, & qu'ils nous avoient veu converser souvent ensemble: mais pour ce qui estoit du trafic, chacun faisoit ce qu'il pouvoit, & que ledit Bouyer peut estre desiroit envoyer ce garçon, comme l'avois fait le mien pensant esperer à l'advenir, ce que je pouvois aussi prétendre d'eux: Toutesfois qu'ils avoient à juger auquel ils avoient le plus d'obligation, & de qui ils devoient plus esperer.

Ils me dirent qu'il n'y avoit point de comparaison des obligations de l'un à l'autre, tant des assistances que je leur avois faites en leurs guerres contre leurs ennemis, que de l'offre que je leur faisois de ma personne pour l'advenir, où tousjours ils m'avoient trouvé véritable, & que le tout despendoit de ma volonté: & que ce qui leur en faisoit parler estoit lesdicts presens qu'il leur avoit offert: & que quand bien ledit garçon iroit avec eux, que cela ne les pouvoit obliger envers ledit Bouvier comme ils estoient envers moy, & que cela n'importeroit de rien à l'advenir, veu que ce n'estoit que pour avoir lesdicts presens dudit Bouvier.

Je leur fis response qu'il m'estoit indifferent qu'ils le 259/407prinssent ou non, & qu'à la vérité s'ils le prenoient avec peu de chose, que j'en serois fasché, mais en leur faisant de bons presens que j'en serois content, pourveu qu'il demourast avec Yroquet: ce qu'ils me promirent. Et après m'avoir fait entendre leur volonté pour la dernière fois, & moy à eux la mienne, il y eut un sauvage qui avoit esté prisonnier par trois fois des Yroquois, & s'estoit sauvé fort heureusement, qui resolut d'aller à la guerre luy dixiesme, pour se venger des cruautez que ses ennemis luy avoient fait souffrir. Tous les Capitaines me prièrent de l'en destourner si je pouvois d'autant qu'il estoit fort vaillant, & craignoient qu'il ne s'engageast si avant parmy les ennemis avec si petite trouppe, qu'il n'en revint jamais. Je le fis pour les contenter, par toutes les raisons que je luy peus alléguer, lesquelles luy servirent peu, me monstrant une partie de ses doigts couppez, & de grandes taillades & bruslures qu'il avoit sur le corps, comme ils l'avoient tourmanté, & qu'il luy estoit impossible de vivre, s'il ne faisoit mourir de ses ennemis, & n'en avoit vengeance, & que son coeur luy disoit qu'il failloit qu'il partist au plustost qu'il luy seroit possible: ce qu'il fit fort délibéré de bien faire.

Après avoir fait avec eux, je les priay de me ramener en nostre pattache: pour ce faire ils equipperent 8 canots pour passer ledit saut & se despouillerent tous nuds, & me firent mettre en chemise: car souvant il arrive que d'aucuns se perdent en le passant, partant se tiennent les uns prés des autres pour se secourir promptement si quelque canot arrivoit à renverser. Ils me disoient si par malheur le tien venoit à tourner, ne sachant 260/408point nager, ne l'abandonne en aucune façon, & te tiens bien à de petits bastons qui y sont par le milieu, car nous te sauverons aysement: le vous asseure que ceux qui n'ont pas veu ny passé ledit endroit en des petits batteaux comme ils ont, ne le pouroient pas sans grande apprehension mesmes le plus asseuré du monde. Mais ces nations sont si addextres à paner les sauts, que cela leur est facile: Je le passay avec eux, ce que je n'avois jamais fait, ny autre Chrétien, horsmis mondit garçon: & vinsmes à nos barques, où j'en logay une bonne partie, & j'eus quelques paroles avec ledit Bouvier pour la crainte qu'il avoit que je n'empeschasse que son garçon n'allast avec lesdits sauvages, qui le lendemain s'en retournèrent avec ledit garçon, lequel cousta bon à son maistre, qui avoit l'esperance à mon opinion, de recouvrir la perte de son voyage qu'il fit assés notable, comme firent plusieurs autres.

Il y eut un jeune homme des nostres qui se délibéra d'aller avec lesdicts sauvages, qui sont Charioquois esloignez du saut de quelques cent cinquante lieues; & fut avec le frère de Savignon, qui estoit l'un des Capitaines, qui me promit luy faire voir tout ce qu'il pourroit: Et celuy de Bouvier fut avec ledit Yroquet Algoumequin, qui est à quelque quatre-vingts lieues dudit saut. Ils s'en allèrent fort contens & satisfaicts.

Après que les susdicts sauvages furent partis, nous attendîmes encore les 300 autres que l'on nous avoit dit qui devoient venir sur la promesse que je leur avois faite. Voyant qu'ils ne venoient point, toutes les pattaches resolurent d'inciter 261/409quelques sauvages Algoumequins, qui estoient venus de Tadoussac, d'aller audevant d'eux moyennant quelque chose qu'on leur donneroit quand ils seroyent de retour, qui devoit estre au plus tard dans neuf jours, afin d'estre asseurés de leur venue ou non, pour nous en retourner à Tadoussac: ce qu'ils accordèrent, & pour cest effect partit un canot.

Le cinquiesme jour de Juillet arriva un canot des Algoumequins de ceux qui devoient venir au nombre de trois cens, qui nous dit que le canot qui estoit party d'avec nous estoit arrivé en leur pays, & que leurs compagnons estans lassez du chemin qu'ils avoient fait de rafraischissoient, & qu'ils viendroient bien tost effectuer la promesse qu'ils avoient faite, & que pour le plus ils ne tarderoient pas plus de huit jours, mais qu'il n'y auroit que 24 canots: d'autant qu'il estoit mort un de leurs Capitaines & beaucoup de leurs compagnons, d'une fievre qui s'estoit mise parmy eux: & aussi qu'ils en avoyent envoyé plusieurs à la guerre, & que c'estoit ce qui les avoit empeschez de venir. Nous resolusmes de les attendre.

Voyant que ce temps estoit passé, & qu'ils ne venoyent point: Pontgravé partit du saut le 11e jour dudit mois, pour mettre ordre à quelques affaires qu'il avoit à Thadoussac, & moy je demeuray pour attendre lesdits sauvages.

Cedit jour arriva une pattache, qui apporta du rafraichissement à beaucoup de barques que nous estions: Car il y avoit quelques jours que le pain, vin, viande & le citre nous estoient faillis, & n'avions recours qu'à la pesche du poisson, & à la 262/410belle eau de la riviere, & à quelques racines qui sont au pays, qui ne nous manquerent en aucune façon que ce fust: & sans cela il nous en eust falu retourner. Ce mesme jour arriva un canot Algoumequin qui nous assura que le lendemain lesdits vingtquatre canots devoyent venir, dont il y en avoit douze pour la guerre.

Le 12 dudit mois arriverent lesdits Algoumequins avec quelque peu de marchandise. Premier que traicter ils firent un present à un sauvage Montagnet, qui estoit fils d'Annadabigeau307 dernier mort, pour l'appaiser & defascher de la mort de sondit père. Peu de temps après ils se resolurent de faire quelques presents à tous les Capitaines des pattaches. Ils donnèrent à chacun dix Castors: & en les donnant, ils dirent qu'ils estoyent bien marris de n'en avoir beaucoup, mais que la guerre (où la plus part alloyent) en estoit cause: toutesfois que l'on prist ce qu'ils offroyent de bon coeur, & qu'ils estoyent tous nos amis, & à moy qui estois assis auprès d'eux, par dessus tous les autres, qui ne leur vouloyent du bien que pour leurs Castors: ne faisant pas comme moy qui les avois tousjours assistez, & ne m'avoient jamais trouvé en deux parolles comme les autres. Je leur fis response que tous ceux qu'ils voioyent assemblez estoyent de leurs amis, & que peust-estre que quand il se presenteroit quelque occasion, ils ne laisseroyent de faire leur devoir, & que nous estions tous amis, & qu'ils continuassent à nous vouloir du bien, & que nous leur ferions des presens au reciprocque de ce qu'ils nous donnoyent, & qu'ils traitassent paisiblement: ce qu'ils firent, & chacun en emporta ce qu'il peut.

Note 307: (retour)

Ou Anadabijou. (Voir le Voyage de 1603, p. 7.)

263/411 Le lendemain ils m'apportèrent, comme en cachette quarante Castors, en m'asseurant de leur amitié, & qu'ils estoient tres-aises de la deliberation que j'avois prinse avec les sauvages qui s'en estoyent allez, & que l'on faisoit une habitation au saut, ce que je leur asseuray, & leur fis quelque present en eschange.

Après toutes choses passées, ils se delibererent d'aller querir le corps d'Outetoucos qui s'estoit noyé au saut, comme nous avons dit cy dessus. Ils furent où il estoit, le desenterrerent & le portèrent en l'isle sainte Helaine, où ils firent leurs cérémonies accoustumées, qui est de chanter & danser sur la fosse, suivies de festins & banquets. Je leur demanday pourquoy ils desenterroyent ce corps: Ils me respondirent que si leurs ennemis avoyent trouvé la fosse, qu'ils le feroyent, & le mettroient en plusieurs pièces, qu'ils pendroyent à des arbres pour leur faire du desplaisir, & pour ce subject ils le transportoyent en lieu escarté du chemin & le plus secrettement qu'ils pouvoyent.

Le 15e jour du mois arriverent quatorze canots, dont le chef s'appelloit Tecouehata. A leur arrivée tous les autres sauvages se mirent en armes, & firent quelques tours de limasson. Après avoir assez tourné & dansé, les autres qui estoyent en leurs canots commencèrent aussi à danser en faisant plusieurs mouvemens de leurs corps. Le chant fini, ils descendirent à terre avec quelque peu de fourrures, & firent de pareils presens que les autres avoyent faict. On leur en fit d'autres au réciproque selon la valeur. Le lendemain ils traitterent ce 264/412peu qu'ils avoyent, & me firent present encore particulièrement de trente Castors, dont je les recompensay. Ils me prièrent que je continuasse à leur vouloir du bien, ce que je leur promis. Ils me discoururent fort particulièrement sur quelques descouvertures du costé du Nord, qui pouvoyent apporter de l'utilité: Et sur ce subject ils me dirent que s'il y avoit quelqu'un de mes compagnons qui voulut aller avec eux, qu'ils luy feroyent voir chose qui m'apporteroit du contentement, & qu'ils le traiteroyent comme un de leurs enfans. Je leur promis de leur donner un jeune garçon, dont ils furent fort contens. Quand il prit congé de moy pour aller avec eux, je luy baillay un mémoire fort particulier des choses qu'il devoit observer estant parmi eux. Après qu'ils eurent traicté tout le peu qu'ils avoyent, ils se separerent en trois: les uns pour la guerre, les autres par ledit grand saut, & les autres par une petitte riviere qui va rendre en celle dudit grand saut: & partirent le dixhuictiesme jour dudit mois, & nous aussi le mesme jour.

Cedit jour fismes trente lieues qu'il y a dudit saut aux trois rivieres, & le dixneufiesme arrivasmes à Québec, où il y a aussi trente lieues desdites trois rivieres. Je disposay la plus part d'un chacun à demeurer en laditte habitation, puis y fis faire quelques réparations & planter des rosiers, & fis charger du chesne de fente pour faire l'espreuve en France, tant pour le marrin lambris que fenestrages: Et le lendemain 20 dudit mois de juillet en partis. Le 23, j'arrivay à Tadoussac, où estant je me resoulus de revenir en France, avec l'advis de Pont-gravé.

265/413Après avoir mis ordre à ce qui despandoit de nostre habitation, suivant la charge que ledit sieur de Monts m'avoit donnée, je m'enbarquay dedans le vaisseau du capitaine Tibaut de la Rochelle, l'onziesme d'Aoust. Sur nostre traverse nous ne manquasme de poisson, comme d'Orades, Grande-oreille, & de Pilotes qui sont comme harangs, qui se mettent autour de certains aix chargez de poulse-pied, qui est une sorte de coquillage qui s'y attache, & y croist par succession de temps. Il y a quelquesfois une si grande quantité de ces petits poissons, que c'est chose estrange à voir. Nous prismes aussi des marsouins & autres especes. Nous eusmes assés beau temps jusques à Belle-isle308, où les brumes nous prirent, qui durèrent 3 ou 4 jours: puis le temps venant beau, nous eusmes cognoissance d'Alvert309, & arrivasmes à la Rochelle le dixsiesme Septembre 1611.

Note 308: (retour)

Belle-Ile, en Bretagne, ou Belle-Ile-en-Mer.

Note 309: (retour)

Ou Arvert.




Arrivée à la Rochelle. Association rompue entre le sieur de Mons & ses associez, les sieurs Colier & le Gendre de Rouen, Envie des François touchant les nouvelles descouvertures de la nouvelle France.

CHAPITRE IV.

Estans arrivés à la Rochelle je fus trouver le sieur de Mons à Pont en Xintonge, pour luy donner advis de tout ce qui s'estoit passe au voyage, & de la promesse que les sauvages Ochateguins & Algoumequins m'avoient faitte, pourveu qu'on les assistast en 266/414leurs guerres, comme je leur avois promis. Le sieur de Mons ayant le tout entendu, se délibéra d'aller en Cour pour mettre ordre à ceste affaire. Je prins le devant pour y aller aussi: mais en chemain je fus arresté par un mal'heureux cheval qui tomba sur moy & me pensa tuer. Ceste cheute me retarda beaucoup: mais aussi tost que je me trouvay en assés bonne disposition, je me mis en chemin, pour parfaire mon voyage & aller trouver ledit sieur de Mons à Fontaine-Bleau, lequel estant retourné à Paris parla à ses associez, qui ne voulurent plus continuer en l'association pour n'avoir point de commission qui peut empescher un chacun d'aller en nos nouvelles descouvertures negotier avec les habitans du pays. Ce que voyant ledit sieur de Mons, il convint avec eux de ce qui restoit en l'habitation de Québec, moyennant une somme de deniers qui leur donna pour la part qu'ils y avoyent: & envoya quelques hommes pour conserver ladite habitation, sur l'esperance d'obtenir une commission de sa Majesté. Mais comme il estoit en ceste poursuitte, quelques affaires de consequence luy survindrent, qui la luy firent quitter, & me laissa la charge d'en rechercher les moyens: Et ainsi que j'estois après à y mettre ordre, les vaisseaux arriverent de la nouvelle France, & par mesme moyen des gens de nostre habitation, de ceux que j'avois envoyé dans les terres avec les sauvages, qui m'aporterent d'assez bonnes nouvelles, disans que plus de deux cents sauvages estoient venus, pensans me trouver au grand saut S. Louys, où je leur avois donné le rendez-vous, en intention de les assister en ce qu'ils m'avoient supplié: mais voyans que 267/415je n'avois pas tenu ma promesse, cela les fascha fort: toutesfois nos gens leur firent quelques excuses qu'ils prirent pour argent comptant, les assurant pour l'année suivante ou bien jamais, & qu'ils ne menquassent point de venir: ce qu'ils promirent de leur part. Mais plusieurs autres qui avoient quitté Tadoussac, traffic encien, vindrent audit saut avec quantité de petites barques, pour voir s'ils y pourroient faire leurs affaires avec ces peuples, qu'ils asseuroient de ma mort, quoy que peussent dire nos gens, qui affermoyent le contraire. Voila comme l'envie se glisse dans les mauvais naturels contre les choses vertueuses; & ne leur faudroit que des gens qui se hasardassent en mille dangers pour descouvrir des peuples & terres, afin qu'ils en eussent la dépouille, & les autres la peine. Il n'est pas raisonnable qu'ayant pris la brebis, les autres ayent la toison. S'ils vouloient participer en nos descouvertures, employer de leurs moyens, & hasarder leurs personnes, ils monstreroyent avoir de l'honneur & de la gloire: mais au contraire ils monstrent evidemment qu'ils sont poussez d'une pure malice de vouloir esgalement jouir du fruict de nos labeurs. Ce fruict me fera encore dire quelque chose pour monstrer comme plusieurs taschent à destourner de louables dessins, comme ceux de sainct Maslo & d'autres, qui disent, que la jouyssance de ces descouvertures leur appartient, pour ce que Jaques Quartier estoit de leur ville, qui fut le premier audit pays de Canada & aux isles de Terre-neufve: comme si la ville avoit contribué aux frais des dittes descouvertures de Jaques Quartier, qui y fut par commendement, & aux despens du 268/416Roy François premier és année 1534 & 1535 descouvrir ces terres aujourd'huy appelées nouvelle France? Si donc ledit Quartier a descouvert quelque chose aux despens de sa Majesté, tous ses sujets peuvent y avoir autant de droit & de liberté que ceux de S. Maslo, qui ne peuvent empescher que si aucuns descouvrent autre chose à leurs despens, comme l'on fait paroistre par les descouvertures cy dessus descriptes, qu'ils n'en jouissent paisiblement: Donc ils ne doivent pas s'attribuer aucun droict, si eux mesmes ne contribuent. Leurs raisons sont foibles & débiles, de ce costé. Et pour monstrer encore à ceux qui voudroient soustenir ceste cause, qu'ils sont mal fondez, posons le cas qu'un Espagnol ou autre estranger ait descouvert quelques terres & richesses aux despens du Roy de France, sçavoir si les Espagnols ou autres estrangers s'attribueroient les descouvertures & richesses pour estre l'entrepreneur Espagnol ou estranger: non, il n'y a pas de raison, elles seroient tousjours de France: de sorte que ceux de S. Maslo ne peuvent se l'attribuer, ainsi que dit est, pour estre ledit Quartier de leur ville: mais seulement à cause qu'il en est sorty, ils en doivent faire estat, & luy donner la louange qui lui est deue. Davantage ledit Quartier au voyage qu'il a fait ne passa jamais ledit grand saut S. Louys, & ne descouvrit rien Nort ny Su, dans les terres du fleuve S. Laurens: ses relations n'en donnent aucun tesmoignage, & n'y est parlé que de la riviere du Saguenay, des trois rivieres & sainte Croix, où il hyverna en un fort proche de nostre habitation: car il ne l'eust obmis non plus que ce qu'il a descrit, qui monstre qu'il 269/417a laissé tout le haut du fleuve S. Laurens, depuis Tadoussac jusques au 1611. grand saut, difficile à descouvrir les terres, & qu'il ne s'est voulu hasarder ny laisser ses barques pour s'y adventurer: de sorte que cela est tousjours demeuré inutile, sinon depuis quatre ans que nous y avons fait nostre habitation de Québec, où après l'avoir faite édifier, je me mis au hazard de passer ledit saut pour assister les sauvages en leurs guerres, y envoyer des hommes pour cognoistre les peuples, leurs façon de vivres & que c'est que de leurs terres. Nous y estans si bien employez, n'est-il pas raison que nous jouissions du fruit de nos labeurs, sa Majesté n'ayant donné aucun moyen pour assister les entrepreneurs de ces dessins jusques à present? J'espere, que Dieu luy fera la grâce un jour de faire tant pour le service de Dieu, de sa grandeur & bien de ses subjets, que d'amener plusieurs pauvres peuples à la cognoissance de nostre foy, pour jouir un jour du Royaume celeste.




270/418INTELLIGENCE DES DEUX cartes Geograffiques de la nouvelle France.

IL m'a semblé bon de traicter aussi quelque chose touchant les deux cartes geografiques, pour en donner l'intelligence: car bien que l'une represente l'autre, en ce qui est des ports, bayes, caps, promontoires, & rivieres qui entrent dans les terres, elles sont toutesfois différentes en ce qui est des situations. La plus petite est en son vray méridien, suivant ce que le sieur de Castelfranc 310 le demonstre en son livre de la mecometrie de la guide-aymant, où j'en ay observé plusieurs declinaisons, qui m'ont beaucoup servi, comme il se verra en ladite carte, avec toutes les hauteurs, latitudes & longitudes, depuis le quarante uniesme degré de latitude, jusques au cinquante uniesme, tirant au pole artique, qui sont les confins de Canada ou grande Baye 311, où se faict le plus souvent la pesche de balaine, par les Basques & Espagnols. Je l'ay aussi observé en certains endroits dans le grand fleuve de S. Laurens sous la hauteur de quarante cinq degrez de latitude jusques à vingt ung degré de declinaison de la guide-aymant, qui est la plus grande que j'aye veue: & de ceste petite carte, l'on se pourra fort bien servir à la navigation, pourveu qu'on scache 271/419appliquer l'aiguille à la rose des vents du compas: Comme par exemple, je desire m'en servir, il est donc de besoin, pour plus de facilité, de prendre une rose, où les trentedeux vents soyent marquez egalement, & faire mettre la pointe de la guide-aymant à 12, 15 ou 16 degrez de la fleur de lis, du costé du nortouest, qui est prés d'un quart & demy de vent, comme au Nort un quart du norouest, ou un peu plus de la fleur de lis de laditte rose des vents, & appliquer la rose dans le compas, quand l'on sera sur le grand banc, où se fait la pesche du poisson vert, par ce moyen l'on pourra aller cercher fort asseurement toutes les hauteurs des caps, ports & rivieres. Je sçay qu'il y en aura beaucoup qui ne s'en voudront servir, & courront plustost à la grande, d'autant qu'elle est fabriquée sur le compas de France, où la guide-aymant nordeste, d'autant qu'ils ont si bien prins ceste routine, qu'il est mal aisé de leur faire changer. C'est pourquoy j'ay dressé la grande carte en ceste façon, pour le soulagement de la plus-part des pilotes & navigateurs des parties de la nouvelle France, craignant que si je ne l'eusse ainsi fait, ils m'eussent attribué une faute, qu'ils n'eussent sceu dire d'où elle procedoit. Car les petits cartrons ou cartes des terres neufves, pour la pluspart sont presque toutes diverses en tous les gisemens & hauteurs des terres. Et s'il y en a quelques uns qui ayent quelques petits eschantillons assez bons, ils les tiennent si précieux qu'ils n'en donnent l'intelligence à leur patrie, qui en pourroit tirer de l'utilité. Or la fabrique des cartaux est d'une telle façon, qu'ils font du Nor-nordest leur ligne méridienne, & de l'Ouest-norouest, l'Ouest, chose contraire au vray méridien de 272/420ce lieu, de l'appeler Nort-nordest pour le Nort: Car au lieu que l'aiguille doit norouester elle nordeste, comme si c'estoit en France. Qui a fait que l'erreur s'en est ensuivy & s'ensuivra, d'autant qu'ils ont cette vieille coustume d'ancienneté, qu'ils retiennent, encores qu'ils tombent en de grands erreurs. Ils se servent aussi d'un compas touché Nort & Su, qui est mettre la poincte de la guide-aymant droit sous la fleur de lis. Sur ce compas beaucoup forment leurs petites cartes, ce qui me semble le meilleur, & approcher plus prés du vray méridien de la Nouvelle France, que non pas les compas de la France Orientale qui nordestent. Il s'est doncques ensuivy en ceste façon, que les premiers navigateurs qui ont navigué aux parties de la nouvelle France Occidentale croioyent n'engendrer non plus d'erreur d'aller en ces parties que d'aller aux Essores312, ou autres lieux proches de France, où l'erreur est presque insensible en la navigation, dont les pilotes n'ont autres compas que ceux de France, qui nordestent, & representent le vray méridien. Et naviguant tousjours à l'Ouest, voulant aller trouver une hauteur certaine, faisoient la routte droit à l'Ouest de leur compas, pensant marcher sur une paralelle où ils vouloient aller. Et allant tousjours droictement en plat, & non circulairement, comme sont toutes les paralelles sur le globe de la terre, après avoir faict une quantité de chemin, prés de venir à la veüe de la terre, ils se trouvoient quelquesfois trois, quatre ou cinq degrés plus Su qu'il n'estoit de besoing: & par ainsi se trouvoient desceus de 273/421leur hauteur & estime. Toutesfois il est bien vray que quand le beau temps paroissoit, & que le soleil estoit beau, ils se redressoient de leur hauteur: mais ce n'estoit sans s'estonner d'où procedoit que la routte estoit fausse; qui estoit qu'au lieu d'aller circulairement selon ladicte paralelle, ils alloient droictement en plat; & que changeant de méridien, ils changeoient aussi d'airs de vent du compas: & par ainsi de routte. C'est donc une chose fort necessaire de scavoir le méridien & declinaison de la guide-aymant: car cela peut servir pour tous pilotes qui voyagent par le monde, d'autant que ne la sachant point, & principalement au Nort & au Su où il se fait de plus grandes variations de la guide-aymant: aussi que les cercles de longitude sont plus petits, & par ainsi l'erreur seroit plus grand à faute de ne scavoir ladicte declinaison de la guideaymant. C'est donques pourquoy laditte erreur s'est ensuivie, que les voyageurs ne l'ayant voulu ou ne le sçachant corriger, ils l'ont laissé en la façon que maintenant elle est: de sorte qu'il est mal aisé d'oster ceste dicte façon accoustumée de naviguer en cesdits lieux de la nouvelle France. C'est ce qui m'a fait faire ceste grande carte, tant pour estre plus particulière que la petite, que pour le contentement des naviguans qui pourront naviguer, comme si c'estoit sur leurs petits cartrons ou cartes: & m'excuseront si je ne les ay mieux faites & particularisées, d'autant que l'aage d'un homme ne pourroit suffire à recognoistre si exactement les choses, qu'à la fin du temps il ne se trouvast quelque chose d'obmis, qui sera que toutes personnes curieuses & laborieuses pourront 274/422remarquer en voyageant des choses qui ne seront en ladicte carte & les y adapter: tellement qu'avec le temps on ne doutera d'aucunes choses de cesdicts lieux. Pour le moins il me semble que j'ay fait mon devoir en ce que j'ay peu, où je n'ay oublié rien de ce que j'ay veu à mettre en madicte carte, & donner une cognoissance particulière au public, qui n'avoit jamais esté descripte, ny descouverte si particulièrement comme j'ay fait, bien que quelque autre par le passé en ayt escript, mais c'estoit bien peu de chose au respect de ce que nous avons descouvert depuis dix ans en ça.

Note 310: (retour)

Guillaume de Nautonier, sieur de Castelfranc. Son ouvrage est ainsi intitulé: «Mécométrie de l'eymant, c'est à dire la maniere de mesurer les longitudes par le moyen de l'eymant, &c.» Champlain semble avoir adopté le système du sieur de Castelfranc sur le moyen de déterminer la longitude des lieux.

Note 311: (retour)

Ce qu'on appelait autrefois la Grande-Baie est cette partie du golfe Saint-Laurent qui aboutit au détroit de Belle-Isle, et qui forme en effet comme une grande baie entre la côte occidentale de Terreneuve et le Labrador.

Note 312: (retour)

Açores.

Moyen de prendre la ligne Méridienne.

Prenez une planchette fort unie, & au milieu posez une esguille C, de trois pousses de haut, qui soit droictement à plomb, & le posez au Soleil devant Midy, à 8 ou 9 heures, où l'ombre de l'esguille C, arrivera, soit marqué avec un compas, lequel fera ouvert, sçavoir une poincte sur C, & l'autre sur l'ombre B, & puis trasserez un demy cercle A, B, laissant le tout jusqu'aprés midy, qu'y verrez l'ombre parvenir sur le bort du demy cercle A. Puis partirez le demy cercle A. B. par la moitié, & aussi tost prendrez une reigle que poserez sur le poinct C. & l'autre sur le poinct D. & trasserez une ligne tant qu'elle pourra courir le long de ladicte planchette, qu'il ne faut bouger que l'observation ne soit faicte, & la ligne sera la Méridienne du lieu où vous serez.

Et pour sçavoir la declinaison du lieu où vous ferez sur la ligne Méridienne, posez un quadran qui soit quarré, comme demonstre la figure cy dessus le long de la ligne Méridienne, & au fonds dudit quadran y aura un cercle divisé en 360. degrez, & partissez ledit cercle par entredeux lignes diamétrales, dont l'une est representée pour le septentrion, & l'autre pour le midy, comme monstrera E. F. & 1 autre ligne represente l'Orient & l'Occident, comme monstre G. H. & alors regardez l'aiguille de la guide-aymant, qui est au fonds du quadran, sur le pivot, laquelle verrez où elle décline de la ligne Méridienne fixe, qui est au fonds du quadran, & combien de degrez elle Nordeste ou Noroueste.

Carte A.
Agrandissement

Carte B.
Agrandissement

275/423

TABLE DES MATIERES.

Algoumequins. 261.

Almouchiquois n'adorent aucune chose. 69. Ont des superstitions. 69. Leur naturel 69. ont un langage différent à celuy des Souriquois & Etechemins 52. vont tous nuds, hommes & femmes hormis leur nature 101. portent quelquesfois des robbes faictes d'herbes 68. ne font provision de pelleterie que pour se vestir 52. sont bien proportionnez de leurs corps 101. ont le tein olivastre 101. comment portent leurs cheveux 52, 69. se parent de plumes, de patenostres de porcelines & autres jolivetez 101. se peindent de noir rouge & jaune 69. s'arrachent le poil de la barbe 69. leurs logemens 66. 102. ont grande quantité de puces, mesmes parmy les champs 102. comment se comportent quand ils ont quelque mauvais dessein 103. 104. leurs armes 101. n'ont point de police, gouvernement, ny créance. 101. font entreprise sur les François. 104. voyez François. Amateurs du labourage 100. comment labourent les terres. 66. ont autant de terre qu'il est necessaire pour leur nourriture. 65. comment font leurs bleds d'Inde. 53. comment ils en conservent leur provision pour l'hyver. 101. comment l'accommodent pour le manger. 70. cultivent de certaines racines 66. sont fort vistes 107. voyez Sauvages.

Aneda herbe recommandée par Jaques Quartier. 50.

Aubry Prestre esgaré dixsept jours dans des bois. 16. 17.

B

Balaines comment se peschent 226. 227. 228.

Basques pris faisant traitte de pelleterie. 28.

Basques traitent la force en la main & leur violence contre le vaisseau de Pont-gravé. 139. 140. 141. Barque eschouée sur une roche miraculeusement sauvée. 60.

Baye Françoise. 19. 21.

Baye sainct Laurens. 21.

Baye saincte Marie. 15. 17.

Baye de toutes isles. 128.

Bedabedec, pointe ainsi appelée des sauvages. 32. 33.

C

Cap de la Héve. 8.

Cap Negre. 9.

Cap de Sable. 10.

Cap Fourchu. 11.

Cap des deux Bayes. 20.

Cap aux isles. 57.

Cap sainct Louys. 60.

Cap Blanc. 64.

Cap Breton. 169.

Cap Batturier. 99.

Cap Dauphin. 145.

Cap de l'Aigle. 145.

Cap de tourmente. 146.

Campseau. 130

Canada. 160.

Canadiens ne font point de provision pour l'hyver. 169.

Canots des sauvages. 59. 60. 141. 142.

Champdoré pilote. 84. emmenoté, libéré. 87.

Champ semé de bled d'Inde. 66.

Chanvre. 62.

Charioquois. 260.

Chasse des sauvages. 43. 44.

Chouacoet. 123.

Chouassarou poisson. 190. 191.

Citrouilles, 66.

Commission du sieur de Mons. 136.

Conspiration contre ma personne. 148. descouverte 150. conspirateurs pris 152. Procédures en leur procès. 152. 153. 154.

Corde faite d'escorce d'arbre. 62.

Coste de Norembegue. 29. 30. 31. 32. 33. 34. 35. 36. 37. 38. 39.

Coste des Almouchiquois. 45.

Croix fort ancienne marque de Chrestiens. 125.

Cul de sac où il y a plusieurs isles & beaucoup d'endrois pour mettre nombre de vaisseaux. 24.

D

Danger proche de naufrage. 30. autre 1. autre 83. autre. 86.

Première Defaite des Yroquois.

Seconde Defaite des Yroquois.

E

Espouvante des Montagnets à la riviere des Yroquois. 109..

Equille poisson. 18.

Etechemins n'ont point de demeure arrestée. 35.

Habitent quelquefois la riviere de Quinibequi. 37.

276/424

F

Les Femmes sont un peu plus long habillées que les hommes 68. 69. sont tous les vestemens 44. surpassent en cruauté les hommes. 219.

François assistent les sauvages leurs alliés à la guerre contre leurs ennemis. 194. 195. 210. jusques à 217. Surpris par les Almouchiquois. 67. 68. 106. s'en vengent. 110.

G Gaspé. 169.

Gelées fort grandes. 43.

Grande-oreille, poisson qui porte des égrettes. 229.

H

Habitation de l'isle saincte Croix. 26.

Habitation du port Royal. 79.

Habitation de Québec. 155.

Harangue de Mantoumermer sauvage. 47-8.

Hyver fort court. 207.

J

Jaques Quartier, & de son Hyvernement. 156. jusques à 161.

I

Isle de Sable. 7.

Isle aux Cormorans. 10.

Isles aux oyseaux. 10. 11. 15.

Isles fort dangereuses. 10.

Isles aux Loups-marins, 11.

Isle Longue. 12. 13.

Isle Haute. 20. [autre du même nom] 33.

Isle aux Margots. 24.

Isle appelée des sauvages Menane. 24. 46.

Isle saincte Croix. 25. 91. appelée autrefois des sauvages Achelacy.313 157. 159. 160. 161.

Isles rangées. 30. [autres à la côte d'Acadie]. 129.

Isles des monts-deserts. 31.

Isles aux Corneilles. 46.

Isle de la tortue. 46.

Isle de Bacchus. 51. 52.

Isles Martyres. 127.

Isle Percée. 131.

Isle du cap Breton. 131. 132.

Isle aux coudres. 145. 158. 159. plusieurs Isles fort agréables environnées de rochers & basses fort dangereuses. 146. 147.

Isle d'Orléans. 146. 147. ainsi appelée par Jacques Cartier. 161.

Isle sainct Esloy. 175.

Isle aux Hérons. 246.

Note 313: (retour)

L'Île de Sainte-Croix n'a jamais porté le nom d'Achelacy, mais bien la pointe de Sainte-Croix, aujourd'hui le Platon, a environ douze lieues au-dessus de Québec.

L

Lac de trois à quatre lieues de long. 49.

Lac sainct Pierre. 180.

Lac des Yroquois. 189.

Lac de Champlain. 196.

Lac. 143.

M

Mal de la terre, voyés Scurbut.

Mauves oyseaux. 124.

Maslouins appelez Mistigoches par les Sauvages. 209..

Mine d'argent. 12.

Mines de cuivre. 20. 21. 28. 29. 79. 80.

Mines de fer. 13-22. 23.

Montagnets vont demy nuds. 162. l'hyver se couvrent de bonnes fourrures. 162. 164. sont bien proportionnez & les femmes aussi, qui se frottent de peinture, qui les rend basannées. 163. quand peschent les anguilles qu'ils font secher pour l'hyver. 162. quand vont à la chasse aux castors. 162. vont à la chasse aux eslans & autres bestes sauvages, lors que leurs anguilles leur manquent. 162. ont quelquefois de grandes famines, mangent leurs chiens & les peaux de quoy ils se couvrent. 162. pressez d'une extresme necessité. 166. jusques à 170. ne font point de provisions. 168. 169.

Montagnets croyent l'immortalité de l'âme. 165. Disent qu'après leur mort ils se vont resjouir en d'autres païs. 165. croyent que tous les songes qu'ils font sont véritables. 163. n'ont point ny foy, ny loy. 163. sont fort meschans, grands menteurs, & vindicatifs. 163. n'entreprennent rien sans consulter leur Pilotois. 163. leurs cérémonies quand ils arrivent à leur pays au retour de la guerre. 199. 217. leurs mariages. 164. leurs enterremens. 164. 165. dansent trois fois l'année sur la fosse de leurs amis. 165. ont fort craintifs & redoutent fort leurs ennemis. 165.

Miraculeusement sauvez d'un naufrage. 167. ont bon jugement. 162.

Mouches fort fascheuses. 27.

N

Normands appelés Mistigoches par les sauvages. 209.

277/425O

Ordre de bon temps, 120.

Outarde oyseau. 72.

Oyseau qui a le bec en façon de lancette. 71. 72.

Oyseaux comme coqs d'Indes. 72. 73.

Oyseaux incarnats. 202.

P

Pierres à faire de la chaux. 124.

Pilotois devineurs de bonne & mauvaise fortune. 163. leurs diableries & simagrées. 93.

Place Royale. 242. 243. 244. 245.

Pointe sainct Mathieu, autrement aux Allouettes. 139.

Pointe de tous les Diables. 139.

Poisson avec trois rangs de dens. 202.

Port au Mouton. 8.

Port saincte Marguerite. 13.

Port Royal. 17. 18.

Port aux mines. 20. 21.

Port aux isles. 55. 56.

Port du cap sainct Louys. 63.

Port de Malebarre. 65. 66.

Beau Port. 94. 95. 96.

Port aux huistres. 97.

Port fortuné. 100.

Port sainct Helaine. 127. 128.

Port de Savalette. 129. 130.

Port aux Anglois. 132.

Port Niganis. 132.

Q

Quebecq. 145. 148. 155. 170. 173. 264.

R

Racines que les sauvages cultivent. 66.

Rencontre des Yroquois à qui nous allions faire la guerre. 193.

Riviere du Boulay. 12.

Riviere de l'Equille. 18. 19.

Riviere sainct Antoine. 19.

Riviere sainct Jean appelée des sauvages Ouygoudy. 22. 23.

Riviere des Etechemins. 25. 26.

Riviere de Pimptegouet appelée de plusieurs pilotes & historiens Norembegue. 31. 32. 33. 34. 35. 37. 38

Riviere de Quinibequi. 46. 49. 50.

Riviere [lisez isle] de la tortue314. 46. 49.

Riviere de Chouacoet. 53. 55.

Riviere saincte Marguerite. 127.

Riviere de l'isle verte. 128.

Riviere de Saguenay. 172. 143. 144.

Riviere aux saumons. 145.

Grande Riviere de sainct Laurens. 170. 174. 175. 176. 177.

Riviere saincte Marie. 175.

Les trois Rivieres. 179.

Riviere des Yroquois. 181. 184. 189.

Note 314: (retour)

La Tortue était une île. Ce qui a donné occasion à la méprise que nous corrigeons ici, est ce passage de la page 46: «L'isle de la tortue & la riviere sont su suresst & nort norouest.» Il va sans dire que la rivière, c'est le Quinibéqui. A nos yeux, cela seul suffit pour prouver que cette table n'a pas été faite par Champlain.

Saincte croix, nom transféré de lieu à autre. 1563 157. 158. 159. 160. 161.

Saincte Susanne du cap blanc. 64.

Sault d'eau. 34.

Grand Sault. 248. 249.

Sauvages quand sont mal disposez, se tirent du sang avec les dents d'un poisson appelé Couaffarou. 191. Leur dueil. 118. Leurs cérémonies aux enterremens. 118. en leurs harangues. 36. Quand ils veulent délibérer de quelque affaire, font leurs assemblées la nuit. 253. Comment ils content les temps. 176. Leur façon de vivre en hyver. 44. en hyver ne peuvent chasser, si les neiges ne sont grandes. 43. attachent des raquettes soubs leurs pieds, quand ils vont chasser en temps de neige. 44. 164. comment peschent le poisson. 62. vivent de coquillage; quand ils ne peuvent chasser, 44. comment desfrichent les terres. 96. Danssent & monstrent signes de resjouissance, quand ils voyent arriver des vaisseaux de France. 51. Font de grandes admirations quand ils voyent premièrement des Chrestiens. 219. Ont des gens parmi eux qui disent la bonne avanture ausquels ils adjoustent foy. 101. voyez Pilotois. Croyent les songes véritables. 192. 193. Quand ils entendent des coups de canon se couchent contre terre. 107.

Sauvages quand vont à la guerre separent leurs troupes en trois, pour la chasse en avantcoureurs & le gros. 186. Font des marques, par où ils passent, par lesquelles ceux qui viennent après reconoissent si ce sont amis ou ennemis qui ont passé. 186. Leurs chasseurs ne chassent jamais de l'avant du gros. 278/426186. Envoyent descouvrir si on n'apercevra point d'ennemis. 195. Toute la nuict se reposent sur la reveue des avantcoureurs. 185. Aprochans des terres de leurs ennemis ne cheminent plus que la nuict. 192. Leurs retranchemens. 185. Ont des chefs à qui ils obeissent, en ce qui est du faict de la guerre seulement. 188. Comment les chefs monstrent à leurs gens le rang & l'ordre qu'ils doivent tenir au combat. 188. Exécutent leurs desseins la nuict & non le jour. 105. Quand sont poursuivis se sauvent dans les bois. 109. Escorchent la teste de leurs ennemis tuez pour trophée de leur victoire. 217. comment traittent leurs prisonniers. 196. 197. 198. 218. 219.

Sauvages alliez vont à la guerre contre les Yroquois leurs ennemis. 210 jusques à 217 voyez Algoumequins & Montagnets.

Scurbut, ou maladie de la terre. Sa cause. plusieurs régions en sont frappées.

Siguenoc.

Superstition des Sauvages. 4.4. 8.8.

T

Tadoussac. 138.. 139.

Température fort différente, pour 120 lieues. 170.

Terres desertées où le sieur de Mons fit semer du froment. 26. autres terres défrichées. 63.

Terre ensemencée par le sieur de Poitrincourt. 89. 90.

Terres bonnes & fertiles. 91.

Terres couvertes la plus part de l'année. 144.

Terres couvertes de neiges jusques à la fin de May. 170.

Terre neufve. 170.

Traitte de pelleterie défendue. 139.

V

Vignes qui portent de tresbons raisins. 54.

Y

Yroquois. 191. desfaicts en guerre. 195. 196.

FIN.



279/427

QUATRIESME
VOYAGE DE
S. DE CHAMPLAIN
CAPITAINE ORDINAIRE POUR
LE ROY EN LA MARINE, ET
Lieutenant de Monseigneur le
Prince de Condé en la Nouvelle France, fait en
l'année 1613.

281/429

A TRES-HAUT,
TRES-PUISSANT ET TRES-EXCELLENT
HENRY DE BOURBON PRINCE
de Condé, premier Prince du Sang, premier
Pair de France, Gouverneur & Lieutenant de
Sa Majesté en Guyenne.

ONSEIGNEUR

L'honneur que j'ay reçeu de vostre grandeur en la charge des descouvertures de la nouvelle France, m'a augmenté l'affection de poursuivre avec plus de soing & diligence que jamais, la recherche de la mer du Nord. Pour cet effect en ceste année 1613, j'y ay fait un voyage sur le rapport d'un homme que j'y avois envoyé, lequel m'asseuroit l'avoir veue, ainsi que vous pourrez voir en ce petit discours, que j'ose offrir à vostre excellence, où toutes les peines & travaux que j'y ay eus sont particulièrement d'escrits; desquels il ne me reste que le regret d'avoir perdu ceste année, mais non pas l'esperance au premier voiage d'en avoir des nouvelles plus asseurées par le moyen des Sauvages qui m'ont fait relation de plusieurs lacs & rivieres tirant vers le Nord, par lesquelles, outre l'asseurance qu'ils me donnent d'avoir la cognoissance de ceste 282/430mer, il me semble qu'on peut aisément tirer conjecture des cartes, qu'elle ne doit pas estre loing des dernières descouvertures que j'ay cy devant faites. En attendant le temps propre & la commodité de continuer ces desseins, je prieray le Créateur qu'il vous conserve. Prince bien-heureux, en toutes sortes de félicités, oú se terminent les voeux que je fais à vostre grandeur, en qualité de son

Tres-humble & tres-affectionné serviteur

SAMUEL. DE CHAMPLAIN.

283/431

QUATRIESME VOYAGE DU SIEUR
DE CHAMPLAIN, CAPITAINE ORDINAIRE POUR
le Roy en la marine, & Lieutenant de Monseigneur le Prince de
Condé en la Nouvelle
France, fait en l'an 1613.




Ce qui m'a occasionné de recercher un reglement. Commission obtenue. Oppositions à l'encontre. En fin la publication par tous les ports de France.

CHAPITRE I.

E desir que j'ay tousjours eu de faire nouvelles descouvertures en la Nouvelle France, au bien, utilité & gloire du nom François: ensemble d'amener ces pauvres peuples à la cognoissance de Dieu, m'a fait chercher de plus en plus la facilité de ceste entreprise, qui ne peut estre que par le moyen d'un bon règlement: d'autant que chacun voulant cueillir les fruits de mon labeur, sans contribuer aux frais & grandes despences qu'il convient faire à l'entretien des habitations necessaires pour amener ces desseins à une bonne fin, ruine ce commerce par l'avidité de gaigner, qui est si grande, qu'elle fait partir les marchans devant la saison, & se précipiter non seulement dans les glaces, en esperance d'arriver des premiers 284/432en ce païs; mais aussi dans leur propre ruine: car traictans avec les sauvages à la desrobée, & donnant à l'envie l'un de l'autre de la marchandise plus qu'il n'est requis, sur-achetent les danrées; & par ainsi pensant tromper leurs compagnons se trompent le plus souvent eux mesmes.

C'est pourquoy estant de retour en France le 10. Septembre 1611 j'en parlay à monsieur de Monts, qui trouva bon ce que je luy en dis: mais ses affaires ne luy permettant d'en faire la poursuitte en Cour, m'en laissa toute la charge 315.

Note 315: (retour)

Voir, ci-dessus, chapitre IV du Troisième Voyage, p. 265.

Deslors j'en dressay des mémoires, que je monstray à Monsieur le President Jeannin, lequel (comme il est desireux de voir fructifier les bonnes entreprises) loua mon dessein, & m'encouragea à la poursuitte d'iceluy.

Et m'asseurant que ceux qui ayment à pescher en eau trouble trouveroient ce règlement fascheux, & rechercheroyent les moyens de l'empescher, il me sembla à propos de me jetter entre les bras de quelque grand, l'authorité duquel peust servir contre leur envie.

Or cognoissant Monseigneur le Comte de Soissons 316 Prince pieux & affectionné en toutes sainctes entreprises, par l'entremise du sieur de Beaulieu, Conseiller & aumosnier ordinaire du Roy, je m'adressay à luy, & luy remonstray l'importance de l'affaire, les moyens de la régler, le mal que le desordre avoit par cy devant apporté, & la ruine totale dont 285/433elle estoit menacée, au grand des-honneur du nom François, si Dieu ne suscitoit quelqu'sn qui la voulust relever, & qui donnast esperance de faire un jour réunir ce que l'on a peu esperer d'elle. Comme il fut instruict de toutes les particularités de la chose, & qu'il eust veu la Carte du pays que j'avois faicte, il me promit, sous le bon plaisir du Roy, d'en prendre la protection.

Note 316: (retour)

Charles de Bourbon, comte de Soissons, alors gouverneur de Dauphiné et de Normandie. (Hist. généalogique, etc., par le P. Anselme, t. I, p. 350.)

Aussi tost après je presentay à sa Majesté, & à Nosseigneurs de son Conseil une requeste avec des articles, tendans à ce qu'il luy pleust vouloir apporter un règlement en cet affaire, sans lequel, ainsi que j'ay dict, elle s'en alloit perdue, & pource sa Majesté en donna la direction & gouvernement à mondit Seigneur le Comte 317, lequel deslors m'honora de sa Lieutenance318.

Note 317: (retour)

La commission du comte de Soissons est du 8 octobre 1612, comme le prouve l'extrait suivant des lettres du duc d'Anville, rapportées par Moreau de Saint-Méry, et reproduites dans les Mémoires et Documents de la Société Historique de Montréal, page 110: «Voulant de toute notre affection continuer le même dessein que les défunts Rois Henri le Grand notre aïeul, et Louis XIII notre très-honoré Seigneur et Père, avaient de favoriser la bonne intention de ceux qui avaient entrepris de rechercher et découvrir ès pays de l'Amérique, des terres, contrées, et lieux propres et commodes pour faire des habitations capables d'établir des Colonies, afin d'essayer, avec l'assistance de Dieu, d'amener les peuples qui en habitent les terres à sa connaissance, et les faire policer et instruire à la Foi et Religion Catholique, Apostolique et Romaine, et par ce moyen y établir notre autorité, et introduire quelque commerce qui puisse apporter de l'utilité à nos sujets: ayant été informé que par les voyages faits le long des Côtes et Isles, desquelles nos prédécesseurs en auraient fait habiter quelques-unes, il a été reconnu plusieurs Ports, Havres, et lieux propres et bien commodes pour y aborder, habiter et donner un bon et grand commencement pour l'entier accomplissement de ce dessein, et aussi pour y découvrir et chercher chemin facile pour aller au pays de la Chine, de Monoa et royaume des Incas, par dedans les Rivières et Terres fermes du dit pays, avec assistance des habitants d'icelles; pour faciliter laquelle entreprise ils auraient, par Lettres-Patentes du 8 Octobre 1612, donné la charge d'icelle à feu notre très-cher et bien amé Cousin le Comte de Soissons, et icelui fait Gouverneur et notre Lieutenant-Général du dit pays pour y représenter notre personne et amener les peuples d'icelui pays à la connaissance de Dieu, et les faire instruire à la Foi et Religion Catholique, Apostolique et Romaine, ainsi qu'il est plus au long porté par les dites Lettres...»

Note 318: (retour)

Dans l'édition de 1632, l'auteur rapporte lui-même cette commission, qui est datée du 15 Octobre 1612.

Or comme je me preparois à faire publier la Commission du Roy 286/434par tous les ports & havres de France, la maladie de Monseigneur le Comte arriva, & sa mort319 tant regrettée, qui recula un peu ceste affaire: Mais sa Majesté aussi tost en remit la direction à Monseigneur le Prince 320, qui la remit dessus: & mondit Seigneur m'ayant honoré pareillement de sa Lieutenance321, feit que je poursuivis la publication de ladite commission, qui ne fut si tost faicte, que quelques brouillons, qui n'avoyent aucun interest: en l'affaire, l'importunerent de la faire casser, luy faisant entendre le pretendu interest de tous les marchans de France, qui n'avoient aucun subject de se plaindre, attendu qu'un chacun estoit reçeu en l'association, & par ainsi aucun ne pouvoit justement s'offencer: c'est pourquoy leur malice estant recogneuë furent rejettées, avec permission seulement d'entrer en l'association.

Note 319: (retour)

Le comte de Soissons mourut le premier novembre 1612. (Hist. généalogique, etc., par le P. Anselme, t. I, p. 350.)

Note 320: (retour)

Henri de Bourbon, second du nom, auquel l'auteur dédie ce Quatrième Voyage.

Note 321: (retour)

Cette nouvelle commission est du 22 novembre 1612, comme on peut le voir par celle que le duc de Ventadour donne à l'auteur le 15 février 1625, et qui est rapportée ci-après, liv. II de l'édit. 1632, ch. I.

Pendant ces altercations, il me fut impossible de rien faire pour l'habitation de Quebeq, dans laquelle je desirois mettre des ouvriers pour la reparer & augmenter, d'autant que le temps de partir nous pressoit fort. Ainsi se fallut contenter pour cette année d'y aller sans autre association, avec les passeports de Monseigneur le Prince, qui furent donnés pour quatre vaisseaux, lesquels estoient ja préparés pour faire le voyage; sçavoir trois de Rouen & un de la Rochelle, à condition que chacun fourniroit quatre hommes pour m'assister, tant en 287/435mes descouvertures qu'à la guerre, à cause que je voulois tenir la promesse que j'avois faicte aux sauvages Ochataiguins en l'année 1611. de les assister en leurs guerres au premier voiage.

Et ainsi que je me preparois pour partir, je fus adverti que la Cour de Parlement de Rouen n'avoit voulu permettre qu'on publiast la Commission du Roy, à cause que sa Majesté se reservoit, & à son Conseil la seule cognoissance des différents qui pourroient survenir en cet affaire: joint aussi que les marchans de S. Maslo s'y opposerent; ce qui me traversa fort, & me contraignit de faire trois voyages à Rouen, avec Jussions de sa Majesté, en faveur desquelles la Cour se déporta de ses empeschemens, & débouta les opposans de leurs prétentions: & fut la Commission publiée par tous les ports de Normandie.




Partement de France: & ce qui se passa jusques à nostre arrivée au Saut.

CHAPITRE II.

Je partis de Rouen le 5 Mars pour aller à Honfleur, & le sieur l'Ange avec moy, pour m'assister aux descouvertures, & à la guerre si l'occasion s'en presentoit.

Le lendemain 6. du moys nous nous embarquasmes dans le vaisseau du sieur de Pont-gravé, où aussi tost nous mismes les voiles au vent, qui estoit lors assés favorable.

288/436Le 10 Avril nous eusmes cognoissance du grand Banc, où l'on mit plusieurs fois les lignes hors sans rien prendre.

Le 15, nous eusmes un grand coup de vent, accompagné de pluye & gresle, suivi d'un autre, qui dura 48 heures, si impétueux, qu'il fit périr plusieurs vaisseaux à l'isle du cap Breton.

Le 21, nous eusmes cognoissance de l'isle & Cap de Raye.

Le 29, les Sauvages Montagnais de la pointe de tous les Diables 322 nous apercevans, se jetterent dans leurs canots, & vindrent au devant de nous, si maigres & hideux, que je les mescognoissois. A l'abord ils commencèrent à crier du pain, disans, qu'ils mouroient de faim. Cela nous fit juger que l'hyver n'avoit pas esté grand, & par consequent, la chasse mauvaise: de cecy nous en avons parlé aux voyages precedens.

Note 322: (retour)

La pointe aux Vaches. (Voir 1603, p. 5, note 4.)

Quand ils furent dans nostre vaisseau ils regardoient chacun au visage, & comme je ne paroissois point, ils demandèrent où estoit monsieur de Champlain, on leur fit response que j'estois demeuré en France: ce que ne croyans du tout, il y eut un vieillard qui vint à moy en un coin, où je me promenois, ne desirant encor estre cognu, & me prenant l'oreille (car il se doutoyent qui j'estois) vid la cicatrice du coup de flèche que je reçeus à la deffaicte des Yroquois: alors il s'escria, & tous les autres après luy, avec grandes demonstrations de joye, disans, Tes gens sont au port de Tadoussac qui t'attendent.

289/437Ce mesme jour bien que nous fussions partis des derniers nous arrivasmes pourtant les premiers audit Tadoussac, & de la mesme marée le sieur Boyer de Rouen. Par là l'on cognoist que partir avant la saison, ne sert qu'à se précipiter dans les glaces. Ayans mouillé l'ancre nos gens nous vindrent trouver, & après nous avoir déclaré comme tout se portoit en l'habitation, se mirent à habiller trois outardes & deux lapins, qu'ils avoient apportés, & en jetterent les tripailles à bort, sur lesquelles se ruèrent ces pauvres sauvages, & ainsi que bestes affamées les devorerent sans les vuider, & racloient avec les ongles la graisse dont on avoit suivé nostre vaisseau, & la mangeoient gloutonnement comme s'ils y eussent trouvé quelque grand goust.

Le lendemain 323 arriverent deux vaisseaux de S. Malo qui estoient partis avant que les oppositions fussent vuidées, & que la Commission fut publiée en Normandie. Je fus à bort d'eux, accompagné de l'Ange: Les sieurs de la Moinerie & la Tremblaye y commandoient, ausquels je fis lecture de la Commission du Roy, & des deffences d'y contrevenir sur les peines portées par icelles. Ils firent response qu'ils estoient subjects & fidelles serviteurs de sa Majesté, & qu'ils obeiroient à ses commandemens; & deslors je fis attacher sur le port à un poteau les armes & Commissions de sa Majesté, afin qu'on n'en pretendist cause d'ignorance.

Note 323: (retour)

Le 30 avril.

Le 2 May voyant deux chalouppes equippées pour aller au Saut, je m'embarquay avec ledict l'Ange dans l'une. Nous fusmes contrariés de fort mauvais temps, en sorte que le mats de

290/438nostre chalouppe se rompit, & si Dieu ne nous eust preservés, nous nous fussions perdus, comme fit devant nos yeux une chalouppe de S. Maslo qui alloit à l'isle d'Orléans, de laquelle les hommes se sauverent.

Le 7 nous arrivasmes à Québec, où trouvasmes ceux qui y avoient hyverné en bonne disposition, sans avoir esté malades, lesquels nous dirent que l'hyver n'avoit point esté grand, & que la riviere n'avoit point gelé. Les arbres commençoient aussi à se revestir de feuilles, & les champs à s'esmailler de fleurs.

Le 13, nous partismes de Québec pour aller au Saut S. Louys, où nous arrivasmes le 21. & y trouvasmes l'une de nos barques qui estoit partie depuis nous de Tadoussac, laquelle avoit traicté quelque peu de marchandises, avec une petite troupe d'Algoumequins, qui venoyent de la guerre des Yroquois, & avoient avec eux deux prisonniers. Ceux de la barque leur firent entendre que j'estois venu avec nombre d'hommes pour les assister en leurs guerres, suivant la promesse que je leur avois faite les années précédentes; & de plus, que je desirois aller en leur pays, & faire amitié avec tous leurs amis; dequoy ils furent fort joyeux: Et d'autant qu'ils vouloient retourner en leur pays pour asseurer leurs amis de leur victoire, voir leurs femmes, & faire mourir leurs prisonniers en une solemnelle Tabagie. Pour gages de leur retour, qu'ils promettoient estre avant le milieu de la première lune (ainsi qu'ils content) ils laisserent leurs rondaches, faictes de bois & de cuir d'Elland, & partie de leurs arcs & flesches. Ce me fut un grand desplaisir de ne m'estre trouvé à propos pour m'en aller avec eux en leur pays.

291/439Trois jours après arriverent trois canots d'Algoumequins qui venoient du dedans des terres, chargés de quelque peu de marchandises, qu'ils traictèrent, lesquels me dirent que le mauvais traitement qu'avoient reçeus les Sauvages l'année précédente, les avoit dégoûtés de venir plus, & qu'ils ne croyoient pas que je deusse retourner jamais en leurs pays, pour les mauvaises impressions que mes envieux leur avoient données de moy; & pource 1200. hommes estoyent allez à la guerre, n'ayans plus d'esperance aux François, lesquels ils ne croyoient pas vouloir plus retourner en leur pays.

Ces nouvelles attristerent fort les marchans, car ils avoient fait grande emplette de marchandises, sous esperance que les sauvages viendroient comme ils avoient accoustumé: ce qui me fit resoudre en faisant mes descouvertures, de passer en leur pays, pour encourager ceux qui estoyent restés, du bon traictement qu'ils recevroyent, & de la quantité de bonnes marchandises qui estoyent au Saut, & pareillement de l'affection que j'avois de les assister à la guerre: Et pour ce faire, je leur fis demander trois canots & trois Sauvages pour nous guider, & avec beaucoup de peine j'en obtins deux, & un sauvage seulement, & ce moyennant quelques presens qui leur furent faits.




292/440Partement pour descouvrir la mer du Nort, sur le rapport qui m'en avoit este faict. Description de plusieurs rivieres, lacs, isles, du Saut de la chaudière, & autres Sauts.

CHAPITRE III.

Or n'ayant que deux Canots, je ne pouvois mener avec moy que quatre hommes, entre lesquels estoit un nommé Nicolas de Vignau le plus impudent menteur qui se soit veu de long temps, comme la suitte de ce discours le fera voir, lequel autresfois avoit hyverné avec les Sauvages, & que j'avois envoyé aux descouvertures les années précédentes. Il me r'apporta à son retour à Paris en l'année 1612. qu'il avoit veu la Mer du Nort, que la riviere des Algoumequins324 sortoit d'un lac qui s'y deschargeoit, & qu'en 17 journées l'on pouvoit aller & venir du Saut S. Louys à ladite mer: qu'il avoit veu le bris & fracas d'un vaisseau Anglois qui s'estoit perdu à la coste, où il y avoit 80 hommes qui s'estoient sauvés à terre, que les Sauvages tuèrent à cause que lesdits Anglois leur vouloyent prendre leurs bleds d'Inde & autres vivres par force, & qu'il en avoit veu les testes qu'iceux Sauvages avoient escorchés (selon leur coustume) lesquelles ils me vouloient faire voir, ensemble me donner un jeune garçon Anglois qu'ils m'avoient gardé. Ceste nouvelle m'avoit fort resjouy, pensant avoir trouvé bien prés ce que je cherchois bien loing: ainsi je le conjuray de me dire 293/441la vérité, afin d'en advertir le Roy, & luy remonstray que s'il donnoit quelque mensonge à entendre, il se mettoit la corde au col, aussi que si sa relation estoit vraye, il se pouvoit asseurer d'estre bien recompensé: Il me l'asseura encor avec sermens plus grands que jamais. Et pour mieux jouer son roole, il me bailla une relation du païs qu'il disoit avoir faicte, au mieux qu'il luy avoit esté possible. L'asseurance donc que je voyois en luy, la simplicité de laquelle je le jugeois plain, la relation qu'il avoit dressée, le bris & fracas du vaisseau, & les choses cy devant dictes, avoyent grande apparence, avec le voyage des Anglois vers Labrador, en l'année 1612.325 où ils ont trouvé un destroit326 qu'ils ont couru jusques par le 63e degré de latitude, & 290 de longitude 327, & ont hyverné par le 53e degré, & perdu quelques vaisseaux328, comme leur relation en faict foy. Ces choses me faisant croire son dire véritable, j'en fis deslors rapport à Monsieur le Chancelier329 le fis voir à Messieurs le Mareschal de Brissac, & President Jeannin, & autres Seigneurs de la Cour, lesquels me dirent qu'il me falloit voir la chose en personne. Cela fut cause que je priay le sieur Georges, marchant de la Rochelle, de luy donner 294/442passage dans son vaisseau, ce qu'il feit volontiers; ou estant l'interrogea pourquoy il faisoit ce voyage: & d'autant qu'il luy estoit inutile, luy demanda s'il esperoit quelque salaire, lequel feit response que non, & qu'il n'en pretendoit d'autre que du Roy, & qu'il n'entreprenoit le voyage que pour me monstrer la mer du Nord, qu'il avoit veue, & luy en fit à la Rochelle une déclaration par devant deux Notaires.

Note 324: (retour)

Aujourd'hui, l'Outaouais.

Note 325: (retour)

La relation du dernier voyage de Henry Hudson fut publiée en 1612; mais le voyage avait eu lieu en 1610 et 1611. Les détails de cette expédition du navigateur anglais se trouvent dans le tome IV du recueil de Purchas, et ont été extraits des journaux d'Hudson. (Voir Biog. univ., art. HUDSON.)

Note 326: (retour)

Le détroit d'Hudson.

Note 327: (retour)

Au temps de Champlain les géographes, surtout en France, faisaient encore passer le premier méridien pour l'île de Fer, et comptaient toujours les longitudes de l'ouest à l'est jusqu'à 360 degrés. De manière que 290° d'alors, répondent à 90° ouest de Paris; ce qui donne à peu près la longitude des côtes occidentales de la baie d'Hudson.

Note 328: (retour)

Hudson, dans ce voyage, n'avait qu'un seul vaisseau.

Note 329: (retour)

Nicolas Brûlart de Sillery.

Or comme je prenois congé de tous les Chefs, le jour de la Pentecoste330, aux prières desquels je me recommandois, & de tous en général, je luy dis en leur presence, que si ce qu'il avoit cy devant dict: n'estoit vray, qu'il ne me donnast la peine d'entreprendre le voyage, pour lequel faire il falloit courir plusieurs dangers. Il asseura encore derechef tout ce qu'il avoit dict au péril de sa vie.

Note 330: (retour)

Le jour de la Pentecôte tombait, cette année, le 26 de mai.

Ainsi nos Canots chargés de quelques vivres, de nos armes & marchandises pour faire presens aux Sauvages, je partis le lundy 27 May de l'isle saincte Helaine avec 4 François & un Sauvage, & me fut donné un adieu avec quelques coups de petites pièces, & ne fusmes ce jour qu'au Saut S. Louys, qui n'est qu'une lieue au dessus, à cause du mauvais temps qui ne nous permit de passer plus outre.

Le 29, nous le passasmes, partie par terre, partie par eau, où il nous fallut porter nos Canots, hardes, vivres & armes sur nos espaules, qui n'est pas petite peine à ceux qui n'y sont accoustumés: & après l'avoir esloigné deux lieues, nous entrasmes dans un lac331 qui a de circuit environ 12 lieues, où 295/443se deschargent trois rivieres, l'une venant de l'ouest332, du costé des Ochataiguins esloignés du grand Saut de 150 ou 200 lieues; l'autre333 du Sud pays des Yroquois, de pareille distance334; & l'autre 335 vers le Nord, qui vient des Algoumequins, & Nebicerini336, aussi à peu prés de semblable distance. Cette riviere du Nord, suivant le rapport des Sauvages, vient de plus loing337, & passe par des peuples qui leur sont incogneus, distans environ de 300 lieues d'eux.

Note 331: (retour)

Le lac Saint-Louis. Ici, Lescarbot fait encore à Champlain un reproche de contradiction qui est assez mal fondé. «En trois endroicts il (Champlain) dit que le lac au dessus du saut de la grande rivière de Canada est à huit lieues de là, & par après il dit qu'il n'y a que deux lieues, & ne le fait que de douze lieues de circuit, comme ainsi soit que sur sa charte il le face de quinze journées de long.» (Hist. de la Nouv. France, p. 647.) D'abord, Champlain ne dit nulle part que le lac Saint-Louis soit à huit lieues du Saut. Au chapitre III de son Troisième Voyage (voir ci-dessus, p. 256), il dit avoir été «dans le bois, quelques huit lieues sur le bord d'un lac (probablement le lac des Deux-Montagnes, et non le lac Saint-Louis) où il avait été auparavant»: et ici, il dit où donne à entendre que le lac (Saint-Louis) n'est qu'à deux lieues du saut; ce qui n'est pas très-inexacte. En second lieu, à quiconque sait un peu la géographie du pays, il suffit de jeter un coup d'oeil sur la grande carte de 1613 pour voir que le lac auquel Champlain marque 15 journées n'est rien autre chose que le lac Ontario, décrit évidemment sur le récit des sauvages, mais très-reconnaissable du reste, et que par conséquent il n'y a pas l'ombre de contradiction.

Note 332: (retour)

C'est le Saint-Laurent même, qui vient plutôt du sud-ouest; mais, en entrant dans le lac Saint-Louis, il paraît effectivement avoir cette direction.

Note 333: (retour)

L'auteur semble désigner ici la rivière de Châteauguay.

Note 334: (retour)

Le pays des Iroquois n'était qu'à environ la moitié de cette distance.

Note 335: (retour)

Cette rivière s'appelait dès lors rivière des Algoumequins, et l'on en voit ici la raison. Plus tard, et pour une raison analogue, on lui donna le nom de Rivière des Outaouais. Cette rivière ne vient pas du Nord; mais elle se décharge dans le lac Saint-Louis, du côté du nord.

Note 336: (retour)

Ou Nipissirini. C'est le nom algonquin de la nation des Sorciers, qui demeurait au lac Nipissing. Les Hurons leur donnaient un nom équivalent dans leur langue, Askiquanéronon, c'est-à-dire, les Sorciers. «Les François appellent ordinairement les Ebicerinys le peuple sorcier, non qu'ils le soient tous, mais pourceque c'est une nation qui faict particulière profession de consulter le diable en leur necessité.» (Sagard, Hist. du Canada, p. 193.)

Note 337: (retour)

L'Outaouais, comme on sait, prend sa source une cinquantaine de lieues plus au nord que le lac Nipissing.

Ce lac est rempli de belles & grandes isles, qui ne sont que prairies, où il y a plaisir de chasser, la venaison & le gibier y estans en abondance, aussi bien que le poisson. Le païs qui l'environne est rempli de grandes forests. Nous fusmes coucher 296/444à l'entrée dudict lac, & fismes des barricades, à cause des Yroquois qui rodent par ces lieux pour surprendre leurs ennemis, & m'asseure que s'il nous tenoient, ils nous feroient aussi bonne chère qu'à eux, & pource toute la nuict fismes bon quart. Le lendemain je prins la hauteur de ce lieu, qui est par les 45 degrez 18 minutes de latitude338. Sur les trois heures du soir nous entrasmes dans la riviere qui vient du Nord, & passasmes un petit Saut 339 par terre pour soulager nos canots, & fusmes à une isle le reste de la nuict en attendant le jour.

Note 338: (retour)

Cette hauteur est un peu faible; l'entrée du lac est vers les 45° 25'.

Note 339: (retour)

Ce saut paraît être celui qui sépare l'île Perrot et l'île de Montréal. Il est appelé, dans quelques cartes, rapide de Brussi.]

Le dernier May nous passasmes par un autre lac 340 qui a 7 ou 8 lieues de long, & trois de large, où il y a quelques isles: Le païs d'alentour est fort uni, horsmis en quelques endroits, où il y a des costaux couverts de pins. Nous passasmes un Saut qui est appelé de ceux du païs Quenechouan341 qui est rempli de pierres & rochers, où l'eau y court de grand vistesse: il nous falut mettre en l'eau & traisner nos Canots bort à bort de terre avec une corde: à demi lieue de là nous en passasmes un autre petit à force d'avirons, ce qui ne se faict sans suer, & 297/445y a une grande dextérité à passer ces Sauts pour eviter les bouillons & brisants qui les traversent, ce que les Sauvages sont d'une telle adresse, qu'il est impossible de plus, cherchans les destours & lieux plus aysés qu'ils cognoissent à l'oeil.

Note 340: (retour)

Le lac des Deux-Montagnes, que l'auteur appelle lac de Soissons, dans sa carte de 1632.

Note 341: (retour)

«Plusieurs des noms employés par les sauvages» dit M. Ferland, «se conservent encore. Ainsi, Quenechouan, nom d'un rapide à l'entrée de l'Outaouais, se retrouve dans celui de Quinchien, donné à un gros ruisseau et à une pointe de terre qui sont dans le voisinage... Le nom de Quinchien fournit l'occasion de remarquer qu'en général il faut se défier des étymologies que l'imagination va chercher bien loin, quand elles se trouvent dans les langues des aborigènes. On a dit, pour expliquer l'origine du nom de Quinchien, que les quinze premiers habitants de ce lieu, normands renforcés, étaient sans cesse en procès, et que de là on avait nommé leur village Quinzechiens. Comme on le voit, tout cet échafaudage tombe devant le mot sauvage de Quenechouan.» (Cours d'Hist. du Canada, I, p. 163, note 2.) Ce saut et les trois ou quatre suivants dont parle ici l'auteur, forment ce que l'on a appelé, depuis, le Long-Saut.

Le samedy 1er de Juin nous passasmes encor deux autres Sauts: le premier contenant demie lieue de long, & le second une lieue, où nous eusmes bien de la peine; car la rapidité du courant est si grande, qu'elle faict un bruict effroyable, & descendant de degré en degré, faict une escume si blanche par tout, que l'eau ne paroist aucunement: ce Saut est parsemé de rochers & quelques isles qui sont ça & là, couvertes de pins & cèdres blancs: Ce fut là, où nous eusmes de la peine: car ne pouvans porter nos Canots par terre à cause de l'espaisseur du bois, il nous les failloit tirer dans l'eau avec des cordes, & en tirant le mien, je me pensay perdre, à cause qu'il traversa dans un des bouillons; & si je ne fusse tombé favorablement entre deux rochers, le Canot m'entraisnoit; d'autant que je ne peus deffaire assez à temps la corde qui estoit entortillée à l'entour de ma main, qui me l'offença fort, & me la pensa coupper. En ce danger je m'escriay à Dieu, & commençay à tirer mon Canot, qui me fut renvoyé par le remouil de l'eau qui se faict en ces Sauts, & lors estant eschappé je louay Dieu, le priant nous preserver. Nostre Sauvage vint après pour me secourir, mais j'estois hors de danger; & ne se faut estonner si j'estois curieux de conserver nostre Canot: car s'il eut esté perdu, il falloit faire estat de demeurer, ou attendre que 298/446quelques Sauvages passassent par là, qui est une pauvre attente à ceux qui n'ont de quoy disner, & qui ne sont accoustumés à telle fatigue. Pour nos François ils n'en eurent pas meilleur marché, & par plusieurs fois pensoient estre perdus: mais la Divine bonté nous preserva tous. Le reste de la journée nous nous reposasmes, ayans assés travaillé.

Nous rencontrasmes le lendemain 15 Canots de Sauvages appellés Quenongebin 342, dans une riviere, ayant passé un petit lac 343 long de 4 lieues, & large de 2, lesquels avoient esté advertis de ma venue par ceux qui avoient passé au Saut S. Louys venans de la guerre des Yroquois: je fus fort aise de leur rencontre, & eux aussi, qui s'estonnoient de me voir avec si peu de gens en ce païs, & avec un seul Sauvage. Ainsi après nous estre salués à la mode du païs, je les priay de ne passer outre pour leur déclarer ma volonté, ce qu'ils firent, & fusmes cabaner dans une isle.

Note 342: (retour)

Ou Kinounchepirini, nation algonquine, dont le pays était situé «au sud de l'Isle» (Relat. 1640, ch. x), c'est-à-dire, au sud de l'île des Allumettes.

Note 343: (retour)

Au-dessus du Long-Saut, le cours de l'Outaouais est tranquille, et parfois la rivière s'élargit et forme comme une suite de lacs qui ont jusqu'à une lieue, une lieue et demie de largeur. Celui dont parle ici Champlain paraît répondre à ce bassin qui est au-dessus de la pointe à l'Orignal, et qui a près de deux lieues de large vis-à-vis la baie des Atocas.

Le lendemain je leur fis entendre que j'estois allé en leurs pays pour les voir, & pour m'acquitter de la promesse que je leur avois par cy devant faicte; & que s'ils estoient resolus d'aller à la guerre, cela m'agreroit fort, d'autant que j'avois amené des gens à ceste intention, dequoy ils furent fort satisfaits: & leur ayant dict que je voulois passer outre pour advertir les autres peuples, ils m'en voulurent destourner, 299/447disans, qu'il y avoit un meschant chemin, & que nous n'avions rien veu jusques alors; & pource je les priay de me donner un de leurs gens pour gouverner nostre deuxiesme Canot, & aussi pour nous guider, car nos conducteurs n'y cognoissoient plus rien: ils le firent volontiers, & en recompense je leur fis un present, & leur baillay un de nos François, le moins necessaire, lequel je renvoyois au Saut avec une feuille de tablette, dans laquelle, à faute de papier, je faisois sçavoir de mes nouvelles.

Ainsi nous nous separasmes: & continuant nostre route à mont ladicte riviere, en trouvasmes une autre fort belle & spatieuse, qui vient d'une nation appelée Ouescharini344, lesquels se tiennent au Nord d'icelle, & à 4 journées de l'entrée. Ceste riviere est fort plaisante, à cause des belles isles qu'elle contient, & des terres garnies de beaux bois clairs qui la bordent, la terre est bonne pour le labourage.

Le quatriesme nous passasmes proche d'une autre riviere 345 qui vient du Nord, où se tiennent des peuples appelles Algoumequins, laquelle va tomber dans le grand fleuve sainct Laurens 3 lieues aval le Saut S. Louys346, qui faict une grande 300/448isle contenant prés de 40 lieues, laquelle 347 n'est pas large, mais remplie d'un nombre infini de Sauts, qui font fort difficiles à passer: Et quelquesfois ces peuples passent par ceste riviere pour éviter les rencontres de leurs ennemis, sçachans qu'ils ne les recherchent en lieux de si difficile accès.

Note 344: (retour)

Ou Ouaouiechkaïrini. C'est le nom algonquin de ceux qu'on a appelés, quelques années plus tard, la Petite Nation des Algonquins (Relations des Jésuites); ce qui explique pourquoi la rivière s'appelle, encore aujourd'hui, rivière de la Petite-Nation.

Note 345: (retour)

Ce que l'auteur dit un peu plus loin, prouve évidemment qu'il parle ici de la Gatineau.

Note 346: (retour)

La petite et la grande cartes que l'auteur publia à cette époque-là même, prouvent qu'il avait assez bien compris le rapport que les sauvages lui faisaient de cette rivière. Mais alors comment faut-il entendre ce passage? Suivant nous, voici ce qu'a voulu dire Champlain: «laquelle (la Gatineau) va joindre dans les terres une autre riviere (le Saint-Maurice), qui va tomber 30 lieues (et non pas 3) aval le faut S. Louys.» Et il est tout à fait probable que le typographe aura passé les mots que nous mettons en italiques, ou quelque chose d'équivalent. La phrase ainsi rétablie, tout devient clair ou du moins explicable. D'abord, la Gatineau et le Saint-Maurice entourent, avec le Saint-Laurent une étendue de terre qui forme comme une grande île de quarante lieues ou un peu plus. En second lieu, les sauvages, en suivant cette route, evitaient réellement «les rencontres de leurs ennemis»: tandis que, en reprenant le fleuve trois lieues au-dessous du saut, ils avaient encore à passer les endroits les plus dangereux, l'entrée de la rivière des Iroquois et le lac Saint-Pierre.

Note 347: (retour)

Laquelle rivière, c'est-à-dire, la Gatineau.

A l'emboucheure d'icelle il y en a une autre 348 qui vient du Sud, où à son entrée il y a une cheute d'eau admirable: car elle tombe d'une telle impetuosité de 20 ou 25 brasses349 de haut, qu'elle faict une arcade, ayant de largeur prés de 400 pas. Les sauvages passent dessoubs par plaisir sans se mouiller que du poudrin que fait ladite eau. Il y a une isle au milieu de la dicte riviere, qui est comme tout le terroir d'alentour, remplie de pins & cèdres blancs: Quand les Sauvages veulent entrer dans la riviere, ils montent la montagne en portant leurs Canots, & font demye lieue par terre. Les terres des environs sont remplies de toute sorte de chasse, qui faict que les Sauvages s'y arrestent plus tost, les Yroquois y viennent aussi quelquesfois les surprendre au passage.

Note 348: (retour)

La rivière Rideau.

Note 349: (retour)

Il s'en faut de beaucoup que cette chute soit aussi haute. Peut-être l'auteur a-t-il voulu dire 20 ou 25 pieds; ce qui serait plus proche de la réalité, puisqu'elle a 34 pieds anglais, ou un peu plus de 30 pieds français. (Smith's Canadian Gazetteer.)

Nous passasmes un Saut à une lieue de là, qui est large de demie lieue, & descend de 6 à 7 brasses de haut. Il y a 301/449quantité de petites isles qui ne sont que rochers aspres & difficiles, couverts de meschans petits bois. L'eau tombe à un endroit de telle impetuosité sur un rocher, qu'il s'y est cavé par succession de temps un large & profond bassin: si bien que l'eau courant là dedans circulairement, & au milieu y faisant de gros bouillons, a faict que les Sauvages l'appellent Asticou, qui veut dire chaudière. Ceste cheute d'eau meine un tel bruit dans ce bassin, que l'on l'entend de plus de deux lieues. Les Sauvages passants par là, font une cérémonie que nous dirons en son lieu. Nous eusmes beaucoup de peine à monter contre un grand courant, à force de rames, pour parvenir au pied dudict Saut, où les Sauvages prirent les Canots, & nos François & moy, nos armes, vivres & autres commodités pour passer par l'aspreté des rochers environ un quart de lieue que contient le Saut, & aussi tost nous fallut embarquer, puis derechef mettre pied à terre pour passer par des taillis environ 300 pas, après se mettre en l'eau pour faire passer nos Canots par dessus les rochers aigus, avec autant de peine que l'on sçauroit s'imaginer. Je prins la hauteur du lieu & trouvay 45 degrés 38 minutes, de latitude 350.

Note 350: (retour)

Le saut de la Chaudière est à environ 45° 12'.

Après midy nous entrasmes dans un lac ayant 5 lieues de long, & 2 de large, où il y a de fort belles isles remplies de vignes, noyers & autres arbres aggreables, 10 ou 12 lieues de là amont la riviere nous passasmes par quelques isles remplies de Pins; La terre est sablonneuse, & s'y trouve une racine qui teint en couleur cramoysie, de laquelle les Sauvages se peindent le 302/450visage, & de petits affiquets à leur usage. Il y a aussi une coste de montagnes du long de cette riviere, & le païs des environs semble ânes fascheux. Le reste du jour nous le passasmes dans une isle fort aggreable.

Le lendemain 351 nous continuasmes nostre chemin jusques à un grand Saut352, qui contient prés de 3 lieues de large, où l'eau descend comme de 10 ou 12 brasses de haut en talus, & faict un merveilleux bruit. Il est rempli d'une infinité d'isles, couvertes de Pins & de Cèdres: & pour le passer il nous fallut resoudre de quitter nostre Maïs ou bled d'Inde, & peu d'autres vivres que nous avions, avec les hardes moins necessaires, reservans seulement nos armes & filets, pour nous donner à vivre selon les lieux & l'heur de la chasse. Ainsi allégés nous passasmes tant à l'aviron, que par terre, en portant nos Canots & armes par ledict Saut, qui a une lieue & demie de long, où nos Sauvages qui sont infatigables à ce travail, & accoustumés à endurer telles necessités, nous soulagerent beaucoup.

Note 351: (retour)

Le 5 de juin.

Note 352: (retour)

Ce saut et les deux autres qui sont mentionnés plus loin, forment ce qu'on appelle le rapide des Chats.

Poursuivans nostre route nous passasmes deux autres Sauts, l'un par terre, l'autre à la rame & avec des perches en déboutant, puis entrasmes dans un lac 353 ayant 6 ou 7 lieues de long, où se descharge une riviere354 venant du Sud, où à cinq journées de l'autre riviere 355 il y a des peuples qui y habitent appelés Matou-ouescarini. Les terres d'environ ledit lac sont 303/451sablonneuses, & couvertes de pins, qui ont esté presque tous bruslés par les sauvages. Il y a quelques isles, dans l'une desquelles nous reposames, & vismes plusieurs beaux cyprès rouges, les premiers que j'eusse veus en ce païs, desquels je fis une croix, que je plantay à un bout de l'isle, en lieu eminent, & en veue, avec les armes de France, comme j'ay faict aux autres lieux où nous avions posé. Je nommay ceste isle, l'isle saincte Croix.

Note 353: (retour)

Le lac des Chats.

Note 354: (retour)

La rivière de Madaouaska, ou des Madaouaskairini.

Note 355: (retour)

C'est-à-dire, le Saint-Laurent.

Le 6, nous partismes de ceste isle saincte croix, où la riviere est large d'une lieue & demie, & ayant faict 8 ou 10 lieues, nous passasmes un petit Saut à la rame, & quantité d'isles de différentes grandeurs. Icy nos sauvages laisserent leurs sacs avec leurs vivres, & les choses moins necessaires afin d'estre plus légers pour aller par terre, & eviter plusieurs Sauts qu'il falloit passer. Il y eut une grande contestation entre nos sauvages & nostre imposteur, qui affermoit qu'il n'y avoit aucun danger par les Sauts, & qu'il y falloit passer: Nos sauvages luy disoient tu es lassé de vivre; & à moy, que je ne le devois croire, & qu'il ne disoit pas vérité. Ainsi ayant remarqué plusieurs fois qu'il n'avoit aucune cognoissance desdits lieux, je suivis l'advis des sauvages, dont bien il m'en prit, car il cherchoit des difficultez pour me perdre, ou pour me dégoûter de l'entreprise, comme il a confessé depuis (dequoy fera parlé cy après.) Nous traversames donc à l'ouest la riviere qui couroit au Nord, & pris la hauteur de ce lieu qui estoit par 46 2/3356 de latitude. Nous eusmes beaucoup de 304/452peine à faire ce chemin par terre, estant chargé seulement pour ma part de trois arquebuses, autant d'avirons, de mon capot, & quelques petites bagatelles; j'encourageois nos gens qui estoient quelque peu plus chargés, & plus grevés des mousquites que de leur charges. Ainsi après avoir passé 4 petits estangs, & cheminé deux lieues & demie, nous estions tant fatigués qu'il nous estoit impossible de passer outre, à cause qu'il y avoit prés de 24 heures que n'avions mangé qu'un peu de poisson rosti, sans autre sauce, car nous avions laissé nos vivres, comme j'ay dit cy dessus. Ainsi nous posasmes sur le bort d'un estang, qui estoit assez aggreable, & fismes du feu pour chasser les Mousquites qui nous molestoient fort, l'importunité desquelles est si estrange qu'il est impossible d'en pouvoir faire la description. Nous tendismes nos filets pour prendre quelques poissons.

Note 356: (retour)

L'on ne pouvait pas être à une si grande hauteur, puisque l'on venait de passer les Chenaux, et que l'on n'était tout au plus qu'au portage du Fort, dont la latitude est d'environ 45° 36'.

Le lendemain nous passasmes cet estang qui pouvoit contenir une lieue de long, & puis par terre cheminasmes 3 lieues par des païs difficiles plus que n'avions encor veu, à cause que les vents avoient abatu des pins, les uns sur les autres, qui n'est pas petite incommodité, car il faut passer tantost dessus & tantost dessous ces arbres, ainsi nous parvinsmes à un lac357, ayant 6 lieues de long, & 2 de large, fort abondant en poisson, aussi les peuples des environs y font leur pescherie. Prés de ce lac y a une habitation de Sauvages qui cultivent la terre, & recueillent du Maïs: le chef se nomme Nibachis, lequel nous 305/453vint voir avec sa troupe, esmerveillé comment nous avions peu passer les Sauts & mauvais chemins qu'il y avoit pour parvenir à eux. Et après nous avoir presenté du petun selon leur mode, il commença à haranguer ses compagnons, leur disant, Qu'il falloit que fussions tombés des nues, ne sachant comment nous avions peu passer, & qu'eux demeurans au païs avoient beaucoup de peine à traverser ces mauvais passages, leur faisant entendre que je venois à bout de tout ce que mon esprit vouloit: bref qu'il croyoit de moy ce que les autres sauvages luy en avoient dict. Et scachans que nous avions faim, ils nous donnèrent du poisson, que nous mangeasmes, & après disné je leur fis entendre par Thomas mon truchement, l'aise que j'avois de les avoir rencontrés, que j'estois en ce pays pour les assister en leurs guerres, & que je desirois aller plus avant voir quelques autres capitaines pour mesme effect, dequoy ils furent joyeux, & me promirent assistance. Ils me monstrerent leurs jardinages & champs, où il y avoit du Maïs. Leur terroir est sablonneux, & pource s'adonnent plus à la chasse qu'au labour, au contraire des Ochataiguins. Quand ils veulent rendre un terroir labourable, ils bruslent les arbres, & ce fort aysément, car ce ne sont que pins chargés de resine. Le bois bruslé ils remuent un peu la terre, & plantent leur Maïs grain à grain, comme ceux de la Floride: il n'avoit pour lors que 4 doigts de haut.

Note 357: (retour)

Le lac du Rat-Musqué; mais les dimensions que l'auteur donne à ce lac sont un peu trop fortes.




306/454

Continuation. Arrivée vers Tessouat, & le bon accueil qu'il me feit. Façon de leurs cimetières. Les Sauvages me promettent 4 Canots pour continuer mon chemin. Tost après me les refusent. Harangue des sauvages pour me dissuader mon entreprise, me remonstrant les difficultés. Response à ces difficultés. Tessouat argue mon conducteur de mensonge, & n'avoir esté où il disoit. Il leur maintient son dire véritable. Je les presse de me donner des Canots. Plusieurs refus. Mon conducteur convaincu de mensonge, & sa confession.

CHAPITRE IV.

Nibachis feit equipper deux Canots pour me mener voir un autre Capitaine nommé Tessouat, qui demeuroit à 8 lieues de luy, sur le bort d'un grand lac, par où passe la riviere que nous avions laissée qui refuit au Nord; ainsi nous traversasmes le lac à l'Ouest Nord-ouest, prés de 7 lieuës358, où ayans mis pied à terre fismes une lieue au Nort-est parmy d'assés beaux païs, où il y a de petits sentiers battus, par lesquels on peut passer aysément, & arrivasmes sur le bort de ce lac 359, où estoit l'habitation de Tessouat360, qui estoit avec un autre chef sien voisin, tout estonné de me voir, & nous dit qu'il pensoit que je fusse un songe, & qu'il ne croyoit pas ce qu'il voyoit. De 307/455là nous passasmes en une isle361, où leurs Cabanes sont assez mal couvertes d'escorces d'arbres, qui est remplie de chesnes, pins & ormeaux, & n'est subjette aux innondations des eaux, comme sont les autres isles du lac.

Note 358: (retour)

Pour faire sept lieues au nord-ouest, il fallait non-seulement traverser le lac du Rat-Musqué, mais descendre une partie de la décharge, ou rivière du Rat-Musqué.

Note 359: (retour)

Le lac des Allumettes.

Note 360: (retour)

Probablement le même qu'il avait vu à Tadoussac en 1603. (Voir 1603, p. 12.)

Note 361: (retour)

L'île des Allumettes. Cette île occupe une place importante dans l'histoire des nations sauvages du Canada; si bien que, dans les Relations, on l'appelle simplement l'Ile, et l'on disait les Sauvages de l'Ile, pour désigner la nation qui y demeurait, et dont le nom algonquin était Kichesipirini, hommes de la Grande-Rivière. «Les sauvages qui l'habitent,» dit le P. Le Jeune (Relat. 1636), «sont extrêmement superbes... Ces insulaires voudroient bien que les Hurons ne vinssent point aux François, & que les François n'allassent point aux Hurons, afin d'emporter eux seuls tout le trafic... C'est chose estrange que quoy que les Hurons soient dix contre un seul insulaire, si est-ce qu'ils ne passeront pas si un seul insulaire s'y oppose.» «Ce peuple,» dit Sagard (Hist. du Canada, p. 810), «est malicieux jusques là, que de ne laisser passer par leurs terres au temps de la traite, un ou deux canots seulement, mais veulent qu'ils s'attendent l'un l'autre, & passent tous à la fois, pour avoir leurs bleds & farines à meilleur prix, qui leur contraignent de traiter pour des pelleteries.»

Ceste isle est forte de situation: car aux deux bouts d'icelle, & à l'endroit où la riviere se jette dans le lac, il y a des Sauts fascheux, & l'aspreté d'iceux la rendent forte; & s'y sont logés pour eviter les courses de leurs ennemis. Elle est par les 47. 362 degrés de latitude, comme est le lac, qui a 20 lieues de long363, & 3 ou 4 de large, abondant en poisson, mais la chasse n'y est pas beaucoup bonne.

Note 362: (retour)

Si l'on part de la supposition que cette latitude est exacte, sans se donner la peine de concilier ce chiffre avec tous les autres détails du récit de Champlain, on pourra, comme ont fait quelques-uns de nos historiens, conclure que l'auteur est rendu au lac Témiscaming. Mais, si l'on a suivi nos voyageurs pas à pas et la carte à la main, il est impossible de ne pas reconnaître ici le lac et l'île des Allumettes, qui cependant n'atteignent pas même le quarante-sixième parallèle. La carte même de l'auteur en fournit une double preuve. D'abord l'île des Allumettes y est figurée de la manière la plus claire, et la table des renvois lui assigne le nom d'Ile de Tessouat. En second lieu, Champlain, dans cette carte, met l'île des Allumettes au quarante-septième degré, suivant la hauteur qu'il trouve ici. «Pareille erreur,» remarque à cette occasion M. Ferland (Cours d'Hist. du Canada, p. 164), «n'a rien qui doive surprendre, dans une expédition où il lui devait être difficile de faire des observations exactes.»

Note 363: (retour)

Telle est la longueur que l'auteur donne au lac des Allumettes, dans la carte de 1632; cependant le lac des Allumettes proprement dit n'a qu'une dizaine de lieues de long, et c'est aussi la longueur qu'il lui donne dans le texte de l'édition de 1632.

Ainsi comme je visitois l'isle j'apperceus leurs cimetières, où je fus ravi en admiration, voyant des sepulchres de forme 308/456semblable aux chasses, fais de pièces de bois, croisées par en haut & fichées en terre, à la distance de 3 pieds ou environ: sur les croisées en haut ils y mettent une grosse pièce de bois, & au devant une autre tout debout, dans laquelle est gravé grossierement (comme il est bien croyable) la figure de celuy ou celle qui y est enterré. Si c'est un homme ils y mettent une rondache, une espée amanchée à leur mode, une masse, un arc & des flesches; S'il est Capitaine, il aura un panache sur la teste, & quelque autre matachia ou enjoliveure; si un enfant, ils luy baillent un arc & une flesche, si une femme, ou fille, une chaudière, un pot de terre, une cueillier de bois & un aviron; Tout le tombeau a de longueur 6 ou 7 pieds pour le plus grand, & de largeur 4 les autres moings. Ils sont peints de jaune & rouge, avec plusieurs ouvrages aussi délicats que la sculpture. Le mort est enseveli dans sa robe de castor ou d'autres peaux, desquelles il se servoit en sa vie, & luy mettent toutes ses richesses auprès de luy, comme haches, couteaux, chaudières & aleines, affin que ces choses luy servent au pays où il va: car ils croyent l'immortalité de l'âme, comme j'ay dict autre part364. Ces sepulchres gravé ne se font qu'aux guerriers, car aux autres ils n'y mettent non plus qu'ils font aux femmes, comme gens inutiles, aussi s'en retrouve il peu entr'eux.

Note 364: (retour)

Ci-dessus, page 165, et aussi Voyage de 1603, pages 19, 20.

Aprés avoir consideré la pauvreté de ceste terre, je leur demanday comment ils s'amusoient à cultiver un si mauvais païs, veu qu'il y en avoit de beaucoup meilleur qu'ils laissoyent 309/457desert & abandonné, comme le Saut S. Louys. Ils me respondirent qu'ils en estoient contraints, pour se mettre en seureté, & que l'aspreté des lieux leur servoit de boulevart contre leurs ennemis: Mais que si je voulois faire une habitation de François au Saut S. Louys, comme j'avois promis, qu'ils quitteroyent leur demeure pour se venir loger prés de nous, estans asseuré que leurs ennemis ne leur feroyent point de mal pendant que nous serions avec eux. Je leur dis que ceste année nous ferions les préparatifs de bois & pierres pour l'année suivante faire un fort, & labourer ceste terre: Ce qu'ayant entendu ils firent un grand cry en signe d'applaudissement. Ces propos finis, je priay tous les Chefs & principaux d'entr'eux, de se trouver le lendemain en la grand terre, en la cabane de Tessouat, lequel me vouloit faire Tabagie, & que là je leur dirois mes intentions, ce qu'ils me promirent; & deslors envoyerent convier leurs voisins pour s'y trouver.

Le lendemain tous les conviés vindrent avec chacun son escuelle de bois, & sa cueillier365, lesquels sans ordre, ny cérémonie s'assirent contre terre dans la cabane de Tessouat, qui leur distribuast une manière de bouillie, faite de Maïs, escrasé entre deux pierres, avec de la chair & du poisson, coupés par petits morceaux, le tout cuit ensemble sans sel. Ils avoyent aussi de la chair rostie sur les charbons, & du poisson bouilli à part, qu'il distribua aussi. Et pour mon regard, d'autant que je ne voulois point de leur bouillie, à cause qu'ils cuisinent 310/458fort salement, je leur demanday du poisson & de la chair, pour l'accommoder à ma mode; ils m'en donnèrent. Pour le boire nous avions de belle eau claire. Tessouat qui faisoit la Tabagie nous entretenoit sans manger suivant leur coustume.

Note 365: (retour)

La cuiller de bois s'appelle, en algonquin, micouanne, mot qui a été adopté par les Canadiens.

La Tabagie faite, les jeunes hommes qui n'assistent pas aux harangues & conseils, & qui aux Tabagies demeurent à la porte des cabanes, sortirent, & puis chacun de ceux qui estoient demeurés commença à garnir son petunoir, & m'en presenterent les uns & les autres, & employasmes une grande demie heure à cet exercice, sans dire un seul mot, selon leur coustume.

Après avoir parmi un si long silence amplement petuné, je leur fis entendre par mon Truchement que le subject de mon voyage n'estoit autre que pour les asseurer de mon affection, & du desir que j'avois de les assister en leurs guerres, comme j'avois auparavant faict Que ce qui m'avoit empesché l'année dernière de venir, ainsi que je leur avois promis, estoit que le Roy m'avoit occuppé en d'autres guerres, mais que maintenant il m'avoit commandé de les visiter, & les asseurer de ces choses, & que pour cet effect j'avois nombre d'hommes au Saut S. Louys, & que je m'estois venu promener en leur païs pour recognoistre la fertilité de la terre, les lacs, rivieres, & mer qu'ils m'avoyent dict estre en leur pays: & que je desirois voir une nation distant de 6 journées d'eux, nommée Nebicerini, pour les convier aussi à la guerre; & pource je les priay de me donner 4 Canots, avec huict sauvages pour me conduire esdictes 311/459terres. Et d'autant que les Algoumequins ne sont pas grands amis des Nebicerini366, ils sembloyent m'escouter avec plus grande attention.

Note 366: (retour)

Ces Nipissirini étaient eux-mêmes algonquins; mais, en leur qualité de sorciers, ils étaient ou redoutés ou mal vus des autres nations même algonquines, suivant la remarque de Tessouat, qui les accuse, un peu plus loin, «d'avoir fait mourir beaucoup de leurs gens par sort et empoisonnements.»

Mon discours achevé, ils commencèrent derechef à petuner, & à deviser tout bas ensemble touchant mes propositions: puis Tessouat pour tous prit la parole & dict, Qu'ils m'avoient tousjours recognu plus affectionné en leur endroit, qu'aucun autre François qu'ils eussent veu, que les preuves qu'ils en avoient eues le passé, leur facilitoyent la créance pour l'advenir; de plus, que je monstrois estre bien leur amy, en ce que j'avois passé tant de hazards pour les venir voir, & pour les convier à la guerre, & que toutes ces choses les obligeoyent à me vouloir du bien, comme à leurs enfans propres; Que toutesfois l'année dernière je leur avois manqué de promesse, & que 2000 sauvages estoient venus au Saut en intention de me trouver, pour aller à la guerre, & me faire des presens, & ne m'ayant trouvé, furent fort attristez, croyant que je fusse mort, comme quelques uns leur avoyent dict: aussi que les François qui estoient au Saut ne les voulurent assister à leurs guerres, & qu'ils furent mal traictés par aucuns, de sorte qu'ils avoyent resolu entr'eux de ne plus venir au Saut, & que cela les avoit occasionnés (n'esperans plus me voir) d'aller à la guerre seuls, & de fait que 1200 des leurs y estoyent allés. Et d'autant que la pluspart des guerriers estoyent absens, ils me prioient de remettre la partie à 312/460l'année suivante, & qu'ils feroient sçavoir cela à tous ceux de la contrée. Pour ce qui estoit des 4 Canots que je demandois, ils me les accordèrent, mais avec grandes difficultés, me disans qu'il leur desplaisoit fort de telle entreprise, pour les peines que j'y endurerois; que ces peuples estoient sorciers, & qu'ils avoient faict mourir beaucoup de leurs gens par sort & empoisonnemens, & que pour cela ils n'estoient amis: au surplus que pour la guerre je n'avois affaire d'eux, d'autant qu'ils estoyent de petit coeur, me voulans destourner avec plusieurs autres propos sur ce subject.

Moy d'autrepart qui n'avois autre desir que de voir ces peuples, & faire amitié avec eux, pour voir la mer du Nord, facilitois leurs difficultez, leur disant, qu'il n'y avoit pas loing jusques en leurs païs; que pour les mauvais passages, ils ne pouvoyent estre plus fascheux que ceux que j'avois passé par cy devant; & pour le regard de leurs sortileges qu'ils n'auroient aucune puissance de me faire tort, & que mon Dieu m'en preserveroit; que je cognoissois aussi leurs herbes, & par ainsi je me garderois d'en manger; que je les voulois rendre ensemble bons amis, & leur ferois des presens pour cet effect, m'asseurant qu'ils feroient quelque chose pour moy. Avec ces raisons ils m'accordèrent, comme j'ay dict, ces 4 Canots, dequoy je fus fort joyeux, oubliant toutes les peines passées, sur l'esperance que j'avois de voir ceste mer tant desirée.

Pour passer le reste du jour, je me fus promener par leurs jardins, qui n'estoient remplis que de quelques citrouilles, phasioles, & de nos pois, qu'ils commencent à cultiver, où 313/461Thomas mon truchement, qui entend fort bien la langue, me vint trouver, pour m'advertir que ces sauvages, après que je les eus quittés, avoient songé que si t'entreprends ce voyage, que je mourrois, & eux aussi, & qu'ils ne me pouvoient bailler ces Canots promis, d'autant qu'il n'y avoit aucun d'entreux qui me voulut conduire; mais que je remisse ce voyage à l'année prochaine, & qu'ils m'y meneroient en bon equippage, pour se deffendre d'iceux, s'il leur vouloient mal faire, pource qu'ils sont mauvais.

Ceste nouvelle m'affligea fort, & soudain m'en allay les trouver, & leur dis, que je les avois jusques à ce jour estimés hommes, & véritables, & que maintenant ils se monstroyent enfans, & mensongers, & que s'ils ne vouloient effectuer leurs promesses, ils ne me feroient paroistre leur amitié; toutesfois que s'ils se sentoient incommodés de 4 Canots, qu'ils ne m'en baillassent que 2 & 4 sauvages seulement.

Ils me representerent derechef la difficulté des partages, le nombre des Sauts, la meschanceté de ces peuples, & que c'estoit pour crainte qu'ils avoyent de me perdre qu'ils me faisoient ce refus.

Je leur fis response, que j'estois fasché de ce qu'ils se monstroient si peu mes amis, & que je ne l'eusse jamais creu; que j'avois un garçon, (leur monstrant mon imposteur) qui avoit esté dans leur pays, & n'avoit recognu toutes les difficultés qu'ils faisoient, ny trouvé ces peuples si mauvais qu'ils disoient. Alors ils commencèrent à le regarder, & specialement Tessoüat vieux Capitaine, avec lequel il avoit hyverné, & l'appelant par son nom, luy dict en son langage, Nicolas est il 314/462vray que tu as dit avoir esté aux Nebicerini? Il fut long temps sans parler, puis il leur dict en leur langue, qu'il parle aucunement, Ouy j'y ay esté. Aussi tost ils le regardèrent de travers, & se jettans sur luy, comme s'ils l'eussent voulu manger ou deschirer, firent de grands cris, & Tessoüat luy dict, tu es un asseuré menteur, tu sçais bien que tous les soirs tu couchois à mes costés avec mes enfans, & tous les matins tu t'y levois, si tu as esté vers ces peuples, ça esté en dormant, comment as tu esté si impudent d'avoir donné à entendre à ton chef des mensonges, & si meschant de vouloir hazarder sa vie parmi tant de dangers? tu es un homme perdu, il te devroit faire mourir plus cruellement que nous ne faisons nos ennemis: je ne m'estonnois pas367 s'il nous importunoit tant sur l'asseurance de ses paroles. A l'heure je luy dis qu'il eust à respondre à ces peuples, & puis qu'il avoit esté en ces terres qu'il en donnast des enseignemens pour me le faire croire, & me tirer de la peine où il m'avoit mis, mais il demeura muet & tout esperdu.

Note 367: (retour)

Il faudrait: je ne m'estonne pas.

A l'heure je le tiray à l'escart des sauvages, & le conjuray de me déclarer la vérité du faict: que s'il avoit veu ceste mer, que je luy ferois donner la recompense que je luy avois promise, & s'il ne l'avoit veue, qu'il eut à me le dire sans me donner d'avantage de peine: Derechef avec juremens il afferma tout ce qu'il avoit par cy devant dict, & qu'il me le feroit voir, si ces sauvages vouloient bailler des Canots.

Sur ces discours Thomas me vint advertir que les sauvages de l'isle envoyoient secrettement un Canot aux Nebicerini, pour les advertir de mon arrivée.

315/463Et lors pour me servir de l'occasion, je fus trouver lesdits sauvages, pour leur dire que j'avois songé ceste nuict qu'ils vouloyent envoyer un Canot aux Nebicerini sans m'en advertir, dequoy j'estois estonné, veu qu'ils sçavoyent que j'avois volonté d'y aller: à quoy ils me firent response, disans, que je les offençois fort, en ce que je me fiois plus à un menteur, qui me vouloit faire mourir, qu'à tant de braves Capitaines qui estoient mes amys, & qui avoyent ma vie chère: je leur repliquay, que mon homme (parlant de nostre imposteur) avoit esté en ceste contrée avec un des parens de Tessoüat, & avoit veu la Mer, le bris & fracas d'un vaisseau Anglois, ensemble 80 testes que les sauvages avoient, & un jeune garçon Anglois qu'ils tenoient prisonnier, dequoy ils me vouloient faire present.

Ils s'escrierent plus que devant, entendant parler de la Mer, des vaisseaux, des testes des Anglois, & du prisonnier, qu'il estoit un menteur, & ainsi le nommèrent-ils depuis, comme la plus grande injure qu'ils luy eussent peu faire, disans tous ensemble qu'il le falloit faire mourir, ou qu'il dist celuy avec lequel il y avoit esté, & qu'il declarast les lacs, rivieres & chemins par lesquels il avoit passé; à quoy il fit response asseurement qu'il avoit oublié le nom du sauvage, combien qu'il me l'eust nommé plus de vingt fois, & mesme le jour de devant. Pour les particularitez du païs, il les avoit descriptes dans un papier qu'il m'avoit baillé. Alors je presentay la carte, & la fis interpréter aux sauvages, qui l'interrogèrent sur icelle, à quoy il ne fit response, ains par son morne silence manifesta sa meschanceté.

316/464Mon esprit vogant en incertitude, je me retiray à part, & me representay les particularités du voyage des Anglois cy devant dictes, & les discours de nostre menteur estre assés conformes, aussi qu'il y avoit peu d'apparence que ce garçon eust inventé tout cela, & qu'il n'eust voulu entreprendre le voyage, mais qu'il estoit plus croyable qu'il avoit veu ces choses, & que son ignorance ne luy permettoit de respondre aux interrogations des sauvages: joint aussi que si la relation des Anglois est véritable, il faut que la mer du Nord ne soit pas esloignée de ces terres de plus de 100 lieues de latitude, car j'estois sous la hauteur de 47 degrés 368 de latitude, & 296. de longitude 369: mais il se peut faire que la difficulté de passer les Sauts, l'aspreté des montagnes remplies de neiges, soit cause que ces peuples n'ont aucune cognoissance de ceste mer; bien m'ont-ils toujours dict, que du païs des Ochataiguins il n'y a que 35 ou 40 journées jusques à la mer qu'ils voyent en 3 endroits: ce qu'ils m'ont encores asseuré ceste année: mais aucun ne m'a parlé de ceste mer du Nord, que ce menteur, qui m'avoit fort resjouy à cause de la briefveté du chemin.

Note 368: (retour)

46°. (Voir la note 2 de la page 307)

Note 369: (retour)

L'auteur n'était pas rendu tout à fait à 296°. Suivant sa carte de 1632, il était à environ 297° 30', et encore, dans cette carte, l'île des Allumettes est-elle trop à l'ouest d'environ deux degrés et demi: car la pointe occidentale de cette île est à peu près 300° à l'est du méridien de l'île de Fer. (Voir la note 3 de la page 293.)

Or comme ce Canot s'apprestoit, je le fis appeler devant ses compagnons; & en luy representant tout ce qui s'estoit passé, je luy dis qu'il n'estoit plus question de dissimuler, & qu'il falloit dire s'il avoit veu les choses dictes, ou non; que je 317/465voulois prendre la commodité qui se presentoit; que j'avois oublié tout ce qui s'estoit passé: Mais que si je passois plus outre, je le ferois pendre & estrangler sans luy faire autre merci. Après avoir songé à luy, il se jetta à genoux & me demanda pardon, disant, que tout ce qu'il avoit dict, tant en France qu'en ce païs, touchant ceste mer, estoit faux; qu'il ne l'avoit jamais veue, & qu'il n'avoit pas esté plus avant que le village de Tessoüat; qu'il avoit dict ces choses pour retourner en Canada. Ainsi transporté de cholere je le fis retirer, ne le pouvant plus endurer devant moy, donnant charge à Thomas de s'enquérir de tout particulièrement; auquel il poursuivit de dire qu'il ne croyoit pas que je deusse entreprendre le voyage, à cause des dangers, croyant que quelque difficulté je pourroit presenter qui m'empescheroit de passer, comme celle de ces sauvages, qui ne me vouloient bailler des Canots: ainsi que l'on remettroit le voyage à une autre année, & qu'estant en France, il auroit recompense pour sa descouverture: & que si se le voulois laisser en ce pays, qu'il yroit tant qu'il la trouveroit, quand il y devroit mourir. Ce sont ses paroles, qui me furent rapportées par Thomas, & ne me contentèrent pas beaucoup, estant esmerveillé de l'effronterie & meschanceté de ce menteur: & ne me puis imaginer comment il avoit forgé ceste imposture, sinon qu'il eust ouy parler du voyage des Anglois cy mentionné; & que sur l'esperance d'avoir quelque recompense, comme il a dict, il ait eu la témérité de mettre cela en avant.

Peu de temps après je fus advertir les sauvages, à mon grand 318/466regret, de la malice de ce menteur, & qu'il m'avoit confessé la vérité, dequoy ils furent joyeux, me reprochant le peu de confiance que j'avois en eux, qui estoyent Capitaines, mes amis, & qui parloient tousjours vérité, & qu'il falloit faire mourir ce menteur qui estoit grandement malitieux, me disant, Ne vois-tu pas qu'il t'a voulu faire mourir, donne le nous, & nous te promettons qu'il ne mentira plus. Et à cause qu'ils estoient tous après luy crians, & leurs enfans encores plus, je leur deffendis de luy faire aucun mal, & aussi d'empescher leurs enfans de ce faire, d'autant que je le voulois remener au Saut pour le faire voir à ces Messieurs, ausquels il devoit porter de l'eaue salée; & qu'estant là j'adviserois à ce qu'on en feroit.

Mon voyage estant achevé par ceste voye, & sans aucune esperance de voir la mer de ce costé là, sinon par conjecture, le regret de n'avoir mieux employé le temps m'est demeuré, avec les peines & travaux qu'il m'a fallu neantmoins tolérer patiemment. Si je me fusse transporté d'un autre costé, suivant la relation des sauvages, j'eusse esbauché une affaire qu'il faut remettre à une autre fois. N'ayant pour l'heure autre desir que de m'en revenir, je conviay les sauvages de venir au Saut S. Louys, où il y avoit quatre vaisseaux fournis de toutes sortes de marchandises, & où ils recevroient bon traitement; ce qu'ils firent sçavoir à tous leurs voisins. Et avant que partir, je fis une croix de cèdre blanc, laquelle je plantay sur le bort du lac en un lieu eminent, avec les armes de France, & priay les sauvages la vouloir conserver, comme aussi 319/467celles qu'ils trouveroient du long des chemins où nous avions passé; & que s'ils les rompoient, que mal leur arriveroit; & les conservant, ils ne seroient assaillis de leurs ennemis. Ils me promirent ainsi le faire, & que je les retrouverois quand je retournerois vers eux.




Nostre retour au Saut. Fausse alarme. Cérémonie du Saut de la chaudière. Confession de nostre menteur devant tous les chefs. Et nostre retour en France.

CHAPITRE V.

Le 10 Juin je prins congé de Tessoüat, bon vieux Capitaine, & luy fis quelques presens, & luy promis, si Dieu me preservoit en santé, de venir l'année prochaine, en equippage pour aller à la guerre; & luy me promit d'assembler grand peuple pour ce temps là, disant, que je ne verrois que, sauvages, & armes qui me donneroyent contentement, & me bailla son fils pour me faire compagnie. Ainsi nous partismes avec 40 Canots, & passasmes par la riviere que nous avions laissée, qui court au Nord370, où nous mismes pied à terre pour traverser des lacs 371. En chemin nous rencontrasmes 9 grands Canots de Ouescharini, avec 40 hommes forts & puissants qui venoient aux nouvelles qu'ils avoient eues; & d'autres que rencontrasmes aussi, qui faisoient 320/468ensemble 60 Canots, & 20 autres qui estoient partis devant nous, ayans chacun assés de marchandises.

Note 370: (retour)

Qui court au Nord, à l'endroit où Champlain l'avait laissée.

Note 371: (retour)

Par cette expression traverser des lacs, l'auteur veut dire sans doute traverser d'un lac à un autre. Entre les six ou sept rapides qu'il y a depuis les Allumettes jusqu'au bas du Grand-Calumet, la rivière forme comme autant de lacs, séparés les uns des autres par des rapides, où il faut «mettre pied à terre» et faire portage, «pour ensuite traverser ces lacs.»

Nous passasmes 6 ou 7 Sauts depuis l'isle des Algoumequins372 jusques au petit Saut373, païs fort desagreable. Je recogneus bien que si nous fussions venus par là que nous eussions eu beaucoup plus de peine, & malaisément eussions nous passé: & ce n'estoit sans raison que les sauvages contestoient contre nostre menteur, qui ne cerchoit qu'à me perdre.

Note 372: (retour)

Ou île de Tessouat, c'est-à-dire, celle des Allumettes. On voit ici pourquoi, plus tard, Champlain appelle le lac des Allumettes, lac des Algonquins.

Note 373: (retour)

Au-dessous du lac Coulonge, le premier et le plus considérable des sauts que l'on ait à passer, est le Grand-Calumet, où le Grand-Saut des pierres à calumet. Il semble que c'est le dernier de cette suite de rapides, celui du Portage-du-Fort, que Champlain appelle le, Petit-Saut.

Continuant nostre chemin 10 ou 12 lieues au dessous l'isle des Algoumequins, nous posasmes dans une isle fort agréable, remplie de vignes & noyers, où nous fismes pescherie de beau poisson. Sur la minuict arriva deux Canots qui venoient de la pesche plus loing, lesquels rapportèrent avoir veu 4 Canots de leurs ennemis. Aussi tost on despescha 3 Canots pour les recognoistre, mais ils retournèrent sans avoir rien veu. En ceste asseurance chacun prit le repos, excepté les femmes qui se resolurent de passer la nuict dans leurs Canots, ne se trouvans asseurées à terre. Une heure avant le jour un sauvage songeant que les ennemis le chargeoyent se leva en sursaut, & se prit à courir vers l'eau pour se sauver, criant, On me tue. Ceux de sa bande s'esveillerent tous estourdis, & croyans estre poursuivis de leurs ennemis se jetterent en l'eau, comme feit 321/469un de nos François, qui croyoit qu'on l'assommast. A ce grand bruit nous autres qui estions éloignés, fusmes aussi tost esveillés, & sans plus s'enquérir accourusmes vers eux: mais les voyans en l'eau errans ça & là, estions fort estonnés, ne les voyans poursuivis de leurs ennemis, ny en estat de se deffendre, quand cela eust esté, mais seulement de se perdre. Après que j'eus enquis nostre François de la cause de ceste esmotion, il me dict qu'un sauvage avoit songé, & luy avec les autres pour se sauver, s'estoit jetté en l'eau, croyant avoir esté frappé. Ainsi ayant recognu ce que c'estoit, tout se passa en risée.

En continuant nostre chemin, nous parvinsmes au Saut de la chaudière, où les sauvages firent la cérémonie accoustumée, qui est telle. Après avoir porté leurs Canots au bas du Saut, ils s'assemblent en un lieu, où un d'entr'eux avec un plat de bois va faire la queste, & chacun d'eux met dans ce plat un morceau de petun; la queste faicte, le plat est mis au milieu de la troupe, & tous dansent à l'entour, en chantant à leur mode, puis un des Capitaines faict une harangue, remonstrant que dés long temps ils ont accoustumé de faire telle offrande, & que par ce moyen ils sont garantis de leurs ennemis, qu'autrement il leur arriveroit du malheur, ainsi que leur persuade le diable, & vivent en ceste superstition, comme en plusieurs autres, comme nous avons dict en d'autres lieux. Cela faict, le harangueur prent le plat, & va jetter le petun au milieu de la chaudière, & font un grand cry tous ensemble. Ces pauvres gens sont si superstitieux, qu'ils ne croiroient pas faire bon voyage, s'ils n'avoient faict ceste cérémonie en ce lieu, 322/470d'autant que leurs ennemis les attendent à ce passage, n'osans pas aller plus avant, à cause des mauvais chemins, & les surprennent là: ce qu'ils ont quelquesfois faict.

Le lendemain nous arrivasmes à une isle, qui est à l'entrée du lac, distante du grand Saut S. Louys de 7 à 8 lieues, où reposans la nuict, nous eusmes une autre alarme, les sauvages croyans avoir veu des Canots de leurs ennemis: ce qui leur fit faire plusieurs grands feux, que je leur fis esteindre, leur remonstrant l'inconvenient qui en pouvoit arriver, sçavoir, qu'au lieu de se cacher il se manifestoient.

Le 17. Juin nous arrivasmes au Saut S. Louys, où je trouvay l'Ange qui estoit venu au devant de moy dans un Canot, pour m'advertir que le sieur de Maison-neufve de S. Maslo avoit apporté un passeport de Monseigneur le Prince pour trois vaisseaux. En attendant que je l'eusse veu, je fis assembler tous les sauvages pour leur faire entendre que je ne desirois pas qu'ils traictassent aucunes marchandises, que je ne leur eusse permis: & que pour des vivres je leur en ferois bailler si tost que serions arrivés; ce qu'ils me promirent, disans, qu'ils estoient mes amis. Ainsi poursuivant nostre chemin, nous arrivasmes aux barques, & fusmes salués de quelques canonades, dequoy quelques uns de nos sauvages estoient joyeux, & d'autres fort estonnés, n'ayans jamais ouy telle musique. Ayans mis pied à terre, Maison-neufve me vint trouver avec le passeport de Monseigneur le Prince: & aussi tost que l'eus veu, je le laissay jouir, & les siens, du bénéfice d'iceluy, comme nous autres, & fis dire aux sauvages qu'ils pouvoyent traicter le lendemain.

323/471Ayans veu tous les Chefs, & déduit les particularités de mon voyage, & la malice de nostre menteur, dequoy ils furent fort estonnés, je les priay de s'assembler, afin qu'en leur presence, des sauvages & de ses compagnons, il declarast sa meschanceté; ce qu'ils firent volontiers. Ainsi estans assemblés, ils le firent venir, & l'interrogèrent, pourquoy il ne m'avoit monstré la mer du Nord, comme il m'avoit promis à son départ: Il leur fit response qu'il avoit promis une chose impossible à luy, d'autant qu'il n'avoit jamais veu ceste mer, & que le desir de faire le voyage luy avoit fait dire cela, aussi qu'il ne croyoit que je le deusse entreprendre, & les prioit luy vouloir pardonner, comme il fit à moy derechef, confessant avoir grandement failly: mais que si je le voulois laisser au pays, qu'il feroit tant par son labeur, qu'il repareroit la faute, & verroit ceste mer, & en rapporteroit certaines nouvelles l'année suivante: & pour quelques considerations je luy pardonnay à ceste condition.

Après leur avoir déduit par le menu le bon traictement que j'avois reçeu dans les demeures de ces sauvages, & mon occupation journaliere, je m'enquis aussi de ce qu'ils avoyent faict pendant mon absence, & de leurs exercices, lesquels estoient la chasse, où ils avoient faict tel progrès, que le plus souvent ils apportoient six cerfs. Une fois entre autres le jour de la S. Barnabé, le sieur du Parc y estant avec deux autres, en tua 9. Ils ne sont pas du tout semblables aux 324/472nostres, & y en a de différentes especes374, les uns plus grands, les autres plus petits, approchant fort de nos dains. Ils avoient aussi si grande quantité de Palombes 375 qu'impossible estoit de plus, ils n'avoient pas moins de poisson, comme Brochets, Carpes, Esturgeons, Aloses, Barbeaux, Tortues, Bars, & autres qui nous sont incognus, desquels ils disnoient & souppoient tous les jours, aussi estoyent-ils tous en meilleur point que moy, qui estois atténué par le travail & la fascherie que j'avois eue, & n'avois mangé le plus souvent qu'une fois le jour de poisson mal cuit, & à demy rosti.

Note 374: (retour)

Les espèces de cerfs du Canada sont 1° l'Orignal ou Élan (Cervus alces), que nos sauvages appellent Moussou, d'où les Anglais ont fait Moose-Deer. Suivant Lescarbot, le nom d'orignal, ou orignac, nous vient des Basques, et les Souriquois l'appelaient Aptaptou. Voici la description qu'il en fait. «C'est un animal le plus haut qui toit après le Dromadaire & le Chameau, car il est plus haut que le cheval. Il a le poil ordinairement grison, & quelquefois fauve, long quasi comme les doigts de la main. Sa tête est fort longue, & a un fort long ordre de dents, qui paroissent doubles pour recompenser le défaut de la mâchoire superieure, qui n'en a point. Il porte son bois double comme le cerf, mais large comme une planche, & long de trois piedz, garni de cornichons d'un costé & au-dessus. Le pied en est fourchu comme du cerf, mais beaucoup plus plantureux. La chair en est courte & fort délicate. Il paît aux prairies, & vit aussi des tendres pointes des arbres. C'est la plus abondante chasse qu'ayent nos sauvages après le poisson.» (Hist. de la Nouv. France, p. 893.) 2° Le Caribou. Les naturalistes distinguent aujourd'hui le caribou des régions arctiques (Tarandus arcticus), et le caribou ordinaire (Tarandus bastalis), qui habite principalement le Bas-Canada. 3° Le cerf de Virginie (Cervus Virginianus), qui ne se retrouve que dans le Haut-Canada. 4° Une quatrième espèce, le Wapiti (Elaphus Canadensis), qu'on trouvait en Canada au temps de Champlain, paraît avoir émigré vers les pays de l'ouest. (Voir The Canadian Naturalist, vol. I.)

Note 375: (retour)

Ou tourtes, comme nous disons aujourd'hui en Canada (Ectopistes migratoria).

Le 22 Juin Sur les 8 heures du Soir les sauvages nous donnèrent une alarme, à cause qu'un des leurs avoit songé qu'il avoit veu les Yroquois: pour les contenter chacun prit ses armes, & quelques-uns furent envoyés vers leurs cabanes pour les asseurer, & aux advenues pour descouvrir: si bien qu'ayant recognu que c'estoit une fausse alarme, l'on se contenta de tirer quelques 200 mousquetades & harquebusades, puis on posa les armes en laissant la garde ordinaire. Cela les asseura 325/473fort, & furent bien contens de voir les François qui se préparèrent pour les secourir.

Après que les sauvages eurent traicté leurs marchandises, & qu'ils eurent resolu de s'en retourner, je les priay de mener avec eux deux jeunes hommes pour les entretenir en amitié, leur faire voir le païs & les obliger à les ramener, dont ils firent grande difficulté, me representant la peine que m'avoit donné nostre menteur, craignans qu'ils me feroient de faux rapports, comme il avoit faict. Je leur fis response qu'ils estoient gens de bien & véritables, & que s'ils ne les vouloient emmener, ils n'estoyent pas mes amys, & pource ils s'y resolurent. Pour nostre menteur aucun de ces sauvages n'en voulust, pour prière que je leur feit, & le laissasmes à la garde de Dieu.

Voyant n'avoir plus rien affaire en ce pays, je me resolus de passer dans le premier vaisseau qui retourneroit en France. Le sieur de Maison-neufve ayant le sien prest m'offrit le passage, lequel j'acceptay, & le 27 Juin avec le sieur l'Ange nous partismes du Saut, où nous laissasmes les autres vaisseaux, qui attendoyent que les sauvages qui estoient à la guerre fussent de retour, & arrivasmes à Tadoussac le 6 Juillet.

Le 8 Aoust376 le temps se trouva propre qui nous en feit partir.

Note 376: (retour)

Le 8 juillet; car 1° comment Champlain, «qui n'avait plus rien à faire en ce pays», et qui voulait prendre «le premier vaisseau qui retournerait en France», aurait-il pu se résigner à passer un mois et deux jours à Tadoussac? 2° Est-il croyable que, dans la belle saison de l'année, il eût fallu attendre plus d'un mois, avant que «le temps se trouvât propre» pour partir? Et l'expression qu'emploie ici l'auteur marque bien que le vaisseau de Maison-Neuve n'attendait en effet qu'un temps favorable pour mettre à la voile.

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Le 18, sortismes de Gaspé à l'isle percée.

Le 28, nous estions sur le grand banc, où se faict la pesche de poisson vert, où l'on prit du poisson tant que l'on voulut.

Le 26 Aoust arrivasmes à S. Maslo, où je vis les Marchans, ausquels je remonstray combien il estoit facile de faire une bonne association pour l'advenir, à quoy ils se sont resolus, comme ont faict ceux de Rouen, & de la Rochelle après qu'ils ont recognu ce règlement estre necessaire, & sans lequel il est impossible d'esperer quelque fruict de ces terres. Dieu par sa grâce face prosperer ceste entreprise à son honneur, à sa gloire, à la conversion de ces pauvres aveugles, & au bien & honneur de la France.

FIN.

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TABLE DES CHAPITRES DU
QUATRIESME VOYAGE.

Ce qui m'a occasionné de recercher un règlement. Commission obtenue. Oppositions à l'encontre. En fin la publication par tous les ports de France. Chap. I. p. 279

Partement de France: Et ce qui se passa jusques à nostre arrivée au Saut. Chap. II. p. 287

Partement pour descouvrir la mer du Nord, sur le rapport qui m'en avoit esté faict. Description de plusieurs rivieres, lacs, isles, du Saut de la chaudière, & autres Sauts. Chap. III. p. 292

Continuation. Arrivée vers Tessoüat, & le bon accueil qu'il me feit. Façon de leurs cimetières. Les Sauvages me promettent 4 Canots pour continuer mon chemin. Tost après me les réfutent. Harangue des sauvages pour me dissuader mon entreprise, me remonstrant les difficultés. Response à ces difficultés. Tessoüat argue mon conducteur de mensonge, & n'avoir esté où il disoit. Il leur maintient son dire véritable. Je les presse de me donner des Canots. Plusieurs refus. Mon conducteur convaincu de mensonge, & sa confession. Chap. IV. p. 306

Nostre retour au Saut. Fausse alarme. Cérémonie du Saut de la chaudière. Confession de nostre menteur devant tous les chefs. Et nostre retour en France. Chap. V. p. 319


Fin du Tome III